mercredi 26 février 2020

Prévalence et risque du DT1 pré-symptomatique chez l’enfant : leçons d’un programme de dépistage systématique allemand

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Février 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Ziegler AG, et al. Yield of a Public Health Screening of Children for Islet Autoantibodies in Bavaria, Germany. JAMA. 2020;323:339-351. doi : 10.1001/jama.2019.21565

 

Le diabète de type 1 (DT1) reste une maladie relativement rare (environ 13 cas pour 100 000 habitants/an en France) ne justifiant pas actuellement de dépistage systématique chez l’enfant. Un dépistage n’est d’ailleurs pas non plus fait en pratique clinique chez les sujets génétiquement les plus à risque, les parents (enfants ou fratrie) de sujet diabétique. Le diagnostic de diabète est donc fait lors de l’apparition de symptômes (syndrome polyuro-polydipsique, énurésie…) et malheureusement trop souvent encore lors d’une acidocétose. Un dépistage à un stade asymptomatique par dosage systématique des anticorps (Ac) du DT1 pourrait permettre de réduire ce risque et de mieux préparer enfant et parents à la maladie. L’étude allemande Fr1da était un programme de dépistage des Ac du DT1 dans une population pédiatrique générale ayant pour but d’évaluer la prévalence de la maladie pré-symptomatique, le risque de progression vers le diabète et l’acidocétose et le stress psychologique d’un tel dépistage chez les parents.

Fr1da a été conduite entre février 2015 et mai 2019 en Bavière (un Land du sud-est de l’Allemagne) chez des enfants de 1,75 à 5,99 ans inclus lors de consultations de suivi standard de pédiatrie générale. Des prélèvements capillaires étaient réalisés afin de mesurer les Ac du DT1 (anti-insuline, anti-GAD, anti-IA2 et anti-ZnT8). En cas de positivité, un prélèvement veineux de confirmation était réalisé. Si la positivité multiple (≥ 2 Ac) était confirmée, les familles étaient invitées à faire une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) afin de définir le stade du DT1 pré-symptomatique (stade 1 : HGPO normale, stade 2 : glycémie à jeun entre 1,10 et 1,25 g/l ou entre 1,40 et 1,99 g/l à 2h ou ≥ 2 g/l à 30, 60 ou 90 min et stade 3 : glycémie à jeun ≥ 1,26 g/l ou ≥ 2 g/l à 2h). Un programme éducatif vis-à-vis du diabète était également mis en place avec des visites au centre de diabétologie le plus proche tous les 2 à 6 mois selon le grade du diabète. Le suivi a été fait jusqu’au 31 juillet 2019. Le stress psychologique des parents et des enfants pré-symptomatiques était évalué au début puis à 6 et 12 mois à l’aide d’un questionnaire validé. En comparaison aux enfants dépistés positifs, une cohorte de contrôles négatifs a été construite à partir de 160 enfants dépistés négatifs et une cohorte contrôle positive à partir d’une autre cohorte de sujets sans dépistage avec découverte de DT1 durant la même période dans les mêmes centres (étude DiMelli) [1].

Le critère principal était la prévalence du diabète pré-symptomatique dans la population de dépistage et de confirmation. Les critères secondaires étaient la fréquence de l’acidocétose et l’évaluation du stress psychologique associé au diagnostic de diabète asymptomatique. Au total, 682 pédiatres (66,4% des pédiatres de premier recours) ont inclus 90 632 enfants d’âge médian 3,2 ans (41% d’enfants de moins de 3 ans) dont 48,5% de filles. Parmi ces enfants, 3,4% avaient des antécédents familiaux au 1er degré de DT1 et 4,1% étaient obèses. La prévalence du diabète pré-symptomatique (≥2 Ac positifs) était de 0,31% soit 280 enfants au total dont 19 avec un diabète devenu symptomatique avant le test de confirmation. La prévalence était quasi identique dans différents sous-groupes en dehors de celui des sujets avec antécédents familiaux où la prévalence s’élevait à 1,07%. Cent vingt enfants avaient 2 Ac positifs, 91 en avaient 3 et 69 étaient positifs pour les 4. Après ajustement, le risque d’avoir un dépistage positif augmentait avec la présence d’antécédents familiaux (3,69 [95% CI, 2,51-5,24]; P < 0,001), l’obésité (1,77 [1,08-2,71]; P = 0,01) et l’âge (entre 4 et 5 ans : 1,50 [1,07-2,11]; P = 0,02 ; entre 5 et 6 ans : 1,86 [1,37-2,53]; P < 0,001). En revanche, il n’y avait aucune différence entre les sexes. Parmi les 220 enfants qui ont participé au suivi, 196 étaient au stade 1, 17 au stade 2 et 7 au stade 3 à l’inclusion.

