lundi 23 décembre 2019

Bêtabloqueurs et hypoglycémies : tous les bêtabloqueurs ont-ils le même effet ?

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Décembre 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Dungan K et al. Effect of beta blocker use and type on hypoglycemia risk among hospitalized insulin requiring patients. Cardiovasc Diabetol 2019;18:163. doi: 10.1186/s12933-019-0967-1

 

Chez les patients atteints de diabète, hospitalisés hors réanimation, les hypoglycémies (<70 mg/dL) représentent jusqu’à 5% de toutes les glycémies mesurées, et sont d’autant plus fréquentes que les patients reçoivent une insulinothérapie [1]. Les autres paramètres majorant le risque hypoglycémique à l’hôpital sont l’âge avancé du patient, une forte dose quotidienne d’insuline, des horaires décalés d’injection d’insuline, un indice de masse corporel bas, une altération de la fonction rénale et une modification des habitudes alimentaires. La survenue d’hypoglycémies à l’hôpital est associée à un moins bon pronostic avec une augmentation de la durée et du coût du séjour [2]. Parmi les traitements concomitants utilisés chez les patients diabétiques hospitalisés, figurent fréquemment des bêtabloqueurs (BB) qui sont utilisés dans le cadre de la cardiopathie ischémique, mais également pour l’insuffisance cardiaque et l’hypertension artérielle. Les BB sont classiquement associés à un risque majoré d’hypoglycémies profondes et prolongées qui serait lié à un émoussement de la perception précoce des signes adrénergiques de contre-régulation mis en jeux dans cette situation. De plus, les BB non cardio-sélectifs pourraient en théorie favoriser une poussée hypertensive en cas d’hypoglycémie, le blocage des récepteurs bêta2-adrénergiques vasculaires laissant libre cours à un effet vasoconstricteur des catécholamines via les récepteurs alpha. En revanche, les BB cardio-sélectifs pourraient avoir des effets favorables en cas d’hypoglycémie, le blocage des récepteurs bêta1-adrénergiques cardiaques pouvant, en théorie, limiter le risque d’arythmie cardiaque potentiellement en cause dans la mortalité observée lors de cette situation. Cependant, ces notions plutôt théoriques n’avaient jamais vraiment été étayées par des preuves scientifiques robustes et c’est la raison pour laquelle, l’équipe américaine de Dungan et al. a conduit une étude afin de déterminer les liens entre le type de BB utilisé (cardio-sélectif ou non) et la survenue d’hypoglycémies et leurs potentielles conséquences mortelles, chez des patients hospitalisés.
Ainsi, grâce à une large base de données d’hospitalisation, ont été inclus dans cette étude rétrospective tous les patients adultes hospitalisés de janvier 2014 à décembre 2015, et qui avaient bénéficié au cours de leur séjour de contrôles de glycémies capillaires et d’injections sous-cutanée d’insuline (identifiant ainsi des patients diabétiques ou bien présentant une hyperglycémie de stress). Étaient exclus de l’analyse les femmes enceintes, les patients hospitalisés en unité de soins intensifs et ceux ayant reçus une insulinothérapie intraveineuse. Afin d’avoir des données homogènes et de limiter les biais potentiels, les patients chez lesquels un traitement BB était débuté ou modifié pendant le séjour hospitalier ont également été exclus. Seuls les patients non traités par BB ou traités antérieurement par le carvedilol (le bêtabloqueur non cardio-sélectif le plus utilisé dans cette population) ou par un BB cardio-sélectif (SBB - selective beta blocker) ont été inclus dans l’analyse. L’hypoglycémie, critère d’évaluation principal de cette étude, était analysée en sous catégories : hypoglycémie <70 mg/dL survenant dans les 24h suivant l’admission du patient (Hypo1day) ; hypoglycémie <70 mg/dL survenant à n’importe quel moment, au-delà des 24 premières heures, au cours de l’hospitalisation (HypoT – Hypo Throughout hospitalisation) et hypoglycémie sévère < 40 mg/dL (Hyposevere). Un modèle de régression logistique multivarié a été utilisé afin d’explorer les liens entre la survenue des hypoglycémies, l’utilisation ou non et le type de BB administré, et les autres paramètres cliniques d’ajustement.
Cette méthodologie a permis d’inclure 10 216 patients non traités par BB, 1020 patients traités par carvedilol et 886 patients traités par SBB, hospitalisés pendant la période définie et ayant nécessité une insulinothérapie sous cutanée. Comparativement aux patients sans BB, les patients traités par BB étaient plus âgés (65 vs 60 ans), moins souvent des hommes (40 vs 49%), plus souvent afro-américains (30 vs 22%), plus souvent hospitalisés en cardiologie (35 vs 13%) et avaient une dysfonction rénale plus marquée (créatininémie 190 vs 140 µmol/L). Leur durée de séjour était également plus longue (6 vs 4 jours) et leurs traitements associés incluaient plus souvent d’autres traitements du diabète dont des sulfamides ou glinides (3,5 vs 0,24%). La glycémie moyenne à l’admission était identique dans les différents groupes (175 mg/dL) de même que celle dans les 24 premières heures (167 mg/dL) et dans les 72 premières heures (164 mg/dL). En revanche, Hypo1day, HypoT et Hyposevere étaient plus fréquentes pour les patients BB que non-BB (15 vs 5%, 40 vs 12% et 5 vs 1%) (p<0,0001). De même, la variabilité glycémique, mesurée par le coefficient de variation (CV) était plus élevée pour les patients BB vs non-BB (29 vs 24%) (p<0,0001).
Après ajustement sur l’âge, le genre, l’ethnie, l’IMC, le service d’hospitalisation, la glycémie à l’admission, la créatininémie à l’admission, l’utilisation d’une insulinothérapie basale, l’insuffisance cardiaque, la durée de séjour et l’utilisation de médicaments cardiotropes (statine, aspirine, IEC/ARAII), les auteurs ont mis en évidence un sur-risque hypoglycémique chez les patients traités par carvedilol ou SBB comparativement aux patients sans BB. Les Odds ratio étaient respectivement de 1,45 et 1,78 pour Hypo1day, 2,56 et 2,61 pour HypoT et 1,68 et 1,70 pour Hyposevere (p<0,05). Cette relation n’était plus vérifiée chez les patients qui avaient antérieurement une insulinothérapie basale. Par ailleurs, il n’y avait pas de différence significative de risque hypoglycémique selon que les patients étaient traités par carvedilol ou SBB, sauf pour ceux qui n’avaient que de l’insuline rapide pendant le séjour hospitalier. Dans ce cas, l’utilisation de SBB était associée à un sur-risque de faire des hypoglycémies, comparativement à l’utilisation du carvedilol (OR 1,4 à 2 ; p<0,05). Concernant le risque de mortalité hospitalière, l’analyse multivariée a montré que les patients non traités par BB qui présentaient une Hypo1day, HypoT ou Hyposevere avaient un sur-risque de mortalité (OR 2,1, 1,8 ou 3,74 ; p<0,05). Ce sur-risque n’était pas mis en évidence chez les patients traités par carvedilol mais persistait chez les patients traités par SBB (HypoT OR 4,89 et Hyposevere OR 10,6 ; p<0,005).

