mercredi 31 mars 2021

Sur-risque de pathologie cardiovasculaire chez les femmes normoglycémiques avec antécédent de diabète gestationnel

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Mars 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Gunderson E, et al. Gestational Diabetes History and Glucose Tolerance After Pregnancy Associated With Coronary Artery Calcium in Women During Midlife The CARDIA Study. Circulation 2021; 143: 974-987. doi : 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.047320

 

Le diabète gestationnel (DG) touche 8 à 9% des femmes enceintes aux Etats-Unis [1] et jusque 17 à 20% des femmes enceintes dans le monde [2]. Après la grossesse, le risque pour ces femmes de développer un diabète de type 2 (DT2) est multiplié par un facteur 4 à 7 [3] ; le DT2 est lui-même associé à un sur risque de pathologie cardiovasculaire (CV) et de pathologie coronarienne chez ces femmes ayant eu un DG (risque multiplié par 1,7 à 3) [4]. A ce jour, les données sont controversées concernant le lien entre DG et augmentation du risque CV indépendamment du développement d’un DT2 ultérieur avec un risque relatif nul chez les femmes européennes plus âgées [5] ou un risque multiplié par 1,25 à 2 [6] chez les femmes plus jeunes. Une méta-analyse récente montre que les femmes avec antécédent de DG mais ne développant pas de DT2 ont un risque CV augmenté de 30 à 56% [7]. Cependant, ces données sont à interpréter avec précaution, le classement en DG pouvant être erroné avec un diabète préexistant et l’absence de DT2 ultérieur sous-estimé par le manque d’information à long terme. Le prédiabète est fortement prédictif de DT2, est un facteur de risque de pathologie coronarienne et il pourrait concerner 40% des femmes avec DG [8]. Ces femmes sont peu testées sur le plan glycémique, des autres facteurs de risque / pathologies CV avant et après la grossesse, ce qui complique l’identification d’un lien entre tolérance au glucose et risque CV. L’objectif de cette étude était d’évaluer le lien entre l’histoire de DG et de la tolérance au glucose au décours et la présence de calcifications coronariennes (CAC) (score prédictif du risque CV) chez des femmes d’âge moyen, les hypothèses étant que la détérioration de la tolérance au glucose (développement d’un prédiabète ou d’un diabète) augmente le risque de CAC indépendamment des autres facteurs de risque CV et qu’une histoire de DG est associée à un plus fort risque de CAC même chez les femmes restant normoglycémiques à distance de la grossesse.

