mardi 6 juin 2023

Prévalence et description au sein d’une population adulte des réactions cutanées associées aux dispositifs adhésifs des nouvelles technologies du diabète : Résultats de l’étude CUTADIAB

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Mai 2023
 
Article du mois en accès libre
 
Forlenza GP, et al. Effect of Verapamil on Pancreatic Beta Cell Function in Newly Diagnosed Pediatric Type 1 Diabetes: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 28 mars 2023;329(12):990-90. doi : 10.1089/dia.2022.0513

 

De nos jours, les pompes à diffusion sous-cutanée d’insuline (CSII) sont le gold standard pour obtenir un équilibre métabolique satisfaisant chez les sujets vivant avec un diabète de type 1 (DT1). Leur utilisation concomitante de dispositifs de mesure continue du glucose (CGM) permet d’affiner les prises en charge par l’adaptation des doses d’insulines et de fait, de réduire les niveaux d’HbA1c. Cependant, l’utilisation des CGM ainsi que des CSII peut conduire à diverses réactions cutanées : érythème, desquamation, prurit, douleur ou encore infection. Actuellement, il n’existe aucune description séméiologique précise et aucune prévalence évaluée en large population concernant ces réactions. Également, le taux d’arrêt des dispositifs secondaires à ces réactions n’était pas connu. L’objectif des auteurs était ainsi de répondre à ces interrogations au travers d’une étude longitudinale, multicentrique, rétrospective réalisée dans une large population (CUTADIAB- NCT04853810).

Il s’agit d’une étude transversale, multicentrique, incluant tous les patients diabétiques adultes, reçus en consultation sur une période de 7 mois (Mai à Juin 2021) au sein de 4 hôpitaux de l’APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, France), qui bénéficient et/ou ont bénéficié de l’un de ces systèmes dans les dix dernières années.  Après inclusion, les patients ont rempli un questionnaire à 50 items concernant les informations démographiques, les caractéristiques du diabète, l'utilisation des dispositifs CSII filaires ou de type patch et CGM, les antécédents de manifestations atopiques (asthme, eczéma et allergies alimentaires), ainsi que la description et les conséquences des potentielles réactions cutanées. Le critère d'évaluation principal était la prévalence des réactions cutanées, calculée par le rapport entre le nombre de patients présentant une réaction cutanée et le nombre total de patients inclus dans l'étude pour chaque catégorie indépendamment. Les critères d'évaluation secondaires étaient la description sémiologique de ces réactions cutanées, leurs caractéristiques cliniques et les conséquences sur l’utilisation des dispositifs, c'est-à-dire les stratégies d'évitement, le changement de dispositifs et, éventuellement, l'arrêt définitif.

Au total, 851 patients ont été inclus : 833 avec un CGM et 374 avec une CSII. Les réactions cutanées ont été rapportées dans 28% des cas avec les CGM et dans 29% des cas avec les CSII. Les réactions étaient rapportées plus fréquemment par les femmes, en cas de diabète de type 1 que de diabète de type 2 (uniquement par les CGM), et lors d’antécédents d’eczéma (association indépendante en analyse multivariée – p< 0.05). Les réactions, qui ne différaient pas entre les 2 systèmes, étaient représentées dans environ 75 % des cas par un érythème, 69% pour un prurit, 20-25 % des cas par une douleur, et dans 12-15 % des cas par une desquamation. Une lésion permanente (tache sombre, cicatrice ou macule hypochrome) est apparue chez 4,8 % des patients ayant eu des réactions cutanées au CGM et chez 0,9 % des patients ayant eu des réactions au CSII. Parmi les 364 patients utilisant à la fois le CGM et le CSII, les patients ayant une réaction au CGM étaient plus susceptibles d'avoir une réaction au CSII que les patients n'ayant pas de réaction au CGM (risque relatif [RR] = 2,4 ; IC à 95 % 1,8-3,3). De la même manière, les patients ayant des réactions au CSII avaient plus de réactions au CGM (RR 2,5, IC à 95 % 1,8-3,4).

Dans 22 à 24% des cas, les réactions surviennent dans les 1ères 24 heures d’utilisation mais dans 38 % à 47% des cas, elles ne sont apparues que 6 mois ou plus après initiation. L'utilisation du CGM et du CSII est restée inchangée chez 82 % et 80 % des patients présentant des réactions cutanées, respectivement. Parmi les 231 patients présentant des réactions cutanées au CGM, 39 personnes ont changé l'emplacement de l'appareil, ce qui a suffi à diminuer les manifestations pour 14 d'entre eux. Cinquante-sept patients ont utilisé une interface entre leur peau et le dispositif (25%). Parmi les 180 patients ayant présenté des réactions cutanées au CSII, 26 ont changé d'emplacement, avec une diminution des manifestations pour 14 d'entre eux, et 34 ont utilisé une interface (31%). Le système a été stoppé dans 12% des cas s’il s’agissait d’un CGM (3.2% de l’ensemble des utilisateurs de CGM) et dans 7% des cas s’il s’agissait d’une CSII (2.1% des utilisateurs de CSII). Dans les autres cas, les utilisateurs ont diminué leur fréquence d’utilisation du système ou changé de système. L'arrêt de l'utilisation de l'appareil ne différait pas selon le moment de l'apparition de la première manifestation.

