mardi 27 juin 2017

Télésurveillance et coaching pour les diabétiques de type 2 : de nouvelles données favorables avant une mise en pratique imminente en France

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Juin 2017
 
Article du mois en accès libre
 
Kempf K et al. Efficacy of the Telemedical Lifestyle intervention Program TeLiPro in Advanced Stages of Type 2 Diabetes: A Randomized Controlled Trial. Diabetes Care 2017 May 12. pii: dc170303. [Epub ahead of print]. doi: 10.2337/dc17-0303

 

Les mesures d’hygiène de vie ont prouvé leur efficacité dans la prévention du diabète de type 2 (DT2) chez les patients présentant un syndrome métabolique [1,2]. Lorsque le DT2 débute, un régime et une activité physique adaptés peuvent retarder la nécessité de mettre en route un traitement pharmacologique, voire induire une « rémission » du diabète [3,4]. A un stade plus avancé du DT2 (plurithérapie médicamenteuse), aucune intervention d’hygiène de vie n’a jusqu’alors montré de réel bénéfice métabolique, notamment dans le bras contrôle des études visant à évaluer la chirurgie bariatrique/métabolique dans cette population [5]. Kempf K et al. ont élaboré une étude afin de tester à nouveau l’effet d’un programme d’hygiène de vie sur l’équilibre métabolique de patients DT2 traités médicalement.

L’intervention de cette étude a fait appel à TeLiPro (Telemedical Lifestyle intervention Program), une approche multimodale qui associait une auto-surveillance glycémique, une télésurveillance, un accompagnement thérapeutique, une intervention d’hygiène de vie avec un régime riche en protéines, et un programme de coaching motivationnel. Ce système comprenait une balance, un podomètre et un lecteur de glycémie, tous trois connectés, transférant automatiquement les données vers un portail internet sécurisé. Ces données étaient consultables par le patient lui-même mais également par l’équipe soignante et notamment par le coach qui pouvait ainsi discuter des données avec le patient par téléphone. En effet, dans ce programme, le coach appelait le patient de façon hebdomadaire (pendant environ 20 minutes), afin de commenter l’évolution du poids, de l’activité physique, des glycémies capillaires et afin de motiver le patient à suivre le régime riche en protéines qui était préconisé dans ce programme (substitut protéiné remplaçant les 3 repas pendant la première semaine, puis 2 repas pendant un mois, puis remplaçant uniquement le dîner ensuite jusqu’au terme des 12 semaines de l’étude). De plus, à l’aide d’approches motivationnelles, le coach demandait au patient de se fixer des objectifs chiffrés à atteindre pour les contacts téléphoniques ultérieurs. Dans le bras contrôle, les patients bénéficiaient également d’une balance et d’un podomètre connecté mais leur suivi se limitait à la prise en charge usuelle, sans télésurveillance ni coaching pendant 12 semaines.

Cette étude randomisée mono-centrique, conduite en Allemagne, concernait des patients DT2 de 25 à 80 ans, avec HbA1c ≥ 7,5% et IMC ≥ 27 kg/m2, traités par au moins deux médicaments antidiabétiques. Les principaux critères de non inclusion étaient la présence d’une pathologie grave associée au diabète (cancer, cirrhose, démence…) et les situations à risque d’influer sur le poids ou sur l’équilibre métabolique (sevrage tabagique récent, corticothérapie…). Le critère primaire d’évaluation de cette étude était la différence d’évolution de l’HbA1c entre le groupe TeLiPro et le groupe contrôle (CTL) à la 12ème semaine. Les critères secondaires étaient l’évolution du poids, des traitements du diabète, du score de risque cardiovasculaire, de la qualité de vie et du comportement alimentaire. Tous ces critères étaient également analysés à 52 semaines, pendant la phase d’extension (poursuite de l’utilisation des objets connectés mais plus de coaching ni télésurveillance après la 12ème semaine).

Deux-cent deux patients ont été randomisés dans cette étude, 100 dans le groupe CTL et 102 dans le groupe TeLiPro. Leur âge moyen était de 60±8 et 59±9 ans, leur ancienneté de diabète de 11±8 et 11±7 années, leur HbA1c de départ de 8,2±1,2 et 8,4±1,3% et leur IMC de 37,0±6,7 et 35,3±5,9 kg/m2, dans les groupes CTL et TeLiPro, respectivement (ns). Le temps moyen des appels téléphoniques hebdomadaires dans le groupe TeLiPro était de 17 min, avec des durées extrêmes de 12 à 30 minutes. Le nombre de sujets qui ont terminé les 12 semaines de l’étude a été plus faible dans le groupe CTL que dans le groupe TeLiPro (74% vs 91%, p=0,001). A 12 semaines, l’HbA1c est restée stable dans le groupe CTL (-0,2±0,8% ; ns) et a diminué dans le groupe TeLiPro (-1,1±1,2% ; p<0,0001), soit un différentiel de 0,8% (95% CI 1,1 - 0,5) entre les deux groupes, au profit du groupe TeLiPro (p<0,0001). Ce bénéfice de l’intervention télémédicale était également observé dans la phase d’extension à 52 semaines, avec un différentiel d’HbA1c de 0,6% (95% CI 0,9 - 0,2 ; p<0,0001). Concernant l’évolution pondérale, l’IMC est resté stable dans le groupe CTL, passant de 37,0±6,7 au début de l’étude à 36,7±6,6 kg/m2 à 12 semaines. En revanche, dans le groupe TeLiPro, l’IMC a diminué significativement, passant de 35,3±5,9 à 33,3±6,0 kg/m2 (p<0,001). La pression artérielle systolique s’est également améliorée à 12 semaines dans le seul groupe TeLiPro, passant de 139±16 à 133±15 mmHg (p<0,05), de même que le score de risque Framingham à 10 ans, passant de 16,4±3,6 à 15,6±3,9 (p<0,001). De plus, la pression médicamenteuse a pu être diminuée dans le groupe TeLiPro où le score MES (medication effect score – un score prenant en compte le nombre de traitements et la dose utilisée) a diminué de 3,1±4,1 à 2,1±2,2 (p<0,0001). Parmi les 62 patients initialement insulinoréquérants dans le groupe TeLiPro, 11 ont pu arrêter l’insulinothérapie au cours des 12 semaines de l’étude et pour ceux qui ont poursuivi l’insuline, la dose quotidienne moyenne a diminué de 43 ± 45 à 22 ± 27 UI/j (p<0,0001). En revanche, dans le groupe CTL, le nombre de patients insulino-requérants et la dose quotidienne d’insuline n’ont pas varié au cours de l’étude. Enfin, les paramètres de qualité de vie se sont améliorés et la sensation de faim a diminué dans le seul groupe TeLiPro également.

