mardi 27 octobre 2020

Diminution de l’incidence du diabète de type 1 dans une cohorte d’enfants finlandais

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Octobre 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Parviainen A et al. Decreased Incidence of Type 1 Diabetes in Young Finnish Children. Diabetes Care 2020; Sept dc200604. doi : 10.1056/NEJMoa2003697

 

Le diabète de type 1 (DT1) est l’une des maladies chroniques de l’enfance les plus communes, particulièrement en Finlande, qui enregistre la plus forte incidence au monde [1]. L’incidence mondiale du DT1 est en augmentation, notamment chez le jeune enfant [2]. C’est aussi le cas en Finlande : le taux d’incidence du DT1 chez les enfants de moins de 15 ans y a doublé entre 1980 et 2005, avec l’incidence la plus élevée (4,7%) chez les enfants de moins de 5 ans ; selon les prédictions, cette incidence était encore amenée à doubler à l’horizon 2020 [3]. Néanmoins, la pente de cette augmentation a eu tendance à s’infléchir dans plusieurs pays à fort taux d’incidence entre 2004 et 2013 [4] et un plateau a été atteint en Finlande entre 2006 et 2011 [5]. Les auteurs ont cherché à évaluer les tendances récentes dans l’évolution de l’incidence du DT1 dans une cohorte d’enfants finlandais.

Dans cette étude, les auteurs ont recruté les enfants de moins de 15 ans diagnostiqués DT1 entre 2003 et 2018 à partir du registre pédiatrique du diabète finlandais. Les données de ce registre ont été collectées depuis 2002 et recensent plus de 90% des enfants finlandais nouvellement diagnostiqués. Les enfants de moins de 6 mois ont été exclus des analyses car leur diabète serait plus probablement dû à une forme monogénique. La distribution du sexe de ce registre suit celle de la population diabétique finlandaise, ce qui limite la possibilité de biais dans cette étude. Les données annuelles d’âge et de sexe de population ont été obtenues à partir du registre central de la population finlandaise. Les auteurs ont calculé les taux d’incidence par sexe et par âge du DT1 pour 100 000 personnes-années. Les 3 catégories d’âge ont inclus les enfants de 0,50 à 4,99 ans, de 5,00 à 9,99 ans, et de 10,00 à 14,99 ans. Pour tenir compte des fluctuations aléatoires des taux d’incidence, les auteurs ont agrégé les données sur des périodes de 4 ans (2003–2006, 2007–2010, 2011–2014, et 2015–2018), pour lesquelles les taux d’incidence par âge et par sexe ont été calculés. Les intervalles de confiance à 95% ont été déterminés en supposant que les taux étaient distribués selon une loi de Poisson. Pour mieux appréhender les changements au cours du temps, les auteurs ont utilisé la période 2003-2006 comme référence et calculé les ratios des taux d’incidence et leurs intervalles de confiance à 95% en appliquant des modèles de régression multiplicatifs de Poisson aux nombres d’enfants diagnostiqués pour un DT1, en utilisant le logarithme népérien des personnes-années comme une variable offset. De plus, les auteurs ont examiné visuellement la distribution des âges au diagnostic par période de 4 ans et testé s’il y avait des différences entre chaque période. En raison de l’absence de normalité des données, les auteurs ont calculé les médianes et les rangs interquartiles des âges au diagnostic et utilisé un test de Kruskal-Wallis. Une analyse de sensibilité pour vérifier la cohérence des résultats vis-à-vis de la division des âges a été réalisée.

A partir du registre finlandais du diabète de l’enfant, 7871 enfants de moins de 15 ans ont été diagnostiqués DT1 en Finlande entre 2003 et 2018. Parmi ces enfants, 4417 (56,1%) étaient des garçons et 3454 (43,9%) étaient des filles. Le taux d’incidence pour 100000 personnes-années durant la période d’étude était de 54,9 (IC 95% 53,7-56,1) en tout, et de 60,3 (58,2-62,1) chez les garçons et 49,2 (47,6-50,9) chez les filles. Le taux d’incidence annuel du DT1 a considérablement fluctué au sein et entre les trois classes d’âge. Dans toute la cohorte, le taux d’incidence /100 000 personnes-années le plus élevé (62,4 (57,3-67,7)) a été observé en 2006, et le nadir (48,2 (43,7-52,9)) s’est produit en 2013. Pour la division en 3 groupes d’âge, le taux d’incidence par classe d’âge /100000 personnes-années durant la période d’étude était de 46,0 (44,1-48,0) dans le groupe le plus jeune, 62,1 (59,9-64,4) dans le groupe d’âge intermédiaire et 56,4 (54,3-58,5) dans le groupe d’âge le plus élevé.

Les données des 3 groupes d’âge ont montré que le taux d’incidence pour 100 000 personnes-années a diminué de 57,9 durant la période 2003-2006 à 52,2 durant la période 2015-2018, ce qui a conduit à un ratio d’incidence de 0,90 (0,85-0,96 ; p=0,001). La diminution la plus marquée a été observée chez les plus jeunes enfants (ratio d’incidence de 0,77 ; p=0,001) et à un moindre degré dans le groupe d’âge intermédiaire (ratio d’incidence de 0,86 ; p=0,002), tandis qu’aucun changement n’a été observé dans le groupe d’âge le plus élevé. Dans le groupe d’âge le plus jeune, la diminution a été significative dans les deux sexes, bien que plus marquée chez les garçons. Dans la classe d’âge intermédiaire, une diminution a été observée uniquement chez les filles. Les analyses de sensibilité (avec la division en deux groupes d’âge) ont retrouvé des résultats similaires pour le groupe d’âge le plus jeune. Il y a eu une diminution significative du taux d’incidence parmi les garçons et les filles de moins de 7 ans et pas de modification des taux d’incidence chez ceux âgés de 7 à 14 ans.

L’âge médian au diagnostic était de 8,02 ans ((écart interquartile IQR) 4,67-11,24), 8,28 ans (IQR 4,90-11,59) chez les garçons et 7,71 ans (IQR 4,44-10,83) chez les filles. L’âge médian au diagnostic a augmenté de 7,88 ans durant la période 2003-2008 à 8,33 ans durant la période 2015-2018. Des différences significatives dans la distribution des âges au diagnostic entre les périodes de 4 ans ont été observées dans toute la cohorte et chez les garçons mais pas chez les filles. En examinant la distribution des âges au diagnostic, les changements les plus marqués ont été observés chez les enfants de moins de 5 ans, chez qui une diminution notable du nombre de nouveaux cas s’est produite au cours du temps.

Ces résultats étaient inattendus dans la mesure où de précédentes études menées en Finlande ou dans d’autres pays avaient montré une augmentation ou une phase de plateau de l’incidence du DT1. De plus, cette augmentation de l’incidence a souvent été retrouvée comme plus présente chez les enfants de moins de 5 ans, aboutissant ainsi à un âge plus précoce au diagnostic. Les changements du taux d’incidence du DT1 ont principalement été attribués aux changements d’exposition à des facteurs environnementaux immunomodulateurs, affectant la progression vers l’auto-immunité contre les îlots de Langerhans. Beaucoup de facteurs environnementaux ont été suspectés comme étant impliqués dans une telle auto-immunité sans qu’aucune causalité n’ait pu être établie. Considérant la nature de cette étude, les auteurs peuvent seulement émettre des hypothèses sur l’association temporelle entre certains facteurs environnementaux et la diminution du taux d’incidence du DT1. Ainsi, l’augmentation des apports en vitamine D (via une politique d’enrichissement du lait) depuis 2002, la diminution nette de la vaccination de Calmette-Guérin (de plus de 98% à 6%) après les changements du programme national de vaccination en 2006, la diminution de l’exposition au rotavirus via la vaccination (disponible en 2006 et incluse dans le programme pédiatrique de vaccination en 2009), et l’augmentation de l’usage des probiotiques oraux chez les enfants et jeunes enfants durant la période d’étude, pourraient être des facteurs associés à cette diminution d’incidence.

L’une des limites de l’étude est que le registre ne donne pas d’information sur les cas de DT1 diagnostiqués à un âge supérieur à 15 ans. Il demeure en effet incertain si le taux d’incidence diminue vraiment ou si les manifestations de la maladie apparaissent à un âge plus tardif. Des études de suivi à plus long terme sont nécessaires pour savoir si cette tendance de diminution d’incidence du DT1 chez les enfants se confirme ou si cela ne serait qu’une fluctuation temporaire ou une régression à la moyenne.

 

Références

[1] Patterson C, Guariguata L, Dahlquist G, Solt ´esz G, Ogle G, Silink M. Diabetes in the young – a global view and worldwide estimates of numbers of children with type 1 diabetes. Diabetes Res Clin Pract 2014; 103:161–175.
 
[2] Patterson CC, Harjutsalo V, Rosenbauer J, et al. Trends and cyclical variation in the incidence of childhood type 1 diabetes in 26 European centres in the 25-year period 1989-2013: a multicentre prospective registration study. Diabetologia 2019; 62:408–417.
 
