vendredi 29 mai 2020

L’oxygénothérapie locale dans le traitement des plaies du pied diabétique

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Mai 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Frykberg et al. A multinational, multicenter, randomized, double-blinded, placebo-controlled trial to evaluate the efficacy of cyclical topical wound oxygen (TWO2) Therapy in the Treatment of Chronic Diabetic Foot Ulcers: The TWO2 Study. Diabetes Care 2020; 43: 616–624. doi : 10.2337/dc19-0476

 

Le débridement approprié et la mise en décharge sont des éléments primordiaux de la prise en charge des plaies du pied diabétiques (PPD). De nouvelles thérapies adjuvantes ont fait leur apparition ces dernières années (facteurs de croissance, pansements cellulaires et acellulaires, pression négative, oxygénothérapie…), mais leurs études non généralisables ou au design critiquable ne permettent pas d’attester ni de leur efficacité, ni de leur sécurité ou de leur balance coût-bénéfice favorable [1].
L’oxygène (O2) est un élément essentiel dans le processus de cicatrisation. Le métabolisme énergétique, la synthèse des espèces réactives de l’O2, la signalisation redox, la production de peroxyde d’hydrogène (H2O2), la production d’antioxydants, la synthèse du collagène, la formation de la matrice extracellulaire, l’expression génique du VEGF et l’angiogenèse nécessitent des apports suffisants en O2 pour un fonctionnement optimal.
L’efficacité de l’oxygénothérapie hyperbare (OTHB) dans la cicatrisation de PPD est incertaine dans les essais cliniques randomisés menés ces dernières années. L’oxygénothérapie locale (OTL) est utilisée en pratique clinique depuis une cinquantaine d’années et consiste à apporter directement de l’oxygène en superficie de la plaie hypoxique, sans les complications potentielles de l’OTHB. Les partisans de l’OTHB ont émis des réserves sur l’efficacité de l’OTL en l’absence d’hyperoxygénation systémique.Une étude contrôlée a été menée chez le porc [2]. Elle a montré que les niveaux de pression partielle en O2 au niveau de la plaie étaient multipliés par 10 après 4 min d’oxygénothérapie locale en comparaison à une exposition à l’air ambiant. Les examens histologiques ont mis en évidence une présence plus importante de VEGF, témoin de l’amélioration de l’angiogenèse et une meilleure qualité du collagène, témoin d’un remodelage tissulaire plus avancé avec l’OTL. Alors que d’autres études suggèrent un bénéfice de l’OTL dans la cicatrisation des plaies chroniques, l’efficacité de cette thérapeutique dans la cicatrisation de PPD demeure incertaine notamment par le manque d’études robustes randomisées et contrôlées.

L’étude TWO2 est un essai randomisé, contrôlé contre placebo, en double aveugle, qui vise à évaluer l’efficacité de l’OTL dans la cicatrisation des PPD chroniques malgré le respect des soins de référence. Cette étude prospective et multicentrique a été réalisée dans 17 centres spécialisés aux USA, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et au Luxembourg. Les critères d’inclusion étaient: patient diabétique de type 1 ou 2, plaie de grade 1 ou 2 de la classification de l’Université du Texas (UT), surface de la plaie après débridement ≥ 1cm2 et < 20 cm2, ancienneté de la plaie comprise entre quatre semaines et un an, soins de référence de la plaie mis en place pendant au moins 4 semaines, index de pression systolique (IPS) > 0,7, au moins un des critères suivants évaluant la perfusion distale : TcPO2 > 30 mmHg, pression d’orteil > 30 mmHg, flux biphasiques au niveau jambier au doppler.  Les critères d’exclusion étaient : la présence de signes de gangrène ou d’ostéite, une HbA1c > 12%, le recours à la dialyse ou une créatininémie > 221 µmol/l, un déficit immunitaire connu, la prise d’un traitement immunosuppresseur ou d’une corticothérapie, une pathologie maligne évolutive.Les patients étaient tous suivis en ambulatoire. A la visite d’inclusion, une photo de la plaie était prise après débridement. Tous les patients bénéficiaient du même type de pansement, des mêmes soins locaux et du même type de décharge. Après une période de run-in de 15 jours, seuls les patients chez qui la diminution de la surface de la plaie était inférieure à 30% étaient randomisés. La randomisation était de 1 pour 1, en double aveugle, soit dans le groupe intervention (soins de référence + OTL), soit dans le groupe contrôle (soins de référence et thérapie factice).
Le dispositif d’OTL (HyperBox ; AOTI Ltd., Galway, Ireland) consistait à insérer le pied dans une enceinte reliée à un générateur d’O2. Un système de gonflage au niveau de la jambe permettait de rendre l’enceinte hermétique. Le débit d’O2 dans l’enceinte était de 10 L/Min. Un système factice avec le même aspect et le même mode de fonctionnement mais ne délivrant pas d’O2 (même s’il apparaissait sur le générateur que de l’O2 était délivré) était utilisé dans le groupe contrôle. La délivrance, l’installation et la formation à l’utilisation de ce dispositif étaient réalisées au domicile des patients par un prestataire qui ne savait pas si la machine délivrerait de l’O2 ou non. Les patients utilisaient eux-mêmes le dispositif 90 minutes par jours, 5 jours par semaine. Les pansements étaient changés à domicile par le patient ou par son infirmière.
Les patients étaient suivis de manière hebdomadaire dans leur centre spécialisé. Ils devaient noter quotidiennement leur compliance vis-à-vis de l’utilisation de la machine et du respect du port du système de décharge. Il était également possible de vérifier l’utilisation du dispositif sur le dispositif lui-même. Le traitement actif était poursuivi jusqu’à cicatrisation ou pendant 12 semaines.
La mesure de la plaie était réalisée après débridement à chaque visite à partir de photos numériques. La mesure à la randomisation servait de valeur initiale. En cas de plaies multiples, la plus importante était désignée comme la plaie index. Les photos numériques étaient transmises par voie électronique et un logiciel de mesure des plaies était utilisé pour suivre l’évolution de taille et de cicatrisation. Lorsque le logiciel déterminait qu’une plaie était cicatrisée, une visite était programmée 15 jours après pour confirmer l’épithélialisation complète. Après la phase de traitement actif de 12 semaines maximum, une période de suivi de 38 semaines était réalisée avec évaluation de la cicatrisation. Les patients avec une plaie non cicatrisée recevaient les soins prodigués par leur médecin et ne devaient pas participer à une autre étude sur la cicatrisation des plaies.
Le critère de jugement  principal était le pourcentage de plaies cicatrisées à 12 semaines. Les critères d’évaluation secondaire étaient la diminution de la surface de la plaie, l’incidence à 12 mois de récidives de plaies et de cicatrisation complète et l’incidence des amputations.

