mardi 4 février 2020

Sommeil et HbA1c chez les patients diabétiques de type 2 : quelles caractéristiques du sommeil importent le plus ?

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Janvier 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Brouwer A et al. Sleep and HbA1c in patients with Type 2 Diabetes: Which sleep characteristics matter most? Diabetes Care 2020; 43:235-243. doi: 10.2337/dc19-0550

 

Le sommeil, régulé à la fois par des facteurs neuroendocrines et comportementaux, a été identifié comme un élément modifiable de l’équilibre glycémique des patients atteints de diabète de type 2 (DT2) [1]. Le sommeil optimal peut être caractérisé de différentes façons, notamment par la mesure de la durée du sommeil, l’efficacité du sommeil (le pourcentage du temps passé à dormir par rapport au temps passé au lit avec l’intention de dormir), la continuité du sommeil, l’architecture du sommeil, la dette de sommeil (l’effet cumulé de ne pas dormir suffisamment), l’horaire de sommeil, ainsi que des variables plus subjectives telles que la qualité perçue du sommeil, l’envie de dormir durant la journée ou la vigilance [2]. La relation entre la durée totale de sommeil et l’HbA1c chez les patients DT2 décrit une courbe en U, avec une HbA1c plus élevée chez les petits dormeurs (ceux dormant peu) ou ceux ayant une durée de sommeil de plus de 7 à 8 heures par nuit [3]. D’autres caractéristiques du sommeil ont été montrées comme associées à une HbA1c élevée chez les patients DT2. C’est le cas de la mauvaise qualité perçue du sommeil, de la diminution de l’efficacité du sommeil [4], et plus récemment de la variabilité de la durée totale du sommeil, reflétant les périodes de privation partielle de sommeil alternant avec des périodes de compensation, les patients ayant une plus grande variabilité ont une HbA1c plus élevée [4]. L’horaire de sommeil (vis-à-vis du jour naturel) semble également important pour le contrôle glycémique : les sujets préférant dormir à une heure tardive (les couche-tard) et ceux montrant une grande variabilité dans l’horaire de sommeil (due aux activités sociales, on parle de jetlag social), ont une HbA1c plus élevée [5]. Il persiste des incertitudes sur les caractéristiques du sommeil qui ont l’impact le plus fort sur le contrôle glycémique des patients DT2. De plus, la façon dont les différents paramètres du sommeil sont reliés les uns aux autres n’est pas connue. Dans les études précédentes, les mesures du sommeil étaient en majorité de nature subjective, limitant la fiabilité de ces études. Grâce à cette étude transversale chez des patients DT2, les auteurs ont voulu évaluer et hiérarchiser les différentes mesures objectives et subjectives du sommeil, seules et en combinaison, impactant le plus l’HbA1c chez ces patients. Ils ont d’abord voulu savoir si les paramètres d’intérêt étaient reliés entre eux ou pouvaient être regroupés (interactions). Secondairement, les auteurs ont identifié les facteurs du sommeil expliquant le mieux la variance de l’HbA1c et enfin, ils ont étudié l’effet de potentiels facteurs de confusion.

Pour cette étude transversale, 205 patients DT2 ont été recrutés au sein de 2 centres de traitement du diabète affiliés à l’Université d’Amsterdam. Les critères d’inclusion étaient d’avoir plus de 18 ans et d’être DT2. Les critères d’exclusion étaient les difficultés de langage et de compréhension, l’impossibilité de se rendre à l’un des 2 centres recruteurs. Finalement, 291 participants ont reçu une information sur cette étude, 75 ont décliné, 9 ont été exclus (7 parce qu’ils étaient incapables de répondre aux questions et 2 parce que le diagnostic de DT2 était erroné, l’un ayant en réalité un DT1 de type LADA et l’autre un DT1). Les mesures objectives du sommeil ont été obtenues au moyen d’un accéléromètre porté au niveau du poignet durant une semaine (GENEActiv, Activinsights Ltd, Kimbolton, U.K.). Ces données ont ensuite été combinées avec les données reportées par les patients (heure de coucher, heure de réveil) selon un algorithme validé et offrant une bonne comparabilité avec les données de polysomnographie. Ces mesures calculées étaient la durée totale du sommeil (en moyenne), sa variabilité (exprimée par l’écart type, SD), l’efficacité du sommeil, l’horaire du milieu du sommeil (en moyenne), le chronotype (être du matin ou du soir), la variabilité de l’horaire du milieu du sommeil (exprimée par son écart-type), le jetlag social (c’est-à-dire le décalage entre l’horaire préféré de sommeil et l’horaire des activités sociales). Les mesures subjectives du sommeil ont été obtenues par 2 questionnaires : Pittsburgh SleepQuality Index (PSQI) (un score ≥6 indique un mauvais sommeil) et Insomnia Severity Index (ISI) (un score ≥10 indique une insomnie cliniquement relevante). L’HbA1c a été réalisée dans les 3 mois précédant les mesures du sommeil.