Ainsi, il est possible de résumer les résultats de la façon suivante : les patients hospitalisés qui sont traités par insuline rapide au cours de leur séjour hospitalier présentent un sur-risque d’hypoglycémie lorsqu’ils sont traités au long cours par un bêtabloqueur, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un bêtabloqueur cardio-sélectif (SBB). De plus, dans cette population, la survenue d’hypoglycémies est associée à une mortalité intra-hospitalière majorée, pour ceux qui ne prennent pas de BB ou qui sont traités au long cours par SBB. En revanche, l’utilisation au long cours du carvedilol semble protéger les patients en effaçant la surmortalité associée aux hypoglycémies qui surviennent pourtant plus fréquemment avec ce traitement.
Bien qu’apportant des informations intéressantes sur une large population de patients hospitalisés, cette étude n’est pas définitive compte tenu des publications antérieures qui montrent des résultats hétérogènes, certaines ne retrouvant aucune association entre l’usage des bétabloquants et le risque hypoglycémique [3]. Concernant l’effet potentiellement favorable du carvedilol comparativement aux bêtabloqueurs cardio-sélectifs, il faut souligner que le carvedilol est un bêtabloqueur non cardio-sélectif très particulier dans la mesure où il exerce également une action alpha1-bloquante et peut ainsi avoir des propriétés différentes d’autres bêtabloqueurs non cardio-sélectifs comme le propranolol, ce dernier semblant au contraire plus souvent associé à des épisodes d’hypoglycémie sévère [4]. De plus, le blocage alpha1 du carvedilol pourrait également expliquer l’effet favorable sur la mortalité observée avec ce traitement, la vasoconstriction réactionnelle à l’hypoglycémie pouvant notamment être inhibée par ce traitement. Quant aux résultats particuliers observés chez les patients antérieurement traités par une insulinothérapie basale (pas de sur-risque hypoglycémique chez ces sujets, y-compris traités par BB), ils ne sont pas clairement expliqués par l’équipe investigatrice qui n’émet que quelques hypothèses spéculatives peu convaincantes.

Quoi qu’il en soit, même si cette étude soulève de nombreuses questions sans réponses, il apparaît que l’usage des BB n’est pas neutre sur le risque hypoglycémique des patients traités par insulinothérapie et que tous les BB n’ont pas le même effet sur ce paramètre avec un rôle possiblement protecteur du carvedilol sur les conséquences des hypoglycémies. Affaire à suivre…

 

Références

[1] Swanson C et al. Update on inpatient glycemic control in hospitals in the United States. Endocr Pract 2011;17:853–61.
 
[2] Curkendall S et al. Economic and clinical impact of inpatient diabetic hypoglycemia. Endocr Pract 2009;15:302–12.
 
[3] Cardona S et al. Clinical characteristics and outcomes of symptomatic and asymptomatic hypoglycemia in hospitalized patients with diabetes. BMJ Open Diabetes Res Care 2018;6:e000607.
 
[4] Shorr RI et al. Antihypertensives and the risk of serious hypoglycemia in older persons using insulin or sulfonylureas. JAMA 1997;278:40–3.
 


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