lundi 27 juin 2016

La prévention primaire cardiovasculaire des patients DT1 passe-t-elle aussi par les statines ?

Auteur : 
Manuel Dolz
Date Publication : 
Juin 2016
 
Article du mois en accès libre
 
Hero C, et al. Association between use of lipid-lowering therapy and cardiovascular diseases and death in Individuals with type 1 diabetes. Diabetes Care 2016 Jun; 39 (6):996-1003. doi: 10.2337/dc15-2450
 

 

Les patients avec diabète de type 1 (DT1) ont un excès de morbi-mortalité cardiovasculaire comparativement à la population générale non diabétique [1]. Ce sur-risque d’événements cardiovasculaires explique en partie pourquoi les DT1 ont une durée de vie plus courte que la population générale [2].

En 2008, la méta-analyse du Cholesterol Treatment Trialists (CTT) évaluant l’impact des statines chez 18,686 diabétiques démontre une réduction de 21% des événements cardiovasculaires majeurs pour chaque baisse de 1 mmol/L (soit 38,7 mg/dL) du taux de LDL cholestérol [3]. Dans cette méta-analyse, seuls 1466 DT1 étaient inclus. Leur âge moyen était de 55 ans, et 56% avaient des antécédents (ATCD) d'accident vasculaire cérébral (AVC), d’infarctus du myocarde (IDM) ou de maladie artérielle périphérique. La population de cette méta-analyse n’était donc pas représentative de la population en prévention primaire. Jusqu’à présent, aucune étude n'a examiné l'effet des traitements hypolipémiants sur la morbi-mortalité cardiovasculaire des DT1 en prévention primaire.

L’étude publiée dans la revue Diabetes Care de juin 2016 vise justement à apporter des éléments de réponse à cette question. L’hypothèse des auteurs est que l’utilisation de traitements hypolipémiants en prévention primaire chez les patients DT1 réduit l’incidence des évènements cardiovasculaires fatals ou non fatals.

Pour cela les auteurs ont utilisé les données de la cohorte Suédoise National Diabetes Register (NDR) initiée en 1996 et qui incluait 95% des patients DT1 suédois de 18 ans ou plus. À partir des 27133 patients DT1 repérés entre le 1 janvier 2006 et le 31 décembre 2008, 2186 sujets ont été exclus en raison d’ATCD d’événements cardiovasculaires et 717 en raison de données manquantes concernant l’utilisation de statine. Ont donc été inclus 24230 DT1 dont 18843 n’avaient pas de traitements médicamenteux hypolipémiants et 5387 qui étaient traités. Les auteurs ont réalisé deux évaluations : une étude sur la population globale comprenant les 24230 DT1 traités ou non ; et une étude sur une population réduite à 4025 DT1 non-traités et 4025 DT1 traités après appariement sur un score de propension afin de limiter l’impact de la non-randomisation sur l’estimation de l’effet des traitements. L’appariement (par création de paires de sujets) était basé sur 32 variables comprenant les principaux facteurs de risques cardiovasculaires notamment, mais aussi des paramètres socio-économiques. Le suivi a duré 6 ans et les événements fatals ou non (IDM, angor instable, angioplastie coronaire percutanée, et/ou pontage coronarien ; infarctus cérébral, hémorragie intracérébrale, ou autre type d’AVC) ont été collectés à partir du NDR et des registres nationaux suédois des patients hospitalisés et des causes de décès.

La population globale présente d’importantes différences : comparativement aux DT1 non traités, les DT1 traités sont plus âgés (50,4±11,7 vs 36,3±12,7 ans), ont un diabète plus ancien (34,0±12,8 vs 21,0±13,2 ans), un tour de taille plus important (94,6±13,0 vs 87,9±12,5 cm), un taux de triglycérides plus élevé (1,34±1,08 vs 1,07±0,80 mmol/L), une pression artérielle systolique plus élevée (134,8±16,7 vs 124,5±14,7 mmHg) en dépit d’un traitement anti-hypertenseur plus fréquent (66,7% vs 20,2%). Dans la cohorte globale, les DT1 traités avaient un taux d'événements à peu près quatre fois plus élevé que les patients non traités : 22,98 (IC 95% : 21,32-24,74) et 5,72 (5,29-6,18) pour 1000 années-patients respectivement.

Le score de propension a permis d’obtenir un équilibre satisfaisant de l'ensemble des 32 variables, de telle sorte qu’il n'y avait plus de différence entre les DT1 traités ou non dans la cohorte appariée. De fait, pour 1000 années-patients, il y avait 17,3 (15,67-19,08) et 18,2 (16,56-20,06) événements cardiovasculaires mortels ou non chez les patients traités et non traités, respectivement. Pour la mortalité toutes causes, il y avait 9,9 (8,66-11,25) décès chez les DT1 traités contre 13,2 (11,82-14,81) pour les non traités.

