mercredi 27 avril 2016

Prévalence du diabète et de l’obésité dans le monde : et si le pire était à venir ?

Auteur : 
Manuel Dolz
Date Publication : 
Avril 2016
 
Article du mois en accès libre
 
NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC). Trends in adult body-mass index in 200 countries from 1975 to 2014: a pooled analysis of 1698 population-based measurement studies with 19·2 million participants. Lancet 2016 Apr 2. 387(10026):1377-96. doi: 10.1016/S0140-6736(16)30054-X
 
NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC). Worldwide trends in diabetes since 1980: a pooled analysis of 751 population-based studies with 4·4 million participants. Lancet 2016 Apr 5. 387(10027):1513-30​. doi: 10.1016/S0140-6736(16)00618-8
 

 

« Nous, chefs d'État et de gouvernement et les représentants des Etats et de gouvernements, sommes réunis à l'Organisation des Nations Unies les 19 et 20 Septembre 2011, pour aborder la prévention et le contrôle des maladies non transmissibles dans le monde entier ». C’est en ces termes que débute le texte de la résolution adoptée, par l'Assemblée Générale des Nations-Unis, concernant la déclaration de la politique de prévention et de contrôle des maladies non transmissibles (NCD, non-communicable disease), auxquelles appartiennent le l’obésité et le diabète [1]. Obésité et diabète sont responsables d’une importante morbi-mortalité, et pèsent sévèrement sur les dépenses des systèmes de santé [2,3]. De fait, les Nations Unies ont fixé pour objectif de stopper, en 2025, la progression de la prévalence (normalisée selon l'âge) de l’obésité et du diabète à leurs niveaux de l’an 2010.

Il apparaît donc nécessaire de disposer aujourd’hui de données robustes sur la prévalence de l’obésité et du diabète en fonction du temps, dans le but de mieux évaluer l’effet d’interventions mises en œuvre dans différents pays afin de réduire la prévalence de ces deux maladies, et de comparer les tendances dans les différents pays. En ce sens l’OMS collabore avec la NCD-RISC (Risk Factor Collaboration) localisée au sein de l'Imperial College de Londres. La NCD-RISC correspond à un réseau de spécialistes de la santé, dans le monde entier, qui fournit des données épidémiologiques sur les principaux facteurs de risque de NCD.

La NCD-RISC vient donc de publier consécutivement deux vastes études épidémiologiques menées à l’échelon international : la première a analysé l’évolution de la répartition de l’IMC entre 1975 et 2014, après sélections de 1698 études de population comprenant 19,2 millions de participants, la seconde a analysé l’évolution de la prévalence du diabète de 1980 à 2014, sur la base de 751 études de population incluant 4,372 millions de participants âgés de 18 ans ou plus.

La méthodologie est comparable : sélection de données dans 200 pays et territoires organisés en 21 régions, principalement sur la base de la géographie et du revenu national. Seule exception, une région composée de pays anglophones à revenus élevés, considérant que ces pays tendent à avoir un niveau comparable de facteurs de risque cardio-métabolique, et en particulier l’IMC, mais qu’ils peuvent être distincts d'autres pays de leur région géographique originelle. Les auteurs ont mis l'accent sur la qualité des données et des sources : uniquement basées, pour la première publication, sur des études qui avait mesuré la taille et le poids pour éviter le biais des études déclaratives ; pour la seconde, la définition retenue pour le diabète était : soit glycémie à jeun (GAJ) > 1,25g/L, soit antécédent de diabète connu, soit utilisation d’insuline ou d’hypoglycémiants oraux. Ils ont aussi réalisé un travail d’identification et d’analyse des sources non déclaratives, considérées comme représentatives de la population (tant au niveau national, infranational et communautaire), et ayant mesuré au moins un marqueur de diabète : GAJ, glycémie 2h après charge orale en glucose ou HbA1c. Pour les études anciennes avec un seuil de glycémie > 1,40 g/l pour le diabète les auteurs ont réalisé différentes analyses de régressions afin de convertir ces données en prévalences valides pour un seuil à 1,26 g/l. Les données des différents pays ont été analysées selon un protocole commun pour obtenir la moyenne et la prévalence requise selon l'âge et le sexe, tout en donnant plus de poids aux données nationales qu’aux sous études nationales et communautaires. Les données sources recouvrent 99% et 90% de la population mondiale en 2014, respectivement pour l’IMC et le diabète.

