jeudi 2 juillet 2020

Intérêt de la télémédecine pour prévenir la prise de poids au cours de la grossesse ?

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Juin 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Ferrara A et al. A telehealth lifestyle intervention to reduce excess gestational weight gain in pregnant women with overweight or obesity (GLOW): a randomised, parallel-group, controlled trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2020 June;8(6):495-500. doi : 10.1016/S2213-8587(20)30107-8

 

L’obésité maternelle et la prise de poids excessive au cours de la grossesse sont de plus en plus fréquentes partout dans le monde ; ainsi la proportion de femmes débutant une grossesse en étant en surpoids ou obèse est actuellement autour de 60% aux Etats-Unis [1], 30% en Europe et 10% en Asie [2]. Les études observationnelles [3,4] ont montré qu’une prise de poids excessive au cours de la grossesse chez ces femmes en surpoids ou obèses augmentait le risque de diabète gestationnel, de césarienne, de macrosomie, de maintien de l’excès de poids après l’accouchement et d’obésité à long terme chez l’enfant. Limiter la prise de poids au cours de la grossesse chez ces patientes est donc un enjeu de santé publique et des études d’interventions intensives de modifications du mode de vie en présentiel ont récemment montré leur efficacité dans ce domaine [5,6]. Néanmoins, les consultations diététiques présentielles sont difficiles d’accès. A l’heure du développement de la télémédecine, avec des preuves d’efficacité sur les données périnatales [7], Ferrara et al. se sont intéressés à l’efficacité d’un programme d’intervention de modifications du mode de vie adapté du Diabetes Prevention Program (DPP) en télémédecine pour limiter la prise de poids au cours de la grossesse chez les femmes en surpoids ou obèses.

Cette étude appelée GLOW est une étude randomisée contrôlée avec deux groupes parallèles de patientes recrutées dans cinq centres médicaux du nord de la Californie. Les femmes enceintes sélectionnées électroniquement présentaient un IMC entre 25 et 40 kg/m², un âge supérieur à 18 ans et une grossesse unique à moins de 13 semaines d’aménorrhée (SA). Les critères d’exclusion étaient une grossesse médicalement assistée, un diabète, une hypertension artérielle, une pathologie thyroïdienne diagnostiquée dans les trente derniers jours, des antécédents cardiovasculaires, de cancer, de pathologies respiratoires ou gastriques, de chirurgie bariatrique ou de troubles psychiatriques. Les patientes correspondant à ces critères étaient randomisées dans le groupe intervention sur le mode de vie ou dans le groupe contrôle avec prise en charge habituelle, en prenant en compte l’âge (<30 ans ou ≥ 30ans), l’IMC préconceptionnel (25-29,9 kg /m² ; 30-34,9 kg/m² ; 35-40 kg/m²), l’ethnicité (Asie ou Iles du Pacifiques, noir américaines, caucasiennes, hispaniques ou multiraciales). La prise en charge anténatale classique incluait : une visite à 7-10  SA, sept visites anténatales et des lettres d’information d’éducation périodiques incluant les recommandations sur la prise de poids au cours de la grossesse, sur la diététique et sur l’activité physique. Les femmes dans le groupe interventionnel avaient en plus de ce suivi standard, une intervention sur le mode de vie adaptée du DPP délivrée en télémédecine par des diététiciennes (pesée quotidienne, manger des produits sains et en proportion adaptée, et faire au moins 150 min par semaine d’activité physique modérée). La prise de poids recommandée était de 7 kg en cas de surpoids, 5 kg en cas d’obésité. L’intervention débutait après la randomisation avec treize sessions hebdomadaires individuelles, la première et la dernière étant en présentiel et les onze autres par téléphone. Après les 13 séances, les patientes pouvaient continuer les sessions par téléphone jusqu’à la 38ème SA, sans obligation.

