mardi 30 avril 2019

CGM et grossesse dans le diabète de type 1 en vraie vie : pas d’effet sur les complications fœto-obstétricales

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Avril 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Kristensen K et al. Continuous glucose monitoring in pregnant women with type 1 diabetes: an observational cohort study of 186 pregnancies. Diabetologia 2019 Mar 23.  doi: 10.1007/s00125-019-4850-0[Epub ahead of print].

 

Malgré l’utilisation, maintenant quasi systématique, de schémas d’insulinothérapie intensifiée chez les patientes diabétiques de type 1 (DT1) pendant la grossesse, l’incidence de la croissance fœtale accélérée (LGA – large for gestationnal age) reste très fréquente puisqu’elle concerne environ 50% de ces grossesses [1]. Les fœtus LGA de femmes DT1 présentent d’une part un sur-risque de complications néonatales à court terme (macrosomie, dystocie des épaules, hypoglycémie néonatale, admission en réanimation néonatale notamment) mais également un sur-risque cardiométabolique à plus long terme (obésité, diabéte, pathologies cardiovasculaires) [2,3]. Le principal déterminant de la croissance fœtale accélérée et des risques qui y sont associés est l’hyperglycémie maternelle, raison pour laquelle il est recommandé de viser la normoglycémie pendant la grossesse des femmes DT1. Dans cette situation, l’équilibre glycémique est le plus souvent évalué via la réalisation pluriquotidienne de glycémies capillaires et le dosage trimestriel de l’HbA1c. Dans les registres de vraie vie, le contrôle optimal de ces paramètres n’est obtenu que dans moins de 50% des grossesses DT1, reflétant la grande difficulté de l’ajustement des doses d’insuline et de la diététique pendant cette période [4]. De plus, les glycémies capillaires et l’HbA1c ne révèlent pas la grande variabilité intra et inter-journalière fréquemment observée dans le DT1 et que seule la mesure continue du glucose (CGM – continuous glucose monitoring) peut révéler [5]. Plusieurs études prospectives évaluant l’intérêt du CGM pendant la grossesse des femmes DT1 ont été réalisées, avec des résultats hétérogènes selon que ce système était utilisé par périodes intermittentes ou pendant toute la grossesse, cette dernière option étant associée à un meilleur contrôle glycémique et à une diminution de l’incidence des fœtus LGA et des hypoglycémies néonatales [6]. Cependant, l’association des mesures CGM maternelles aux évènements fœtaux n’a jamais été évaluée, en vraie vie, dans une large population de grossesses DT1. C’est l’objet de cette étude rétrospective menée en Suède, pays dans lequel le CGM est utilisé en routine clinique, depuis plusieurs années, pendant la grossesse des femmes DT1.

Les données de deux centres obstétricaux suédois ont ainsi été analysées rétrospectivement sur la période 2014-2017, à la recherche des grossesses de patientes DT1 de plus de 18 ans, ayant utilisé un CGM et le système de télésurveillance Diasend® qui permet de colliger à distance l’ensemble des données de glucose interstitiel. Les auteurs ont ensuite exclu les grossesses multiples et les grossesses aboutissant à une fausse couche. Après application de ces critères, 186 patientes DT1 ont été retenues pour être incluses dans cette étude. Parmi ces femmes, 84 étaient déjà utilisatrices d’un CGM avant le début de leur grossesse et pour les 102 autres patientes, le CGM a été mis en place dès la première visite de suivi de la grossesse. Il faut souligner que les patientes ont utilisé le CGM de façon permanente pendant toute la grossesse. Le système Dexcom®G4 (rtCGM – real time CGM) (n=92) et le système FreeStyle Libre® (iCGM – intermittent CGM) (n=94) ont été les deux dispositifs utilisés dans cette étude. Les données de ces deux systèmes étaient récupérées en temps réel par les centre obstétricaux via le système de télésurveillance Diasend®, et analysées de façon hebdomadaire par un médecin diabétologue ou une infirmière experte en diabétologie qui conseillaient en retour les patientes quant à l’adaptation des doses d’insuline, afin de viser des taux de glucose ≤ 110 mg/dL à jeun, ≤ 145 mg/dL en post-prandial et entre 110 et 145 mg/dL au coucher. Les paramètres CGM recommandés par le consensus international [7] ont été calculés pour l’ensemble de la grossesse ainsi que pour chaque trimestre (<13 ; 13-28 ; > 28 semaines de gestation). Quelques données CGM ont dû être exclues lorsqu’il y avait moins de 80 de données sur une période de 14 jours. Les critères d’évaluation fœtaux et obstétricaux étaient les suivants : incidence des fœtus LGA et un critère combiné d’événements néonataux comprenant une macrosomie (poids de naissance > 4500 g), une dystocie des épaules, une hypoglycémie néonatale et/ou une admission en réanimation néonatale pour une durée de plus de 24 heures.