De 1975 à 2014, la prévalence mondiale de la maigreur (IMC <18,5 kg/m²), normalisée selon l’âge, a diminué d’environ un tiers chez les hommes et les femmes passant de 13,8% (95% ICr 10,5-17,4) à 8,8% (7,4-10,3) et de 14,6% (11,6-17,9) à 9,7% (8,3-11,1), respectivement. A l’inverse, la prévalence de l'obésité (IMC ≥ 30 kg/m²) a augmenté de 3,2% (2,4-4,1) en 1975 à 10,8% (9,7-12) en 2014 chez les hommes et de 6,4% (5,1-7,8) à 14,9% (13,6-16,1) chez les femmes. La prévalence de l'obésité a dépassé celle de la maigreur en 2004 chez les femmes et en 2011 chez les hommes. En valeurs absolues, entre 1975 et 2014, le nombre d'hommes obèses dans le monde est passé de 34 M (26-44) à 266 M (95% CI 240-295) et celui des femmes obèses de 71 M (57- 87) à 375 M (95% CI 344-407). Bien que les IMC des hommes et des femmes soient corrélés dans les différents pays, en 2014, les femmes ont en moyenne un IMC plus élevé que les hommes dans 141 pays. La prévalence de l’obésité sévère (IMC ≥35 kg/m²) progresse et atteint 2,3% (2,0-2,7) chez les hommes et 5,0% (4,4-5,6) chez les femmes. Celle de l'obésité morbide (IMC ≥40 kg/m²) est de 0,64% (0,46-0,86) chez les hommes et de 1,6% (1,3-1,9) chez les femmes en 2014. Cette étude confirme également la menace pesant sur certaines populations : à titre d’exemple, en 2014, plus de 50% des femmes et plus de 38% des hommes vivant en Polynésie et Micronésie sont obèses ! La prévalence de l'obésité a également dépassé le seuil de 30% chez les hommes et les femmes dans les pays à revenus élevés anglophones, et chez les femmes en Afrique australe, dans le Moyen-Orient et Afrique du nord. Plus de 15% des femmes à Nauru et des îles Samoa américaines présentent une obésité morbide.

Avec de tels chiffres, la probabilité de stopper la progression de l’obésité d’ici à 2025, au niveau mondial, apparaît pratiquement nulle. En effet, si les tendances observées après 2000 se confirment, chaque pays aura une probabilité inférieure à 50% d'atteindre l'objectif. Paradoxalement, la plus forte probabilité (environ 45%) est pour Nauru avec, de 1975 à 2014, une quasi stagnation de la prévalence de l’obésité - il est toutefois utile de rappeler que c’est dans cette île de Micronésie que le taux d’obésité est le plus élevé au monde. La probabilité d'atteindre la cible est inférieure à 10% pour les hommes dans 194 pays, et dans 174 pays pour les femmes. Au contraire, si les tendances post-2000 se maintiennent, d'ici 2025, la prévalence mondiale de l'obésité atteindra 18% chez les hommes et dépassera 21% chez les femmes, avec une prévalence de l’obésité sévère qui sera supérieure à 9% chez les femmes et à 6% chez les hommes.

Sachant que l’obésité est un facteur de risque majeur de diabète, on pouvait craindre le pire quant à la tendance de la prévalence du diabète au niveau planétaire. Le second article nous éclaire à ce sujet. De 1980 à 2014, la prévalence du diabète au niveau mondial, normalisée selon l'âge, a plus que doublé chez les hommes passant de 4,3% (95% IC 2,4-7,0) à 9,0% (7,2-11,1) et a augmenté de 63% chez les femmes passant de 5,0% (2,9-7,9) à 7,9% (6,4-9,7). La probabilité a posteriori que ces variations soient exactes atteignent 0,994 et 0,954, respectivement. La hausse de la prévalence du diabète évolue en parallèle de la menace que fait peser l’obésité sur certaines populations : ainsi, en 2014, la prévalence du diabète est supérieure à 20% chez les hommes adultes et les femmes en Polynésie et en Micronésie, alors qu’elle atteint 31% (95% ICr 19-44) chez les hommes et 33% (21-47) chez les femmes dans les îles Samoa américaines. Elle avoisine 15% dans les deux sexes en Mélanésie, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. On peut éventuellement trouver un certain réconfort en relevant qu’en 2014, c’est en Europe que la prévalence du diabète, normalisée selon l'âge, est la plus basse : en particuliers dans le nord-ouest et sud-ouest de l'Europe chez les femmes (inférieure à 5%) et en Europe du nord-ouest (Suisse, Autriche, Danemark, Belgique et Hollande) chez les hommes (5,8% [95% IC 3,6-8,7]).

