mercredi 28 mars 2018

Le risque de suicide est augmenté après chirurgie bariatrique !

Auteur : 
Manuel Dolz
Date Publication : 
Mars 2018
 
Article du mois en accès libre
 
Neovius M et al. Risk of suicide and non-fatal self-harm after bariatric surgery: results from two matched cohort studies. Lancet Diabetes Endocrinol 2018 march;6:197-207. 10.1016/S2213-8587(17)30437-0

 

La chirurgie bariatrique permet de réduire significativement de nombreux risques auxquels sont exposés les patients obèses : mort prématurée, événements cardiovasculaires, diabète et son cortège de complications micro et macrovasculaires… Les niveaux de preuve sont élevés et la balance bénéfices/risques est clairement en faveur de la chirurgie pour tous ces critères. Toutefois, un problème émerge dans la littérature : celui de l’impact de la chirurgie de l’obésité sur la santé mentale de nos patients. Ainsi, plusieurs publications signalent une augmentation de l’abus d’alcool ou de traitements anxiolytiques ou antidépresseurs après certaines interventions [1,2]. Il apparaît aussi des alertes sur l’existence d'un risque accru de suicide après chirurgie comparativement à la population générale ou aux patients obèses non opérés [3]. Ces constatations ne sont toutefois pas systématiquement rapportées [4,5]. Ainsi dans une étude danoise de cohorte qui avait exclu les patients ayant des antécédents de contact avec les services psychiatriques, la fréquence des suicides n’était pas différente entre les patients traités par chirurgie bariatrique et ceux admis à l'hôpital avec un diagnostic d'obésité mais n'ayant pas subi de chirurgie bariatrique [4].

Neovius M et al ont donc réalisé cette étude dans le but de comparer le risque de suicide ou de tentative d’autolyse chez des sujets obèses opérés comparativement à des obèses non opérés, en tenant compte du statut psychiatrique à l’inclusion. Pour cela, Ils ont utilisé les données de la Swedish Obese Subjects (SOS) study [6] et celles d’une étude nationale combinant le registre scandinave de chirurgie de l'obésité (SOReg) [7] et la base de données Itrim Health Database (Itrim).
Rappelons que SOS est une étude d’intervention prospective, non-randomisée, contrôlée incluant des sujets obèses recrutés entre 1987 à 2001. Les patients choisissant la chirurgie constituaient le groupe chirurgical (n=2010). Le choix de la procédure dans le groupe de chirurgie bariatrique a été fait par le chirurgien (265 [13%] bypass gastriques, 376 [19%] anneaux gastriques, et 1369 [68%] sleeve gastrectomies). Le groupe contrôle, composé de 2037 individus obèses choisissant de ne pas subir une chirurgie, avait les mêmes critères d’inclusion (âgés de 37 à 60 ans et un IMC≥34 kg/m² chez les hommes et ≥38 kg/m² chez les femmes) et d'exclusion (dont la boulimie, l’abus de drogues ou d'alcool, les problèmes psychiatriques ou de coopération contre-idiquant la chirurgie bariatrique). Les patients témoins ont reçu le traitement non chirurgical de l'obésité habituellement mis en œuvre dans leur centre d'inclusion. Il n’y a eu aucune tentative pour standardiser le traitement non chirurgical, qui allait de l'intervention sophistiquée sur le mode de vie à l'absence de traitement. Ces 2 groupes étaient appariés sur 18 variables, dont quatre variables psychosociales possédant une association documentée avec la mort, et deux traits de personnalité liés à la préférence thérapeutique.
Le SOReg est un registre prospectif national débuté en 2007 couvrant 98,5% des interventions bariatriques réalisées en Suède. Parmi les 30081 patients de SOReg ayant eu une chirurgie bariatrique au cours de la période d'étude (du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2012), 26388 (88%) ont eu un bypass gastrique et étaient éligibles. La base de données Itrim recueille de manière prospective les données des personnes inscrites au programme Itrim de perte de poids commercial dans 38 centres à travers la Suède. Les centres utilisent une plateforme informatique commune pour le suivi trimestriel (par exemple, le poids corporel mesuré, le tour de taille et la pression artérielle…) et l’analyse des données a concerné 18365 (58%) des 31414 patients commençant le programme de modifications intensives du style de vie du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2013. Après l'appariement des 2 cohortes (catégories d’âges, d’IMC, sexe, niveau d'éducation, diabète, maladies cardiovasculaires, antécédents d'automutilation, mésusage de substances, anti-dépresseurs, anxiolytiques et antécédents de soins psychiatriques), 20256 (77%) des participants traités par un bypass gastrique et 16162 (88%) participants traités par une modification intensive du mode de vie étaient disponibles pour analyse (SOReg plus Itrim).
Les participants au programme intensif Itrim (groupe contrôle) ont bénéficié d’une phase de perte de poids de 3 mois avec un régime hypocalorique ou très hypocalorique sur la base de l'IMC initial, des préférences personnelles et des contre-indications. Après la phase de perte de poids, les patients ont suivi un programme de maintien du poids de 9 mois incluant l'exercice (entraînement au centre 2-3 fois par semaine pendant 30-45 min et l'utilisation du podomètre pour encourager la marche) et des conseils diététiques. Les changements de comportement ont été facilités par un programme structuré, comprenant 20 séances d'une heure en groupe et des séances individuelles réalisées tout au long du programme. Le programme Itrim peut donc être assimilé à un « coaching », les patients n’étant pas livrés à eux-mêmes comme ont pu l’être certains patients du groupe contrôle de la SOS study. Toutefois, dans la SOS, les deux groupes ont eu un suivi identique avec des examens physiques et des questionnaires à l’inclusion, à 6 mois, et à 1, 2, 3, 4, 6, 8, 10, 15 et 20 ans.
Cette différence de prise en charge dans les groupes contrôles a eu un impact sur les pertes pondérales moyennes des 2 cohortes. Ainsi, pour SOS, la perte de poids du groupe chirurgie et du groupe contrôle étaient respectivement de -23% (SD 11; -28kg [SD 14]) et 0 (8; 0kg [9]) à 2 ans, -17% (12; -21kg [15]) et 1% (13; 1kg [14]) à 10 ans et -16% (13; -21kg [17]) et -1% (14; -2kg [16]) à 15 ans. Dans la cohorte SOReg plus Itrim, la perte moyenne du poids sur 1 an était de -32% (7; -37kg [10]) dans le groupe chirurgie, et de -15% (9; -18kg [11]) dans le groupe contrôle.

