jeudi 6 mai 2021

Inhibiteurs de SGLT2 et risque de lithiase rénale

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Avril 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Kristensen KB, et al. Sodium-glucose cotransporter 2 inhibitors and risk of nephrolithiasis. Diabetologia 2021 Mar 13. doi : 10.1007/s00125-021-05424-4

 

Les inhibiteurs des co-transporteurs glucose-sodium 2 (iSGLT2) sont de plus en plus utilisés dans le traitement du diabète de type 2 (DT2) [1]. En plus de leur effet sur le contrôle glycémique, les iSGLT2 sont efficaces sur la perte de poids, la diminution de la pression artérielle, l’amélioration du risque d’évènements cardiovasculaires et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque [2]. Les iSGLT2 augmentent l’excrétion urinaire de glucose via la diminution de sa réabsorption rénale conduisant à une diurèse osmotique et une augmentation du flux urinaire [3]. En théorie, les iSGLT2 réduiraient le risque de lithiase rénale en diminuant la concentration de substances lithogéniques dans les urines.
Les lithiases rénales affectent environ 1 personne sur 11 durant leur vie entière et peuvent entrainer des obstructions rénales, une hydronéphrose et aboutir à une maladie rénale terminale. Puisqu’il est bien connu que le DT2 augmente le risque de lithiase rénale, un effet préventif des iSGLT2 sur les lithiases rénales serait cliniquement important. Les preuves actuellement disponibles sont en fait basées sur les analyses secondaires des grands essais cliniques randomisés [4]. Néanmoins, le faible nombre d’événements lithiasiques recensés dans ces études, avec pour conséquence une puissance insuffisante, ne permet pas de tirer de conclusion définitive sur le sujet. En utilisant les registres danois, les auteurs ont évalué dans une étude de cohorte observationnelle le risque de lithiase rénale associé à l’initiation d’un traitement par iSGLT2.
Les auteurs ont mené une étude de cohorte basée sur la population, comparative, d’initiation de traitement, à partir des registres de santé danois. Ils ont identifié tous les individus danois initiant un traitement par iSGLT2 ou agonistes des récepteurs au GLP1 (AR GLP1) entre le 11 novembre 2012 (date d’approbation du premier iSGLT2 en Europe) et le 31 décembre 2018. Les patients éligibles avaient au moins 40 ans lors de l’initiation du traitement, n’avaient reçu aucune prescription d’iSGLT2 ou d’AR GLP1 avant le début de l’étude, avaient résidé au Danemark en continu pendant au moins 1 an avant le début de l’étude et n’avaient pas d’antécédent de lithiase rénale.
Le critère de jugement principal était l’incidence de la lithiase rénale (définie par la présence d’un calcul dans l’uretère ou le rein). L’exposition aux médicaments était déterminée à partir des registres danois de prescription. Les individus étaient suivis depuis le jour de la première prescription des iSGLT2 ou AR GLP1 jusqu’à l’épisode de lithiase rénale, ou le décès ou l’émigration ou la fin de la période d’étude (soit le 31 décembre 2018). Dans l’analyse principale, les auteurs ont imité une analyse en intention de traiter (c’est-à-dire que les individus restaient dans le groupe exposé tel qu’assigné à l’entrée de l’étude et tout au long du suivi, sans tenir compte de l’interruption du traitement ou de l’initiation du traitement comparateur). L’utilisation des iSGLT2 a inclus à la fois les formulations en monothérapie et en association à la metformine.
Pour ajuster sur les différents facteurs confondants, les auteurs ont utilisé une approche par score de propension à hautes dimensions (qui se basent sur un algorithme standardisé afin de sélectionner les covariables pour lesquelles le score va ajuster). De plus, les auteurs ont forcé l’entrée dans le score de propension de plusieurs variables telles que le sexe, l’année de naissance, l’année d’entrée dans la cohorte, ainsi que 13 variables reflétant la sévérité du diabète ou affectant fortement le risque de lithiase rénale (par exemple la présence d’une rétinopathie diabétique, l’utilisation d’insuline ou de diurétiques thiazidiques…). Le score de propension a été estimé dans une régression logistique avec le traitement par iSGLT2 comme variable dépendante et les covariables précédentes comme variables indépendantes. Les nouveaux utilisateurs d’iSGLT2 ont ensuite été appariés (1 pour 1) selon les scores de propension aux nouveaux utilisateurs d’AR GLP1. Dans les analyses supplémentaires, le risque de récurrence de lithiase rénale a été évalué chez les individus avec un antécédent de lithiase rénale avant l’initiation du traitement.