L’objectif de stopper la progression du diabète d’ici 2025 risque également d’être difficile à atteindre. En effet, cette étude montre qu’aucun pays ne présente de diminution statistiquement significative de la prévalence du diabète entre 1980 à 2014. L'augmentation au cours de ces 35 années était inférieure à 20% dans 9 pays pour les hommes, principalement dans le Nord-Ouest de l’Europe, et dans 39 pays pour les femmes. Au cours de la même période, la prévalence du diabète de l’adulte, normalisée selon l'âge, a au moins doublé pour les hommes dans 120 pays et pour les femmes dans 87 pays ! Les auteurs ont pu ainsi estimer que dans le monde entier, si les tendances post-2000 se poursuivent, la probabilité de mettre un terme à la hausse de prévalence du diabète d'ici 2025 est inférieure à 1% chez les hommes et tout juste de 1% chez les femmes. Seuls 9 pays, principalement en Europe du nord-ouest, ont une probabilité d’au moins 50% d'atteindre l'objectif global pour les hommes, contre 29 pays pour les femmes.

Plus effrayant encore, si les tendances des années post-2000 se poursuivent, la prévalence du diabète en 2025 sera de 12,8% (95% ICr 8,3-19,6) chez les hommes et de 10,4% (95% ICr 7,1-15,1) chez les femmes. Le nombre d'adultes atteints de diabète dépassera alors 700 M : leur nombre était estimé à 108 M en 1980 et 422 M en 2014...

Ces études confirment nos craintes nées de publications antérieures [4-7]. Au cours des quatre dernières décennies, nous sommes passés d'un monde où la prévalence de la maigreur était plus de 2 fois supérieure à celle de l'obésité, à une situation où plus de personnes sont obèses que maigres, à la fois au niveau mondial et dans toutes les régions, à l'exception de zones de l'Afrique sub-saharienne et en Asie. Si les tendances post-2000 se poursuivent, non seulement le monde n'atteindra l'objectif global de mettre un terme à l'augmentation de l'obésité, mais aussi l'obésité sévère dépassera l'insuffisance pondérale chez les femmes en 2025. Comme le soulignent les auteurs, l'attention mondiale centrée sur l'épidémie d'obésité a largement éclipsé la persistance de la maigreur dans certains pays. Cette épidémie mondiale d’obésité participe clairement à l’augmentation dramatique de la prévalence du diabète (qui a quadruplé en 35 ans), phénomène toutefois fortement aggravé dans certains pays par la croissance démographique et le vieillissement.

Il est donc urgent de mettre en œuvre des interventions auprès des populations les plus à risques afin de prévenir, de détecter précocement les prises de poids et le diabète. Les leviers du changement sont bien sûr des modifications du style de vie, mais aussi des politiques sociales et alimentaires courageuses [8]. Il faut une responsabilisation renforcée des gouvernements afin de limiter l'influence des acteurs du secteur privé qui interfèrent souvent sur le développement des politiques : amélioration de la transparence, suivi des actions, gestion des conflits d'intérêts, renforcement de l'engagement de la société civile pour la création d’environnements alimentaires sains… Autant de pistes à explorer rapidement car 2025, c’est demain !

 

Références

 
[2] Global Burden of Metabolic Risk Factors for Chronic Diseases Collaboration. Cardiovascular disease, chronic kidney disease, and diabetes mortality burden of cardiometabolic risk factors from 1980 to 2010: a comparative risk assessment. Lancet Diabetes Endocrinol. 2014 Aug;2(8):634-47.
 
[3] Seuring T, et al. The economic costs of type 2 diabetes: a global systematic review. Pharmacoeconomics. 2015 Aug;33(8):811-31.
 
[4] Ng M, et al. Global, regional, and national prevalence of overweight and obesity in children and adults during 1980–2013: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013. Lancet. 2014 Aug 30;384(9945):766-81.
 
[5] Stevens GA, et al. National, regional, and global trends in adult overweight and obesity prevalences. Popul Health Metr. 2012 Nov 20;10(1):22.
 
[6] Guariguata L, et al. Global estimates of diabetes prevalencefor 2013 and projections for 2035. Diabetes Res Clin Pract 2014;103: 137-49.
 
[7] International Diabetes Federation. IDF Diabetes Atlas, 6th edn. Brussels: International Diabetes Federation, 2013.
 
[8] Dietz WH, et al. Management of obesity: improvement of health-care training and systems for prevention and care. Lancet. 2015 Jun 20;385(9986):2521-33.
 


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