mardi 31 octobre 2017

Fibrillation auriculaire : une nouvelle complication cardiaque du diabète de type 1

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Octobre 2017
 
Article du mois en accès libre
 
Dahlqvist S et al. Risk of atrial fibrillation in people with type 1 diabetes compared with matched controls from the general population: a prospective case-control study. Lancet Diabetes Endocrinol 2017;5:799-807. doi: 10.1016/S2213-8587(17)30262-0

 

La fibrillation auriculaire (FA) est le trouble du rythme cardiaque le plus fréquemment observé et sa survenue est associée au vieillissement ainsi qu’à la présence d’une cardiopathie associée. Le diabète de type 1 (DT1) est associé à une augmentation de l’incidence de cardiopathie ischémique et d’insuffisance cardiaque [1]. Cependant, le lien entre DT1 et FA n’avait jusqu’alors jamais été précisément étudié. De précédentes études avaient montré une association entre le diabète (quel qu’en soit l’étiologie) et la survenue de FA, mais sans qu’il soit possible de distinguer le poids du DT1 dans cette association pour laquelle le diabète de type 2 (DT2) a une implication prouvée [2,3]. Le but de l’étude de Dahlqvist et al. était donc d’éclaircir cette question, en recherchant s’il existe une association entre DT1 et FA, et si cette association varie selon le niveau de contrôle glycémique et selon la présence, ou non, d’une néphropathie diabétique, complication du DT1 bien connue pour augmenter le risque cardiovasculaire [4].
Pour répondre à cette question, cette équipe a réalisé une étude prospective cas-contrôle grâce au Swedish National Diabetes Registry (SNDR), le registre national Suédois qui comporte les données de traitement, de suivi, des complications et des comorbidités de tous les patients suédois atteints de diabète depuis 1996, date à laquelle il a été mis en place. Depuis sa création, ce registre est implémenté au fil de l’eau principalement par transfert automatisé des données enregistrées dans les logiciels de suivi des hôpitaux et/ou des cabinets de ville, mais il est également possible de rentrer directement des données dans le SNDR. Dans ce registre, le DT1 est défini par sa survenue avant l’âge de 30 ans et par la nécessité d’un traitement exclusif par insuline. Cette définition a été évaluée dans une précédente étude comme correspondant réellement à des sujets atteints de DT1 dans 97% des cas. Pour chaque sujet DT1 de ce registre, 5 sujets contrôles ont été appariés sur l’âge et le sexe. Les données concernant ces sujets contrôles étaient issues du registre général de santé Suédois qui est également régulièrement implémenté selon la même méthode que celle décrite pour le SNDR. Dans ces deux registres, l’identification de la FA a également été validée par une étude antérieure, montrant que sa détermination par les critères du registre est juste dans 96,5% des cas. Dans cette étude, d’autres registres/database ont été utilisés : le registre national Suédois de mortalité (afin de déterminer les cause des décès), la base de donnée des compagnies d’assurance ainsi que la base de donnée des études de marché (afin de déterminer le niveau d’éducation ainsi que l’origine géographique – né en Suède ou provenant d’un autre pays). Parmi les sujets contrôles, ceux présentant une FA avant le début du suivi prospectif ont été exclus de l’analyse. L’ensemble de la cohorte (sujets DT1 et sujets contrôles) a été suivie entre 2001 et 2013, afin de déterminer l’incidence de la FA, stratifiée par âge, sexe, niveau de contrôle glycémique et fonction rénale.
Pendant la période de l’étude, 36 258 patients DT1 et 179 980 sujets contrôles appariés ont pu être analysés. Les caractéristiques des patients DT1 au début du suivi étaient les suivantes : âge moyen 35,6±14,6 ans ; 45% de femmes ; ancienneté du diabète 20,3±14,8 années et HbA1c moyenne 8,2±1,5%. Le suivi médian fut de 9,7 (IQR 5,2-13,0) et de 10,2 (IQR 5,7-13,0) années chez les sujets DT1 et contrôles, respectivement. Au cours du suivi, 749 patients DT1 (2%) et 2882 sujets contrôles (2%) ont développés une FA, ce qui représentait une incidence de 2,35 pour 1000 personnes-années (IC 95% 2,19-2,53) pour les patients DT1 et de 1,76 pour 1000 personnes-années (IC 95% 1,70-1,83) pour les sujets contrôles. L’analyse de régression par modèle de Cox, après ajustement sur l’âge, les comorbidités, l’ancienneté du diabète, le pays d’origine et le niveau d’éducation, a montré une incidence plus importante de FA chez les patients diabétiques vs les sujets contrôles, de façon moins marquée chez les hommes que chez les femmes : HR 1,13 (IC 95% 1,01-1,25; p=0,029) chez les hommes et 1,50 (1,30-1,72; p<0,0001) chez les femmes. Ce résultat restait quasi-identique chez les hommes et chez les femmes après exclusion des sujets qui présentaient une cardiopathie ischémique ou une insuffisance cardiaque à l’inclusion : HR 1,14 (IC 95% 1,01-1,28; p=0,033) chez les hommes et 1,48 (1,28-1,74; p<0,0001) chez les femmes. L’analyse de sensibilité par sous-groupes d’âge a montré que le sur-risque de développer une FA était maximal chez les hommes DT1 âgés de 35 à 49 ans (HR 1,42 (1,10-1,84; p=0,0075)) et chez les femmes DT1 âgées de 50 à 64 ans (HR 1,60 (1,27-2,03; p<0,0001)), comparativement aux sujets contrôles de même sexe et tranche d’âge. Par ailleurs, d’autres analyses de sensibilité ont montré que le sur-risque de FA chez les patients DT1 vs les sujets contrôles était d’autant plus important que l’HbA1c était élevée et que les patients DT1 avaient une néphropathie diabétique à un stade avancé. Ainsi, l’incidence de FA chez les patients DT1 était maximale dans le sous-groupe avec HbA1c ≥ 9,7% (HR 2,32 (1,80-2,99)), dans le sous-groupe avec macro-protéinurie (HR 1,89 (1,54-2,31)) et dans le sous-groupe avec insuffisance rénale stade 5 (débit de filtration glomérulaire – DFG≤15mL/min/1,73m2) (HR 5,85 (4,60-7,43)), et ce après ajustements multiples comme décrit précédemment.

