jeudi 28 février 2019

Anticorps anti-cœur :  vers un nouveau biomarqueur du risque cardiovasculaire dans le diabète de type 1 ?

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Février 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Campbell-Thompson ML et al. Relative Pancreas Volume Is Reduced in First-Degree Relatives of Patients With Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2018. doi: 10.2337/dc18-1512

 

Malgré les progrès concernant la prise en charge thérapeutique des patients atteints de diabète de type 1 (DT1), le risque cardiovasculaire reste largement augmenté dans cette population, d’autant plus lorsque l’équilibre glycémique est mauvais, ce qui concerne jusqu’à un tiers de ces patients [1]. Dans cette population, l’hyperglycémie tient un rôle prépondérant dans la survenue des événements cardiovasculaires, comparativement aux patients atteints de diabète de type 2 (DT2) pour lesquels d’autres facteurs de risque cardiovasculaire sont plus souvent intriqués. Une autre particularité du DT1 est qu’il s’agit d’une pathologie auto-immune qui peut être interprétée comme une réponse immunitaire inadaptée en réaction à des lésions cellulaires des îlots de Langerhans. Bien que cette réaction dysimmunitaire soit principalement médiée par la mise en jeu de l’immunité cellulaire (lymphocytes T), la présence d’auto-anticorps spécifiques des îlots est un marqueur biologique prédictif robuste de survenue du DT1 [2]. Probablement à l’instar de ce qui se passe pour les îlots, une autoimmunité cellulaire cardiaque, ainsi que la présence d’auto-anticorps anti chaine-alpha de la myosine ont été mises en évidence sur des modèles animaux et humains de DT1 en post-infarctus du myocarde, alors qu’une telle réponse immunitaire ne semble pas exister dans les modèles de DT2 avec lésion cardiaque [3]. L’hyperglycémie du DT1 étant à l’origine de lésions des cardiomyocytes, une équipe du prestigieux Joslin Diabetes Center de Boston a émis une hypothèse originale : l’hyperglycémie chronique pourrait induire une auto-immunité cardiaque chez les patients DT1, et cette dysfonction immunitaire et l’état inflammatoire qui y est associé pourraient majorer le risque cardiovasculaire de ces patients.

Afin de tester cette hypothèse, cette équipe a pu accéder à la base de données du DCCT (Diabetes Control and Complications Trial), étude qui a permis d’évaluer notamment la survenue d’évènements cardiovasculaires sur une large cohorte de patients DT1 dont le niveau de contrôle glycémique était variable selon qu’ils avaient été randomisés dans le groupe « conventionnel » ou « intensif ». De plus, les données à long terme de l’étude observationnel post-DCCT EDIC (Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications) ont également pu être analysées dans ce travail. Il faut rappeler que la cohorte de l’étude DCCT a été constituée en 1983 et comportait 1441 patients DT1 initialement indemnes de pathologie cardiovasculaire, d’hypertension et d’hypercholestérolémie. Durant les 10 années de suivi, les traitements « conventionnel » et « intensif » ont permis d’obtenir une HbA1c moyenne de 9,1 et 7,2%, respectivement. Après les 10 années d’intervention, les patients ont continué d’être suivi annuellement, de 1994 jusqu’à actuellement, avec une HbA1c moyenne de 8% pour l’ensemble de la cohorte. Parmi les patients de cette cohorte, les auteurs ont sélectionné des sujets qui présentaient, pendant la phase interventionnelle DCCT, une HbA1c inférieure à 7% dans le groupe « intensif », ainsi que des sujets appariés sur l’âge, le sexe et l’ancienneté de diabète qui présentaient une HbA1c supérieure à 9% dans le groupe « conventionnel ». Les patients qui, pendant la phase DCCT, avaient présenté un événement cardiovasculaire (infarctus ou AVC non fatal, décès cardiovasculaire, syndrome coronarien aigu, insuffisance cardiaque ou revascularisation coronaire) ou développé une atteinte rénale (albuminurie ≥ 300 mg/24h et/ou débit de filtration glomérulaire ≤ 60 mL/min), ont été exclus de l’analyse. Pour chacun des patients sélectionnés, les auteurs ont eu accès à au moins trois échantillons de sérum, prélevés longitudinalement pendant l’étude DCCT, sur lesquels la recherche d’auto-anticorps cardiaque a pu être réalisée. Ainsi, 166 patients de l’étude DCCT ont pu être analysés, 83 avec HbA1c ≤ 7% et 83 avec HbA1c ≥ 9%, ainsi que les 266 et 234 échantillons biologiques associés à ces deux groupes de patients, respectivement.

En complément de DCCT/EDIC, trois autres bases de données et biobanques ont été utilisées, afin de servir de contrôle : (i) une cohorte de patients DT2 sans atteinte cardiovasculaire clinique, avec un sous-groupe de 140 sujets avec HbA1c ≤ 7% et un sous-groupe de 70 sujets avec HbA1c ≥ 9% ; (ii) une cohorte de 51 patients atteints de cardiomyopathie chronique de Chagas (Fraction d’éjection moyenne 32%) ; (iii) une cohorte de 115 sujets contrôles en bonne santé. Ce n’est pas un seul auto-anticorps mais un panel d’auto-anticorps cardiaques qui ont été recherchés par immuno-précipitation en phase liquide sur les échantillons disponibles pour l’ensemble de ces patients : anticorps anti chaîne lourde de la myosine, anti sous-unité béta, anti troponine I, anti fragment S1 et anti fragment S2 de la myosine. Les événements cardiovasculaires ont été définis selon un critère composite regroupant les infarctus non fatals, les accidents vasculaires cérébraux non fatals, les décès cardiovasculaire, l’insuffisance cardiaque et les revascularisations coronaires qui sont survenus entre le début de l’étude DCCT et la 20ème année du suivi EDIC. De plus, le score calcique coronaire mesuré entre la 7ème et la 9ème année de la phase EDIC a également été pris en compte.