Le poids préconceptionnel était défini par le poids le plus élevé mesuré par l’équipe médical dans les six mois précédents la grossesse. Une semaine avant les deux visites médicales, un journal alimentaire de 24h était demandé, de même qu’un relevé d’activité physique sur la dernière semaine. Des bilans biologiques étaient également réalisés avec mesure du bilan lipidique, de l’insulinémie, glycémie, leptinémie et adiponectinémie à jeun. Le critère primaire de jugement était la prise de poids hebdomadaire au cours de la grossesse, exprimé en excès de poids pris (référence de prise de poids pour le premier trimestre de grossesse entre 0,5 et 2 kg et pour le second et le troisième trimestre de la grossesse, en cas de surpoids maternel 0,23 à 0,33 kg/semaine et en cas d’obésité maternelle 0,17 à 0,33 kg/semaine) [8]. Les critères de jugement secondaire étaient les différences entre les deux groupes concernant la prise de poids globale, l’évolution de l’apport calorique ou de la proportion de graisses ou de l’activité physique au cours de la grossesse, l’évolution des marqueurs métaboliques, et des marqueurs périnataux (poids de naissance, macrosomie, prématurité, césarienne, hypertension gravidique, diabète gestationnel).

Entre le 24 mars 2014 et le 26 septembre 2017, 5329 patientes étaient éligibles à l’étude ; 200 ont été randomisées dans le groupe intervention et 198 dans le groupe contrôle. 3% des femmes du groupe intervention et 2% du groupe contrôle ont eu une fausse couche avant 23 SA. Les deux groupes étaient comparables en début d’étude concernant l’âge maternel (moyenne 32,5 ans), l’ethnie, l’IMC préconceptionnel (29,4 kg/m²), la parité (53% de primipare), le niveau d’étude (73% de niveau universitaire), l’âge gestationnel de prise en charge (14,3 SA), l’âge gestationnel de dernière mesure du poids (38,4 SA) et le sexe fœtal. Les femmes du groupe intervention ont eu une prise de poids hebdomadaire plus faible que celles du groupe contrôle (moyenne +/- SD ; 0,26 kg +/- 0,15 par semaine versus 0,32 kg +/- 0,13 par semaine) avec une différence moyenne entre les deux groupes de -0,07 kg par semaine (IC95 -0,09 à -0,04). La proportion de femmes dépassant les recommandations en terme de prise de poids au cours de la grossesse était significativement plus faible dans le groupe intervention (48% en terme de prise de poids hebdomadaire et 66% en terme de prise de poids globale) par rapport au groupe contrôle (69% et 41% respectivement) (RR 0,70 ; IC 0,59 à 0,83 ; p<0,0001 et RR 0,62 ; IC 0,51 à 0,76 ; p<0,0001). L’intervention permettait également d’augmenter la proportion de femmes ayant une prise de poids recommandée (33% versus 24% en terme de prise hebdomadaire et 36% versus 22%  en terme de prise de poids globale) (RR 1,38 ; IC 1,0 à 1,9 ; p=0,049 et RR 1,66 ; IC  1,21 à 2,3 ; p=0,022) mais aussi la proportion de femmes ayant une prise de poids en dessous de celle des recommandations (19% versus 8% en terme de prise de poids hebdomadaire et 23% versus 12% en terme de prise de poids globale) (RR 2,49 ; IC 1,44 à 4, 31 ; p<0,0001 et RR1,84 ; IC 1,17 à 2,3 ; p=0,0078). Ainsi la prise de poids moyenne dans le groupe contrôle était de 12,36 ± 5,28 kg contre 10,21 ± 5,63 kg dans le groupe intervention. La prise de poids dans le groupe intervention chez les femmes obèses était en moyenne de 8 ± 5,9 kg versus 11,6 ± 5,6 kg chez les femmes obèses du groupe contrôle suggérant un effet plus important de l’intervention dans le groupe obèse. Au cours de l’étude, les femmes du groupe intervention ont une augmentation plus faible de la prise calorique et de la proportion d’acides gras saturés. Il n’y avait, en revanche, pas de différence en termes de quantité de graisses ingérées et d’activité physique. Sur le plan biologique, les patientes du groupe intervention avaient une plus faible augmentation des concentrations en insuline et en leptine ainsi que de l’index HOMA-IR par rapport aux femmes du groupe contrôle. La proportion de macrosomie, de petit ou de gros poids de naissance pour l’âge gestationnel, de prématurité, d’hypertension artérielle gravidique et de diabète gestationnel n’était pas différente dans les deux groupes. Dans le groupe intervention, seules 81% des femmes ont eu les treize sessions, chaque session téléphonique durant en moyenne 25,6 min. Le coût direct de cette intervention était de 277$ par patiente.

