lundi 10 octobre 2022

Impact de 7 herpès virus sur l'incidence du pré-diabète et sur l’HbA1c : Résultats de la cohorte KORA

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Septembre 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Woelfle, T., & al. Health impact of seven herpesviruses on (pre)diabetes incidence and HbA1c: results from the KORA cohort. Diabetologia 2022 ;65 :1328–1338. doi : 10.1007/s00125-022-05704-7

 

Huit herpès virus sont connus pour affecter les humains : herpès simplex (HSV) 1 et 2, virus varicelle-zona (VZV), virus Epstein-Barr (EBV), cytomégalovirus (CMV) et herpès virus humains (HHV) 6, 7 et 8. Tous provoquent une infection latente à vie chez leurs hôtes après des infections primaires systémiques, généralement bénignes. De nombreux facteurs de risque comportementaux et environnementaux du diabète de type 2 ont d’ores et déjà été établis, notamment le mode de vie : la sédentarité, les erreurs hygiéno-diététiques, l'obésité et l'inflammation mais également de nombreux facteurs de risque génétiques. Jusqu'à récemment, l'implication étiologique des virus dans le développement du diabète n'a été proposée que pour le diabète de type 1. Parmi les données déjà mises en lumière : 1) une prévalence accrue d’HHV8 chez les patients diabétiques de type 2 a été signalée dans de nombreuses populations, 2) une association entre le statut sérologique HSV1 et CMV et la prévalence du diabète de type 2 a été rapportée, sans que l’imputabilité ne puisse être certifiée.
Cette étude avait pour objectif d’examiner les associations entre les sept herpès virus [HSV1, HSV2, VZV, EBV, CMV, HHV6 et HHV7] et l'incidence du pré-diabète d’une part et l’HbA1c d’autre part.

Pour ce faire, l’étude est fondée à partir d’une plateforme de recherche sur la santé basée sur la population du sud de l’Allemagne (KORA), qui a permis la réalisation d’enquêtes de santé successives. Celles utilisées pour ce travail ont été réalisées de 2006 à 2008 puis de 2013 à 2014. Deux tiers des participants ont réalisé les deux études. Les participants ont bénéficié d’une sérologie virale multiplex pour les herpès virus humains, ainsi qu'une HGPO et d’une HbA1c lors des 2 enquêtes successives. Le statut diabétique a été défini selon la tolérance au glucose en utilisant les seuils recommandés par l'American Diabetes Association. Le pré-diabète a été défini comme : une glycémie à jeun comprise entre 5,6 mmol/l et 6,9 mmol/l et/ou une glycémie 2h après la charge en glucose comprise entre 7,8 mmol/l et 11,0 mmol/l.

Parmi les résultats rapportés, la prévalence du pré-diabète était de 27,5 % dans la première étude puis de 36,2 % dans la seconde, tandis que celle du diabète de type 2 était de 8,5 % puis de 14,6 %. Parmi les 1257 participants dont la tolérance au glucose était normale au départ, 364 ont développé un pré-diabète et 17 un diabète de type 2 sur une durée moyenne de suivi de 6,5 ans. L'EBV était l'herpès virus le plus répandu initialement (98 %), suivi de HSV1 (88 %), HHV7 (85 %), VZV (79 %), CMV (46 %), HHV6 (39 %) et HSV2 (11 %). Le nombre moyen d'herpès virus pour lesquels les participants étaient séropositifs était de 4,4 ± 1,1 initialement puis de 4,7 ± 1,1 lors de la seconde étude. Un tiers d'entre eux étaient positifs à un nombre supérieur de virus lors de la seconde étude (34 %), 54 % étaient positifs pour le même nombre de virus et seulement 12 % étaient positifs pour moins de virus.
Parmi les sept herpès virus examinés, le HSV2 et le CMV étaient associés à l'incidence du pré-diabète chez les 1257 participants présentant une tolérance au glucose normale au départ. Ces associations étaient indépendantes du sexe, de l'âge, de l'indice de masse corporelle (IMC), du tabagisme, du niveau d’éducation, de l'activité physique, du diabète parental, de l'hypertension artérielle, des taux de lipides, de la résistance à l'insuline ou encore de la glycémie à jeun. Le risque de développer un pré-diabète était augmenté de 66% chez les participants séropositifs pour HSV2  au cours des 6,5 années dans le modèle non ajusté (OR 1,66, IC95% 1,13-2,43). Le surrisque de pré-diabète restait significatif dans le modèle ajusté sur tous les facteurs confondants  (OR 1,59, IC95% 1,01-2,48). Une association entre le CMV et l'incidence du pré-diabète (OR 1,47, IC95% 1,15-1,87) qui était partiellement expliquée par l'âge, l'hypertension et les triglycérides, a également été démontrée. L'OR ajusté était de 1,33 (IC95% 1,00-1,78) démontrant une association indépendante entre le CMV et l’incidence du pré-diabète. L'analyse de stabilité LASSO a montré que HSV2 (proportion de sélection de 37,5 %) et CMV (proportion de sélection de 50,2 %) étaient de loin les virus sélectionnés les plus stables
La séropositivité au HSV2 et au CMV était significativement associée à l'HbA1c de départ, avec des estimations β brutes de 0,17 (IC95% 0,10-0,25) et 0,07 (IC95% 0,03-0,12), respectivement. Aucun des autres virus n'était associé de manière significative à l’HbA1c.
La séropositivité initiale pour un virus était associée à un surrisque de pré-diabète de 6% (1,06, IC95% 1,02-1,27). Une personne porteuse des 7 herpès virus présentait un surrisque de pré-diabète de 50%. Toutefois, cette association n'était pas persistante après ajustement sur les facteurs de confusion.

