mercredi 3 novembre 2021

La biopsie osseuse au lit du patient par les diabétologues en cas de suspicion d’ostéite, quels résultats ?

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Octobre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Féron F, et al. Reliability and Safety of Bedside Blind Bone Biopsy Performed by a Diabetologist for the Diagnosis and Treatment of Diabetic Foot Osteomyelitis. Diabetes Care 2021; 44: 2480-2486. doi : 10.2337/dc20-3170

 

Au cours de leur vie, 15 à 25% des patients diabétiques vont développer un mal perforant plantaire (MPP) sur une neuropathie et/ou une artériopathie périphérique [1], avec une infection dans la moitié des cas lorsque les patients se présentent aux médecins. L’ostéite concerne 40 à 80% de ces MPP infectés, et conduit à une amputation chez 20% des patients [2]. La meilleure prévention de l’amputation est le traitement antibiotique (ATB) adapté mis en place précocement. Un traitement ATB empirique, ou l’analyse bactériologique d’écouvillon ou d’aspiration à l’aiguille ne permettent pas un traitement efficace. La biopsie osseuse (BO) percutanée est une procédure sûre réalisée par les chirurgiens ou les radiologues interventionnels et reste le gold standard pour identifier les agents pathogènes impliqués dans l’ostéite. C’est la méthode recommandée par le groupe international de travail sur le pied diabétique (IWGDF) [3]. Cependant, cette BO percutanée n’est pas toujours disponible et reste sous utilisée (<20% des MPP). En 2015, pour surseoir à cette difficulté d’accès à la BO percutanée, le centre de Lariboisière à Paris à développer la réalisation de BO en aveugle au lit du patient. Les résultats de faisabilité et de fiabilité de ces BO sont rapportés dans cet article.

L’étude s’est déroulée en 3 phases : 1°) la première, prospective, observationnelle, était une phase de faisabilité et de sécurité menée entre décembre 2015 et septembre 2017 (après formation des diabétologues par les radiologues), 2°) la deuxième, prospective, était une phase de validité comparant la cicatrisation de la plaie sur 12 mois chez les patients BO+ traités par ATB versus les patients BO- non traités par ATB entre décembre 2015 et septembre 2018  et 3°) la 3ème rétrospective, était une phase d’efficacité, comparant les patients avec BO percutanées réalisées par les chirurgiens ou radiologues versus BO par les diabétologues. Les patients inclus dans cette étude étaient les patients diabétiques adultes admis pour MPP avec suspicion d’ostéite (clinique ou radiologique avec au moins deux des critères suivants : surface de la plaie > 2 cm², contact osseux, signes radiologiques d’ostéite). L’indication de la BO était décidée en staff multidisciplinaire et était réalisée au moins deux semaines après arrêt d’un traitement ATB. Pour la 3ème phase d’efficacité, seuls les patients avec un suivi de plus de 12 mois après la BO ont été inclus. Les critères d’exclusion étaient l’indication chirurgicale d’emblée, une antibiothérapie dans les deux semaines précédentes ou un suivi insuffisant. La BO par les diabétologues (B4) était réalisée au lit du patient, dans des conditions aseptiques, sous antalgiques +/- anxiolytiques. Une radiographie était pratiquée dans les deux semaines si nécessaire, pour mettre des marqueurs métalliques afin de diriger le trajet de l’aiguille (en peau saine) pour la biopsie osseuse et ainsi cibler l’ostéite. Une anesthésie sous cutanée ainsi qu’une anesthésie inhalée avec du protoxyde d’azote et de l’oxygène étaient réalisées. Les échantillons étaient envoyés en microbiologie et histologie (fragments de 2-3 mm). La BO faite par un radiologue ou par un chirurgien (B3) était également réalisée en peau saine, mais sous anesthésie locorégionale avec envoi du prélèvement uniquement en microbiologie (fragments de 3 mm à 1 cm).