Soixante-treize patients ont été randomisés dans cette étude entre novembre 2014 et décembre 2017. Quatre-vingt-neuf pourcent des patients étaient diabétiques de type 2. La majorité des caractéristiques des patients était similaire dans les deux groupes de patients. Cependant, dans le groupe intervention, 61% des plaies étaient de grade 1 de la classification de l’UT et 39% étaient de grade 2 (atteinte du tendon ou de la capsule), alors que dans le groupe contrôle, 84% étaient de grade 1 et 16% de grade 2 (p=0,04). Les antécédents d’amputation étaient également plus importants dans le groupe intervention (47% vs 22%, p=0,018).
A 12 semaines, le taux de cicatrisation était significativement plus important dans le groupe intervention que dans le groupe contrôle (41,7 vs 13,5%, p=0,007). La probabilité de cicatrisation était 3,5 fois plus importante dans le groupe OTL (HR 3,64 [97,8% CI 1,11-11,94], p=0,013). Le hazard ratio passait à 4,66 ([97,8% CI 1,36-15,98], p=0,004) après ajustement sur les grades de la classification de l’UT.
A 12 mois, une plaie sur les 15 cicatrisées (6,7%) avait récidivé dans le groupe intervention, contre deux récidives parmi les 5 plaies cicatrisées (40%) dans le groupe contrôle, sans différence significative (p=0,07). Cinquante-six pourcent des plaies étaient complètement cicatrisées dans le groupe intervention contre 27% dans le groupe contrôle (p=0,013). Parmi les patients avec une plaie persistante à 12 semaines, la réduction moyenne de surface était de 1,97 cm2 dans le groupe intervention contre 0,40 cm2 dans le groupe contrôle (p=0,04). Pour les patients avec une plaie > 4 cm2 au bout de 12 semaines, la diminution moyenne de surface était de 4,12 cm2 dans le groupe intervention contre 1,34 cm2 dans le groupe contrôle (p=0,02).
La compliance vis-à-vis de l’utilisation du dispositif était respectivement de 94 et 96% dans les groupes intervention et contrôle. La compliance vis-à-vis de l’utilisation du système de décharge plus de 75% du temps était respectivement de 97 et 99% dans les groupes intervention et contrôle.  Aucun effet secondaire en lien avec le dispositif évalué n’a été rapporté. Le nombre d’amputation a été de 3 (8%) dans le groupe contrôle et de 2 dans le groupe intervention (5%).

La force de cette étude clinique est sa robustesse liée à son caractère randomisé, contrôlée contre placebo, en double aveugle, ce qui est rare dans le domaine de la PPD. Sa faiblesse est son effectif relativement faible. Le taux de cicatrisation dans le groupe contrôle apparait également faible (13,5%) en comparaison à d’autres études. Les auteurs l’expliquent par la complexité des patients inclus et le caractère chronique des plaies (ancienneté > 5 mois). Les auteurs concluent que le dispositif étudié est sûr, sans complications et permet une cicatrisation plus durable. Ils précisent également que le système peut être utilisé seul par le patient à domicile en limitant les déplacements vers les centres spécialisés. Ce dernier point est à pondérer puisque les patients ont été suivis de manière mensuelle dans les centres spécialisés. De plus, il n’est apporté aucune précision concernant le prix du dispositif. Au total, dans cette étude, l’utilisation de l’OTL en plus des soins de référence permet un taux de cicatrisation plus important que les soins de référence seuls, en cas de PPD. Ces résultats sont encourageants, méritent d’être confirmés dans d’autres études et il serait intéressant de bénéficier de données sur le ratio coût-efficacité de ce dispositif.

 

Références

[1] Game FL, Apelqvist J, Attinger C, et al.; International Working Group on the Diabetic Foot. Effectiveness of interventions to enhance healing of chronic ulcers of the foot in diabetes: a systematic review. Diabetes Metab Res Rev 2016; 32 (Suppl. 1):154–168.
 
[2] Fries RB, Wallace WA, Roy S, et al. Dermal excisional wound healing in pigs following treatment with topically applied pure oxygen. Mutat Res 2005; 579:172–181.
 


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