Les auteurs suggèrent que les deux virus HSV2 et CMV contribuent de manière constante et complémentaire à l'incidence du pré-diabète, indépendamment du sexe, de l'âge, de l'IMC, de l'éducation, du tabagisme, de l'activité physique, du diabète parental, de l'hypertension, des taux de lipides, de la résistance à l'insuline et de la glycémie à jeun. De plus, HSV2 a été associé à l'HbA1c indépendamment des facteurs de confusion. Nous savons que le diabète de type 2 est une pathologie multifactorielle dont l’ensemble des facteurs de risque ne sont pas encore dévoilés. Les mécanismes de l'implication potentielle du HSV2 et du CMV dans le développement du pré-diabète restent à élucider. Les auteurs émettent l’hypothèse, que tous deux sont des virus qui provoquent des infections chroniques et ont ainsi potentiellement la capacité de moduler le système immunitaire, qui à son tour influencerait le système endocrinien. Par ailleurs,  une étude coréenne de Yoo et al [3] a mis en évidence une association entre antécédent de maladie à CMV et incidence du diabète de type 2 (OR ajusté 2,60 (IC95% 1,68-3,95)). Notons par ailleurs que le CMV a également été trouvé en histopathologie dans des îlots de Langerhans de patients atteints de diabète de type 2 mais pas chez les témoins, ce qui suggère également le possible  rôle du CMV dans le développement du diabète de type 2 [4]. Aucune étude n’avait jusqu’alors mis en évidence d’association entre HSV2 et pré-diabète. Possiblement parce que c’est le moins fréquent des virus du groupe herpès ; même s’il infecte une personne sur dix dans le monde. Certains ont évoqué un lien avec HHV6 et HHV8 mais les résultats étaient divers et parfois contradictoires.
Les auteurs rapportent certaines limites pour ce travail : la sérologie n’étant positive qu’un temps, elle sous-estime probablement le nombre de patients ayant été en contact avec un herpès virus, aucune donnée clinique notamment sur la sévérité de l’infection n’était disponible et ils critiquent le manque de validation du test viral multiplex pour HHV6 et HHV7 puisqu’il n’existe pas d’étalon universel.

Cette étude révèle une association possible entre la séropositivité à HSV2 et CMV d’une part et l’incidence du pré-diabète après ajustement pour le sexe, l'âge, l'IMC, l'éducation, le tabagisme, l'activité physique, le diabète parental, l'hypertension, les niveaux de lipides, la résistance à l'insuline et la glycémie à jeun d’autre part. Pour HSV2, les résultats sont renforcés par l'association du statut sérologique avec l'HbA1c, indépendamment des facteurs de confusion et de la prévalence du pré-diabète elle-même. Ces résultats mettent en évidence le lien herpes virus et pré-diabète, ainsi que la nécessité d'intensifier les recherches visant à évaluer les stratégies de prévention virale en matière de santé publique.

 

Références

[1] Pompei R. The role of human herpesvirus 8 in diabetes mellitus type 2: state of the art and a medical hypothesis. Adv Exp Med Biol 2016; 901:37–45.
 
[2] Chen S, et al. Cytomegalovirus sero-positivity is associated with glucose regulation in the oldest old. Results from the Leiden 85-plus study. Immun Ageing 2012; 9(1):18.
 
[3] Yoo SG, et al. Impact of cytomegalovirus disease on new-onset type 2 diabetes mellitus: population-based matched case-control cohort study. Diabetes Metab J 2019; 43(6):815–829.
 
[4] Lohr JM, et al. Detection of cytomegalovirus nucleic acid sequences in pancreas in type 2 diabetes. Lancet 1990 ; 336(8716):644–648.
 


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