Les potentiels facteurs de confusion et variables explicatives évalués étaient : l’âge, le sexe, le pays de naissance, la situation professionnelle, le nombre de médicaments, les médicaments antidiabétiques, l’IMC, le niveau d’activité physique (évalué par le International Physical Activity Questionnaire), le risque d’apnées du sommeil (évalué par le questionnaire de Berlin), la consommation d’alcool (questionnaire Alcohol Use Disorders Identification Test), les symptômes de dépression (questionnaire Inventory of Depressive Symptomatology) ou d’anxiété (questionnaire de Beck), la souffrance émotionnelle liée au diabète (5-item Problem Areas in Diabetes Questionnaire) et la longueur du jour naturel (long ou court). Sur le plan statistique, une analyse en composante principale suivie d’une analyse screen plot ont été réalisées pour déterminer le nombre de variables du sommeil à retenir. Des régressions linéaires ont été utilisées pour savoir quelles variables étaient le plus associées à l’HbA1c (selon une procédure pas à pas arrière ou backward step wise).

Sur les 205 participants inclus, 62% étaient des hommes et 78% travaillaient moins de 12 heures par semaine ou pas du tout. Ils avaient en moyenne 66,4 ans (de 33 à 85 ans), étaient obèses (30,8 d’IMC moyen) et avaient une HbA1c de 7,3% en moyenne (de 4,5 à 11,9%). L’ancienneté du diabète était de 13 années en moyenne (de 1 à 44 ans). L’insuline était utilisée par 42,9% d’entre eux. Des symptômes modérés de dépression, d’anxiété et de troubles émotionnels liés au diabète étaient décrits chez respectivement 41%, 6% et 22% des sujets. Les participants dormaient en moyenne 6 heures et 29 minutes, avec une heure de milieu de sommeil à 3H50 du matin et une efficacité médiane du sommeil de 88% (≥80% est considéré comme normal). Les participants ont rapporté subjectivement en moyenne une mauvaise qualité de sommeil (score médian PSQI à 10), mais peu de symptômes subjectifs d’insomnies (score ISI médian à 5). La majorité des patients était à haut risque de syndrome d’apnées du sommeil (69%) et 15% utilisait des médicaments pour dormir au moins une fois par semaine.

L’analyse exploratoire des variables du sommeil ont permis d’établir 3 groupes de facteurs : un groupe de variables subjectives (regroupant les symptômes d’insomnie, la qualité ressentie du sommeil et les plaintes liées au sommeil), un groupe de variables quantitatives (durée totale de sommeil et efficacité du sommeil), et un groupe reliant la variabilité des mesures (variabilité de la durée du sommeil, de l’horaire du milieu de sommeil et du sommeil). L’horaire du milieu de sommeil semble lier les 3 groupes de facteurs et être un facteur caractérisant le sommeil à part entière.