[3] Harjutsalo V, Sj¨oberg L, Tuomilehto J. Time trends in the incidence of type 1 diabetes in Finnish children: a cohort study. Lancet 2008; 371:1777–17823.
 
[4] Skrivarhaug T, Stene LC, Drivvoll AK, Strøm H, Joner G; Norwegian Childhood Diabetes Study Group. Incidence of type 1 diabetes in Norway among children aged 0-14 years between 1989 and 2012: has the incidence stopped rising? Results from the Norwegian Childhood Diabetes Registry. Diabetologia 2014; 57:57–62.
 
[5] Harjutsalo V, Sund R, Knip M, Groop PH. Incidence of type 1 diabetes in Finland. JAMA 2013; 310:427–428.
 


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lundi 28 septembre 2020

La vaccination antigrippale réduit la mortalité cardiovasculaire au cours du diabète

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Septembre 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Modin et al. Influenza Vaccination Is Associated With Reduced Cardiovascular Mortality in Adults With Diabetes: A Nationwide Cohort Study. Diabetes Care 2020; 43: 2226–2233. doi : 10.2337/dc20-0229

 

La réponse inflammatoire aiguë liée à une infection pourrait favoriser les évènements ischémiques comme les infarctus du myocarde (IDM) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). Des études ont démontré un lien entre infection grippale et augmentation du risque d’IDM et d’AVC [1,2]. Comme les patients diabétiques présentent un risque accru d’évènements cardio-vasculaires (IDM et AVC notamment) mais aussi une susceptibilité plus importante aux infections par le virus de la grippe, ils pourraient présenter un risque élevé d’événement ischémique secondaire à une infection grippale. Le potentiel rôle d’une infection grippale sur la mortalité cardiovasculaire au cours du diabète a été peu étudié jusqu’ici. La vaccination antigrippale est recommandée chez tous les patients diabétiques, selon l’American Diabetes Association (ADA), mais avec niveau de preuve faible (C). Il n’existe pas en effet d’étude randomisée contrôlée ayant évalué l’effet de la vaccination antigrippale chez les patients diabétiques. Modin et al. se sont donc demandé si la vaccination antigrippale pouvait être associée à la mortalité, notamment cardio-vasculaire, au cours du diabète.

Cette étude a été réalisée à partir de bases de données danoises. Elle a suivi, durant neuf années consécutives (2007-2016), tous les patients diabétiques, sur une période allant du 1er Décembre au 1er Avril, où l’activité grippale est la plus importante. Toute personne ayant bénéficié d’au moins une prescription d’un médicament du diabète (oral ou insuline), dans les 6 mois précédant le 1er Décembre, était considérée comme diabétique (Registre National Danois des Prescriptions). Les patients mineurs ou centenaires, avec un antécédent de cardiopathie ischémique, d’insuffisance cardiaque, de BPCO, de cancer ou d’AVC ont été exclus de l’étude, dans un souci d’homogénéité de la population. Les caractéristiques de chaque patient inclus ont été établies au 1er Décembre de chaque période. Le vaccin saisonnier de la grippe est gratuit pour tous les patients diabétiques au Danemark. L’administration du vaccin est enregistrée dans le Registre de Remboursement des Médecins Généralistes. Chaque année, un patient était considéré comme vacciné si la vaccination avait eu lieu dans les 4 mois précédant le 1er décembre, date de début de la campagne de vaccination.

Les critères de jugement primaires étaient la mortalité toutes causes, la mortalité cardio-vasculaire et la mortalité secondaire à un IDM ou à un AVC. Les critères secondaires étaient la survenue de complications aiguës du diabète (acidocétose, hypoglycémie et coma), la survenue d’une grippe et/ou d’une pneumonie, la mise sous insuline au cours du suivi et la survenue d’un cancer. Les patients pouvaient être suivis plusieurs années de suite, dans la mesure où ils n’étaient pas décédés l’année précédente, où ils recevaient toujours au moins un médicament du diabète et où ils n’avaient pas développé de pathologie parmi les facteurs d’exclusion.

Les auteurs ont également évalué si la vaccination antigrippale pouvait être plus bénéfique pour les sujets diabétiques que ceux non diabétiques. Ils ont donc réalisé chaque année un appariement 1 pour 1 sur l’âge et le sexe de sujets diabétiques et non diabétiques, en gardant les mêmes critères d’exclusion.

Au cours de la période d’étude, 241 551 patients diabétiques ont été inclus, la plupart pendant la première année (n=111 559). A l’inclusion, 190 628 patients (78,9%) étaient traités uniquement par un ou plusieurs antidiabétiques oraux (ADO), 35 787 (15,9%) étaient traités uniquement par insuline et 15 136 (6,3%) étaient traités par une association ADO-insuline. Les patients qui ont été vacciné au moins une fois au cours de la période de suivi étaient plus âgés et avaient des revenus et un niveau d’éducation plus faibles et plus de comorbidités que les sujets non vaccinés. La couverture vaccinale saisonnière variait de 24 à 36%, avec une moyenne de 33%. La médiane de suivi des patients était de quatre ans. La mortalité toutes causes était de 3,4% (n=8207), la mortalité cardiovasculaire était de 1,7% (n=4127) et la mortalité liée à un IDM ou un AVC était de 0,6% (n=1439). La survenue de complications aiguës du diabète a concerné 5755 patients (2,4%) et 7764 patients (3,2%) ont été hospitalisés pour une grippe ou une pneumonie. Après ajustement sur de potentiels facteurs de confusion, la vaccination était significativement associée à une diminution du risque de la mortalité toutes causes de 17% (HR 0,83; IC 95% 0,78–0,88 p< 0,001), de la mortalité cardiovasculaire de 16% (HR 0,84; 95% CI 0,77–0,91 p< 0,001) et de la mortalité liée à un IDM ou un AVC de 15% (HR 0,85; IC 95% 0,74–0,98 p=0,028). Ces résultats n’étaient pas modifiés lors d’une analyse en sous-groupe de patients traités ou non par insuline. La vaccination était également significativement associée à une diminution du risque d’hospitalisation pour une décompensation aiguë du diabète (HR 0,89 ; IC 95% 0,83–0,97 p=0,006) et d’hospitalisation pour grippe ou pneumonie (HR 0,94; IC 95% 0,88–0,99 p=0,033). En revanche, chez les patients traités uniquement par ADO à l’inclusion, la vaccination n’était pas associée à une diminution du risque de débuter une insulinothérapie au cours du suivi (HR 0,90; IC 95%  0,78–1,04 p=0,15).
Chez les sujets non diabétiques, appariés pour l’âge et le sexe, la vaccination était également significativement associée à une diminution du risque de la mortalité toutes causes de 19% (HR 0,81 ; IC 95% 0,74–0,90 p<0,001) et de la mortalité cardiovasculaire de 23% (HR 0,77 ; IC 95% 0,66–0,90 p=0,001). Cependant, le nombre de patients diabétiques devant être vaccinés pour prévenir un décès était de 1133 alors qu’il était de 2508 pour les sujets non diabétiques, ce qui était significativement plus élevé (p<0,001). Enfin, l’association entre la vaccination et la diminution de la mortalité était observée tout au long de l’année lorsque la période de suivi était étendue à 1 an, avec une association plus marquée de Décembre à Mai.

Cette étude démontre donc que la vaccination antigrippale est associée à une diminution de la mortalité toutes causes, de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité liée aux IDM et AVC chez les patients diabétiques. Même si l’absence de randomisation ne permet pas de conclure à un lien de causalité, ces résultats ont une certaine valeur dans le contexte actuel. A l’heure où la couverture vaccinale saisonnière de la grippe est souvent insuffisante (<50% des personnes à risque en 2018 en France) [3], cette étude nous apporte des arguments pour convaincre nos patients diabétiques des bienfaits de la vaccination antigrippale.

 

Références

[1] Kwong JC, et al. Acute myocardial infarction after laboratory confirmed influenza infection. N Engl J Med 2018; 378: 345–353.
 
[2] Warren-Gash C, et al. Laboratory-confirmed respiratory infections as triggers for acute myocardial infarction and stroke: a self-controlled case series analysis of national linked datasets from Scotland. Eur Respir J 2018; 51: 1701794.
 
[3] Bulletin hebdomadaire du 17/04/2019 - Santé Publique France.
 


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jeudi 2 juillet 2020

Intérêt de la télémédecine pour prévenir la prise de poids au cours de la grossesse ?