Le critère principal de la phase 1 était la présence de tissu osseux sur l’examen histologique ; pour la phase 2, c’était le pourcentage de patients ayant eu une guérison complète de la plaie dans les 12 mois avec un traitement médicamenteux (ATB 6 semaines si examen microbiologique positif B4+ ou pas d’ATB si prélèvement négatif, B4-). Pour la phase 3 comparant les procédures B3 et B4, le critère principal était identique à celui de la phase 2.
Concernant la phase 1, 37 des 291 (12,7%) patients avec MPP étaient suspects d’ostéite et ont été inclus dans l’étude. La procédure B4 durait en moyenne 60 ± 8min, et nécessitait deux aides opératoires le plus souvent. 100% des prélèvements étaient constitués de tissu osseux. Aucune complication locale n’a été observée et seuls 3 patients (7%) se sont plaint de douleur immédiate contre 50% dans les 24h suivant le geste ; 21% des patients ont eu de la fièvre et 8,1% une bactériémie.
Au total, 93 patients ont été inclus dans la phase 2 mais 11 ont été perdus de vue, 2 sont décédés d’autres causes et 1 n’a pas eu de prélèvement osseux contributif. Sur les 79 patients évalués, les cultures microbiologiques étaient positives chez 50,6% d’entre eux. Entre les groupes B4+ et B4-, les caractéristiques des patients étaient identiques sauf l’âge et la CRP, plus élevés dans le groupe B4+ (75 ± 13 ans versus 68 ± 12 ans et 33 ± 67 mg/l versus 5 ± 29 mg/l respectivement). Le pourcentage de guérison de la plaie n’était pas statistiquement différent dans les deux groupes : 57,5% du groupe B4+ et 71,8% dans le groupe B4- (p=0,18). Parmi les patients B4+, 42,5% n’ont pas eu de guérison de plaie sous traitement médical à 12 mois : 8 ont eu un traitement chirurgical, 1 a guéri au-delà des 12 mois, 5 sont décédés des suites du MPP (un d’un sepsis sévère dans un contexte de cancer palliatif, un du fait d’un traitement limité par une cachexie gériatrique, deux de mort subite probablement iatrogénique, et un d’un choc cardiogénique sur cardiopathie ischémique et insuffisance rénale) et 3 ont eu besoin d’une seconde biopsie. Dans le groupe B4-, 18,2% des patients n’ont pas guéri : 4 patients ont eu besoin d’un traitement chirurgical, 4 ont eu une guérison de plaie au-delà des 12 mois et 3 ont eu besoin d’une seconde biopsie.
Enfin, pour la phase 3, sur 1 112 patients admis pour MPP, 12,8% avaient une suspicion d’ostéite nécessitant une BO. 79 patients ont eu la procédure B4 et 44 la procédure B3 (72,7% par un chirurgien et 27,3% par un radiologue). Les caractéristiques initiales étaient identiques entre les groupes (75% d’hommes, âge moyen 71 ± 13 ans, 90% de diabète de type 2, HbA1c 8,8%, 85% de neuropathes, 25% d’artériopathes sévères). Le pourcentage de patients avec ostéite confirmée sur le prélèvement microbiologique était supérieur dans le groupe B3 (77,3% versus 50,6%). Le pourcentage de guérison de plaies était identique entre les deux groupes (78,5% dans le groupe B4 et 84,1% dans le groupe B3, p=0,55), entre le groupe B3 + et B3-, entre le groupe B4+ et B3+ (58% versus 61% p=0,81). Le pourcentage de contamination des prélèvements était identique entre les groupes (13,6% dans la procédure B4 et 10,2% dans la B3). Le temps de cicatrisation était comparable entre les groupes B3 et B4 (105 jours en moyenne).

Cette étude observationnelle de faisabilité et d’efficacité concernant la biopsie osseuse au lit du patient dans un contexte de MPP avec suspicion d’ostéite montre que la procédure est facilement accessible, fiable, sûre et permet l’identification de l’agent pathogène dans la majorité des cas avec une performance de prise en charge thérapeutique comparable à la procédure chirurgicale. Dans la prise en charge du MPP, le diagnostic d’ostéite est un challenge difficile et notamment du fait de la difficulté de réalisation d’une BO. Ducloux et al. [4] avait également évalué la procédure de BO au lit du patient avec un pourcentage d’examen microbiologique positif comparable et un taux de guérison identique à ce travail.

Cette étude est la première à comparer le devenir des patients avec une BO selon les procédures standards (chirurgien ou radiologue) ou selon la procédure au lit du patient et montre que les résultats sont similaires. Ainsi, la biopsie osseuse réalisée par les diabétologues au lit du patient est un geste facile, simple, sûr et permet une prise en charge adaptée, équivalente à la BO standard… A vos trocarts !

 

Références

[1] Singh N, et al. Preventing foot ulcers in patients with diabetes. JAMA 2005; 293(2):217–28.
 
[2] Lavery LA, et al. Risk factors for developing osteomyelitis in patients with diabetic foot wounds. Diabetes res Clin Parct 2009; 83 :(3) 347–352.
 
[3] Lipsky BA, et al. International Working Group on the Diabetic Foot (IWGDF). Guidelines on the diagnosis and treatment of foot infection in persons with diabetes (IWGDF 2019 update). Diabetes Metab Res Rev 2020; 36(S1):e3280.
 
[4] Ducloux R, et al. Percutaneous bone biopsy to identify pathogens in diabetic foot chronic osteitis: useful and harmless. Wounds 2016; 28(6):182–9301.
 


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