Les morts par suicide, les visites médicales pour automutilation, abus de substances et autres causes psychiatriques, ainsi que pour les maladies cardiovasculaires, ont été récupérées à partir du Registre National des Causes de Décès et du Registre National des Patients. Les données sur l'utilisation de médicaments psychiatriques étaient retrouvées sur les registres d’inclusion de SOS et dans le registre des médicaments prescrits dans SOReg plus Itrim. L'utilisation autodéclarée de drogues dans SOS correspondait aux données du Registre National des Médicaments d'Ordonnance.

Au cours des 68528 années-personnes dans SOS (médiane 18 ans, IQR 14-21), les suicides ou les comportements auto-agressifs non mortels étaient plus élevés dans le groupe chirurgie (n=87) que dans le groupe témoin (n=49; [aHR] 1,78, IC 95% 1,23-2,57, p=0,0021); parmi ces événements, neuf étaient des suicides, dans le groupe chirugie et trois dans le goupe contrôle (3,06 [0,79-11,88], p=0,11). Après ajustement sur la présence d’un diabète et des maladies cardiovasculaires à l’inslusion, les résultats sont similaires pour le suicide ou l'automutilation non mortelle (1,74 [1,20-2,52], p=0,0033) et pour le suicide (3,33, [0,86-12,97], p=0,083). Ce sur-risque de suicide ou de comportements auto-agressifs non mortels était observé avec toutes les procédures par rapport aux témoins: bypass gastrique 3,48 [1,65-7,31], p=0,0010 ; anneau gastrique 2,43 [1,23-4,8], p=0,011 ; et sleeve-gastrectomie 2,25 (1·37-3·71), p=0,0015. L’intoxication médicamenteuse était la méthode la plus courante pour mourir par suicide (78% [7/9] pour la chirurgie et 100% [3/3] pour les témoins), ou par automutilation non fatale (70% [57/81] et 53% [25/47]). Parmi les neuf suicides dans le groupe chirurgie, cinq sont survenus chez des patients traités par bypass gastrique. L'abus de substance a été enregistré chez 48% [39/81] des patients du groupe chirurgie et 28% [13/47] des participants du groupe témoin avec des comportements auto-agressifs non fatals (p = 0,023).

C’est le même constat dans la cohorte SOReg plus Itrim. Au cours des 149582 années-personnes (médiane 3,9, IQR 2,8-5,2), les suicides ou les comportements auto-agressifs non mortels étaient plus élevés dans le groupe bypass gastrique (n=341) que dans groupe contrôle Itrim (n=84, aHR 3,16, 2,46-4,06, p<0,0001); parmi ces événements, 33 et 5 étaient des suicides, groupes bypass et contrôle respectivement (5,17, 1,86-14,37, p=0,0017). Comme dans SOS, l'intoxication était la méthode de suicide la plus courante (79% [26/33] pour la chirurgie et 80% [4/5] dans le groupe contrôle) et l'automutilation non fatale (68 % [214/316] et 59% [47/80]). Parmi les participants présentant des comportements auto-agressifs non mortels, les diagnostics de toxicomanie étaient plus fréquents après un bypass gastrique qu'après une modification intensive du mode de vie (51% [162/316] vs 29% [23/80], p=0,0003). Il n’y avait pas de lien entre le degré de perte de poids et le poids à l’inclusion et le risque de suicide ou d’événement d'automutilation non mortel.

Les résultats de cette étude apportent les preuves les plus fortes à ce jour d'une association entre chirurgie et comportement suicidaire. Certes il s’agit d’une association dans deux cohortes appariées non randomisées, mais possédant de grandes qualités complémentaires (suivi prolongé pour SOS, groupe intensif dans Itrim en particulier). Il faut garder à l’esprit que le suicide reste un événement rare en valeur absolue (neuf contre trois suicides dans SOS et trente trois contre cinq dans SOReg plus Itrim), et il est difficile d’imaginer la mise en œuvre d’un essai randomisé de taille et de durée suffisantes pour évaluer le risque de suicide après une chirurgie bariatrique.