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Juin 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Ferrara A et al. A telehealth lifestyle intervention to reduce excess gestational weight gain in pregnant women with overweight or obesity (GLOW): a randomised, parallel-group, controlled trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2020 June;8(6):495-500. doi : 10.1016/S2213-8587(20)30107-8

 

L’obésité maternelle et la prise de poids excessive au cours de la grossesse sont de plus en plus fréquentes partout dans le monde ; ainsi la proportion de femmes débutant une grossesse en étant en surpoids ou obèse est actuellement autour de 60% aux Etats-Unis [1], 30% en Europe et 10% en Asie [2]. Les études observationnelles [3,4] ont montré qu’une prise de poids excessive au cours de la grossesse chez ces femmes en surpoids ou obèses augmentait le risque de diabète gestationnel, de césarienne, de macrosomie, de maintien de l’excès de poids après l’accouchement et d’obésité à long terme chez l’enfant. Limiter la prise de poids au cours de la grossesse chez ces patientes est donc un enjeu de santé publique et des études d’interventions intensives de modifications du mode de vie en présentiel ont récemment montré leur efficacité dans ce domaine [5,6]. Néanmoins, les consultations diététiques présentielles sont difficiles d’accès. A l’heure du développement de la télémédecine, avec des preuves d’efficacité sur les données périnatales [7], Ferrara et al. se sont intéressés à l’efficacité d’un programme d’intervention de modifications du mode de vie adapté du Diabetes Prevention Program (DPP) en télémédecine pour limiter la prise de poids au cours de la grossesse chez les femmes en surpoids ou obèses.

Cette étude appelée GLOW est une étude randomisée contrôlée avec deux groupes parallèles de patientes recrutées dans cinq centres médicaux du nord de la Californie. Les femmes enceintes sélectionnées électroniquement présentaient un IMC entre 25 et 40 kg/m², un âge supérieur à 18 ans et une grossesse unique à moins de 13 semaines d’aménorrhée (SA). Les critères d’exclusion étaient une grossesse médicalement assistée, un diabète, une hypertension artérielle, une pathologie thyroïdienne diagnostiquée dans les trente derniers jours, des antécédents cardiovasculaires, de cancer, de pathologies respiratoires ou gastriques, de chirurgie bariatrique ou de troubles psychiatriques. Les patientes correspondant à ces critères étaient randomisées dans le groupe intervention sur le mode de vie ou dans le groupe contrôle avec prise en charge habituelle, en prenant en compte l’âge (<30 ans ou ≥ 30ans), l’IMC préconceptionnel (25-29,9 kg /m² ; 30-34,9 kg/m² ; 35-40 kg/m²), l’ethnicité (Asie ou Iles du Pacifiques, noir américaines, caucasiennes, hispaniques ou multiraciales). La prise en charge anténatale classique incluait : une visite à 7-10  SA, sept visites anténatales et des lettres d’information d’éducation périodiques incluant les recommandations sur la prise de poids au cours de la grossesse, sur la diététique et sur l’activité physique. Les femmes dans le groupe interventionnel avaient en plus de ce suivi standard, une intervention sur le mode de vie adaptée du DPP délivrée en télémédecine par des diététiciennes (pesée quotidienne, manger des produits sains et en proportion adaptée, et faire au moins 150 min par semaine d’activité physique modérée). La prise de poids recommandée était de 7 kg en cas de surpoids, 5 kg en cas d’obésité. L’intervention débutait après la randomisation avec treize sessions hebdomadaires individuelles, la première et la dernière étant en présentiel et les onze autres par téléphone. Après les 13 séances, les patientes pouvaient continuer les sessions par téléphone jusqu’à la 38ème SA, sans obligation.

Le poids préconceptionnel était défini par le poids le plus élevé mesuré par l’équipe médical dans les six mois précédents la grossesse. Une semaine avant les deux visites médicales, un journal alimentaire de 24h était demandé, de même qu’un relevé d’activité physique sur la dernière semaine. Des bilans biologiques étaient également réalisés avec mesure du bilan lipidique, de l’insulinémie, glycémie, leptinémie et adiponectinémie à jeun. Le critère primaire de jugement était la prise de poids hebdomadaire au cours de la grossesse, exprimé en excès de poids pris (référence de prise de poids pour le premier trimestre de grossesse entre 0,5 et 2 kg et pour le second et le troisième trimestre de la grossesse, en cas de surpoids maternel 0,23 à 0,33 kg/semaine et en cas d’obésité maternelle 0,17 à 0,33 kg/semaine) [8]. Les critères de jugement secondaire étaient les différences entre les deux groupes concernant la prise de poids globale, l’évolution de l’apport calorique ou de la proportion de graisses ou de l’activité physique au cours de la grossesse, l’évolution des marqueurs métaboliques, et des marqueurs périnataux (poids de naissance, macrosomie, prématurité, césarienne, hypertension gravidique, diabète gestationnel).

Entre le 24 mars 2014 et le 26 septembre 2017, 5329 patientes étaient éligibles à l’étude ; 200 ont été randomisées dans le groupe intervention et 198 dans le groupe contrôle. 3% des femmes du groupe intervention et 2% du groupe contrôle ont eu une fausse couche avant 23 SA. Les deux groupes étaient comparables en début d’étude concernant l’âge maternel (moyenne 32,5 ans), l’ethnie, l’IMC préconceptionnel (29,4 kg/m²), la parité (53% de primipare), le niveau d’étude (73% de niveau universitaire), l’âge gestationnel de prise en charge (14,3 SA), l’âge gestationnel de dernière mesure du poids (38,4 SA) et le sexe fœtal. Les femmes du groupe intervention ont eu une prise de poids hebdomadaire plus faible que celles du groupe contrôle (moyenne +/- SD ; 0,26 kg +/- 0,15 par semaine versus 0,32 kg +/- 0,13 par semaine) avec une différence moyenne entre les deux groupes de -0,07 kg par semaine (IC95 -0,09 à -0,04). La proportion de femmes dépassant les recommandations en terme de prise de poids au cours de la grossesse était significativement plus faible dans le groupe intervention (48% en terme de prise de poids hebdomadaire et 66% en terme de prise de poids globale) par rapport au groupe contrôle (69% et 41% respectivement) (RR 0,70 ; IC 0,59 à 0,83 ; p<0,0001 et RR 0,62 ; IC 0,51 à 0,76 ; p<0,0001). L’intervention permettait également d’augmenter la proportion de femmes ayant une prise de poids recommandée (33% versus 24% en terme de prise hebdomadaire et 36% versus 22%  en terme de prise de poids globale) (RR 1,38 ; IC 1,0 à 1,9 ; p=0,049 et RR 1,66 ; IC  1,21 à 2,3 ; p=0,022) mais aussi la proportion de femmes ayant une prise de poids en dessous de celle des recommandations (19% versus 8% en terme de prise de poids hebdomadaire et 23% versus 12% en terme de prise de poids globale) (RR 2,49 ; IC 1,44 à 4, 31 ; p<0,0001 et RR1,84 ; IC 1,17 à 2,3 ; p=0,0078). Ainsi la prise de poids moyenne dans le groupe contrôle était de 12,36 ± 5,28 kg contre 10,21 ± 5,63 kg dans le groupe intervention. La prise de poids dans le groupe intervention chez les femmes obèses était en moyenne de 8 ± 5,9 kg versus 11,6 ± 5,6 kg chez les femmes obèses du groupe contrôle suggérant un effet plus important de l’intervention dans le groupe obèse. Au cours de l’étude, les femmes du groupe intervention ont une augmentation plus faible de la prise calorique et de la proportion d’acides gras saturés. Il n’y avait, en revanche, pas de différence en termes de quantité de graisses ingérées et d’activité physique. Sur le plan biologique, les patientes du groupe intervention avaient une plus faible augmentation des concentrations en insuline et en leptine ainsi que de l’index HOMA-IR par rapport aux femmes du groupe contrôle. La proportion de macrosomie, de petit ou de gros poids de naissance pour l’âge gestationnel, de prématurité, d’hypertension artérielle gravidique et de diabète gestationnel n’était pas différente dans les deux groupes. Dans le groupe intervention, seules 81% des femmes ont eu les treize sessions, chaque session téléphonique durant en moyenne 25,6 min. Le coût direct de cette intervention était de 277$ par patiente.

Dans cette étude originale randomisée contrôlée avec deux bras parallèles, Ferrara et al. montrent que l’intervention adaptée, ciblée selon les recommandations et délivrée en télémédecine réduit significativement la prise de poids et la proportion de femmes en surpoids ou obèses prenant trop de poids au cours de leurs grossesse par la diminution de la quantité de calories ingérées. Des études ont précédemment montré que seules les interventions personnalisées intensives de modification du mode de vie étaient efficaces. Une méta-analyse de ces interventions, le LIFE-Moms consortium [6] montre une diminution de 17,6% de la proportion de femmes prenant plus de poids que les recommandations contre 30% dans ce travail. Les modifications du mode de vie permettent également d’améliorer l’homéostasie glucidique pour réduire le risque de diabète gestationnel chez ces patientes même si il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes en termes de proportion de diabète gestationnel (manque de puissance ?). Les interventions en présentiel ne sont pas réalisables pour beaucoup de femmes, contrairement à la téléconsultation qui augmente l’adhérence des patientes. Dans ce travail, il n’y a pas de différence retrouvée en termes de complications périnatales ou de poids de naissance des enfants, conformément aux études précédentes [6]. Si les résultats sont favorables concernant la prise de poids durant la grossesse, il faut noter dans cette étude, une augmentation de la proportion de femmes ne prenant pas le poids minimum recommandé, augmentant potentiellement le risque d’obésité pour la descendance. La force de cette étude est la réalisation d’une intervention de modification du mode de vie en télémédecine. A l’ère du COVID, de l’augmentation de la prévalence de l’obésité et du surpoids des femmes en âge de procréer, ce travail ouvre des perspectives pour la prise en charge des patientes obèses ou en surpoids débutant une grossesse pour limiter leur prise de poids pendant la grossesse et améliorer leur paramètres métaboliques via la télémédecine !