Les auteurs ont bien retrouvé la forme en U de la courbe retraçant l’association de l’HbA1c et de la durée du sommeil, avec un nadir à 7h16. Les symptômes d’insomnies et l’horaire du milieu du sommeil n’étaient pas associés à l’HbA1c. En revanche, dans les modèles non ajustés, la variabilité de la durée totale du sommeil avait le plus grand coefficient standardisé β parmi toutes les variables testées (β=0,222) et expliquait le plus la variance de l’HbA1c (4,9%), suivie de la durée totale du sommeil (expliquant 4,3% de la variabilité), la qualité subjective du sommeil (3,6%) la variabilité de l’horaire du milieu du sommeil (3,4%) et de l’efficacité du sommeil (2,3%). La combinaison des facteurs variabilité de la durée du sommeil, durée totale du sommeil et qualité subjective du sommeil était le plus fortement associée à l’HbA1c (β= 0,179 (0,030 ; 0,327), p= 0,019; β= -0,931 (-1,873 ; 0,012), p=0,053; et β= 0,136 (-0,014 ; 0,286), p= 0,076, respectivement). Ensembles, ces mesures du sommeil expliquaient 10,3% de la variance de l’HbA1c.
Les analyses ajustées sur les covariables précédemment citées ont identifié les mêmes variables du sommeil comme les plus fortement associées à l’HbA1c, avec toutefois une force d’association généralement diminuée (les mesures du sommeil prises ensemble expliquant 6,0 à 6,7% de la variance de l’HbA1c), et avec une hiérarchie différente puisque la durée totale du sommeil apparaissait comme la plus fortement associée à l’HbA1c, suivie de la qualité subjective du sommeil (avec une différence de R² entre la durée totale du sommeil et la qualité du sommeil de 0,6%). Concernant les facteurs de confusion potentiels inclus dans le modèle, il est à noter que ni l’âge, ni le sexe, ni les symptômes de dépression, ni le nombre de médicaments pris n’avaient d’impact sur l’association HbA1c et mesures du sommeil. Le risque d’apnées du sommeil influençait la relation HbA1c et variabilité de l’horaire du milieu du sommeil (mais pas les autres mesures du sommeil). Ainsi, chez les patients ayant un risque faible d’apnées du sommeil, l’horaire du milieu du sommeil était associé à l’HbA1c (β= 0,516 (0,159 ; 0,873) p= 0,006), et expliquait 23,1% de la variance de l’HbA1c), ce qui n’était pas le cas chez les patients ayant un risque élevé de syndrome d’apnées du sommeil.Les limites de l’étude étaient que les sujets impliqués dans l’étude étaient européens, habitaient dans une même aire géographique, et avaient un haut risque de syndrome d’apnées du sommeil et un temps de travail faible, limitant ainsi les comparaisons avec d’autres études et la généralisation des résultats. Cette étude n’utilisait pas la polysomnographie, donc les mesures d’apnées du sommeil et de l’architecture du sommeil n’ont pas pu être évaluées. De la même façon, la variabilité glycémique et le nombre d’hypoglycémies nocturnes n’ont pas été mesurées (chez des patients traités à plus de 40% par insuline). D’autres facteurs de confusion potentiels n’ont pas fait l’objet de recueil d’information, telles que les horaires de repas, ou d’exercice physique. Le choix de ces potentiels facteurs de confusion fait aussi débat, puisque ce sont des facteurs suspectés (et non prouvés) d’avoir un impact sur la relation paramètres du sommeil et équilibre glycémique. Enfin, les analyses statistiques n’ont pas été corrigées pour les comparaisons multiples.

Au total, cette étude supporte l’idée que l’optimisation du sommeil pourrait contribuer à améliorer l’HbA1c, chez des patients recevant déjà un traitement adapté pour le DT2. Plus particulièrement, la variabilité de la durée totale du sommeil, qui reflète la privation partielle de sommeil suivie de compensations, pourrait être une cible thérapeutique d’intérêt. De futures recherches interventionnelles devront évaluer si la prévention du fractionnement du sommeil pourrait aider à améliorer l’équilibre glycémique.

 

Références

[1] Anothaisintawee T, Reutrakul S, Van Cauter E et al. Sleep disturbances compared to traditional risk factors for diabetes development: systematic review and meta-analysis. Sleep Med Rev 2016;30:11–24.
 
[2] Blunden S, Galland B et al. The complexities of defining optimal sleep: empirical and theoretical considerations with a special emphasis on children. Sleep Med Rev 2014;18:371–378.
 
[3] Siwasaranond N, Nimitphong H, Saetung S et al. sleep duration is associated with poorer glycemic control in type 2 diabetes patients with untreated sleep-disordered breathing. Sleep Breath 2016;20:569–574.
 
[4] Whitaker KM, Lutsey PL, Ogilvie RP, et al. Associations between polysomnography and actigraphy-based sleep indices and glycemic control among those with and without type 2 diabetes: the Multi-Ethnic Study of Atherosclerosis. Sleep (Basel) 2018;41:1-10.
 
[5] Reutrakul S, Hood MM, Crowley SJ, et al. Chronotype is independently associated with glycemic control in type 2 diabetes. Diabetes Care 2013;36:2523–2529.
 


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