D’autres études seront nécessaires pour mieux appréhender les mécanismes impliqués dans cette augmentation du taux de suicide. On peut bien sûr évoquer la piste de bouleversements psychologiques après la chirurgie (modification de l’image du corps, troubles des conduites alimentaires…), mais également celle d’altérations neuroendocriniennes avec des changements dans les systèmes de signalisation de la ghréline, du GLP-1, du NPY et des endocannabinoïdes (ainsi que les synergies potentielles entre ces changements) qui affectent non seulement le contrôle énergétique, mais aussi les réponses hédoniques avec des effets sur l'humeur, l'anxiété et la dépression. Par ailleurs des changements morphologiques induits par la chirurgie bariatrique peuvent également produire des altérations de l'absorption et du métabolisme de l'alcool (et de certains médicaments), une oxydation réduite de l'alcool et une vidange gastro-intestinale accélérée…

Y’avait-il un intérêt propre à mener cette étude en Suède au-delà de sa faisabilité tirant profit de la force des registres scandinaves ? En fait en 2014 en Suède, la prévalence d'un IMC≥35 kg/m² n’est pas plus inquiétante qu’ailleurs, estimée à 5-6%. Mais la Suède en 2013 avait l'un des pourcentages les plus élevés de procédures de chirurgie bariatrique dans le monde pour sa population totale (0,08 % contre 0,04% aux Etats-Unis) [8] et chez les patients opérés pour obésité, la prévalence de la dépression, de l'automutilation et de la toxicomanie avant chirurgie était environ deux fois plus élevée que dans la population générale de Suède [9], alors même que le taux de suicide normalisé selon l'âge pour 100000 habitants étaient de 12,3 en Suède, similaire à la moyenne des pays de l’OCDE (12,0) et aux États-Unis (12,5) [10]. Or dans les 2 cohortes, le sur-risque de suicide ou d'automutilation non mortelle persistait lors des analyses en sous-groupes tenant compte de l’existence ou non à l’inclusion de troubles psychiatriques ou d’antécédents d'automutilation. Cela souligne l’importance d’une sélection soigneuse des patients telle que mise en exergue par les recommandations. L'évaluation préopératoire ne doit donc pas seulement être diagnostique, mais doit être utilisée pour améliorer la sécurité et l'efficacité du traitement chirurgical en identifiant les zones de vulnérabilité potentielle, les défis et les forces pour créer un plan de traitement personnalisé. Il convient donc de bien faire la différence entre le risque collectif et le risque à l’échelle individuelIe. Il apparaît qu’un soutien psychologique postopératoire à long terme est tout aussi crucial et les mesures de soutien postopératoires devraient en particulier inclure une évaluation clinique pour identifier tout facteur de risque modifiable de suicide ou d'automutilation afin qu'une stratégie thérapeutique puisse être proposée pour réduire ce sur-risque.

 

Références

[1] Arterburn DE, Courcoulas AP. Bariatric surgery for obesity and metabolic conditions in adults. BMJ 2014; 349: g3961.
 
[2] Courcoulas AP, et al. Long-term outcomes of bariatric surgery: a National Institutes of Health symposium. JAMA Surg 2014;149(12):1323-29.
 
[3] Lagerros YT, et al. Suicide, self-harm, and depression after gastric bypass surgery: a nationwide cohort study. Ann Surg 2017;265(2):235-43.
 
[4] Kovacs Z, et al. Risk of psychiatric disorders, self-harm behaviour and service use associated with bariatric surgery. Acta Psychiatr Scand 2017;135(2):149-58.
 
[5] Adams TD, et al. Health benefits of gastric bypass surgery after 6 years. JAMA 2012;308:1122-31.
 
[6] Sjostrom L, et al. Effects of bariatric surgery on mortality in Swedish obese subjects. N Engl J Med 2007;357(8):741-52.
 
[7] Hedenbro JL, et al. Formation of the Scandinavian Obesity Surgery Registry, SOReg. Obes Surg 2015;25(10):1893-900.
 
[8] Angrisani L, et al. Bariatric surgery worldwide 2013. Obes Surg 2015;25(10):1822-32.
 
[9] Backman O, et al. Alcohol and substance abuse, depression and suicide attempts after Roux-en-Y gastric bypass surgery. Br J Surg 2016;103(10):1336-42.
 
[10] OECD. Suicide rates: age-standardised rates per 100 000 population, 2013 or latest available year.
 


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lundi 19 mars 2018

Team Novo Nordisk, saison 2018

Comme vous le savez certainement, je suis un fan de vélo. Sport que je pratique moi-même, que ce soit dans les chemins à VTT, ou sur la route, (cf. #LeDefideFred ). Je suis un supporter d’une équipe cycliste, le Team Novo Nordisk, que l’on pourrait décrire comme « hors du commun« . Avant de continuer, je précise […]

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