Durant le suivi, 25 ont progressé du stade 1 au stade 2, 27 du stade 1 au stade 3, et 5 du stade 2 au stade 3. Au total, en incluant les 280 enfants dépistés positifs, ce sont 54 enfants (25%) qui ont développé un DT1 durant les 3 ans de suivi, soit un risque annuel de 9%. Ce risque était plus élevé en cas de positivité de 4 anticorps versus 2 (1,85 [1,03-3,32]; P = 0,04), et en cas de positivité des anti-IA2  (3,4 [1,81-6,39]; P < 0,001). Il était au contraire plus faible chez ceux avec anti-GAD positifs (0,43 [0,25-0,75]; P = 0,003). En revanche, le sexe, l’âge, l’IMC ou les antécédents familiaux ne modifiaient pas le risque. Parmi les 89 912 enfants négatifs, 4 cas de DT1 ont été rapportés durant le suivi (3 cas avec un seul Ac et 1 cas sans Ac positifs). L’incidence globale était au final de 27 cas pour 100 000 enfants par an. Parmi les sujets ayant développés un diabète durant le suivi, 2 seulement ont fait une acidocétose non sévère sans passage en réanimation.

Le score de stress psychologique était plus élevé (plus de stress) chez les mères d’enfants avec dépistage positif que négatif (mais pas chez les pères) mais diminuait durant le suivi pour redevenir comparable. Le stress était en revanche moindre que chez les parents d’enfants de la cohorte contrôle positif (découverte de DT1 « classique »).

Cette étude observationnelle de grande ampleur (plus de 90 000 enfants de 2 à 5 ans) apporte de précieuses informations sur l’épidémiologie du DT1 en population pédiatrique : l’incidence globale de la maladie (27 cas pour 100 000 enfants par an), la prévalence du diabète pré-symptomatique (0,31% dont 0,03% de diabète avéré) et la confirmation de l’incidence élevée du diabète en cas de dépistage positif (9%/an) particulièrement en cas d’Ac anti-IA2 et d’anomalie glycémique déjà présente. Mais au-delà des informations épidémiologiques, l’étude apporte des arguments en faveur du dépistage du DT1. D’abord en montrant que la sensibilité du test est bonne (95% des cas ont été dépistés) avec une stratégie en 2 temps relativement peu coûteuse (le test capillaire utilise une méthode ELISA beaucoup moins chère que la technique de référence radio-immunologique). Ensuite, le dépistage permet une nette diminution du taux d’acidocétose avec moins de 5% ici contre 20 à 40% habituellement. Pour mémoire, en France, le taux d’acidocétose à la découverte reste élevé, entre 40 à 55% selon les âges avec environ 15% d’acidocétose sévère qui peut engager le pronostic vital mais qui est aussi associée à des troubles neurocognitifs, un mauvais contrôle glycémique ultérieur, des coûts médicaux élevés et est un facteur de stress majeur pour la famille (stress diminué chez les parents ici). La campagne de prévention Diabète Enfant et Adolescent de l’AJD en 2010-2011 a eu des effets modestes sur ces taux [2]. Enfin, les récents résultats de l’essai clinique avec le teplizumab pour prévenir la survenue de la maladie chez des sujets à risque de DT1 ouvrent la possibilité d’un traitement préventif de la maladie qui permettrait probablement une meilleure acceptation du dépistage [3].

En conclusion, cette étude donne des arguments pour définir un programme de dépistage à large échelle du DT1 chez les enfants.  Des essais randomisés permettraient de mieux mesurer l’impact d’une telle stratégie de dépistage sur les événements aigus mais aussi sur le devenir des patients diabétiques ayant révélés leur maladie dans un contexte « préparé ».

 

Références

[1] Warncke K, et al. Does diabetes appear in distinct phenotypes in young people? results of the diabetes mellitus incidence cohort registry (DiMelli). PLoS One. 2013;8:e74339.
 
[2] Choleau C, et al. Ketoacidosis at time of diagnosis of type 1 diabetes in children and adolescents : effect of a national prevention campaign. Arch Pediatr. 2015;22:343-51.
 
[3] Herold KC, et al. An Anti-CD3 Antibody, Teplizumab, in Relatives at Risk for Type 1 Diabetes. N Engl J Med. 2019;381:603-613.
 


from Société Francophone du Diabète https://ift.tt/2w5eUyI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire