mardi 16 octobre 2018

La glycémie en pré-opératoire de toute chirurgie est un marqueur du risque cardiovasculaire post-opératoire immédiat

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Septembre 2018
 
Article du mois en accès libre
 
Punthakee Z et al. Association of preoperative glucose concentration with myocardial injury and death after non-cardiac surgery (GlucoVISION): a prospective cohort study. Lancet Diabetes Endocrinol 2018 Jul 26. pii: S2213-8587(18)30205-5. doi: 10.1016/S2213-8587(18)30205-5. [Epub ahead of print].

 

Il n’est plus nécessaire de démontrer que le diabète est un facteur de risque cardiovasculaire. Il est cependant intéressant de préciser que la glycémie est associée de façon continue avec ce risque, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques, même pour des élévations glycémiques modestes en dessous du seuil définissant le diabète [1]. Cette association a été mise en évidence dans la population générale ambulatoire mais également chez les patients hospitalisés [1,2]. Cependant, la relation entre la glycémie préopératoire d’une chirurgie non cardiaque et la survenue post-opératoire d’un évènement cardiovasculaire majeur n’avait jamais été explorée. Pourtant, chaque année, des millions d’actes chirurgicaux sont réalisés dans le monde et les complications cardiovasculaires post-opératoires qui en découlent sont probablement sous-estimées. En effet, il a été récemment décrit une nouvelle entité pathologique appelée Myocardial Injury after Non-cardiac Surgery (MINS) qui correspond à une souffrance myocardique dans les suites d’une chirurgie non cardiaque. La MINS se caractérise par une élévation de la troponine, accompagnée ou non de symptômes ischémiques et/ou de signes électrocardiographiques [3]. Cette atteinte cardiaque est fréquente puisqu’elle concerne 8-18% des patients hospitalisés mais elle peut rester non diagnostiquée puisque les symptômes ischémiques sont souvent absents dans cette période post-opératoire immédiate. Pourtant, la survenue de MINS est de mauvais pronostic, cette complication étant fortement corrélée à la mortalité post-opératoire [4].

Afin d’évaluer le lien entre la glycémie pré-opératoire et la survenue de MINS, une équipe Canadienne a mis en place une cohorte prospective internationale de grande envergure, constituée de patients diabétiques et non diabétiques hospitalisés pour une chirurgie non-cardiaque programmée ou urgente. L’étude glucoVISION a donc été réalisée par 12 centres investigateurs dans 8 pays répartis en Europe et sur le continent Américain. Afin d’obtenir un large échantillon représentatif, tous les patients de plus de 45 ans hospitalisés la veille d’une quelconque chirurgie dans ces différents centres étaient éligibles à cette étude et pouvaient signer le consentement de participation. Les données démographiques et l’historique médical des patients participants étaient bien sûr colligés, de même que les traitements habituels et le motif de l’acte chirurgical. Pour tous ces patients, au moins une glycémie plasmatique ou capillaire était mesurée en pré-opératoire et les conditions de mesure étaient renseignées (heure du dernier apport de glucose entéral ou parentéral). Les glycémies étaient considérées « à jeun » si elles étaient réalisées au moins 8 heures après le dernier apport de glucose et « random » dans les autres cas. La troponine T était mesurée 6-12 heures après la chirurgie ainsi que chaque matin à J1, J2 et J3 post-opératoire. Les décès hospitaliers étaient recensés via le dossier médical et la mortalité extra-hospitalière via un appel téléphonique au patient à J30 post-opératoire. Le critère principal d’évaluation était la survenue de MINS dans les 3 jours post-opératoire, défini par une élévation de la troponine T ≥ 0,03 ng/mL, en lien avec une ischémie myocardique, selon adjudication par un comité d’experts qui éliminait les autres causes potentielles d’élévation des enzymes cardiaques (sepsis, embolie pulmonaire, cardioversion…). Le critère secondaire était le décès toute cause dans les 30 jours post-oprétatoires, à l’hôpital ou après sortie de l’hôpital.

Parmi les 16 087 patients ayant donné leur consentement de participation, 11 954 (dont 2809 (23%) patients atteints de diabète) ont pu être analysés du fait de données complètes. Les patients de cette cohorte avaient un âge moyen de 66,2 ± 11,7 années, étaient des hommes pour 49% et avaient fréquemment un ou plusieurs antécédents cardiovasculaires (cardiopathie ischémique (13%), insuffisance cardiaque (5%), accident cérébro-vasculaire (8%), maladie artérielle périphérique des membres inférieurs (6%), fibrillation auriculaire (4%) et hypertension artérielle (54%)). La chirurgie était pratiquée en urgence ou programmée pour 14% et 86% des patients, respectivement. Les principaux types de chirurgie pratiqués étaient des interventions orthopédiques (23%), de chirurgie générale (19%), vasculaire (4%) ou autres (55%). Concernant le sous-groupe des patients atteints d’un diabète antérieurement connu, les patients étaient légèrement plus âgés (67,9 ± 10,8 années), avaient des antécédents cardiovasculaires plus marqués et étaient traités par insuline dans 48% des cas.