 

Références

[1] National Vital Statistics System. QuickStats: gestational weight gain among women with full-term, singleton births, compared with recommendations—48 states and the district of Columbia, 2015. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2016; 65: 1121.
 
[2] Goldstein RF et al. Gestational weight gain across continents and ethnicity: systematic review and meta-analysis of maternal and infant outcomes in more than one million women. BMC Med 2018; 16: 153.
 
[3] Goldstein RF et al. Association of gestational weight gain with maternal and infant outcomes: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2017; 317: 2207–25.
 
[4] Sridhar SB et al. Maternal gestational weight gain and offspring risk for childhood overweight or obesity. Am J Obstet Gynecol 2014; 211: 259.e1–8.
 
[5] Vesco KK et al. Efficacy of a group-based dietary intervention for limiting gestational weight gain among obese women: a randomized trial. Obesity 2014; 22: 1989–96.
 
[6] Peaceman AM et al. Lifestyle interventions limit gestational weight gain in women with overweight or obesity: LIFE-moms prospective meta-analysis. Obesity 2018; 26: 1396–404.
 
[7] Yeo S et al. Challenges of integrating an evidence-based intervention in health departments to prevent excessive gestational weight gain among low-income women. Public Health Nurs 2016; 33: 224–31.
 
[8] Institute of Medicine. Weight gain during pregnancy, reexamining the guidelines. Washington, DC: The National Academic Press, 2009.
 


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vendredi 29 mai 2020

L’oxygénothérapie locale dans le traitement des plaies du pied diabétique

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Mai 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Frykberg et al. A multinational, multicenter, randomized, double-blinded, placebo-controlled trial to evaluate the efficacy of cyclical topical wound oxygen (TWO2) Therapy in the Treatment of Chronic Diabetic Foot Ulcers: The TWO2 Study. Diabetes Care 2020; 43: 616–624. doi : 10.2337/dc19-0476

 

Le débridement approprié et la mise en décharge sont des éléments primordiaux de la prise en charge des plaies du pied diabétiques (PPD). De nouvelles thérapies adjuvantes ont fait leur apparition ces dernières années (facteurs de croissance, pansements cellulaires et acellulaires, pression négative, oxygénothérapie…), mais leurs études non généralisables ou au design critiquable ne permettent pas d’attester ni de leur efficacité, ni de leur sécurité ou de leur balance coût-bénéfice favorable [1].
L’oxygène (O2) est un élément essentiel dans le processus de cicatrisation. Le métabolisme énergétique, la synthèse des espèces réactives de l’O2, la signalisation redox, la production de peroxyde d’hydrogène (H2O2), la production d’antioxydants, la synthèse du collagène, la formation de la matrice extracellulaire, l’expression génique du VEGF et l’angiogenèse nécessitent des apports suffisants en O2 pour un fonctionnement optimal.
L’efficacité de l’oxygénothérapie hyperbare (OTHB) dans la cicatrisation de PPD est incertaine dans les essais cliniques randomisés menés ces dernières années. L’oxygénothérapie locale (OTL) est utilisée en pratique clinique depuis une cinquantaine d’années et consiste à apporter directement de l’oxygène en superficie de la plaie hypoxique, sans les complications potentielles de l’OTHB. Les partisans de l’OTHB ont émis des réserves sur l’efficacité de l’OTL en l’absence d’hyperoxygénation systémique.Une étude contrôlée a été menée chez le porc [2]. Elle a montré que les niveaux de pression partielle en O2 au niveau de la plaie étaient multipliés par 10 après 4 min d’oxygénothérapie locale en comparaison à une exposition à l’air ambiant. Les examens histologiques ont mis en évidence une présence plus importante de VEGF, témoin de l’amélioration de l’angiogenèse et une meilleure qualité du collagène, témoin d’un remodelage tissulaire plus avancé avec l’OTL. Alors que d’autres études suggèrent un bénéfice de l’OTL dans la cicatrisation des plaies chroniques, l’efficacité de cette thérapeutique dans la cicatrisation de PPD demeure incertaine notamment par le manque d’études robustes randomisées et contrôlées.

L’étude TWO2 est un essai randomisé, contrôlé contre placebo, en double aveugle, qui vise à évaluer l’efficacité de l’OTL dans la cicatrisation des PPD chroniques malgré le respect des soins de référence. Cette étude prospective et multicentrique a été réalisée dans 17 centres spécialisés aux USA, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et au Luxembourg. Les critères d’inclusion étaient: patient diabétique de type 1 ou 2, plaie de grade 1 ou 2 de la classification de l’Université du Texas (UT), surface de la plaie après débridement ≥ 1cm2 et < 20 cm2, ancienneté de la plaie comprise entre quatre semaines et un an, soins de référence de la plaie mis en place pendant au moins 4 semaines, index de pression systolique (IPS) > 0,7, au moins un des critères suivants évaluant la perfusion distale : TcPO2 > 30 mmHg, pression d’orteil > 30 mmHg, flux biphasiques au niveau jambier au doppler.  Les critères d’exclusion étaient : la présence de signes de gangrène ou d’ostéite, une HbA1c > 12%, le recours à la dialyse ou une créatininémie > 221 µmol/l, un déficit immunitaire connu, la prise d’un traitement immunosuppresseur ou d’une corticothérapie, une pathologie maligne évolutive.Les patients étaient tous suivis en ambulatoire. A la visite d’inclusion, une photo de la plaie était prise après débridement. Tous les patients bénéficiaient du même type de pansement, des mêmes soins locaux et du même type de décharge. Après une période de run-in de 15 jours, seuls les patients chez qui la diminution de la surface de la plaie était inférieure à 30% étaient randomisés. La randomisation était de 1 pour 1, en double aveugle, soit dans le groupe intervention (soins de référence + OTL), soit dans le groupe contrôle (soins de référence et thérapie factice).
Le dispositif d’OTL (HyperBox ; AOTI Ltd., Galway, Ireland) consistait à insérer le pied dans une enceinte reliée à un générateur d’O2. Un système de gonflage au niveau de la jambe permettait de rendre l’enceinte hermétique. Le débit d’O2 dans l’enceinte était de 10 L/Min. Un système factice avec le même aspect et le même mode de fonctionnement mais ne délivrant pas d’O2 (même s’il apparaissait sur le générateur que de l’O2 était délivré) était utilisé dans le groupe contrôle. La délivrance, l’installation et la formation à l’utilisation de ce dispositif étaient réalisées au domicile des patients par un prestataire qui ne savait pas si la machine délivrerait de l’O2 ou non. Les patients utilisaient eux-mêmes le dispositif 90 minutes par jours, 5 jours par semaine. Les pansements étaient changés à domicile par le patient ou par son infirmière.
Les patients étaient suivis de manière hebdomadaire dans leur centre spécialisé. Ils devaient noter quotidiennement leur compliance vis-à-vis de l’utilisation de la machine et du respect du port du système de décharge. Il était également possible de vérifier l’utilisation du dispositif sur le dispositif lui-même. Le traitement actif était poursuivi jusqu’à cicatrisation ou pendant 12 semaines.
La mesure de la plaie était réalisée après débridement à chaque visite à partir de photos numériques. La mesure à la randomisation servait de valeur initiale. En cas de plaies multiples, la plus importante était désignée comme la plaie index. Les photos numériques étaient transmises par voie électronique et un logiciel de mesure des plaies était utilisé pour suivre l’évolution de taille et de cicatrisation. Lorsque le logiciel déterminait qu’une plaie était cicatrisée, une visite était programmée 15 jours après pour confirmer l’épithélialisation complète. Après la phase de traitement actif de 12 semaines maximum, une période de suivi de 38 semaines était réalisée avec évaluation de la cicatrisation. Les patients avec une plaie non cicatrisée recevaient les soins prodigués par leur médecin et ne devaient pas participer à une autre étude sur la cicatrisation des plaies.
Le critère de jugement  principal était le pourcentage de plaies cicatrisées à 12 semaines. Les critères d’évaluation secondaire étaient la diminution de la surface de la plaie, l’incidence à 12 mois de récidives de plaies et de cicatrisation complète et l’incidence des amputations.

