mardi 4 décembre 2018

Le traitement intensif de la parodontite, aussi efficace sur le diabète qu’un traitement hypoglycémiant ?

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Novembre 2018
 
Article du mois en accès libre
 
D’Aiuto F, et al. Systemic effects of periodontitis treatment in patients with type 2 diabetes: a 12 month, single-centre, investigator-masked, randomised trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2018 Nov;6(12):954-965. doi: 10.1016/S2213-8587(18)30038-X. [Epub ahead of print].

 

L’inflammation est un élément perturbateur du contrôle glycémique dans le diabète et est directement impliquée dans l’athérosclérose et la maladie rénale chronique [1] qui sont les causes majeures de mortalité prématurée chez les diabétiques. Pourtant, il n’est pas démontré à ce jour que traiter l’inflammation est efficace pour améliorer le contrôle glycémique et diminuer, de ce fait, le risque de complications du diabète de type 2. La parodontite est une maladie inflammatoire chronique, l’accumulation de bactéries sur la surface des dents n’étant pas confinée qu’à la cavité orale [2]. Elle est associée à une majoration du risque de diabète, de maladies cardiovasculaires et d’insuffisance rénale terminale [3]. Le traitement de la parodontite se déroule en trois phases : une phase initiale avec des soins dentaires de base, des conseils d’hygiène buccale, de détartrage ; une phase corrective après réévaluation à 8 semaines avec soins chirurgicaux parodontaux (en cas d’hygiène buccale optimale) ou avec répétition de détartrages et de débridements des racines (en cas d’hygiène buccale non optimale) pendant 1 à 2 mois, et une phase finale après réévaluation 3 mois après la fin des soins précédents. La phase finale est un protocole ouvert, le plus souvent avec des conseils d’hygiène dentaire et des soins non chirurgicaux de nettoyage dentaire réalisés tous les 3 mois. Tonetti et al. [4] ont montré précédemment que le traitement efficace de la parodontite conduit, à 6 mois, à la diminution des marqueurs inflammatoires systémiques et à l’amélioration de la fonction endothéliale, marqueur de l’athérosclérose. D’autres études ont montré une amélioration du contrôle glycémique après traitement de la parodontite à court terme (suivi de 2 à 6 mois) avec une diminution de l’HbA1c de 0,3-0,4% [5]. Cependant ces études concernent des petits échantillons de patients, diabétiques de type 1 et 2, avec parfois des traitements locaux ou systémiques adjuvants. Le bénéfice potentiel du traitement de la parodontite sur les complications du diabète reste donc incertain.