Les auteurs rapportent donc au travers de cette grande cohorte multicentrique, une prévalence élevée d’environ 25 % de réactions cutanées associées au CSII ou au CGM, similaires entre les 2 dispositifs, et représentées principalement par la rougeur et le prurit. Ces données sont d’intérêt car la fréquence des réactions cutanées augmente à mesure que la prescription de ces dispositifs évolue, notamment avec l’avènement de la boucle semi-fermée. Peu de données sont disponibles dans la littérature mais une étude pédiatrique récente avait fait état d’une prévalence encore plus élevée de 43% mais celle-ci portait seulement sur 54 patients [1].

Cependant, le taux d'interruption du dispositif reste faible (environ 2 à 3 %). Effectivement, au sein du groupe présentant des réactions cutanées, le taux d'abandon était de 12 % pour le CGM et de 7 % pour le CSII, suggérant que le risque d'abandon, en particulier du CGM, est élevé (plus d'une 1/10 présentant des réactions cutanées cessera d'utiliser le CGM ou réduira son utilisation du CGM). Or, la physiopathologie exacte de ces réactions n’est pas connue. Pourtant, les réactions semblent être plus irritatives qu’allergiques car la réaction ne dépasse pas la zone d’adhésion cutanée et ne réapparait pas à chaque utilisation. Par ailleurs, la prévalence de ces réactions causée par l'acrylate d'isobornyle (IBOA, l'une des principales molécules allergiques des adhésifs) était de 3,8 % dans une étude précédente, proche du taux d'abandon de notre étude [2]. Il est intéressant de noter que la seule caractéristique associée à l'arrêt du traitement dans cette étude était la durée de la manifestation pour le CGM, la probabilité d'arrêt augmentant avec la durée de la manifestation.

Une limite dans la compréhension de ces phénomènes concerne la composition de la colle, qui reste non connue car protégée par le secret industriel. Seules des analyses ciblées avec des tests cutanés, incluant des molécules sélectionnées, peuvent être réalisées. En par- ticulier, l'IBOA a été identifié comme un allergène principal pour le FreeStyle Libre (non détecté dans les FSL2), mais également présent dans la pompe patch Omnipod et dans le capteur Enlite de Medtronic, à la fois dans le boîtier du capteur lui-même et dans le patch cutané. En revanche, l'IBOA n'a pas encore été détecté dans le patch ou le capteur des DexCom G5 et G6. Certains rapportent que le colophonium est l'allergène sensibilisant le plus fréquemment isolé (41,1 % des cas) [3]. Sa présence dans l'adhésif des kits d'insuline et des capteurs de glucose a été confirmée par les fabricants de plusieurs dispositifs, en particulier dans Enlite en combinaison avec la pompe Medtronic. A contrario, il n'est pas inclus dans FreeStyle Libre et DexCom. Il est donc essentiel que les fabricants assurent une transparence maximale en ce qui concerne la composition du patch et de l'adhésif et qu'ils communiquent les changements de composants.

Outre cette limite, l’étude CUTADIAB présente d’autres points faibles comme l’utilisation d’auto-questionnaires sans expertise dermatologique, et un caractère rétrospectif avec un possible biais de mémorisation des patients.

En conclusion, cet article met en lumière l’aspect finalement très commun de ces réactions cutanées mais précise également la similarité séméiologique de celles-ci entre les CGM et les CSII. Une augmentation de la transparence concernant la composition de ces dispositifs mais également une prise en compte plus importante de ces réactions par les fabricants est nécessaire. Cependant, ces manifestations cutanées ne se soldent que rarement par un arrêt définitif du système, ce qui est rassurant au vu de l’avènement des systèmes de boucles fermées.

 

Références

[1] Binder E, Lange O, Edlinger M, et al. Frequency of dermatological side effects of continuous subcutaneous insulin infusion in children and adolescents with type 1 diabetes. Exp Clin Endocrinol Diabetes 2015;123(4):260–264.
 
[2] Pyl J, Dendooven E, Van Eekelen I, et al. Prevalence and prevention of contact dermatitis caused by FreeStyle Libre: A monocentric experience. Diabetes Care 2020;43(4):918– 920.
 
[3] Lombardo F, Passanisi S, Caminiti L, et al. High prevalence of skin reactions among pediatric patients with type 1 diabetes using new technologies: The alarming role of co- lophonium. Diabetes Technol Ther 2020;22(1):53–56.
 


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