lundi 5 décembre 2022

L’excès de gain de poids au cours de la grossesse influence-t-il le risque de TDAH chez les enfants nés de mères avec diabète gestationnel ?

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Novembre 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Perea V, et al. Role of Excessive Weight Gain During Gestation in the Risk of ADHD in Offspring of Women With Gestational Diabetes, The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism; 107 (10): e4203–e4211. doi : 10.1210/clinem/dgac483

 

Le diabète gestationnel (DG) est associé à un risque supérieur de désordres neuropsychiatriques chez la descendance. Les effets délétères de l’hyperglycémie sur le développement cérébral fœtal (stress, inflammation chronique, hypoxie...) expliquent en partie ce risque majoré. Outre son impact sur les complications materno-fœtales telles que la macrosomie ou la prématurité, l’obésité maternelle au cours du DG a également été décrite comme associée au trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) [1]. Plus précisément, des études préliminaires ont démonté que la malnutrition engendrait une inflammation à l’origine d’une altération du système sérotoninergique fœtal. Cette altération semble médier, sur le long terme, des effets néfastes concernant la santé mentale de la descendance.

Au-delà de l’obésité, les auteurs sont les premiers à s’être intéressés à l’excès de gain de poids (EGP). L’objectif était de définir le risque pour les enfants, nés de mères avec DG, de développer un TDAH en fonction de l’IMC prégestationnel au cours de leur existence. Au-delà de l’IMC prégestationnel, ils souhaitaient définir l’impact de l’EGP maternel dans cette population spécifique.

Tout enfant unique, né entre janvier 1991 et décembre 2008, de mère avec DG à l’hôpital universitaire de Mutua de Terrassa à Barcelone a été inclus. Quatre groupes d’IMC ont été constitués : < 18,5 kg/m2 ; >18,5 et< 25 kg/m2 ; ≥25 et < 30 kg/m2 ; ≥ 30 kg/m2. Le gain de poids au cours de la grossesse a été défini grâce au dernier poids mesuré lors de la dernière visite anténatale, soustrait du poids prégestationnel. En accord avec les recommandations de l’IOM (Institute of Medicine), le gain de poids préconisé était, respectivement pour chacun de ces groupes en fonction de l’IMC prégestationnel, de 12,5 à 18 kg, 11,5 à 16 kg, 7 à 11,5 kg et de 5 à 9 kg [2]. Les troubles TDAH ont été identifiés dans les dossiers médicaux par les codes de la CIM-10 F90 et F91.

Au total, 1036 enfants ont été inclus. L’IMC prégestationnel moyen était de 25,9 ± 5,4 kg/m2. 27,1% des patientes présentaient un surpoids (25≤ IMC< 30 kg/m2) et 18,8% étaient obèses (IMC ≥ 30 kg/m2). Respectivement, seuls 28,8% et 30% des femmes de ces 2 groupes ont présenté un EGP selon les recommandations. Cet EGP était associé aux complications materno-fœtales : pré-éclampsie, césarienne, macrosomie… en comparaison aux grossesses d’IMC similaires sans EGP. Les enfants ont été suivis pendant une médiane de 17,7 ans. Le taux de TDAH en fonction de l’IMC prégestationnel étaient de 7,4 % (< 18,5 kg/m2), 11,4% (18,5< IMC< 25 kg/m2), 14,2% (25≤ IMC< 30 kg/m2) et 16,4% (IMC≥ 30 kg/m2). Après ajustement sur l’année de naissance, le tabagisme, l’âge maternel, le poids de naissance, le sexe, la prématurité, l’ethnie et la naissance par césarienne, le risque de TDAH était de 1,59 fois plus élevé chez les enfants de mères obèses (IMC≥ 30 kg/m2) [95% IC 1,05-2,41], en comparaison aux femmes de poids normal. A contrario, le surpoids maternel n’était pas associé au risque de TDAH. Le gain de poids maternel médian était de 9,5 kg, sans association significative avec le TDAH dans la descendance. Aucune association significative n'a été retrouvée entre gain de poids maternel et TDAH (approprié, inadéquat ou excessif). Cependant, les auteurs ont analysé la contribution conjointe de l’IMC prégestationnel et de l'EPG dans le risque de TDAH. Dans le groupe obésité (IMC≥ 30 kg/m2), un risque plus élevé de TDAH pour la descendance des femmes avec EGP versus celles avec un poids normal sans EGP a été retrouvé (HR ajusté 2,13 [IC 95%, 1,14-4,01]), contrairement à l'obésité sans EGP (HR ajusté 1,36 [IC 95%, 0,78-2,36]). Le surpoids maternel, avec ou sans EGP, n'était pas associé au TDAH (HR ajusté 1,37 [IC 95 %, 0,72-2,60]).

