mardi 29 décembre 2020

Moins d’hospitalisations pour amputation mais pas d’amélioration de la mortalité 1 an après amputation dans une population diabétique asiatique

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Décembre 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Secular trends in rates of hospitalisation for lower extremity amputation and 1 year mortality in people with diabetes in Hong Kong, 2001–2016: a retrospective cohort study. Diabetologia 2020 ; 63: 2689–2698. doi : 10.1007/s00125-020-05278-2

 

Le diabète est la première cause d’amputation non traumatique des membres inférieurs (AMI). En plus de son impact fonctionnel et psycho-social, l’AMI est associée à une mortalité élevée. Une méta-analyse récente [1] basée sur des études menées entre 2005 et 2015 rapporte une mortalité de 50% dans l’année qui suit une AMI. L’obtention de données épidémiologiques fiables sur les tendances en termes d’AMI et de mortalité associée est importante pour évaluer si la qualité des soins des patients diabétiques s’améliore et déterminer les ressources qui pourraient optimiser leur prise en charge. Plusieurs études ont montré une baisse du nombre d’AMI chez les patients diabétiques, en Europe et aux Etats-Unis, depuis le début des années 1990 [2]. Cependant, les données en Asie sont rares et une étude récente menée aux Etats-Unis a mis en évidence une augmentation du nombre des AMI chez des patients diabétiques, plus particulièrement âgés de 18 à 64 ans [3]. En outre, peu de données sont disponibles sur l’évolution de la mortalité à un an d’une AMI. Les auteurs de cette étude ont donc déterminé l’évolution des taux d’hospitalisations pour AMI, stratifiées selon le niveau d’amputation, et de la mortalité toutes causes confondues 1 an après une AMI, chez des patients diabétiques, à Hong Kong, entre 2001 et 2016.

L’administration hospitalière de Hong Kong, qui regroupe plus de 90% des hôpitaux publics et privés de cette province de 7,4 millions d’habitants, utilise un dossier médical électronique depuis 2000. L’ensemble des données démographiques, diagnostiques, les procédures de codages, les résultats biologiques et les prescriptions sont collectées et alimentent notamment la base de données de surveillance du diabète. Les critères suivants ont permis d’identifier les patients diabétiques dans la base de données : codage du diabète, HbA1c ≥ 6,5%, glycémie à jeun ≥ 126 mg/dl, prescription d’un médicament du diabète depuis plus de 28 jours. Tous les patients diabétiques de plus de 20 ans ont été inclus dans l’étude. Le codage diagnostic a également permis de collecter les hospitalisations pour AMI, en précisant le niveau d’amputation. Les amputations mineures étaient définies par une amputation d’orteil ou trans-métatarsienne et les amputations majeures concernaient toutes les amputations au-dessus de la cheville. Lorsque plusieurs types d’amputations étaient codés pour un même séjour, seul le geste avec le plus haut niveau d’amputation était pris en compte. Vingt-neuf gestes d’amputations pour lesquels le niveau n’était pas connu et qui correspondaient à 0,3% de l’ensemble des gestes d’amputation sur la période d’analyse, n’ont pas été inclus dans l’analyse. Le registre des décès a permis de définir la mortalité un an après la sortie de l’hôpital pour AMI. La période d’analyse s’étendait de 2001 à 2016. Les analyses statistiques ont été réalisées séparément pour les amputations mineures et majeures, car les conséquences fonctionnelles, les coûts induits et les perspectives de survie sont différentes ; et pour une comparaison plus simple avec les études antérieures. Le taux annuel d’AMI chez les patients diabétiques correspondait au nombre d’hospitalisations pour AMI divisé par le nombre de patients diabétiques en milieu d’année. Une stratification selon le sexe et l’âge (20-64 ; 65-74 et ≥ 75 ans) a ensuite été réalisée. La mortalité cumulée annuelle un an après AMI était calculée en divisant le nombre de décès un an après AMI par le nombre d’AMI. Les taux de mortalité ont été standardisés sur l’âge de la population d’étude en milieu d’année 2016. L’analyse par classe d’âge n’a pas pu être réalisée du fait du faible nombre de décès. Les taux de mortalité à un an ont été mesurés jusqu’en 2015, car il fallait au moins un an de suivi après l’hospitalisation pour AMI.