Soixante-treize patients ont été randomisés dans cette étude entre novembre 2014 et décembre 2017. Quatre-vingt-neuf pourcent des patients étaient diabétiques de type 2. La majorité des caractéristiques des patients était similaire dans les deux groupes de patients. Cependant, dans le groupe intervention, 61% des plaies étaient de grade 1 de la classification de l’UT et 39% étaient de grade 2 (atteinte du tendon ou de la capsule), alors que dans le groupe contrôle, 84% étaient de grade 1 et 16% de grade 2 (p=0,04). Les antécédents d’amputation étaient également plus importants dans le groupe intervention (47% vs 22%, p=0,018).
A 12 semaines, le taux de cicatrisation était significativement plus important dans le groupe intervention que dans le groupe contrôle (41,7 vs 13,5%, p=0,007). La probabilité de cicatrisation était 3,5 fois plus importante dans le groupe OTL (HR 3,64 [97,8% CI 1,11-11,94], p=0,013). Le hazard ratio passait à 4,66 ([97,8% CI 1,36-15,98], p=0,004) après ajustement sur les grades de la classification de l’UT.
A 12 mois, une plaie sur les 15 cicatrisées (6,7%) avait récidivé dans le groupe intervention, contre deux récidives parmi les 5 plaies cicatrisées (40%) dans le groupe contrôle, sans différence significative (p=0,07). Cinquante-six pourcent des plaies étaient complètement cicatrisées dans le groupe intervention contre 27% dans le groupe contrôle (p=0,013). Parmi les patients avec une plaie persistante à 12 semaines, la réduction moyenne de surface était de 1,97 cm2 dans le groupe intervention contre 0,40 cm2 dans le groupe contrôle (p=0,04). Pour les patients avec une plaie > 4 cm2 au bout de 12 semaines, la diminution moyenne de surface était de 4,12 cm2 dans le groupe intervention contre 1,34 cm2 dans le groupe contrôle (p=0,02).
La compliance vis-à-vis de l’utilisation du dispositif était respectivement de 94 et 96% dans les groupes intervention et contrôle. La compliance vis-à-vis de l’utilisation du système de décharge plus de 75% du temps était respectivement de 97 et 99% dans les groupes intervention et contrôle.  Aucun effet secondaire en lien avec le dispositif évalué n’a été rapporté. Le nombre d’amputation a été de 3 (8%) dans le groupe contrôle et de 2 dans le groupe intervention (5%).

La force de cette étude clinique est sa robustesse liée à son caractère randomisé, contrôlée contre placebo, en double aveugle, ce qui est rare dans le domaine de la PPD. Sa faiblesse est son effectif relativement faible. Le taux de cicatrisation dans le groupe contrôle apparait également faible (13,5%) en comparaison à d’autres études. Les auteurs l’expliquent par la complexité des patients inclus et le caractère chronique des plaies (ancienneté > 5 mois). Les auteurs concluent que le dispositif étudié est sûr, sans complications et permet une cicatrisation plus durable. Ils précisent également que le système peut être utilisé seul par le patient à domicile en limitant les déplacements vers les centres spécialisés. Ce dernier point est à pondérer puisque les patients ont été suivis de manière mensuelle dans les centres spécialisés. De plus, il n’est apporté aucune précision concernant le prix du dispositif. Au total, dans cette étude, l’utilisation de l’OTL en plus des soins de référence permet un taux de cicatrisation plus important que les soins de référence seuls, en cas de PPD. Ces résultats sont encourageants, méritent d’être confirmés dans d’autres études et il serait intéressant de bénéficier de données sur le ratio coût-efficacité de ce dispositif.

 

Références

[1] Game FL, Apelqvist J, Attinger C, et al.; International Working Group on the Diabetic Foot. Effectiveness of interventions to enhance healing of chronic ulcers of the foot in diabetes: a systematic review. Diabetes Metab Res Rev 2016; 32 (Suppl. 1):154–168.
 
[2] Fries RB, Wallace WA, Roy S, et al. Dermal excisional wound healing in pigs following treatment with topically applied pure oxygen. Mutat Res 2005; 579:172–181.
 


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mercredi 26 février 2020

Prévalence et risque du DT1 pré-symptomatique chez l’enfant : leçons d’un programme de dépistage systématique allemand

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Février 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Ziegler AG, et al. Yield of a Public Health Screening of Children for Islet Autoantibodies in Bavaria, Germany. JAMA. 2020;323:339-351. doi : 10.1001/jama.2019.21565

 

Le diabète de type 1 (DT1) reste une maladie relativement rare (environ 13 cas pour 100 000 habitants/an en France) ne justifiant pas actuellement de dépistage systématique chez l’enfant. Un dépistage n’est d’ailleurs pas non plus fait en pratique clinique chez les sujets génétiquement les plus à risque, les parents (enfants ou fratrie) de sujet diabétique. Le diagnostic de diabète est donc fait lors de l’apparition de symptômes (syndrome polyuro-polydipsique, énurésie…) et malheureusement trop souvent encore lors d’une acidocétose. Un dépistage à un stade asymptomatique par dosage systématique des anticorps (Ac) du DT1 pourrait permettre de réduire ce risque et de mieux préparer enfant et parents à la maladie. L’étude allemande Fr1da était un programme de dépistage des Ac du DT1 dans une population pédiatrique générale ayant pour but d’évaluer la prévalence de la maladie pré-symptomatique, le risque de progression vers le diabète et l’acidocétose et le stress psychologique d’un tel dépistage chez les parents.

Fr1da a été conduite entre février 2015 et mai 2019 en Bavière (un Land du sud-est de l’Allemagne) chez des enfants de 1,75 à 5,99 ans inclus lors de consultations de suivi standard de pédiatrie générale. Des prélèvements capillaires étaient réalisés afin de mesurer les Ac du DT1 (anti-insuline, anti-GAD, anti-IA2 et anti-ZnT8). En cas de positivité, un prélèvement veineux de confirmation était réalisé. Si la positivité multiple (≥ 2 Ac) était confirmée, les familles étaient invitées à faire une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) afin de définir le stade du DT1 pré-symptomatique (stade 1 : HGPO normale, stade 2 : glycémie à jeun entre 1,10 et 1,25 g/l ou entre 1,40 et 1,99 g/l à 2h ou ≥ 2 g/l à 30, 60 ou 90 min et stade 3 : glycémie à jeun ≥ 1,26 g/l ou ≥ 2 g/l à 2h). Un programme éducatif vis-à-vis du diabète était également mis en place avec des visites au centre de diabétologie le plus proche tous les 2 à 6 mois selon le grade du diabète. Le suivi a été fait jusqu’au 31 juillet 2019. Le stress psychologique des parents et des enfants pré-symptomatiques était évalué au début puis à 6 et 12 mois à l’aide d’un questionnaire validé. En comparaison aux enfants dépistés positifs, une cohorte de contrôles négatifs a été construite à partir de 160 enfants dépistés négatifs et une cohorte contrôle positive à partir d’une autre cohorte de sujets sans dépistage avec découverte de DT1 durant la même période dans les mêmes centres (étude DiMelli) [1].

Le critère principal était la prévalence du diabète pré-symptomatique dans la population de dépistage et de confirmation. Les critères secondaires étaient la fréquence de l’acidocétose et l’évaluation du stress psychologique associé au diagnostic de diabète asymptomatique. Au total, 682 pédiatres (66,4% des pédiatres de premier recours) ont inclus 90 632 enfants d’âge médian 3,2 ans (41% d’enfants de moins de 3 ans) dont 48,5% de filles. Parmi ces enfants, 3,4% avaient des antécédents familiaux au 1er degré de DT1 et 4,1% étaient obèses. La prévalence du diabète pré-symptomatique (≥2 Ac positifs) était de 0,31% soit 280 enfants au total dont 19 avec un diabète devenu symptomatique avant le test de confirmation. La prévalence était quasi identique dans différents sous-groupes en dehors de celui des sujets avec antécédents familiaux où la prévalence s’élevait à 1,07%. Cent vingt enfants avaient 2 Ac positifs, 91 en avaient 3 et 69 étaient positifs pour les 4. Après ajustement, le risque d’avoir un dépistage positif augmentait avec la présence d’antécédents familiaux (3,69 [95% CI, 2,51-5,24]; P < 0,001), l’obésité (1,77 [1,08-2,71]; P = 0,01) et l’âge (entre 4 et 5 ans : 1,50 [1,07-2,11]; P = 0,02 ; entre 5 et 6 ans : 1,86 [1,37-2,53]; P < 0,001). En revanche, il n’y avait aucune différence entre les sexes. Parmi les 220 enfants qui ont participé au suivi, 196 étaient au stade 1, 17 au stade 2 et 7 au stade 3 à l’inclusion.