Les auteurs ont identifié 24 290 patients initiant un traitement par iSGLT2 et 19 576 individus, un traitement par AR GLP1. L’incidence de l’usage d’iSGLT2 a augmenté durant la période d’étude tandis que celle des AR GLP1 est restée stable. Le taux d’incidence de lithiase rénale avant appariement était de 2,5 pour 1000 personnes années (intervalle de confiance à 95% (2,1 ; 3,0)) chez les initiateurs d’iSGLT2 et de 4,2 pour 1000 personnes années (3,7 ; 4,8) chez les utilisateurs d’AR GLP1. Après appariement sur le score de propension, 12 325 paires d’individus ont pu être constituées ; les caractéristiques initiales des patients étaient distribuées de façon égale entre les cohortes appariées avec des différences de moyennes standardisées inférieures à 0,1 pour toutes les covariables d’intérêt. L’âge médian était de 61 ans pour les 2 cohortes et la médiane de suivi était de 2,1 ans (écart interquartile 1,1 ; 3,3) pour les utilisateurs de iSGLT2 et de 1,9 (0,8 ; 3,4) pour les utilisateurs d’AR GLP1. Le taux d’incidence de lithiase rénale était de 2,0 pour 1000 personnes années (1,6 ; 2,6) chez les utilisateurs d’iSLT2 et de 4,0 pour 1000 personnes années (3,3 ; 4,8) pour les utilisateurs d’AR GLP1. La différence de taux d’incidence qui en découle était de -1,9 pour 1000 personnes années (-2,8 ; -1) et le Hazard Ratio (HR) était de 0,51 (0,37 ; 0,71). L’analyse en intention de traiter a permis d’obtenir des résultats similaires avec une réduction du taux d’incidence de lithiase de -2,7 pour 1000 personnes années (-4,2 ; -1,3) et un HR de 0,40 (0,23 ; 0,69). Lorsque les auteurs ont examiné séparément les types d’iSGLT2, ils ont trouvé des résultats similaires que l’analyse principale avec un HR de 0,56 (0,39 ; 0,79) pour la dapagliflozine et de 0,55 (0,36 ; 0,86) pour l’empagliflozine. En limitant la cohorte de comparaison aux individus initiant les AR GLP1 pour le diabète et non pour l’obésité, le HR était de 0,63 (0,46 ; 0,86).
En répétant ces analyses sur une cohorte comparative d’utilisateurs d’inhibiteurs de DPP4 (à la place des utilisateurs des AR GLP1), la différence de taux d’incidence était de -1,5 (-2,6 ; -0,4) par personnes années et le HR était de 0,61 (0,41 ; 0,88).
Concernant le risque de récurrence de lithiase rénale, les auteurs ont identifié 1 418 utilisateurs d’iSGLT2 et 1 181 utilisateurs d’AR GLP1 avec un antécédent de lithiase rénale avant l’initiation des traitements. Après appariement, 731 paires d’individus ont été déterminées. Le taux d’incidence de récidive de lithiase rénale était de 36 pour 1000 personnes années pour les utilisateurs d’iSGLT2 et de 53 pour 1000 personnes années pour les utilisateurs d’AR GLP1, donnant ainsi une différence de taux d’incidence de -17 (-33 ; -1,5), et un HR de 0,68 (0,48 ; 0,97).
Dans cette étude de cohorte nationale, l’initiation d’un traitement par iSGLT2 était associée à une diminution d’environ 50% du risque relatif de lithiase rénale comparée à l’initiation d’un traitement par AR GLP1. Il s’agit de la première étude analysant le risque de lithiase rénale associé aux iSGLT2 en pratique clinique courante. La méta-analyse basée sur l’analyse secondaire de 16 essais randomisés avait retrouvé un odd ratio de 0,85 (0,57 ; 1,26) pour le risque de lithiase rénale associé aux iSGLT2 comparé à un placebo ou à d’autres anti-hyperglycémiants oraux [4]. Cette méta-analyse était néanmoins limitée par le faible nombre d’évènements et le fait que les lithiases rénales n’étaient pas forcément rapportées dans ces études.
Les points faibles de cette étude seraient l’effet confondant de l’obésité (qui est un risque connu de lithiase rénale) mais les analyses statistiques basées sur l’utilisation de scores de propension de hautes dimensions ont permis de limiter ce risque. Une autre faiblesse serait un sous-diagnostic de la lithiase rénale car seules les formes nécessitant une hospitalisation ont été recensées.

En conclusion, les auteurs ont observé un risque de lithiase rénale diminué chez les individus recevant des iSGLT2 comparés à ceux utilisant des AR GLP1 ou inhibiteurs de DPP4. Le traitement par iSGLT2 pourrait donc être utile pour prévenir le risque de lithiase rénale chez les patients diabétiques de type 2.

 

Références

[1] Davies MJ, et al. Management of Hyperglycemia in type 2 diabetes, 2018. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of diabetes (EASD). Diabetologia 2018; 61: 2461–2498.
 
[2] Patorno E, et al. Empagliflozin and the risk of heart failure hospitalization in routine clinical care: a first analysis from the EMPRISE study. Circulation 2019; 139: 2822– 2830.
 
[3] van Bommel EJM, et al. SGLT2 inhibition in the diabetic kidney—from mechanisms to clinical outcome. Clin J Am Soc Nephrol 2017; 12: 700–710.
 
[4] Cosentino C, et al. Nephrolithiasis and sodium-glucose co-transporter-2 (SGLT-2) inhibitors: a meta-analysis of randomized controlled trials. Diabetes Res Clin Pract 2019; 155: 107808.
 


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