jeudi 6 juillet 2023

Essai croisé randomisé comparant comptage des glucides versus estimation qualitative simplifiée de la taille des repas chez le patient diabétique de type 1 en boucle fermée

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Juin 2023
 
Article du mois en accès libre
 
Haidar A & al., A Randomized Crossover Trial to Compare Automated Insulin Delivery (the Artificial Pancreas) With Carbohydrate Counting or Simplified Qualitative Meal-Size Estimation in Type 1 Diabetes. Diabetes Care. 2023 46(7):1–7. doi : 10.2337/dc22-2297

 

Les systèmes automatisés de délivrance de l’insuline ou système de boucle fermée (BF) représentent aujourd’hui un tournant technologique dans la prise en charge des patients diabétiques de type 1 (DT1). Basés sur un algorithme mathématique intégrant les données de mesure continue du glucose (MCG) d’un capteur pour titrer la délivrance d’insuline via une pompe à insuline externe, la BF améliore le contrôle glycémique par rapport à un traitement par pompe externe couplée ou non à un système de MCG [1,2]. Néanmoins, si l’on utilise en pratique courant le terme de BF, les algorithmes actuels requièrent encore l’action du patient au moment des repas par l’annonce préalable du contenu en glucides du repas à venir. Les patients doivent donc avoir été formés à la pratique de l’insulinothérapie fonctionnelle (ITF), prérequis à toute mise en place de BF. Pour autant, le calcul des glucides n’est pas si aisé, conduisant à une estimation erronée de l’ordre de 20% [3,4]. Il représente également une charge mentale pour les patients et peut conduire certains d’entre eux à privilégier la consommation de produits industriels dont la composition est disponible sur l’emballage [5]. Ainsi, proposer une stratégie alternative basée sur la simple annonce des repas ou une évaluation qualitative plutôt que quantitative pourrait s’avérer intéressant. Des systèmes de BF utilisant de telles stratégies ont déjà été évalués [6,7]. Pour autant, à ce jour, aucune étude n’a comparé ces stratégies alternatives par rapport à la méthode de référence du comptage des glucides en BF.

Ainsi, l’objectif de cette étude était de comparer de manière croisée comptage des glucides de manière conventionnelle et estimation qualitative des glucides dans le cadre d’un traitement par BF pendant 3 semaines chez des patients vivant avec un DT1.

Pour ce faire, les auteurs ont mené un essai bicentrique, randomisé, croisé, de non-infériorité, de 3 semaines en BF pour chacun des bras, en utilisant soit un comptage des glucides soit une estimation qualitative de la taille des repas chez des adultes présentant un DT1. Concernant l’évaluation qualitative, quatre catégories ont été définies comme suit : contenu en glucides faible, moyen, élevé ou très élevé correspondant à <30 g, 30-60 g, 60-90 g et >90 g de glucides, respectivement. Les doses prandiales en insuline ont alors été calculées selon le ration insuline/glucides de chaque patient multiplié par respectivement 15, 35, 65 et 95, selon la catégorie. Les algorithmes de BF étaient identiques dans les deux bras. Le critère de jugement principal était le temps compris entre 3,9 et 10,0 mmol/L soit 70-180 mg/dL (Time in Range [TIR]), avec une marge de non-infériorité prédéfinie de 4 %. Les objectifs secondaires incluaient le temps passé en-dessous et au-dessus de la cible, la glycémie à jeun à 6h00 et la variabilité glycémique.