L’étude CARDIA (Coronary Artery Risk Developemnt in Young Adults) est une étude américaine mutlicentrique, longitudinale, observationnelle, sur le développement du risque coronaire. Entre 1985 et 1986, 5 115 participants, dont 2 787 femmes âgés de 18 à 30 ans, ont été recrutés dans quatre régions des Etats-Unis. La fidélisation à 15, 20 et 25 ans était de 74%, 72% et 72% pour cette cohorte. Sur l’ensemble des femmes recrutées, 1 392 ont été incluses dans ce travail, ayant eu au moins une naissance après inclusion. Parmi elles, les femmes avec grossesse multiples, diabète préexistant à une première naissance après l’inclusion, ou sans mesure du CAC, ont été exclues. Au total, 1 133 femmes avec mesure des facteurs de risque métabolique avant grossesse, avec 2 066 naissances après l’inclusion, ont été étudiées. A l’inclusion, à 10 ans, à 20 ans et à 25 ans : les facteurs sociodémographiques, le mode de vie (alcool, tabac, activité physique, diététique), l’histoire gynécologique (traitement hormonal de la ménopause…), les mesures anthropométriques, la pression artérielle ont été recueillis ; un prélèvement sanguin à jeun avec mesure de la glycémie à jeun (GAJ), du cholestérol total, des triglycérides (TG), du HDL-cholestérol (HDL-C), du LDL-cholestérol (LDL-C), et une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) avec mesure de la glycémie et de l’insulinémie ont été réalisées avec calcul du HOMA-IR. L’HbA1c était mesurée à 20 ans et 25 ans. Le syndrome métabolique était diagnostiqué en présence de trois des cinq critères NCEP/ATP3. Le score calcique (score CAC) était réalisé à 15, 20 et 25 ans du suivi. Le diabète était défini par une GAJ ≥ 126mg/dL ou une glycémie à 2 heures de l’HGPO ≥ 200mg/dL ou une HbA1c ≥ 6,5% ou la présence d’un traitement anti-hyperglycémiant ; le prédiabète était défini par une GAJ entre 100 et 125 mg/dL ou une glycémie à 2 heures de l’HGPO entre 140 et 199 mg/dL ou une HbA1c entre 5,7 et 6,4% selon les critères de l’American Diabetes Association. A chaque examen, les femmes rapportaient des données concernant leur grossesse : nombre, naissance > 20 semaines d’aménorrhée, date du terme, événement périnatal (DG, hypertension gravidique). Les femmes ont été classées en six groupes : absence de DG/ normoglycémie (groupe de référence) ; absence de DG/ prédiabète ; absence de DG/ diabète ; DG/ normoglycémie ; DG/ prédiabète ; DG/ diabète. Une fois qu’une femme passait dans le groupe avec la plus mauvaise tolérance au glucose, la classification était maintenue jusqu’à la fin du suivi.
La cohorte de 1 133 femmes (49% de noires américaines et 51% de caucasiennes) a eu 2 066 naissances entre l’inclusion et les 25 ans de suivi, 92% survenant dans les 15 premières années, 6,6% entre 15 et 20 ans et 1,4% entre 20 et 25 ans. L’âge moyen de la première naissance après inclusion était de 30,1 ± 4,9 ans et de fin de suivi 47,6 ± 5,9 ans. Un diabète gestationnel a été rapporté par 12,3% des participantes ; 36% des femmes ayant eu un DG ont développé un prédiabète et 25,9% un DT2 contre 35% et 9% respectivement chez les femmes sans DG, p<0,001. Sur les 125 femmes ayant développé un DT2, les femmes ayant eu un DG ont débuté leur DT2 plus tôt que celles n’ayant pas eu de DG (16,7% versus 10,1% avant 15 ans ; p=0,36 et 69,5% versus 47,2% entre 15 et 20 ans, p=0,009).Des CAC ont été détectées chez 16,2% des femmes : chez 24,5% des participantes ayant eu un DG contre 15% de celles sans DG (p=0,005). La proportion de femme avec CAC ne variait pas en fonction des catégories de tolérance au glucose chez les femmes ayant eu un DG mais était d’autant plus élevée que la catégorie de tolérance au glucose s’aggravait chez les femmes sans DG (p=0,003). Parmi les femmes avec une normoglycémie à la fin de l’étude, la proportion de femmes avec CAC était de 12,9% des femmes sans DG et 28,3% des femmes avec DG (p=0,002). Chez les femmes avec un prédiabète ou un diabète à la fin de l’étude, il n’y avait pas de différence de prévalence de CAC en fonction du statut DG. Le score CAC augmentait avec le temps avec une proportion de CAC > 10 plus élevée à 25 ans qu’à 15 ou 20 ans. Les données de score CAC correspondaient aux valeurs attendues pour l’âge des patientes. Parmi les femmes avec DG, l’index HOMA-IR a augmenté dans tous les groupes de tolérance au glucose (p=0,07) sans différence de poids entre les groupes. Parmi les femmes étant resté normoglycémiques au cours du suivi, celles ayant eu un DG avaient une Protéine C-réactive (CRPus) plus élevée que celles n’ayant pas eu de DG mais sans différence du HOMA-IR moyen. L’augmentation du score CAC était associée au développement d’un diabète, d’un syndrome métabolique, d’une hypertension artérielle, de complications gestationnelles, à l’utilisation d’hypolipémiant mais aussi à un IMC, une insulinémie, un HOMA-IR, une CRP us, un LDL-C et des triglycérides plus élevés et à un HDL-C plus bas lors du suivi. En analyse multivariée, le statut de DG était associé à un risque plus élevé de score CAC augmenté : 1,73 (IC95% 1,18-1,52) (ajustement sur l’âge, l’ethnie, la pression artérielle systolique avant grossesse, l’IMC préconceptionnel et le tabagisme). Par rapport aux femmes n'ayant pas d'antécédent de DG et normoglycémiques, le risque de CAC chez les participantes avec antécédent de DG était plus que doublé si elles avaient développé ensuite un prédiabète (HR 2,13 ; IC95% 1,09-4,17) ou un diabète (HR 2,02 ; IC95% 0,98-4,19), mais également si elles étaient revenues à une normoglycémie (HR 2,34 IC 1,34-4,09). En l'absence d'antécédent de DG, le risque de CAC au cours du suivi était augmenté de 54% en cas de développement d'un prédiabète, et multiplié par 2,17 (IC95% 1,3-3,62) en cas de survenue d'un diabète.

Ainsi, cette étude montre pour la première fois que le risque de maladie CV chez des femmes d’âge moyen ayant eu un DG n'est pas diminué si elles reviennent à une glycémie normale après grossesse avec un risque multiplié par 2,  indépendamment des données sociodémographiques, cliniques et du mode de vie. Cela suggère qu’une histoire de DG peut modifier en soi le risque CV indépendamment de la tolérance au glucose ultérieure. Parmi les hypothèses mécanistiques, un antécédent de DG pourrait perturber la physiologie vasculaire via la résistance à l'insuline et l'altération de la sécrétion d'insuline, qui favorisent les plaques athérogènes indépendamment de la dysglycémie. Dans ce contexte, il parait plus que souhaitable que les femmes ayant eu un DG soient dépistés à la fois quant aux facteurs de risque CV  et quant à la pathologie CV elle-même pour une prévention précoce et individualisée.

 

Références

[1] Casagrande SS,  et al. Prevalence of gestational diabetes and subsequent type 2 diabetes among U.S. women.  Diabetes Res Clin Pract. 2018;141:200–208.
 
[2] Vandorsten JP, et al. NIH consensus development conference: diagnosing gestational diabetes mellitus. NIH Consens State Sci Statements. 2013;29:1–31.
 
[3] Bellamy L, et al. Type 2 diabetes mellitus after gestational diabetes: a systematic review and meta-analysis. Lancet. 2009;373:1773–1779.
 
[4] Kramer CK, et al. Gestational diabetes and the risk of cardiovascular disease in women: a systematic review and meta-analysis. Diabetologia. 2019;62:905–914.
 
[5] Heida KY, et al. Earlier age of onset of chronic hypertension and type 2 diabetes mellitus after a hypertensive disorder of pregnancy or gestational diabetes mellitus. Hypertension. 2015;66:1116– 1122.
 
[6] Jaisson S, et al. Increased serum homocitrulline concentrations are associated with the severity of coronary artery disease. Clin Chem Lab Med 2015; 53: 103–110.
 
[7] Tobias DK et al. Association of history of gestational diabetes with long-term cardiovascular disease risk in a large prospective cohort of US women. JAMA Intern Med. 2017;177:1735–1742.
 
[8] Prados M, et al. Previous gestational diabetes increases atherogenic dyslipidemia in subsequent pregnancy and postpartum. Lipids. 2018;53:387– 392.
 


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