Dans ce travail, D’Aiuto et al. ont fait l’hypothèse qu’un traitement parodontal efficace, avec réduction de l’inflammation locale et systémique, permettrait l’amélioration du contrôle glycémique chez des patients diabétiques de type 2, et ainsi l’amélioration des fonctions vasculaires, rénales et de la qualité de vie. Il s’agit d’une étude randomisée monocentrique de douze mois en groupe parallèle, à l’insu de l’investigateur (seul le personnel dentaire connaissait le groupe de traitement) pour déterminer l’effet du traitement parodontal intensif (non chirurgical et chirurgical) par rapport au traitement habituel (contrôle dentaire régulier avec polissage et détartrage des dents) sur l’équilibre du diabète. Les patients ont été inclus dans l’étude s’ils présentaient un diabète de type 2 (selon les critères diagnostic de l’OMS) depuis plus de 6 mois et une parodontite modérée à sévère (≥ 20 poches parodontales de plus de 4mm de profondeur et alvéolyse atteignant plus de 30% de perte osseuse) avec plus de 15 dents. Les critères d’exclusion étaient une maladie systémique non contrôlée autre que le diabète (maladie cardiovasculaire, hypertension artérielle, pathologie hépatique, pulmonaire, insuffisance rénale terminale, cancer, infection par le VIH ou l’hépatite B), traitement chronique par des traitements affectant les tissus parodontaux (phénytoïne ou cyclosporine) de plus de deux semaines, traitement antibiotique chronique, grossesse ou allaitement. Les patients étaient randomisés dans deux groupes : traitement parodontal intensif (TPI) ou traitement parodontal contrôle (TPC), en tenant compte de la durée du diabète, du statut tabagique, du sexe et de la sévérité de la parodontite. Les affectations de traitements n’étaient connues par le clinicien dentiste et le patient que le premier jour du traitement, les autres investigateurs (infirmières collectant les mesures anthropométriques et les échantillons sanguins, les biologistes, l’équipe de traitement des données) étant en aveugle jusqu’à la fin de l’étude. L’ensemble des patients a reçu les mêmes informations concernant l’hygiène dentaire, et les mêmes prises en charge d’extraction dentaire si nécessaire.  Les patients du groupe TPI ont reçu les trois étapes décrites ; les patients du groupe TPC ont reçu détartrage et polissage de toutes les dents à l’inclusion, 2, 6, 9 et 12 mois et pour ceux qui le nécessitaient, à la fin de l’étude, un traitement additionnel parodontal était réalisé. Les patients ayant une progression de la parodontite étaient sortis d’étude pour être adressés à un centre spécialisé de prise en charge. Les traitements du diabète étaient gérés par l’endocrinologue habituel en utilisant les mêmes recommandations dans les deux groupes, et l’équipe de diabétologie n’était pas informée du groupe des patients. Les paramètres dentaires et cliniques (tabac, pression artérielle, poids, taille, tour de taille) étaient mesurés par deux examinateurs entrainés. A chaque visite, l’HbA1c, la glycémie, les paramètres lipidiques, l’insulinémie, la créatininémie, la CRPus ainsi que d’autres marqueurs inflammatoires et endothéliaux étaient mesurés ; le HOMA, la clairance de la créatinine et le risque cardiovasculaire (à partir du calculateur de risque de l’UKPDS) étaient calculés. Un questionnaire diététique semi-quantitatif et un questionnaire de qualité de vie étaient remplis au début et à la fin de l’étude. Le critère principal de jugement était la différence d’HbA1c entre les deux groupes à 12 mois ; les critères secondaires étaient la différence d’HbA1c à 6 mois, la différence de glycémie, d’insulinémie, de créatininémie, de fonction endothéliale à 6 et 12 mois. Le nombre de patients nécessaires pour montrer une différence de 1% d’HbA1c entre les deux groups était de 129 individus par groupe.
Entre le 1er octobre 2008 et le 31 octobre 2012, 1765 patients diabétiques de type 2 ont été examinés et sur les 885 patients éligibles à cette étude, 264 patients ont été randomisés (133 dans le groupe TPI et 131 dans le groupe TPC) : 62,5% d’hommes, 57 ans d’âge moyen, 8,1% d’HbA1c et 24% de patients insulinotraités. Le profil de risque cardiométabolique initial était comparable dans les deux groupes, et le régime et le mode de vie n’ont pas changé au cours de l’étude. Vingt patients ont été perdus de vue (12 et 8 dans les groupes TPI et TPC respectivement). Il existait quelques différences concernant le traitement entre les deux groupes à l’inclusion (plus de bêta bloquants, d’ARAII et d’aspirine dans le groupe TPC). Après deux mois, 63 patients du groupe TPI avaient une bonne hygiène (score de plaque dentaire ≤ 20%) et au moins une poche parodontale de plus de 6mm de profondeur nécessitant un traitement chirurgical pour améliorer le détartrage de la surface des racines. 55 patients n’avaient pas une hygiène dentaire optimale et 15 n’avaient pas de poche parodontale de plus de 6mm de profondeur nécessitant la poursuite des détartrages sous anesthésie locale (n=70).
L’HbA1C était diminuée de 0,6% à 12 mois (IC 0,1-1 ; p=0,0101) dans le groupe TPI par rapport au groupe TPC après ajustement sur l’âge, le sexe, l’ethnicité, le statut tabagique et la durée du diabète et en intention de traiter (pas de différence significative à 6 mois). Dans le groupe TPI, 67% des patients ont eu une diminution de plus de 0,9% de l’HbA1c contre 33% dans le groupe TPC (p=0,0284) à un an, baisse confirmée après ajustement sur les modifications thérapeutiques. A 12 mois, tous les paramètres cliniques parodontaux étaient significativement meilleurs dans le groupe TPI avec une diminution significative dès 2 mois de traitement pour atteindre une différence de 21% en fin d’étude pour le score de plaque dentaire (IC 15-26, p<0,0001), de 26% pour le score hémorragique (IC 21-31 ; p<0,0001), de 0,8 mm de profondeur de poches parodontales (IC 0,6-1,0 ; p<0,0001), et 27 poches parodontales en moins (IC 22-32 ; p<0,0001). Concernant les autres critères métaboliques secondaires, la glycémie à jeun a diminué dans le groupe TPI mais pas l’insulinémie, le HOMA, les lipides plasmatiques. Au sein du groupe TPI, il n’y avait pas de différence significative en terme d’HbA1c entre le groupe traitement chirurgical (n=63) et non chirurgical (n=70) avec un taux de 7,7+/-0,1%. Concernant les paramètres inflammatoires, la CRP et le TNFα étaient significativement plus bas à 12 mois dans le groupe TPI (-1 mg/L; IC 0,8-1,2 ; p=0,0102 et -0,4 pg/mL ; IC 0,2-0,6 ; p=0,0201 respectivement) mais il n’y avait pas de différence pour les autres marqueurs inflammatoires ou endothéliaux. Les patients du groupe TPI avaient un risque de coronaropathie à 10 ans plus faible à la fin de l’étude que ceux du groupe TPC (-1,1% ; IC 1,0-1,2 ; p=0,0323) ; ils avaient également un débit de filtration glomérulaire plus élevé (+4,1 mL/min/1,73m² ; IC 1,4-6,8  ; p=0,0031). Les effets secondaires étaient comparables dans les deux groupes, de même que les changements de prescriptions médicamenteuses, concernant plus de 20% de patients. La diminution d’HbA1c à 12 mois était corrélée aux évolutions des paramètres parodontaux, du débit de filtration glomérulaire, à la baisse de la CRP et du TNFα. La diminution de la CRP était corrélée aux paramètres parodontaux et au TNFα. Les scores de qualité de vie étaient plus élevés dans le groupe TPI à 12 mois (0,83 ; IC 0,29-1,38 ; p=0,0034) avec amélioration de la qualité de vie au travail, de la confiance en soi et des conditions de vie.