Concernant les données au début de la grossesse, les deux groupes (rtCGM et iCGM) étaient comparables sauf pour le pourcentage de patientes sous pompe à insuline (42 vs 16% ; p<0,001) et pour l’ancienneté du diabète (17 vs 14 années ; p<0,05). Pour l’ensemble de la cohorte, le temps moyen dans la cible (TIR60-140 – time in range 60-140 mg/dL) augmentait au cours de la grossesse, passant d’environ 40-50% au premier trimestre à 60-70% au dernier trimestre. En miroir, le temps au dessus de 140 mg/dL diminuait pendant la grossesse, de 40-50% au premier trimestre à 25-35% au dernier trimestre. Enfin, le temps en dessous de 60 mg/dL augmentait pendant le premier trimestre pour être maximal au début du deuxième trimestre (6%) et diminuait ensuite jusqu’à la fin de la grossesse pour atteindre environ 4% à terme. Le auteurs ont donc observé une amélioration globale de l’équilibre glycémique entre le premier et le troisième trimestre (p<0,001). Les résultats pour le temps dans la cible et le temps au dessus de la cible n’étaient pas significativement différents entre les deux groupes rtCGM et iCGM. En revanche, le temps passé en hypoglycémie était significativement plus faible (de même que le LBGI -  low blood glucose index) dans le groupe rtCGM versus iCGM sur l’ensemble de la grossesse (p<0,05). Tous les autres paramètres CGM analysés étaient identiques dans les deux groupes (glycémie moyenne, déviation standard, coefficient de variation, MAGE (mean amplitude of glucose excursion), HBGI (high blood glucose index).
Les événements fœtaux et obstétricaux n’étaient pas non plus différents chez les femmes rtCGM ou iCGM : le terme médian était de 38 semaines avec un taux de césarienne de 47% ; le taux de LGA était de 53%. Les auteurs ont ensuite analysé les caractéristiques des femmes qui portaient un enfant LGA comparativement à celles qui portaient un enfant dont la croissance était normale (non LGA). Après ajustement sur l’âge, le statut tabagique, l’indice de masse corporelle, et le type de dispositif utilisé (rtCGM ou iCGM), Kristensen K et al. ont mis en évidence que le risque de LGA était significativement associé, au deuxième et au troisième trimestres, à un taux moyen de glucose et un temps au dessus de 140 mg/dL plus élevés, ainsi qu’un TIR60-140 et un temps en dessous de 60 mg/dL plus faibles. Par exemple, au 2ème trimestre, le glucose moyen était de 138 ± 18 vs 129 ± 24 mg/dL, le temps au dessus de 140 mg/dL de 41,9 ± 12,8 vs 34,0 ± 15,9%, le TIR60-140 de 51,8 ± 12,3 vs 57,9 ± 14,4% et le temps en dessous de 60 mg/dL de 6,4 ± 4,5 vs 8,0 ± 5,7% chez les femmes portant un enfant LGA versus non LGA (p<0,05). De plus, également au cours des deux derniers trimestres, le LBGI était plus bas en cas de LGA versus non LGA (p<0,01). Enfin, au cours du deuxième trimestre de grossesse, la déviation standard du glucose interstitiel était plus élevée en cas de LGA (53 ± 11 vs 49 ± 13 mg/dL ; p<0,05). Bien sûr, le risque de LGA était associé, à tous les trimestres, à une HbA1c plus élevée (par exemple, au deuxième trimestre 6,4 ± 0,7 vs 6,1 ± 0,8% ; p=0,02). Des résultats similaires ont été retrouvés pour le critère combiné des complications obstétricales et néonatales, la survenue de ces complications étant associée à une HbA1c, un glucose moyen, un temps au dessus de 140mg/dL plus élevés, et à un TIR60-140, un temps en dessous de 60mg/dL, un LBGI plus bas (p<0,05).