Entre 2001 et 2016, 390 071 hommes et 380 007 femmes diabétiques, âgés de plus de 20 ans ont été inclus dans la base de données. Parmi eux, 6 113 hospitalisations pour AMI chez les hommes et 4 149 chez les femmes ont été enregistrées. Les amputations majeures concernaient 54 % des AMI chez les hommes et 66,3% de celles chez les femmes. 94% des amputations mineures concernaient un orteil.
Les hommes présentaient un risque 2,3 fois (IC 95% 2,1 ; 2,4) plus élevé d’amputations mineures et 1,6 fois (IC 1,5 ; 1,6) plus élevé d’amputations majeures que les femmes. Le taux d’amputations mineures a diminué de 48,6%, passant de 14,0 (IC 95%  10,4 ; 17,7) à 7,2 (IC 95% 5,8 ; 8,6) pour 10 000 chez les hommes et de 59,5% passant de 7,9 (IC 95% 2,3 ; 13,6) à 3,2 (IC 95% 1,5 ; 4,9) pour 10 000 chez les femmes. Le taux d’amputations majeures a diminué de 77,9% passant de 19,5 (IC 95% 15,5 ; 23,4) à 4,3 (IC 95%  3,5 ; 5,1) pour 10 000 chez les hommes et de 79,3% chez les femmes passant de 11,6 (IC 95% 9,4 ; 13,9) à 2,4 (IC 95% 1,7 ; 3,1) pour 10 000. Les courbes de déclin étaient linéaires, sauf pour les amputations majeures chez les femmes où la baisse annuelle était de 16,4% entre 2001 et 2006 contre 7,2% entre 2006 et 2016. La diminution plus prononcée des amputations majeures était associée à une augmentation significative de la proportion des amputations mineures qui passaient de 38,4 à 58,4% des AMI chez les hommes et de 32,1 à 41,5% des AMI chez les femmes entre 2001 et 2016. Le taux de revascularisation a diminué de 2,7% par an (IC 95% -4,7 ; -0,8) chez les hommes et de 10,5% par an (IC 95% -14,3 ; -6,6) chez les femmes. Il n’a pas été observé de modification significative de l’HbA1c moyenne au cours du suivi chez les sujets qui ont été amputés.
La diminution du nombre d’AMI a été observée dans toutes les tranches d’âge, avec une baisse plus marquée chez les sujets âgés de plus de 75 ans. Cela a conduit à une augmentation de la proportion de sujets amputés d’âge moyen (20-64 ans) qui est passée de 43 à 52,7% chez les hommes et de 14,3 à 29,7% chez les femmes pour les amputations mineures et de 26 à 39% chez les hommes et de 10,3 à 17,2% chez les femmes pour les amputations majeures.
Respectivement 10 924, 10 443, 28 616 et 8 843 hospitalisations pour gangrène, ulcère, cellulite/abcès et artériopathie des membres inférieures ont été enregistrées au cours du suivi. Une diminution significative des taux d’hospitalisation a été observée pour la gangrène, les ulcères et l’artériopathie des membres inférieurs mais pas pour les cellulites/abcès. Cette diminution était plus prononcée pour les sujets de plus de 65 ans en comparaison aux sujets de 20 à 64 ans.
Entre 2001 et 2015, 18,5% des hommes et 21,3% des femmes sont décédés dans l’année qui a suivi une amputation mineure, alors que les taux de mortalité à un an étaient respectivement de 41,8% et 42,0% après une amputation majeure. Les maladies cardio-vasculaires, les pneumonies, les infections et les maladies rénales étaient les principales causes de décès. Après standardisation sur l’âge, le taux de mortalité était presque 3 fois plus élevé après une amputation majeure qu’après une amputation mineure. Il n’existait pas de différence significative en fonction du sexe. Le taux de mortalité à un an après amputation mineure ou majeure était constant au cours du suivi, quel que soit le sexe. Ainsi, la variation annuelle non significative de la mortalité à un an après amputation mineure était de 1,5 % (IC 95% 3,0 ; 6,1) chez les hommes et de 0,6% (IC 95% 4,7 ; 6,1) chez les femmes. La mortalité à un an après amputation majeure avait varié, de manière non significative, de -2,1% par an (IC 95% -4,8 ; -0,6) chez les hommes et de + 2,6% par an (IC 95%I 1,4 ; 6,7) chez les femmes.

Les forces de cette étude étaient la longue période de suivi et une large couverture (>90%) de la population du territoire étudié. Ses faiblesses étaient le caractère administratif des données recueillies avec de potentiels biais de validité, la difficulté à obtenir une prévalence précise des patients diabétiques avec une plaie de pied et une artériopathie des membres inférieurs alors que l’étude ne s’intéressait qu’aux patients hospitalisés et l’absence de comparaison avec des patients non diabétiques.

Cette étude a mis en évidence, dans la province de Hong Kong, une baisse de 50 à 80% des taux d’hospitalisation pour AMI chez des patients diabétiques entre 2001 et 2016. Cette baisse était plus prononcée pour les amputations majeures et chez les sujets de plus de 75 ans. Cette amélioration des taux d’AMI peut s’expliquer par une diminution du tabagisme, une meilleure prise en charge des autres facteurs de risque cardio-vasculaires, une meilleure éducation des patients ou une meilleure prise en charge du pied diabétique. En revanche, l’importance des taux de mortalité à un an et l’absence d’évolution favorable viennent confirmer les données déjà disponibles sur le sujet. Les gestes d’amputation surviennent souvent chez des patients diabétiques aux nombreuses comorbidités associées. La prévention des AMI et l’amélioration de la mortalité post-amputation passent donc par une prise en charge la plus précoce possible des plaies de pied diabétique et une prise en charge optimisée de l’ensemble des facteurs de risque cardio-vasculaire associés.

 

Références

[1] Stern JR, Wong CK, Yerovinkina M et al. A meta-analysis of long-term mortality and associated risk factors following lower extremity amputation. Ann Vasc Surg 2017; 42: 322–327.
 
[2] Harding JL, Pavkov ME, Magliano DJ, Shaw JE, Gregg EW. Global trends in diabetes complications: a review of current evidence. Diabetologia 2019; 62(1):3–16.
 
[3] Geiss LS, Li Y, Hora I, Albright A, Rolka D, Gregg EW (2019) Resurgence of diabetes-related non traumatic lower-extremity amputation in the young and middle-aged adult U.S. population. Diabetes Care 2019; 42: 50–54.
 


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