Durant le suivi, 25 ont progressé du stade 1 au stade 2, 27 du stade 1 au stade 3, et 5 du stade 2 au stade 3. Au total, en incluant les 280 enfants dépistés positifs, ce sont 54 enfants (25%) qui ont développé un DT1 durant les 3 ans de suivi, soit un risque annuel de 9%. Ce risque était plus élevé en cas de positivité de 4 anticorps versus 2 (1,85 [1,03-3,32]; P = 0,04), et en cas de positivité des anti-IA2  (3,4 [1,81-6,39]; P < 0,001). Il était au contraire plus faible chez ceux avec anti-GAD positifs (0,43 [0,25-0,75]; P = 0,003). En revanche, le sexe, l’âge, l’IMC ou les antécédents familiaux ne modifiaient pas le risque. Parmi les 89 912 enfants négatifs, 4 cas de DT1 ont été rapportés durant le suivi (3 cas avec un seul Ac et 1 cas sans Ac positifs). L’incidence globale était au final de 27 cas pour 100 000 enfants par an. Parmi les sujets ayant développés un diabète durant le suivi, 2 seulement ont fait une acidocétose non sévère sans passage en réanimation.

Le score de stress psychologique était plus élevé (plus de stress) chez les mères d’enfants avec dépistage positif que négatif (mais pas chez les pères) mais diminuait durant le suivi pour redevenir comparable. Le stress était en revanche moindre que chez les parents d’enfants de la cohorte contrôle positif (découverte de DT1 « classique »).

Cette étude observationnelle de grande ampleur (plus de 90 000 enfants de 2 à 5 ans) apporte de précieuses informations sur l’épidémiologie du DT1 en population pédiatrique : l’incidence globale de la maladie (27 cas pour 100 000 enfants par an), la prévalence du diabète pré-symptomatique (0,31% dont 0,03% de diabète avéré) et la confirmation de l’incidence élevée du diabète en cas de dépistage positif (9%/an) particulièrement en cas d’Ac anti-IA2 et d’anomalie glycémique déjà présente. Mais au-delà des informations épidémiologiques, l’étude apporte des arguments en faveur du dépistage du DT1. D’abord en montrant que la sensibilité du test est bonne (95% des cas ont été dépistés) avec une stratégie en 2 temps relativement peu coûteuse (le test capillaire utilise une méthode ELISA beaucoup moins chère que la technique de référence radio-immunologique). Ensuite, le dépistage permet une nette diminution du taux d’acidocétose avec moins de 5% ici contre 20 à 40% habituellement. Pour mémoire, en France, le taux d’acidocétose à la découverte reste élevé, entre 40 à 55% selon les âges avec environ 15% d’acidocétose sévère qui peut engager le pronostic vital mais qui est aussi associée à des troubles neurocognitifs, un mauvais contrôle glycémique ultérieur, des coûts médicaux élevés et est un facteur de stress majeur pour la famille (stress diminué chez les parents ici). La campagne de prévention Diabète Enfant et Adolescent de l’AJD en 2010-2011 a eu des effets modestes sur ces taux [2]. Enfin, les récents résultats de l’essai clinique avec le teplizumab pour prévenir la survenue de la maladie chez des sujets à risque de DT1 ouvrent la possibilité d’un traitement préventif de la maladie qui permettrait probablement une meilleure acceptation du dépistage [3].

En conclusion, cette étude donne des arguments pour définir un programme de dépistage à large échelle du DT1 chez les enfants.  Des essais randomisés permettraient de mieux mesurer l’impact d’une telle stratégie de dépistage sur les événements aigus mais aussi sur le devenir des patients diabétiques ayant révélés leur maladie dans un contexte « préparé ».

 

Références

[1] Warncke K, et al. Does diabetes appear in distinct phenotypes in young people? results of the diabetes mellitus incidence cohort registry (DiMelli). PLoS One. 2013;8:e74339.
 
[2] Choleau C, et al. Ketoacidosis at time of diagnosis of type 1 diabetes in children and adolescents : effect of a national prevention campaign. Arch Pediatr. 2015;22:343-51.
 
[3] Herold KC, et al. An Anti-CD3 Antibody, Teplizumab, in Relatives at Risk for Type 1 Diabetes. N Engl J Med. 2019;381:603-613.
 


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mardi 4 février 2020

Sommeil et HbA1c chez les patients diabétiques de type 2 : quelles caractéristiques du sommeil importent le plus ?

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Janvier 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Brouwer A et al. Sleep and HbA1c in patients with Type 2 Diabetes: Which sleep characteristics matter most? Diabetes Care 2020; 43:235-243. doi: 10.2337/dc19-0550

 

Le sommeil, régulé à la fois par des facteurs neuroendocrines et comportementaux, a été identifié comme un élément modifiable de l’équilibre glycémique des patients atteints de diabète de type 2 (DT2) [1]. Le sommeil optimal peut être caractérisé de différentes façons, notamment par la mesure de la durée du sommeil, l’efficacité du sommeil (le pourcentage du temps passé à dormir par rapport au temps passé au lit avec l’intention de dormir), la continuité du sommeil, l’architecture du sommeil, la dette de sommeil (l’effet cumulé de ne pas dormir suffisamment), l’horaire de sommeil, ainsi que des variables plus subjectives telles que la qualité perçue du sommeil, l’envie de dormir durant la journée ou la vigilance [2]. La relation entre la durée totale de sommeil et l’HbA1c chez les patients DT2 décrit une courbe en U, avec une HbA1c plus élevée chez les petits dormeurs (ceux dormant peu) ou ceux ayant une durée de sommeil de plus de 7 à 8 heures par nuit [3]. D’autres caractéristiques du sommeil ont été montrées comme associées à une HbA1c élevée chez les patients DT2. C’est le cas de la mauvaise qualité perçue du sommeil, de la diminution de l’efficacité du sommeil [4], et plus récemment de la variabilité de la durée totale du sommeil, reflétant les périodes de privation partielle de sommeil alternant avec des périodes de compensation, les patients ayant une plus grande variabilité ont une HbA1c plus élevée [4]. L’horaire de sommeil (vis-à-vis du jour naturel) semble également important pour le contrôle glycémique : les sujets préférant dormir à une heure tardive (les couche-tard) et ceux montrant une grande variabilité dans l’horaire de sommeil (due aux activités sociales, on parle de jetlag social), ont une HbA1c plus élevée [5]. Il persiste des incertitudes sur les caractéristiques du sommeil qui ont l’impact le plus fort sur le contrôle glycémique des patients DT2. De plus, la façon dont les différents paramètres du sommeil sont reliés les uns aux autres n’est pas connue. Dans les études précédentes, les mesures du sommeil étaient en majorité de nature subjective, limitant la fiabilité de ces études. Grâce à cette étude transversale chez des patients DT2, les auteurs ont voulu évaluer et hiérarchiser les différentes mesures objectives et subjectives du sommeil, seules et en combinaison, impactant le plus l’HbA1c chez ces patients. Ils ont d’abord voulu savoir si les paramètres d’intérêt étaient reliés entre eux ou pouvaient être regroupés (interactions). Secondairement, les auteurs ont identifié les facteurs du sommeil expliquant le mieux la variance de l’HbA1c et enfin, ils ont étudié l’effet de potentiels facteurs de confusion.

Pour cette étude transversale, 205 patients DT2 ont été recrutés au sein de 2 centres de traitement du diabète affiliés à l’Université d’Amsterdam. Les critères d’inclusion étaient d’avoir plus de 18 ans et d’être DT2. Les critères d’exclusion étaient les difficultés de langage et de compréhension, l’impossibilité de se rendre à l’un des 2 centres recruteurs. Finalement, 291 participants ont reçu une information sur cette étude, 75 ont décliné, 9 ont été exclus (7 parce qu’ils étaient incapables de répondre aux questions et 2 parce que le diagnostic de DT2 était erroné, l’un ayant en réalité un DT1 de type LADA et l’autre un DT1). Les mesures objectives du sommeil ont été obtenues au moyen d’un accéléromètre porté au niveau du poignet durant une semaine (GENEActiv, Activinsights Ltd, Kimbolton, U.K.). Ces données ont ensuite été combinées avec les données reportées par les patients (heure de coucher, heure de réveil) selon un algorithme validé et offrant une bonne comparabilité avec les données de polysomnographie. Ces mesures calculées étaient la durée totale du sommeil (en moyenne), sa variabilité (exprimée par l’écart type, SD), l’efficacité du sommeil, l’horaire du milieu du sommeil (en moyenne), le chronotype (être du matin ou du soir), la variabilité de l’horaire du milieu du sommeil (exprimée par son écart-type), le jetlag social (c’est-à-dire le décalage entre l’horaire préféré de sommeil et l’horaire des activités sociales). Les mesures subjectives du sommeil ont été obtenues par 2 questionnaires : Pittsburgh SleepQuality Index (PSQI) (un score ≥6 indique un mauvais sommeil) et Insomnia Severity Index (ISI) (un score ≥10 indique une insomnie cliniquement relevante). L’HbA1c a été réalisée dans les 3 mois précédant les mesures du sommeil.