Ainsi, cette intervention TeLiPro, combinant un régime, une télésurveillance (données glycémiques, pondérales et d’hygiène de vie), et un coaching humain hebdomadaire, a montré qu’elle pouvait améliorer l’HbA1c, le poids, la pression artérielle systolique, le risque cardiovasculaire, la qualité de vie et le comportement alimentaire de sujets DT2, tout en permettant une réduction de la pression thérapeutique médicamenteuse orale et injectable.

Les résultats de cette étude doivent être mis en perspective du récent arrêté du 25 avril 2017, portant cahier des charges des expérimentations relatives à la prise en charge par télésurveillance du diabète mises en œuvre sur le fondement de l’article 36 de la loi n°2013-1203 de financement de la sécurité sociale pour 2014 [6]. En effet, ce texte paru au Journal Officiel récemment ouvre la perspective d’une activité télédiabétologique avec valorisation financière pour le fournisseur de la solution technologique (300-375€/semestre/patient), mais également pour l’infirmière assurant la prestation d’accompagnement thérapeutique (60€/semestre/patient) et pour le diabétologue assurant la télésurveillance (110€/semestre/patient). Les premiers acteurs proposant une solution technique devraient être opérationnels au cours de l’été 2017, permettant le suivi télémédical des patients diabétiques très prochainement. Dans le cadre de cette expérimentation française, les patients concernés sont ceux atteints d’un diabète de type 1 avec HbA1c ≥ 8% et ceux atteints d’un DT2 insulinoréquérant (au moins 1 insuline basale / jour) avec HbA1c ≥ 9%. La population ciblée est donc différente de celle présentée dans l’étude de Kempf K et al., mais il est probable que la population concernée par la télédiabétologie soit secondairement élargie, selon l’analyse qui sera faite de la phase expérimentale. En effet, pendant ces premières expérimentations de télémédecine, il est prévu une évaluation médico-économique qui sera réalisée directement par la CNAMTS, via la base SNIIRAM qui trace la consommation de soins (nombre de consultations, nombre de passages aux urgences, nombre d’hospitalisations, consommations médicamenteuses…). D’ailleurs, le dispositif prévoit une rétribution financière supplémentaire si l’analyse de ces différents indicateurs révèle une diminution des hospitalisations toute cause > 15% ou une diminution du coût total de santé > 15% après un an de participation à un programme de diabétologie (prime à la performance).

Nous pourrons donc dans quelques semaines, grâce à une valorisation financière inédite en France, mettre en place une télésurveillance et un coaching pour certains de nos patients diabétiques, en espérant reproduire les effets favorables qui sont décrits dans cet article. Après le tsunami FreeStyle Libre® qui bouleverse actuellement la diabétologie Française, l’émergence d’une pratique connectée et télémédicale représentera certainement une deuxième lame de fond, poussant la communauté  diabétologique à revoir en profondeur son organisation de travail.

 

Références

[1] Tuomilehto J et al. Prevention of type 2 diabetes mellitus by changes in lifestyle among subjects with impaired glucose tolerance. N Engl J Med 2001;344:1343-1350.
 
[2] Knowler WC et al. Reduction in the incidence of type 2 diabetes with lifestyle intervention or metformin. N Engl J Med 2002;346:393-403.
 
[3] Esposito K et al. Effects of a Mediterranean-style diet on the need for antihyperglycemic drug therapy in patients with newly diagnosed type 2 diabetes: a randomized trial. Ann Intern Med 2009;151:306-314.
 
[4] Gregg EW et al. Association of an intensive lifestyle intervention with remission of type 2 diabetes. JAMA 2012;308:2489-2496.
 
[5] Mingrone G et al. Bariatric-metabolic surgery versus conventional medical treatment in obese patients with type 2 diabetes: 5 year follow-up of an open-label, single-centre, randomised controlled trial. Lancet 2015;386:964-973.
 
[6] http://ift.tt/2thqO5m (accédé le 14/06/2017).
 


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