jeudi 3 mars 2022

Différencier la céto-acidose diabétique de la cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde chez les adultes présentant un diabète de type 1

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Février 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Halis Kaan Akturk, et al. Differentiating Diabetic Ketoacidosis and Hyperglycemic Ketosis Due to Cannabis Hyperemesis Syndrome in Adults With Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2022; 45: 481–483. doi : 10.2337/dc21-1730

 

La consommation de cannabis n’est pas rare chez les sujets présentant un diabète de type 1 (DT1) et ce d’autant plus dans les pays où la législation a été assouplie. Au Colorado, depuis la légalisation du cannabis, le nombre de consultations en urgence pour hyperglycémie ou cétose du sujet diabétique, consommateur de cannabis, a doublé. Effectivement, dans une étude antérieure, un risque 2 à 3 fois supérieur de situations à risque (hyperglycémie ou cétose) avait été rapporté en lien avec le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde [1,2]. Dans les faits, les nausées, parfois sévères, précédent les vomissements qui sont à l’origine d’une cétose puis d’une hyperglycémie; à l’opposé donc de la physiopathologie classique de la céto-acidose diabétique. De plus, une étude australienne a montré la présence d’une alcalose (non pas d’une acidose) dans ces situations précises de consommations cannabinoïdes [3].

L’objectif des auteurs était ici de différencier, chez les sujets DT1, la céto-acidose diabétique dite « typique », de la céto-acidose « atypique » définie comme cétose hyperglycémique due au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, en étudiant les paramètres acido-basiques de ceux qui se sont présentés aux urgences.

Pour ce faire, une analyse rétrospective des dossiers médicaux relatifs aux consultations en urgence du Barbara Davis Center for Diabetes (Colorado) pour céto-acidose, selon la classification ICD-10, entre 2016 et 2021 a été réalisée. Ont été inclus les événements qui répondaient aux critères suivants (basés sur les critères de diagnostic de l'American Diabetes Association) : glycémie veineuse > 250 mg/dL, trou anionique > 10, cétones déterminées par le taux sérique de B-hydroxybutyrate (BHB) > 0,6 mmol/L, et test de dépistage toxicologique urinaire disponible à l'admission. Les valeurs moyennes de pH veineux, des taux de bicarbonates sériques (HCO3), du trou anionique et des taux de BHB ont été comparées entre les consommateurs et les non-consommateurs de cannabis atteints de DT1.

Parmi les 295 patients DT1 reçus au cours de cette période, 68 patients avec 172 événements de céto-acidose, ont été inclus. Tous les patients présentaient un taux de BHB élevé (respectivement pour les non-consommateurs et les consommateurs, 15,3 ± 2,1 mmol/L vs 13,7 ± 2,4 mmol/L (p= ns)). En régression linéaire mixte, ajustée sur l'âge et le sexe, la moyenne du pH veineux était de 7,09 ± 0,02 vs 7,42 ± 0,01 (P < 0,0001), le trou anionique sérique était de 23,90 ± 0,71 vs 20,94 ± 0,60 mmol/L (P = 0,01), et le taux de bicarbonate sérique était de 9,1 ± 0,71 vs 19,20 ± 0,61 mmol/L (P < 0,0001) chez les patients qui ne consommaient pas de cannabis vs ceux qui en consommaient. Sur les 74 événements survenus chez les consommateurs de cannabis, 72 (96 %) avaient un pH veineux de 7,4 et un taux de bicarbonate sérique de 15 mmol/L au moment de l’arrivée aux urgences.

Sur la base de ces constatations, les auteurs ont proposé de définir la cétose hyperglycémique due au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, comme l’association d’une glycémie veineuse > 250 mg/dL, d’un trou anionique > 10, et d’un taux de BHB sérique > 0,6 mmol/L, si le pH veineux était ≥ 7,4 et le taux de bicarbonate sérique était au moins de 15 mmol/L au moment de la visite aux urgences. Lorsque ce seuil de pH veineux et de bicarbonate a été utilisé, l'aire sous la courbe ROC du test urinaire positif au cannabis prédisant une cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde, était de 98 % avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 95 %.

Chez le diabétique, le diagnostic de céto-acidose est basé sur un glucose plasmatique > 250 mg/dL, un trou anionique préservé, une acidose métabolique, des corps cétoniques sériques positifs, et des changements significatifs du pH et du taux de bicarbonate de sérique dans un contexte de symptômes cliniques. Ces paramètres sont utilisés pour orienter l’admission intra-hospitalière des patients. Cette étude suggère donc que se fier uniquement au pH et au taux d’HCO3- peut s’avérer trompeur chez les consommateurs de cannabis atteints de DT1.

Dans cette étude, les DT1 consommateurs de cannabis présentaient une alcalose métabolique malgré une cétose à trou anionique élevé. Cette étude est concordante avec les conclusions de la série Australienne sus-citée [3]. Il s'agit de la première étude à analyser les seuils de pH et de bicarbonates pour différencier la céto-acidose diabétique et la cétose hyperglycémique due au syndrome cannabinoïde. Cette étude permet de suggérer le dépistage de toxiques urinaires (à la recherche de cannabis) chez les adultes DT1 qui se présentent aux urgences avec une glycémie > 250 mg/dL, un taux de BHB de 0,6 mmol/L ou plus, et un pH ≥ 7,4 (plus élevé qu’attendu) avec un taux de bicarbonates sériques ≥ 15 mmol/L. Ce seuil permettrait de prédire 98 % des événements de cétose hyperglycémique due au syndrome cannabinoïde.

Les niveaux de pH et de bicarbonates chez les consommateurs de cannabis doivent donc être interprétés avec grande prudence pour classer la gravité de la situation aiguë. Concernant la prise en charge, la priorité est à la réduction du trou anionique et à la diminution du taux de BHB grâce au remplissage vasculaire et à une insulinothérapie intensive.

La grande taille de l'échantillon, l'examen méticuleux des dossiers médicaux par deux médecins et la définition de la cétose hyperglycémique due aux vomissements du syndrome cannabinoïde sont les principales forces de cette étude. Cependant, la conception monocentrique, rétrospective et le nombre limité de patients avec un résultat de toxicologie urinaire disponible sont les principales limites de ce travail. Une mauvaise classification des épisodes de céto-acidose due à l'utilisation des codes de la CIM-10 ne peut être exclue. En outre, les auteurs n'ont pu vérifier la séquence des symptômes (céto-acidose précédant les vomissements ou vomissements précédant la cétose) à partir des dossiers médicaux. De futures études prospectives semblent donc nécessaires pour confirmer les résultats.

En conclusion, chez les adultes DT1 se présentant aux urgences pour hyperglycémie, la cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde doit être envisagée chez ceux dont le pH est ≥ 7,4 et le taux de bicarbonates ≥ 15 mmol/L en présence d'une cétose.

 

Références

[1] Kim HS & Monte AA. Colorado cannabis legalization and its effect on emergency care. Ann EmergMed 2016; 68:71–75.
 
[2] Kinney GL, & al. Cannabis use is associated with increased risk for diabetic ketoacidosis in adults with type 1 diabetes: findings from the T1D Exchange Clinic Registry. Diabetes Care 2020; 43:247–249.
 
[3] Akturk HK, & al. Association between cannabis use and risk for diabetic ketoacidosis in adults with type 1 diabetes. JAMA Intern Med 2019; 179:115–118.
 
[4] Hennessy A. Cannabis masks diabetic ketoacidosis. BMJ Case Rep 2011; 2011: bcr0220102716.
 


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