Les potentiels facteurs de confusion et variables explicatives évalués étaient : l’âge, le sexe, le pays de naissance, la situation professionnelle, le nombre de médicaments, les médicaments antidiabétiques, l’IMC, le niveau d’activité physique (évalué par le International Physical Activity Questionnaire), le risque d’apnées du sommeil (évalué par le questionnaire de Berlin), la consommation d’alcool (questionnaire Alcohol Use Disorders Identification Test), les symptômes de dépression (questionnaire Inventory of Depressive Symptomatology) ou d’anxiété (questionnaire de Beck), la souffrance émotionnelle liée au diabète (5-item Problem Areas in Diabetes Questionnaire) et la longueur du jour naturel (long ou court). Sur le plan statistique, une analyse en composante principale suivie d’une analyse screen plot ont été réalisées pour déterminer le nombre de variables du sommeil à retenir. Des régressions linéaires ont été utilisées pour savoir quelles variables étaient le plus associées à l’HbA1c (selon une procédure pas à pas arrière ou backward step wise).

Sur les 205 participants inclus, 62% étaient des hommes et 78% travaillaient moins de 12 heures par semaine ou pas du tout. Ils avaient en moyenne 66,4 ans (de 33 à 85 ans), étaient obèses (30,8 d’IMC moyen) et avaient une HbA1c de 7,3% en moyenne (de 4,5 à 11,9%). L’ancienneté du diabète était de 13 années en moyenne (de 1 à 44 ans). L’insuline était utilisée par 42,9% d’entre eux. Des symptômes modérés de dépression, d’anxiété et de troubles émotionnels liés au diabète étaient décrits chez respectivement 41%, 6% et 22% des sujets. Les participants dormaient en moyenne 6 heures et 29 minutes, avec une heure de milieu de sommeil à 3H50 du matin et une efficacité médiane du sommeil de 88% (≥80% est considéré comme normal). Les participants ont rapporté subjectivement en moyenne une mauvaise qualité de sommeil (score médian PSQI à 10), mais peu de symptômes subjectifs d’insomnies (score ISI médian à 5). La majorité des patients était à haut risque de syndrome d’apnées du sommeil (69%) et 15% utilisait des médicaments pour dormir au moins une fois par semaine.

L’analyse exploratoire des variables du sommeil ont permis d’établir 3 groupes de facteurs : un groupe de variables subjectives (regroupant les symptômes d’insomnie, la qualité ressentie du sommeil et les plaintes liées au sommeil), un groupe de variables quantitatives (durée totale de sommeil et efficacité du sommeil), et un groupe reliant la variabilité des mesures (variabilité de la durée du sommeil, de l’horaire du milieu de sommeil et du sommeil). L’horaire du milieu de sommeil semble lier les 3 groupes de facteurs et être un facteur caractérisant le sommeil à part entière.

Les auteurs ont bien retrouvé la forme en U de la courbe retraçant l’association de l’HbA1c et de la durée du sommeil, avec un nadir à 7h16. Les symptômes d’insomnies et l’horaire du milieu du sommeil n’étaient pas associés à l’HbA1c. En revanche, dans les modèles non ajustés, la variabilité de la durée totale du sommeil avait le plus grand coefficient standardisé β parmi toutes les variables testées (β=0,222) et expliquait le plus la variance de l’HbA1c (4,9%), suivie de la durée totale du sommeil (expliquant 4,3% de la variabilité), la qualité subjective du sommeil (3,6%) la variabilité de l’horaire du milieu du sommeil (3,4%) et de l’efficacité du sommeil (2,3%). La combinaison des facteurs variabilité de la durée du sommeil, durée totale du sommeil et qualité subjective du sommeil était le plus fortement associée à l’HbA1c (β= 0,179 (0,030 ; 0,327), p= 0,019; β= -0,931 (-1,873 ; 0,012), p=0,053; et β= 0,136 (-0,014 ; 0,286), p= 0,076, respectivement). Ensembles, ces mesures du sommeil expliquaient 10,3% de la variance de l’HbA1c.
Les analyses ajustées sur les covariables précédemment citées ont identifié les mêmes variables du sommeil comme les plus fortement associées à l’HbA1c, avec toutefois une force d’association généralement diminuée (les mesures du sommeil prises ensemble expliquant 6,0 à 6,7% de la variance de l’HbA1c), et avec une hiérarchie différente puisque la durée totale du sommeil apparaissait comme la plus fortement associée à l’HbA1c, suivie de la qualité subjective du sommeil (avec une différence de R² entre la durée totale du sommeil et la qualité du sommeil de 0,6%). Concernant les facteurs de confusion potentiels inclus dans le modèle, il est à noter que ni l’âge, ni le sexe, ni les symptômes de dépression, ni le nombre de médicaments pris n’avaient d’impact sur l’association HbA1c et mesures du sommeil. Le risque d’apnées du sommeil influençait la relation HbA1c et variabilité de l’horaire du milieu du sommeil (mais pas les autres mesures du sommeil). Ainsi, chez les patients ayant un risque faible d’apnées du sommeil, l’horaire du milieu du sommeil était associé à l’HbA1c (β= 0,516 (0,159 ; 0,873) p= 0,006), et expliquait 23,1% de la variance de l’HbA1c), ce qui n’était pas le cas chez les patients ayant un risque élevé de syndrome d’apnées du sommeil.Les limites de l’étude étaient que les sujets impliqués dans l’étude étaient européens, habitaient dans une même aire géographique, et avaient un haut risque de syndrome d’apnées du sommeil et un temps de travail faible, limitant ainsi les comparaisons avec d’autres études et la généralisation des résultats. Cette étude n’utilisait pas la polysomnographie, donc les mesures d’apnées du sommeil et de l’architecture du sommeil n’ont pas pu être évaluées. De la même façon, la variabilité glycémique et le nombre d’hypoglycémies nocturnes n’ont pas été mesurées (chez des patients traités à plus de 40% par insuline). D’autres facteurs de confusion potentiels n’ont pas fait l’objet de recueil d’information, telles que les horaires de repas, ou d’exercice physique. Le choix de ces potentiels facteurs de confusion fait aussi débat, puisque ce sont des facteurs suspectés (et non prouvés) d’avoir un impact sur la relation paramètres du sommeil et équilibre glycémique. Enfin, les analyses statistiques n’ont pas été corrigées pour les comparaisons multiples.

Au total, cette étude supporte l’idée que l’optimisation du sommeil pourrait contribuer à améliorer l’HbA1c, chez des patients recevant déjà un traitement adapté pour le DT2. Plus particulièrement, la variabilité de la durée totale du sommeil, qui reflète la privation partielle de sommeil suivie de compensations, pourrait être une cible thérapeutique d’intérêt. De futures recherches interventionnelles devront évaluer si la prévention du fractionnement du sommeil pourrait aider à améliorer l’équilibre glycémique.

 

Références

[1] Anothaisintawee T, Reutrakul S, Van Cauter E et al. Sleep disturbances compared to traditional risk factors for diabetes development: systematic review and meta-analysis. Sleep Med Rev 2016;30:11–24.
 
[2] Blunden S, Galland B et al. The complexities of defining optimal sleep: empirical and theoretical considerations with a special emphasis on children. Sleep Med Rev 2014;18:371–378.
 
[3] Siwasaranond N, Nimitphong H, Saetung S et al. sleep duration is associated with poorer glycemic control in type 2 diabetes patients with untreated sleep-disordered breathing. Sleep Breath 2016;20:569–574.
 
[4] Whitaker KM, Lutsey PL, Ogilvie RP, et al. Associations between polysomnography and actigraphy-based sleep indices and glycemic control among those with and without type 2 diabetes: the Multi-Ethnic Study of Atherosclerosis. Sleep (Basel) 2018;41:1-10.
 
[5] Reutrakul S, Hood MM, Crowley SJ, et al. Chronotype is independently associated with glycemic control in type 2 diabetes. Diabetes Care 2013;36:2523–2529.
 


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lundi 23 décembre 2019

Bêtabloqueurs et hypoglycémies : tous les bêtabloqueurs ont-ils le même effet ?