Cette publication rapporte pour la première fois en situation de vie réelle, l’évolution des paramètres CGM au cours de la grossesse des femmes DT1 ainsi que les associations observées entre ces paramètres CGM et la survenue des évènements fœtaux, obstétricaux et néo-nataux. De plus, cette étude suggère une non infériorité du iCGM comparativement au rtCGM, sur la survenue de ces évènements. Cette dernière information doit être prise avec précaution compte tenu du caractère observationnel de cette étude et des biais potentiellement associés. Cette étude nous montre également que malgré l’utilisation du CGM associée à une interaction hebdomadaire entre les centres experts et cette population de femmes DT1, les taux de LGA et de césarienne sont restés élevés (53 et 47%, respectivement), à un niveau comparable à ce qui a été retrouvé dans la plupart des études récentes dans lesquelles les femmes n’utilisaient pas le CGM. Cette constatation devrait nous inciter à renforcer encore la prise en charge des femmes DT1 équipées de CGM pendant la grossesse, par un suivi rapproché et des adaptations répétées des mesures thérapeutiques. On peut espérer que dans un avenir proche, les systèmes de boucle fermée puissent optimiser l’utilisation des données de glucose interstitiel et permettre une diminution des complications foeto-obstétricales.

 

Références

[1] Persson M et al. Birth size distribution in 3,705 infants born to mothers with type 1 diabetes: a population-based study. Diabetes Care 2011;34:1145-1149.
 
[2] Persson M et al. Disproportionate body composition and perinatal outcome in large-for-gestational-age infants to mothers with type 1 diabetes. BJOG 2012;119:565-572.
 
[3] Clausen TD et al. (2008) High prevalence of type 2 diabetes and pre-diabetes in adult offspring of women with gestational diabetes mellitus or type 1 diabetes: the role of intrauterine hyperglycemia. Diabetes Care 2018;31:340-346.
 
[4] Murphy HR et al. Improved pregnancy outcomes in women with type 1 and type 2 diabetes but substantial clinic-to-clinic variations: a prospective nationwide study. Diabetologia 2017;60:1668-1677.
 
[5] Monnier L et al. Toward Defining the Threshold Between Low and High Glucose Variability in Diabetes. Diabetes Care 2017;40:832-838.
 
[6] Feig DS et al. Continuous glucose monitoring in pregnant women with type 1 diabetes (CONCEPTT): a multicentre international randomised controlled trial. Lancet 2017;390:2347-2359.
 
[7] Danne T et al. International consensus on use of continuous glucose monitoring. Diabetes Care 2017;40:1631-1640.
 


from Société Francophone du Diabète http://bit.ly/2UQ5CgT

vendredi 5 avril 2019

Score calcique coronaire et prédiction du risque cardiovasculaire : ça marche aussi dans le diabète de type 1

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Mars 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Guo J et al. The role of coronary artery calcification testing in incident coronary artery disease risk prediction in type 1 diabetes. Diabetologia 2019;62:259-268. doi: 10.1007/s00125-018-4764-2

 

Le risque cardiovasculaire (CV) n’est pas toujours évalué et pris en compte à sa juste mesure chez les patients atteints de diabète de type 1 (DT1). La glycémie et les complications microvasculaires restent en général le principal focus de la prise en charge. Pourtant, il a récemment été montré que le risque CV était fortement augmenté chez le DT1 et entraînait une diminution de l’espérance de vie pouvant aller jusqu’à une quinzaine d’année lorsque le diabète débutait avant 10 ans [1]. Il faut cependant reconnaître que les stratégies d’évaluation du risque CV ne s’appliquent pas ou peu chez les patients DT1 : les modèles de prédiction existant sont dérivés de la population générale ou de patients atteints de diabète de type 2 (DT2). De plus, le dépistage myocardique chez des patients asymptomatiques a montré qu’il n’apportait pas de bénéfice et entraînait le patient dans un processus de surmédicalisation potentiellement délétère. Parmi les nombreux marqueurs intermédiaires du risque CV, le score calcique (CAC – Coronary Artery Calcification) semble tirer son épingle du jeu : c’est un examen simple, facile d’accès, non invasif et qui permet de prédire le risque CV à long terme. Cependant, cette prédiction n’est validée que dans la population générale et chez les DT2, mais pas chez les DT1. C’est l’objectif de cette étude observationnelle prospective.