Les résultats de ce travail montrent que le traitement parodontal intensif améliore le contrôle métabolique des patients DT2 à 12 mois par rapport à la prise en charge standard de la parodontite. La diminution de l’HbA1c et de la glycémie à jeun s’accompagnent d’une amélioration de la fonction vasculaire et rénale, d’une diminution de l’inflammation systémique et d’une amélioration de la qualité de vie. Ceci suggère une relation entre parodontite, contrôle glycémique et contrôle des complications du diabète. Ce travail souligne que la santé dentaire est un axe important de la prise en charge des patients DT2.
En deuxième ligne de la prise en charge thérapeutique du DT2, les traitements antidiabétiques permettent une diminution de l’HbA1c de 0,4 à 0,9% équivalent à l’effet du traitement parodontal intensif retrouvé dans cette étude. Jusque là, il n’existait que de petites études et méta-analyses pour juger de l’effet potentiellement bénéfique du traitement de la parodontite sur le contrôle glycémique, sans conclusion réelle. La plus grosse étude sur le sujet, l’essai multicentrique sur diabète et traitement parodontal (DPTT) [6], présentait deux groupes de 257 patients chacun et ne retrouvait pas d’amélioration de la santé parodontale et pas de bénéfice glycémique à 6 mois, mais les patients inclus souffraient de parodontite peu sévère et les résultats du traitement parodontal étaient limités.
Au-delà de l’effet métabolique, les résultats suggèrent également un effet positif du traitement parodontal sur les complications cardiovasculaires et rénales du diabète. Dans une étude précédente randomisée chez des patients non diabétiques [4], il a été montré une amélioration de la fonction endothéliale après 6 mois de traitement parodontal. Ces résultats se confirment ici et à 12 mois chez des patients DT2 à haut risque cardiovasculaire. De plus, il est rapporté une diminution de 1,1% du risque cardiovasculaire UKPDS à 10 ans ; ce résultat est à interpréter avec précaution, d’autant que dans l’UKPDS, une diminution de 0,9% d’HbA1c s’accompagnait d’une amélioration marginale du risque de mortalité cardiovasculaire [7] entre le groupe intensif et le groupe contrôle. Le traitement parodontal pourrait améliorer le risque cardiovasculaire via son effet hypoglycémiant, et si ces résultats se confirmaient dans de larges études interventionnelles, le traitement parodontal serait une nouvelle cible de la prévention cardiovasculaire chez les diabétiques. Concernant l’amélioration de la fonction rénale retrouvée dans le groupe TPI, elle pourrait passer par l’effet positif endothélial puisque les lésions glomérulaires endothéliales sont l’une des premières anomalies de la néphropathie diabétique. Une des originalités de ce travail est l’étude de la qualité de vie avec une amélioration dans le groupe TPI.
Une des limites de ce travail est la différence de traitements entre les deux groupes notamment concernant l’aspirine, les bêta-bloquants, les ARAII. Cependant, des analyses de sensibilité post-hoc dans les sous groupes ne prenant pas ces traitements confirment la diminution de l’HbA1c dans le groupe TPI. Il faudra d’autres études pour confirmer l’efficacité du traitement parodontal chez les patients DT2 indépendamment du traitement cardiométabolique. Enfin cette étude est monocentrique, ce qui limite l’extrapolation possible des résultats à tous les patients DT2, mais les patients étaient recrutés à partir de différents centres médicaux.