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Décembre 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Dungan K et al. Effect of beta blocker use and type on hypoglycemia risk among hospitalized insulin requiring patients. Cardiovasc Diabetol 2019;18:163. doi: 10.1186/s12933-019-0967-1

 

Chez les patients atteints de diabète, hospitalisés hors réanimation, les hypoglycémies (<70 mg/dL) représentent jusqu’à 5% de toutes les glycémies mesurées, et sont d’autant plus fréquentes que les patients reçoivent une insulinothérapie [1]. Les autres paramètres majorant le risque hypoglycémique à l’hôpital sont l’âge avancé du patient, une forte dose quotidienne d’insuline, des horaires décalés d’injection d’insuline, un indice de masse corporel bas, une altération de la fonction rénale et une modification des habitudes alimentaires. La survenue d’hypoglycémies à l’hôpital est associée à un moins bon pronostic avec une augmentation de la durée et du coût du séjour [2]. Parmi les traitements concomitants utilisés chez les patients diabétiques hospitalisés, figurent fréquemment des bêtabloqueurs (BB) qui sont utilisés dans le cadre de la cardiopathie ischémique, mais également pour l’insuffisance cardiaque et l’hypertension artérielle. Les BB sont classiquement associés à un risque majoré d’hypoglycémies profondes et prolongées qui serait lié à un émoussement de la perception précoce des signes adrénergiques de contre-régulation mis en jeux dans cette situation. De plus, les BB non cardio-sélectifs pourraient en théorie favoriser une poussée hypertensive en cas d’hypoglycémie, le blocage des récepteurs bêta2-adrénergiques vasculaires laissant libre cours à un effet vasoconstricteur des catécholamines via les récepteurs alpha. En revanche, les BB cardio-sélectifs pourraient avoir des effets favorables en cas d’hypoglycémie, le blocage des récepteurs bêta1-adrénergiques cardiaques pouvant, en théorie, limiter le risque d’arythmie cardiaque potentiellement en cause dans la mortalité observée lors de cette situation. Cependant, ces notions plutôt théoriques n’avaient jamais vraiment été étayées par des preuves scientifiques robustes et c’est la raison pour laquelle, l’équipe américaine de Dungan et al. a conduit une étude afin de déterminer les liens entre le type de BB utilisé (cardio-sélectif ou non) et la survenue d’hypoglycémies et leurs potentielles conséquences mortelles, chez des patients hospitalisés.
Ainsi, grâce à une large base de données d’hospitalisation, ont été inclus dans cette étude rétrospective tous les patients adultes hospitalisés de janvier 2014 à décembre 2015, et qui avaient bénéficié au cours de leur séjour de contrôles de glycémies capillaires et d’injections sous-cutanée d’insuline (identifiant ainsi des patients diabétiques ou bien présentant une hyperglycémie de stress). Étaient exclus de l’analyse les femmes enceintes, les patients hospitalisés en unité de soins intensifs et ceux ayant reçus une insulinothérapie intraveineuse. Afin d’avoir des données homogènes et de limiter les biais potentiels, les patients chez lesquels un traitement BB était débuté ou modifié pendant le séjour hospitalier ont également été exclus. Seuls les patients non traités par BB ou traités antérieurement par le carvedilol (le bêtabloqueur non cardio-sélectif le plus utilisé dans cette population) ou par un BB cardio-sélectif (SBB - selective beta blocker) ont été inclus dans l’analyse. L’hypoglycémie, critère d’évaluation principal de cette étude, était analysée en sous catégories : hypoglycémie <70 mg/dL survenant dans les 24h suivant l’admission du patient (Hypo1day) ; hypoglycémie <70 mg/dL survenant à n’importe quel moment, au-delà des 24 premières heures, au cours de l’hospitalisation (HypoT – Hypo Throughout hospitalisation) et hypoglycémie sévère < 40 mg/dL (Hyposevere). Un modèle de régression logistique multivarié a été utilisé afin d’explorer les liens entre la survenue des hypoglycémies, l’utilisation ou non et le type de BB administré, et les autres paramètres cliniques d’ajustement.
Cette méthodologie a permis d’inclure 10 216 patients non traités par BB, 1020 patients traités par carvedilol et 886 patients traités par SBB, hospitalisés pendant la période définie et ayant nécessité une insulinothérapie sous cutanée. Comparativement aux patients sans BB, les patients traités par BB étaient plus âgés (65 vs 60 ans), moins souvent des hommes (40 vs 49%), plus souvent afro-américains (30 vs 22%), plus souvent hospitalisés en cardiologie (35 vs 13%) et avaient une dysfonction rénale plus marquée (créatininémie 190 vs 140 µmol/L). Leur durée de séjour était également plus longue (6 vs 4 jours) et leurs traitements associés incluaient plus souvent d’autres traitements du diabète dont des sulfamides ou glinides (3,5 vs 0,24%). La glycémie moyenne à l’admission était identique dans les différents groupes (175 mg/dL) de même que celle dans les 24 premières heures (167 mg/dL) et dans les 72 premières heures (164 mg/dL). En revanche, Hypo1day, HypoT et Hyposevere étaient plus fréquentes pour les patients BB que non-BB (15 vs 5%, 40 vs 12% et 5 vs 1%) (p<0,0001). De même, la variabilité glycémique, mesurée par le coefficient de variation (CV) était plus élevée pour les patients BB vs non-BB (29 vs 24%) (p<0,0001).
Après ajustement sur l’âge, le genre, l’ethnie, l’IMC, le service d’hospitalisation, la glycémie à l’admission, la créatininémie à l’admission, l’utilisation d’une insulinothérapie basale, l’insuffisance cardiaque, la durée de séjour et l’utilisation de médicaments cardiotropes (statine, aspirine, IEC/ARAII), les auteurs ont mis en évidence un sur-risque hypoglycémique chez les patients traités par carvedilol ou SBB comparativement aux patients sans BB. Les Odds ratio étaient respectivement de 1,45 et 1,78 pour Hypo1day, 2,56 et 2,61 pour HypoT et 1,68 et 1,70 pour Hyposevere (p<0,05). Cette relation n’était plus vérifiée chez les patients qui avaient antérieurement une insulinothérapie basale. Par ailleurs, il n’y avait pas de différence significative de risque hypoglycémique selon que les patients étaient traités par carvedilol ou SBB, sauf pour ceux qui n’avaient que de l’insuline rapide pendant le séjour hospitalier. Dans ce cas, l’utilisation de SBB était associée à un sur-risque de faire des hypoglycémies, comparativement à l’utilisation du carvedilol (OR 1,4 à 2 ; p<0,05). Concernant le risque de mortalité hospitalière, l’analyse multivariée a montré que les patients non traités par BB qui présentaient une Hypo1day, HypoT ou Hyposevere avaient un sur-risque de mortalité (OR 2,1, 1,8 ou 3,74 ; p<0,05). Ce sur-risque n’était pas mis en évidence chez les patients traités par carvedilol mais persistait chez les patients traités par SBB (HypoT OR 4,89 et Hyposevere OR 10,6 ; p<0,005).

Ainsi, il est possible de résumer les résultats de la façon suivante : les patients hospitalisés qui sont traités par insuline rapide au cours de leur séjour hospitalier présentent un sur-risque d’hypoglycémie lorsqu’ils sont traités au long cours par un bêtabloqueur, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un bêtabloqueur cardio-sélectif (SBB). De plus, dans cette population, la survenue d’hypoglycémies est associée à une mortalité intra-hospitalière majorée, pour ceux qui ne prennent pas de BB ou qui sont traités au long cours par SBB. En revanche, l’utilisation au long cours du carvedilol semble protéger les patients en effaçant la surmortalité associée aux hypoglycémies qui surviennent pourtant plus fréquemment avec ce traitement.
Bien qu’apportant des informations intéressantes sur une large population de patients hospitalisés, cette étude n’est pas définitive compte tenu des publications antérieures qui montrent des résultats hétérogènes, certaines ne retrouvant aucune association entre l’usage des bétabloquants et le risque hypoglycémique [3]. Concernant l’effet potentiellement favorable du carvedilol comparativement aux bêtabloqueurs cardio-sélectifs, il faut souligner que le carvedilol est un bêtabloqueur non cardio-sélectif très particulier dans la mesure où il exerce également une action alpha1-bloquante et peut ainsi avoir des propriétés différentes d’autres bêtabloqueurs non cardio-sélectifs comme le propranolol, ce dernier semblant au contraire plus souvent associé à des épisodes d’hypoglycémie sévère [4]. De plus, le blocage alpha1 du carvedilol pourrait également expliquer l’effet favorable sur la mortalité observée avec ce traitement, la vasoconstriction réactionnelle à l’hypoglycémie pouvant notamment être inhibée par ce traitement. Quant aux résultats particuliers observés chez les patients antérieurement traités par une insulinothérapie basale (pas de sur-risque hypoglycémique chez ces sujets, y-compris traités par BB), ils ne sont pas clairement expliqués par l’équipe investigatrice qui n’émet que quelques hypothèses spéculatives peu convaincantes.

Quoi qu’il en soit, même si cette étude soulève de nombreuses questions sans réponses, il apparaît que l’usage des BB n’est pas neutre sur le risque hypoglycémique des patients traités par insulinothérapie et que tous les BB n’ont pas le même effet sur ce paramètre avec un rôle possiblement protecteur du carvedilol sur les conséquences des hypoglycémies. Affaire à suivre…

 

Références

[1] Swanson C et al. Update on inpatient glycemic control in hospitals in the United States. Endocr Pract 2011;17:853–61.
 
[2] Curkendall S et al. Economic and clinical impact of inpatient diabetic hypoglycemia. Endocr Pract 2009;15:302–12.
 
[3] Cardona S et al. Clinical characteristics and outcomes of symptomatic and asymptomatic hypoglycemia in hospitalized patients with diabetes. BMJ Open Diabetes Res Care 2018;6:e000607.
 
[4] Shorr RI et al. Antihypertensives and the risk of serious hypoglycemia in older persons using insulin or sulfonylureas. JAMA 1997;278:40–3.
 


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