Dans cette étude originale randomisée contrôlée avec deux bras parallèles, Ferrara et al. montrent que l’intervention adaptée, ciblée selon les recommandations et délivrée en télémédecine réduit significativement la prise de poids et la proportion de femmes en surpoids ou obèses prenant trop de poids au cours de leurs grossesse par la diminution de la quantité de calories ingérées. Des études ont précédemment montré que seules les interventions personnalisées intensives de modification du mode de vie étaient efficaces. Une méta-analyse de ces interventions, le LIFE-Moms consortium [6] montre une diminution de 17,6% de la proportion de femmes prenant plus de poids que les recommandations contre 30% dans ce travail. Les modifications du mode de vie permettent également d’améliorer l’homéostasie glucidique pour réduire le risque de diabète gestationnel chez ces patientes même si il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes en termes de proportion de diabète gestationnel (manque de puissance ?). Les interventions en présentiel ne sont pas réalisables pour beaucoup de femmes, contrairement à la téléconsultation qui augmente l’adhérence des patientes. Dans ce travail, il n’y a pas de différence retrouvée en termes de complications périnatales ou de poids de naissance des enfants, conformément aux études précédentes [6]. Si les résultats sont favorables concernant la prise de poids durant la grossesse, il faut noter dans cette étude, une augmentation de la proportion de femmes ne prenant pas le poids minimum recommandé, augmentant potentiellement le risque d’obésité pour la descendance. La force de cette étude est la réalisation d’une intervention de modification du mode de vie en télémédecine. A l’ère du COVID, de l’augmentation de la prévalence de l’obésité et du surpoids des femmes en âge de procréer, ce travail ouvre des perspectives pour la prise en charge des patientes obèses ou en surpoids débutant une grossesse pour limiter leur prise de poids pendant la grossesse et améliorer leur paramètres métaboliques via la télémédecine !

 

Références

[1] National Vital Statistics System. QuickStats: gestational weight gain among women with full-term, singleton births, compared with recommendations—48 states and the district of Columbia, 2015. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2016; 65: 1121.
 
[2] Goldstein RF et al. Gestational weight gain across continents and ethnicity: systematic review and meta-analysis of maternal and infant outcomes in more than one million women. BMC Med 2018; 16: 153.
 
[3] Goldstein RF et al. Association of gestational weight gain with maternal and infant outcomes: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2017; 317: 2207–25.
 
[4] Sridhar SB et al. Maternal gestational weight gain and offspring risk for childhood overweight or obesity. Am J Obstet Gynecol 2014; 211: 259.e1–8.
 
[5] Vesco KK et al. Efficacy of a group-based dietary intervention for limiting gestational weight gain among obese women: a randomized trial. Obesity 2014; 22: 1989–96.
 
[6] Peaceman AM et al. Lifestyle interventions limit gestational weight gain in women with overweight or obesity: LIFE-moms prospective meta-analysis. Obesity 2018; 26: 1396–404.
 
[7] Yeo S et al. Challenges of integrating an evidence-based intervention in health departments to prevent excessive gestational weight gain among low-income women. Public Health Nurs 2016; 33: 224–31.
 
[8] Institute of Medicine. Weight gain during pregnancy, reexamining the guidelines. Washington, DC: The National Academic Press, 2009.
 


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