Les caractéristiques de départ des deux sous-groupes de patients DT1 issus de l’étude DCCT/EDIC étaient globalement comparables, mis à part l’âge des patients qui était de 28±6 et 26±7 ans dans les sous-groupes d’HbA1c ≤ 7 et ≥ 9%, respectivement (p=0,03). Il faut souligner que les profils HLA et la présence d’Ac anti GAD et IA2 étaient similaires entre ces deux sous-groupes.

Au moins 1 auto-anticorps cardiaque était positif pour 46% des patients DT1 avec HbA1c ≥ 9%, 2% des patients DT1 avec HbA1c ≤ 7%, 51% des patients atteints de cardiopathie de Chagas, 7 et 8% des patients DT2 avec HbA1c ≥ 9 et ≤ 7%, respectivement, et 4% des sujets contrôles. L’auto-anticorps cardiaque le plus souvent détecté pour les patients DT1 avec HbA1c ≥ 9% était l’anti-fragment S1, retrouvé pour 27% des sujets de ce sous-groupe, une prévalence similaire aux 31% de patients présentant ce même anticorps dans la cohorte de cardiomyopathie de Chagas. En comparaison, cet anticorps n’était détecté pour aucun des patients DT1 avec HbA1c ≤ 7%. Par ailleurs, les auto-anticorps cardiaques ont été mesurés à des taux significativement plus élevés chez les patients DT1 avec HbA1c ≥ 9%, comparativement aux patients DT1 avec HbA1c ≤ 7%. De plus, la cinétique temporelle des taux d’auto-anticorps était différente dans ces deux sous-groupes, les taux tendant à augmenter chez les DT1 mal équilibrés (HbA1c ≥ 9%) et inversement à diminuer chez les DT1 bien équilibrés (HbA1c ≤ 7%). L’analyse des évènements cardiovasculaires lors du suivi EDIC a montré que la présence d’au moins deux auto-anticorps cardiaques conférait un sur-risque cardiovasculaire majeur (HR 16,1 ; p=0,001). De même, le risque que le score calcique coronaire soit pathologique était également très augmenté chez les patients DT1 porteurs d’au moins deux auto-anticorps (OR 26,7 ; p<0,001). Ce résultat restait identique après ajustements multiples sur le sexe, le statut tabagique et l’hypertension artérielle. Enfin, les patients avec ≥ 2 auto-anticorps cardiaques présentaient un taux plus élevé de CRPus comparativement à ceux avec ≤ 1 auto-anticorps cardiaque (6 vs 1,4 mg/L ; p=0,003).

En résumé, cette analyse montre que chez les patients DT1 sans pathologie cardiovasculaire ou rénale préexistante, le mauvais contrôle glycémique est associé au développement d’une auto-immunité cardiaque. De plus, cette auto-immunité cardiaque est associée à un sur-risque de maladie athéromateuse et d’évènements cardiovasculaires. Enfin, la présence de ces auto-anticorps est également associée à un état inflammatoire qui pourrait faire le lien entre la présence de ces anticorps et la pathologie athéromateuse. Le mécanisme initial du développement de cette auto-immunité cardiaque serait médié par la survenue de lésions myocardiques infracliniques secondaires à l’hyperglycémie. Ces lésions « exposeraient » des protéines musculaires cardiaques qui seraient alors les antigènes responsables de la réponse auto-immune favorisant l’état pro-inflammatoire responsable de l’augmentation du risque vasculaire. La présence similaire d’auto-anticorps cardiaques chez les patients atteints de cardiomyopathie de Chagas renforce cette hypothèse. Le traitement intensif du diabète semble diminuer cette réponse auto-immune cardiaque en réduisant les lésions myocardiques et ainsi l’exposition des antigènes.

Même si ces résultats nécessitent d’être confirmés dans d’autres études, l’auto-immunité cardiaque semble intéressante et pourrait représenter un biomarqueur précoce du risque cardiovasculaire chez les patients DT1. Il faudrait alors que soient développés des kits de dosage de ces anticorps qui ne sont actuellement pas mesurables en dehors de ce type de recherche clinique...

 

Références

[1] Lind M et al. Glycemic control and excess mortality in type 1 diabetes. N Engl J Med 2014;371:1972-1982.
 
[2] Pietropaolo M et al. Humoral autoimmunity in type 1 diabetes: prediction, significance, and detection of distinct disease subtypes. Cold Spring Harb Perspect Med 2012;2:a012831.
 
[3] Lv H et al. Impaired thymic tolerance to α-myosin directs autoimmunity to the heart in mice and humans. J Clin Invest 2011;121:1561-1573.
 


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