La glycémie à jeun des sous groupes diabétiques et non diabétiques était de 143 ± 49 et 100 ± 20 mg/dL, respectivement. Pour les glycémies « random », ces valeurs étaient de 156 ± 65 et 109 ± 31 mg/dL. Le MINS et les décès dans les 30 jours étaient plus fréquents chez les patients diabétiques, comparativement à la population non diabétique (OR 1,98 [95% CI 1,70-2,30] p<0,0001 et OR 1,41 [1,08-1,86] p=0,016). Une relation linéaire a été mise en évidence entre le taux croissant de glycémie, la survenue de MINS et la mortalité à 30 jours. Ainsi, pour chaque 18 mg/dL de glycémie supplémentaire, les risque de MINS et de mortalité à 30 jours étaient augmentés de 6 et 8%, respectivement (OR 1,06 [95% CI 1,04-1,09] ; p=0,0003 et 1,08 [95% CI 1,02-1,14] ; p=0,0051). Ces relations restaient significatives lors de l’analyse en sous-groupe (diabète versus pas de diabète) ainsi que pour les seules glycémies « random », avec ou sans ajustement sur les facteurs de risque cardiovasculaires classiques. En revanche, pour les seules glycémies à jeun, les relations ne restaient significatives qu’avant ajustement. Pour ces analyses de sensibilité (glycémie « random » et glycémie à jeun), le résultat significatif sur l’ensemble de la cohorte était dépendant de l’effet observé dans le seul groupe des patients non diabétiques. En d’autres termes, la relation entre l’hyperglycémie (« random » ou à jeun) et la survenue de MINS ou de décès à 30 jours était plus forte pour les patients non diabétiques que pour les patients diabétiques. Par ailleurs, ces relations n’étaient pas modifiées par les analyses de sensibilité selon le centre investigateur, l’âge, le sexe, le type de chirurgie ou son caractère d’urgence.

Cette vaste cohorte prospective internationale montre que le niveau de glycémie pré-opératoire est corrélé au risque de MINS et de décès post-opératoire à 30 jours. Ces relations sont particulièrement fortes pour les glycémies « random » et chez les patients n’étant pas antérieurement connus pour être atteints de diabète. Dans cette condition, ces relations semblent être indépendantes des facteurs de risque cardiovasculaires classiques.

Il n’est pas possible de déterminer, au vu de ces résultats, si cette association est causale ou non. En effet, plusieurs mécanismes pourraient suggérer des effets potentiellement délétères de l’hyperglycémie sur le myocarde : stress oxydant, inflammation, altération de la fonction endothéliale, majoration des phénomènes d’ischémie-reperfusion ou encore atteinte vasculaire liée aux produits de glycation terminale. Cependant, il n’est pas exclu que l’hyperglycémie pré-opératoire ne soit que le reflet d’une élévation des catécholamines et/ou du cortisol en situation de stress préopératoire, l’élévation de ces hormones pouvant précipiter un événement cardiovasculaire chez des patients prédisposés. De plus, il faut rappeler qu’il existe plusieurs causes non ischémiques d’élévation de la troponine dans la période particulière entourant une chirurgie. En effet, la troponine peut s’élever en cas de sepsis, d’embolie pulmonaire, de cardioversion, d’insuffisance rénale sévère, d’hémorragie intracrânienne, de traumatisme de la paroi thoracique, de myocardite et de cardiomyopathie non ischémique incluant le syndrome de Takotsubo. Cependant, dans cette étude, ces élévations de troponine non liées au MINS ont été théoriquement éliminées de l’analyse par un comité expert d’adjudication.

Il aurait été informatif dans cette étude de disposer de résultats d’HbA1c de façon systématique pour tous les patients afin de pouvoir différencier les patients non diabétiques présentant une hyperglycémie de stress des patients diabétiques antérieurement non diagnostiqués. De plus, l’étude du lien entre HbA1c préopératoire et MINS aurait été intéressante, une étude antérieure de faible puissance ayant déjà montré une majoration de 30% du risque d’élévation de la troponine pour chaque point d’HbA1c supplémentaire dans une population de patients opérés en chirurgie vasculaire [5].

Quoi qu’il en soit, cette étude montre clairement que la présence d’une hyperglycémie en préopératoire d’une chirurgie non cardiaque est un marqueur pronostic des complications cardiovasculaires potentielles et justifie la mise en place d’une surveillance post-opératoire étroite. D’autres études seront néanmoins nécessaires pour déterminer si une intervention tentant de diminuer cette hyperglycémie avant de débuter la chirurgie permettrait d’améliorer le pronostic post-opératoire.

 

Références

[1] Emerging Risk Factors Collaboration. Diabetes mellitus, fasting blood glucose concentration, and risk of vascular disease: a collaborative meta-analysis of 102 prospective studies. Lancet 2010 ;375:2215.
 
[2] Badawi O et al. Association between intensive care unit-acquired dysglycemia and in-hospital mortality. Crit Care Med 2012;40:3180.
 
[3] Botto F et al. Myocardial injury after noncardiac surgery: a large, international, prospective cohort study establishing diagnostic criteria, characteristics, predictors, and 30-day outcomes. Anesthesiology 2014;120:564.
 
[4] Devereaux PJ et al. Association of postoperative high-sensitivity troponin levels with myocardial injury and 30-day mortality among patients undergoing noncardiac surgery. JAMA 2017;317:1642.
 
[5] Feringa HH et al. Impaired glucose regulation, elevated glycated haemoglobin and cardiac ischaemic events in vascular surgery patients. Diabet Med 2008;25:314.
 


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