Dans la cohorte globale, les risques instantanés (Hazard ratio, HR) de décès étaient significativement réduits sous traitement pour tous les évènements : par exemple, la mortalité cardiovasculaire était réduite de 40% [HR 0,60 (IC95% 0,50-0,72)] et la mortalité toutes causes de 44% [0,56 (0,48-0,64)] (Figure 1) et la survenue d’AVC mortels ou non de 44% [0,56 (0,46-0,70)]. Le risque instantané dans la cohorte appariée n’est significatif que pour la mortalité toutes causes, avec un HR à 0,74 (0,62-0,88), soit une réduction de 26% du risque pour les DT1 en prévention primaire sous traitements hypolipémiants (Figure 2 et 3).

En résumé, cette étude observationnelle suédoise est la première à explorer l'effet des médicaments hypolipémiants chez les DT1 sans ATCD cardiovasculaire, et montre avec un suivi moyen de 6 ans que ces traitements réduisent de façon significative l'incidence des décès cardiovasculaires, de la mortalité toutes causes, des évènements cardiovasculaires, des AVC, des évènements coronariens et des atteintes artérielles périphériques.

Comme les statines constituent plus de 97% des médicaments hypolipémiants utilisés dans la cohorte NDR [4], il est possible d’extrapoler ces résultats positifs à l’utilisation des statines. En 2013, les recommandations de l’American College of Cardiology / American Heart Association Cholesterol proposaient en prévention primaire chez les patients DT1 âgés de 40 à 75 ans d’initier un traitement par statine de puissance modérée (avec une diminution attendue du LDL entre 30 et 49%) pour un taux de LDL entre 70 et 189 mg/dL et une estimation du risque cardiovasculaire ≤ à 5% à 10 ans [5]. Il faudra privilégier une statine de puissance plus élevée (avec une diminution attendue d’au moins 50% du LDL) quand l’estimation du risque cardiovasculaire à 10 ans dépasse 7,5%. Plus récemment, les recommandations NICE suggèrent d’initier un traitement par statine chez tous les adultes atteints de DT1 âgés de plus de 40 ans, mais aussi chez ceux qui ont un diabète depuis plus de 10 ans [6].

Dans cette étude, les résultats observés sont obtenus chez des patients plus jeunes avec une moyenne d’âge de 39,4 ans. L'analyse de la cohorte globale indique que le traitement par statine d'une telle population de patients DT1 pourrait réduire considérablement la morbidité et la mortalité cardio-vasculaire. Cependant, l’analyse n’a pas évalué spécifiquement les patients âgés de 40 ans ou moins en raison d’un faible nombre d'événements dans cette tranche d'âge (il y a eu 92 décès chez les patients âgés de 40 ans ou moins).

Dans la population appariée, le bénéfice des traitements hypolipémiants plus marqué pour le risque de mortalité que pour le risque de survenue d’évènements cardiovasculaires plaide en faveur d’une utilisation plus précoce des statines, avant l’installation des lésions athéromateuses significatives.

Cette publication nous rappelle le manque criant d’étude de prévention cardiovasculaire dédiée aux DT1 alors que les bénéfices d’un traitement par statines apparaissent très importants. L’utilisation du score de propension ne saurait cependant remplacer la puissance d’une randomisation lors d’un essai clinique prospectif interventionnel et une telle étude serait donc nécessaire avant toute conclusion définitive.  À bon entendeur… !

 

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Références

[1] Lind M, Svensson A-M, Kosiborod M, Gudbjörnsdottir S, Pivodic A, Wedel H, et al. Glycemic control and excess mortality in type 1 diabetes. N Engl J Med. 20 nov 2014;371(21):1972‑82.
 
[2] Livingstone SJ, Levin D, Looker HC, Lindsay RS, Wild SH, Joss N, et al. Estimated life expectancy in a Scottish cohort with type 1 diabetes, 2008-2010. JAMA. 2015 janv;313(1):37‑44.
 
[3] Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators, Kearney PM, Blackwell L, Collins R, Keech A, Simes J, et al. Efficacy of cholesterol-lowering therapy in 18,686 people with diabetes in 14 randomised trials of statins: a meta-analysis. Lancet Lond Engl. 2008 janv;371(9607):117‑25.
 
[4] Eliasson B, et al. Clinical usefulness of different lipid measures for prediction of coronary heart disease in type 2 diabetes: a report from the Swedish National Diabetes Register. Diabetes Care. 2011 sept;34(9):2095‑100.
 
[5] Stone NJ, Robinson JG, Lichtenstein AH, Bairey Merz CN, Blum CB, Eckel RH, et al. 2013 ACC/AHA guideline on the treatment of blood cholesterol to reduce atherosclerotic cardiovascular risk in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol. 2014 juill;63(25 Pt B):2889‑934.
 
[6] Rabar S, Harker M, O’Flynn N, Wierzbicki AS, Guideline Development Group. Lipid modification and cardiovascular risk assessment for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease: summary of updated NICE guidance. BMJ. 2014;349:g4356.
 
 
 


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