En conclusion, la prévalence de la parodontite est de plus de 50% et chez les sujets diabétiques, les formes sévères représentant environ un cas sur deux [8]. Cette étude souligne le potentiel effet métabolique favorable du traitement parodontal chez les DT2. Ces résultats sont, comme toujours, à confirmer et à approfondir dans des études plus longues et avec un plus grand nombre de patients. Cependant, ils suggèrent qu’une évaluation bucco-dentaire systématique et que le traitement intensif d’une parodontite devraient faire partie intégrante de la prise en charge efficace d’un diabète de type 2.

 

Références

[1] Tuomi N, et al. The many faces of diabetes: a disease with increasing heterogeneity. Lancet 2014;383:1084-94.
 
[2] Artese HP, et al. Periodontal therapy and systemic inflammation in type 2 diabetes mellitus: a meta-analysis. PLoS One 2015;10:e0128344.
 
[3] Borgnakke WS, et al. Effect of periodontal disease on diabetes: systematic review of epidemiologic observational evidence. J Periodontol 2013;84:S135-52.
 
[4] Tonetti MS, et al. Treatment of periodontitis and endothelial function. N Eng J Med 2007;356:911-20.
 
[5] Simpson TC, et al. Treatment of periodontal disease for glycaemic control in people with diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2015;6: CD004714.
 
[6] Engebretson SP,  et al. The effect of nonsurgical periodontal therapy on hemoglobin A1c levels in persons with type 2 diabetes and chronic periodontitis: a randomized clinical trial. JAMA 2013;310:2323-32.
 
[7] Stevens RJ, et al. The UKPDS risk engine: a model for the risk of coronary heart disease in type II diabetes (UKPDS 56). Clin Sci (Lond) 2001;101:671-79.
 
[8] White DA, et al. Adult Dental Health Survey 2009: common oral health conditions and their impact on the population.Br Dent J 2012;213:567-72.
 


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