Dans cette étude, les auteurs ont donc mis en évidence que les TDAH étaient plus fréquemment identifiés chez les enfants, issus de grossesses avec DG, chez les mères en situation d’obésité pré-gestationnelle. L’EGP n’était pas associé à un risque supérieur de TDAH pour la descendance, hormis chez les femmes avec obésité pré-gestationnelle. Notons que l'incidence des troubles du développement neurologique a augmenté au cours des dernières années, ce qui suggère que les facteurs maternels pourraient jouer un rôle. Même si l'hyperglycémie maternelle pendant la période prénatale (à la fois pour le diabète prégestationnel et le DG), augmente la probabilité de diagnostic du TDAH ; il ne s’agit pas du seul facteur. Concernant l’obésité pré-gestationnelle, une vaste étude de cohorte nationale finlandaise incluant 649 043 nouveau-nés a révélé un hazard ratio pour le TDAH de 1,15 (IC 95 %, 1,01-1,30) chez les enfants nés de femmes souffrant de DG par rapport à la population non diabétique, augmentant jusqu'à 1,64 (IC 95 %, 1,42-1,88) chez les femmes souffrant d'obésité pré-gestationnelle [1]. Néanmoins, certaines caractéristiques du DG fortement liées à l'obésité et aux troubles du développement neurologique n'ont pas été prises en compte (diagnostic précoce du DG, utilisation d'insuline, …). Dans l’étude de Perea et al., les auteurs ont montré que la prise de poids maternelle n'était pas indépendamment liée au TDAH. Cependant, lorsqu'elle était évaluée conjointement avec l'obésité maternelle, la présence des deux entités était liée au risque le plus élevé de TDAH chez la progéniture (HR 2,14 ; IC 95 %, 1,14-4,02). Peu d'études ont évalué les conséquences à long terme du DG sur la santé mentale. Dans une étude de cohorte incluant 331 enfants âgés de 2 à 6 ans, le gain de poids (brut ou ajusté pour l'IMC maternel) n'était pas lié aux symptômes du TDAH [3]. A l'inverse, Pugh et al ont observé que la progéniture de mères en surpoids avec un EGP présentait un plus grand nombre d'erreurs d'impulsivité par rapport à leurs homologues avec un gain de poids maternel moyen [4].

Plusieurs points forts de cette étude doivent être soulignés : (1) le suivi de presque 20 ans, (2) le recueil prospectif pendant la grossesse, évitant ainsi le biais de mémoire, (3) la robustesse des codes CIM-10 utilisés (4), les mêmes critères de diagnostic du DG et les mêmes objectifs de traitement ont été appliqués tout au long de la période de collecte des données, et (5) l’inclusion de l’année de naissance dans les modèles ajustés afin de tenir compte des éventuels changements de prise en charge. Il existe également certaines limites, tel que le manque de données induisant de possibles facteurs de confusion potentiels sur les troubles neuropsychiatriques maternels, les facteurs de risque paternels ou le statut socio-économique (1), l’absence de groupe contrôle non diabétique (2), l’utilisation de poids auto-déclaré pour calculer l’IMC prégestationnel (3), l’absence d’ajustement sur l’utilisation de l’insulinothérapie (4).

En conclusion, les auteurs soulignent l’impact de l’EGP sur le risque de développer un TDAH pour la descendance, essentiellement dans la population avec DG et obésité pré-gestationnelle. Ces résultats nous confortent dans la nécessité d’un respect strict des recommandations de gain de poids au cours de grossesses diabétiques afin d’éviter les conséquences à long terme sur la santé mentale de l’enfant.

 

Références

[1] Kong L,et al. The risk of offspring psychiatric disorders in the setting of maternal obesity and diabetes. Pediatrics. 2018;142(3).
 
[2] Institute of Medicine and National Research Council Committee to Reexamine IOM Pregnancy Weight Guidelines. Weight Gain During Pregnancy: Reexamining the Guidelines. National Academies Press; 2009.
 
[3] Fuemmeler BF, et al. Pre-pregnancy weight and symptoms of attention deficit hyperactivity disorder and execu- tive functioning behaviors in preschool children. Int J Environ Res Public Health. 2019;16(4):667.
 
[4] Pugh SJ, et al. Gestational weight gain, prepregnancy body mass index and offspring attention-deficit hyperactivity disorder symptoms and behaviour at age 10. BJOG. 2016;123(13):2094-2103.
 


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