La cohorte étudiée ici est la Pittsburgh Epidemiology of Diabetes Complications (EDC) study, cohorte historique de patients DT1, qui a inclus des DT1 diagnostiqués avant l’âge de 17 ans, dans l’année suivant la découverte, entre 1950 et 1980. Ici ont été étudié 292 participants sans antécédent CV ayant eu une mesure de CAC entre 1996 et 1998. Parmi eux, 181 ont eu un (ou plusieurs) nouveau(x) CAC entre 2000 et 2002 et/ou entre 2004 et 2006. Le CAC était quantifié conventionnellement par unité Agatston. Le statut CV était évalué 2 fois par an toute la durée du suivi. Un événement coronarien (critère de jugement principal) était défini par un angor, un infarctus du myocarde, une sténose coronaire ≥ 50%, une revascularisation coronaire ou un ECG avec signes d’ischémie. L’incidence des événements était évaluée selon le premier CAC de trois façons : 4 catégories de CAC (0, 1–99, 100–399 and ≥400), 2 catégories (<100 and ≥100), et le CAC en variable continue (après log-transformation). Plusieurs modèles d’ajustement ont été utilisés intégrant les facteurs de risque classique (sexe, durée de diabète, tabac, IMC, HbA1c, hypertension artérielle, albuminurie, HDL- et non-HDL cholestérol, statines). La progression du CAC était également analysée vis-à-vis du risque d’événement coronarien.

L’âge moyen à l’inclusion (premier CAC) était de 39,4 ans et la durée moyenne de diabète de 29,5 ans. Après une durée moyenne de suivi de 10,7 ans, un événement coronarien était survenu chez 76 participants (26%) dont 17% d’IDM fatals et 20% d’IDM non fatals. De façon non surprenante, les participants avec un CAC élevé étaient plus souvent fumeurs, avaient une durée de diabète plus longue et une albuminurie plus élevée. Les sujets ayant fait un événement coronarien avaient un CAC beaucoup plus élevé. Le niveau de CAC était fortement et significativement associé au risque d’événement coronarien avec un Hazard Ratio (95%CI) après ajustement de 3,1 (1,6-6,1), 4,4 (2,0-9,5) et 4,8 (1,9-12,0) respectivement pour les groupes CAC 1–99 (n=86), 100–399 (n=39) et ≥400 (n=19) en comparaison au groupe CAC 0 (n=148). Les résultats étaient similaires pour les autres catégorisations du CAC (binaire et continue) et lorsque qu’uniquement les IDM fatals et non fatals étaient pris en compte.
Chez les patients ayant eu des mesures répétées de CAC, la progression annuelle du CAC étaient également significativement associée au risque d’événements coronariens même après ajustement sur le CAC à l’inclusion. Ainsi, les patients au-dessus de la médiane avaient un HR ajusté de 2,8 (1,1-7,5), p=0,039 en comparaison à ceux en-dessous de la médiane.
Ces résultats montrent donc que le CAC peut être utilisé chez les DT1 comme intégrateur du risque CV afin de mieux évaluer le risque et mettre en place les stratégies de prévention adéquate. Ces résultats sont soutenus par une étude récente du DCCT/EDIC qui a analysé chez 1205 participants l’association entre le CAC (mesuré durant EDIC entre l’année 7 et 9) et le risque d’événements CV survenant pendant les 10 à 13 années suivantes [2]. Après ajustement sur de multiples facteurs, le risque d’événements CV majeurs (IDM non fatal, AVC non fatal, décès CV) était fortement augmenté chez les participants avec CAC entre 100 et 300 (HR 6,05 (2,56-14,30), p<0,0001) et > 300 (HR 5,57 (2,33-13,35) p=0,0001) en comparaison à ceux avec CAC à 0. Reste à savoir si la réalisation du CAC s’accompagnera d’une diminution du taux de survenue d’événements CV chez les patients DT1 (également chez les patients DT2 puisqu’aucune étude randomisée n’a pour l’instant évalué l’impact du CAC sur le risque CV). En attendant, le CAC peut aider le clinicien à mettre en œuvre les mesures de prévention nécessaires au moment opportun, ce qui n’est pas toujours évident à déterminer dans cette population.

 

Références

[1] TRawshani A, et al. Excess mortality and cardiovascular disease in young adults with type 1 diabetes in relation to age at onset: a nationwide, register-based cohort study. Lancet 2018;392:477-486.
 
[2] Budoff M et al. The Association of Coronary Artery Calcification With Subsequent Incidence of Cardiovascular Disease in Type 1 Diabetes: The DCCT/EDIC Trials. JACC Cardiovasc Imaging 2019 Mar 8. pii: S1936-878X(19)30143-3.
 


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