Au total, 30 participants ont complété les 2 interventions et ont été inclus dans l’analyse. Parmi ces 30 participants, 20 étaient des femmes, l’âge moyen (± écart-type) était de 44 (±17) ans, l’indice de masse corporelle moyen était de 28 (±6) kg/m2, l’HbA1c moyenne était de 7,4% (±0,7) avec une durée de diabète de 28 (±14) années et une dose totale d’insuline quotidienne de 0,67 (±0,22) UI/kg. Concernant le critère primaire de jugement, le temps passé dans la cible (TIR) soit entre 3,9 et 10,0 mmol/L (70-180 mg/dL) était de 74,1% (±10,0%) avec le compte des glucides et 70,5% (±11,2%) avec l’évaluation qualitative de la taille des repas. La différence entre les 2 stratégies était de -3,6% (±8,3%, p=0,0018) avec une non-infériorité n’atteignant pas la significativité (p non-infériorité = 0,78). Onze participants (37%) présentaient une différence de TIR <4% entre les 2 stratégies, 15 participants (50%) présentaient un TIR plus élevée (> 4%) avec le comptage des glucides alors que seuls 4 participants (13%) présentaient un meilleur TIR (> 4%) avec l’évaluation qualitative. La fréquence des hypoglycémies étaient faibles dans les 2 bras avec un temps passé <3,9 mmol/L (70mg/dL) de 1,4% [0,6-2,9] vs. 1,6% [0,6-2,8] et un temps passé <3,0 mmol/L (54 mg/dL) de 0,2% [0,0-0,7] vs 0,1% [0,0-0,5], respectivement pour le comptage des glucides vs l’évaluation qualitative. La quantité d’insuline délivrée en période prandiale était similaire entre les 2 bras (en moyenne, 21UI/jour). En revanche, la dose d’insuline basale délivrée par le système était significativement supérieure dans le bras « évaluation qualitative ».

Cette étude visait à comparer, dans un essai croisé randomisé, deux stratégies d’évaluation des glucides (comptage des glucides vs. évaluation qualitative de la taille des repas) dans le cadre de la BF chez des patients DT1. Si l'estimation qualitative de la taille des repas a conduit à un TIR élevé et une faible occurrence des hypoglycémies, le TIR était néanmoins moindre de 3,6% par rapport à la stratégie de comptage des glucides et la non-infériorité (avec une marge prédéfinie de 4%) n'a pas été confirmée. Néanmoins, on notera que la moitié des participants ont eu un TIR meilleur ou non inférieur (différence <4 %) avec l'estimation qualitative de la taille des repas, suggérant que cette stratégie pourrait être appropriée pour certains patients. L’utilisation d’une catégorisation des repas identiques entre les participants tout comme une catégorisation similaire entre les repas pourraient avoir limité les observations. Une meilleure individualisation de l’évaluation qualitative pourrait permettre d’obtenir de meilleurs résultats. De même, dans l’évaluation qualitative, seule la quantité de glucides a été considérée. Ainsi, la prise en compte des autres nutriments (protéines et lipides) pourrait également être une perspective d’amélioration pour cette stratégie.

Cette étude montre que la stratégie d’évaluation qualitative de la taille des repas en termes de contenu en glucides permet d’obtenir des résultats glycémiques satisfaisants dans le cadre d’un traitement par BF comparativement à la technique de référence de comptage des glucides. Si cette dernière semble néanmoins supérieure, certains patients, pour lesquels l’acquisition et/ou la pratique de l’ITF sont difficiles, pourraient bénéficier de cette stratégie alternative. Des études complémentaires sont nécessaires afin de valider ces résultats et d’apporter des améliorations à cette stratégie.

 

Références

[1] Thabit, H. & al. Home Use of an Artificial Beta Cell in Type 1 Diabetes. N Engl J Med 2015, 373, 2129–2140.
 
[2] Brown, S.A. & al. Six-Month Randomized, Multicenter Trial of Closed-Loop Control in Type 1 Diabetes. N Engl J Med 2019, 381, 1707–1717.
 
[3] Mehta, S.N. & al. Impact of Carbohydrate Counting on Glycemic Control in Children with Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2009, 32, 1014–1016.
 
[4] Brazeau, A.S. & al. Carbohydrate Counting Accuracy and Blood Glucose Variability in Adults with Type 1 Diabetes. Diabetes Res Clin Pract 2013, 99, 19–23.
 
[5] Mehta, S.N. & al. Emphasis on Carbohydrates May Negatively Influence Dietary Patterns in Youth with Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2009, 32, 2174–2176.
 
[6] Weinzimer, S.A. & al. Fully Automated Closed-Loop Insulin Delivery versus Semiautomated Hybrid Control in Pediatric Patients with Type 1 Diabetes Using an Artificial Pancreas. Diabetes Care 2008, 31, 934–939.
 
[7] Russell, W.R. & al. Impact of Diet Composition on Blood Glucose Regulation. Critical Reviews in Food Science and Nutrition 2016, 56, 541–590.
 


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