Cette étude est donc la première à montrer une association entre le DT1 et la survenue de FA, cette association étant d’autant plus marquée chez les femmes. Chez les hommes, cette association n’était significative que pour les patients DT1 avec HbA1c élevée et néphropathie diabétique évoluée. Il faut souligner que chez les patients DT1 de sexe masculin avec DFG>60 mL/min/1,73m2, il n’a été retrouvé aucun sur-risque de FA, quelque soit le niveau d’HbA1c. Il n’est pas étonnant que la présence d’une néphropathie soit un facteur de risque de FA dans la mesure où l’hypertension artérielle est fortement pourvoyeuse de cette pathologie rythmique cardiaque. L’incidence augmentée de FA chez les patients DT1 représente un risque cardiaque supplémentaire qui s’ajoute à l’incidence élevée d’infarctus du myocarde et d’insuffisance cardiaque déjà démontrée dans cette population (> 4 fois plus élevée que dans la population générale). De plus, la présence d’une insuffisance cardiaque peut, en elle-même, favoriser la survenue de FA. Dans le DT2, une association entre diabète et FA avait été antérieurement mise en évidence dans une population de patients DT2, uniquement chez les femmes (HR 1,26 ; 95% CI 1,08-1,46), alors que cette association n’était pas significative chez les hommes [5]. Cependant, une méta-analyse plus récente a retrouvé une association diabète-FA quel que soit le sexe [3].

Plusieurs limites inhérentes au dessin de l’étude de Dahlqvist S et al. doivent être citées. Tout d’abord, le début de la survenue de la FA correspondait à la date de sa découverte mais cette anomalie rythmique n’est parfois mise en évidence que plusieurs mois après sa survenue réelle. Par ailleurs, un nombre non négligeable de patients atteints de FA aurait pu également rester sans diagnostic, notamment les patients qui présentaient des épisodes de FA paroxystique. En effet, il n’y avait pas de dépistage systématique de cette anomalie du rythme cardiaque dans la population de cette cohorte.

Quoiqu’il en soit, cette étude est importante car elle suggère que la FA est une complication cardiaque du DT1 qui doit être dépistée et traitée précocement afin d’en limiter les conséquences potentielles dont l’accident vasculaire cérébral ischémique. Le clinicien doit d’autant plus rechercher cette complication en cas de mauvais équilibre glycémique ou de néphropathie évoluée associée. Pour dépister la FA, même si l’ECG reste l’examen de confirmation, les auteurs de cet article conseillent en première intention une évaluation clinique du rythme cardiaque par palpation du pouls ou par auscultation cardiaque.

A nous cliniciens de ne pas oublier ces gestes simples lorsque nous examinons nos patients atteints de DT1 ...

 

Références

[1] Livingstone SJ et al. Risk of cardiovascular disease and total mortality in adults with type 1 diabetes: Scottish registry linkage study. PLoS Med 2012; 9:e1001321.
 
[2] Nichols GA, Reinier K, Chugh SS. Independent contribution of diabetes to increased prevalence and incidence of atrial fibrillation. Diabetes Care 2009;32:1851-1856.
 
[3] Huxley R et al. Meta-analysis of cohort and case-control studies of type 2 diabetes mellitus and risk of atrial fibrillation. Am J Cardiol 2011;108:56-62.
 
[4] de Boer IH et al. Albuminuria Changes and Cardiovascular and Renal Outcomes in Type 1 Diabetes: The DCCT/EDIC Study. Clin J Am Soc Nephrol 2016;11:1969-1977.
 
[5] Nichols GA et al. Independent contribution of diabetes to increased prevalence and incidence of atrial fibrillation. Diabetes Care 2009;32:1851-1856.
 


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lundi 2 octobre 2017

La chirurgie bariatrique pour les adolescents : quels résultats à long terme ? Résultats d’une méta-analyse à 3 ans

Auteur : 
Bénédicte Gaborit
Date Publication : 
Septembre 2017
 
Article du mois en accès libre
 
Shoar et al. Long-Term Outcome of Bariatric Surgery in Morbidly Obese Adolescents: a Systematic Review and Meta-Analysis of 950 Patients with a Minimum of 3 years Follow-Up. Obes Surg. 2017 Jun 2. doi: 10.1007/s11695-017-2738-y

 

L’obésité touche de plus en plus les sujets jeunes et les classes sociales les plus défavorisées, qui n’ont pas forcément accès aux soins et à la chirurgie bariatrique (CB) [1,2]. Il s’agit d’une véritable préoccupation mondiale, car les complications de l’obésité massive acquises à un jeune âge telles que l’hypertension artérielle (HTA), le diabète de type 2 (DT2), l’insuffisance rénale chronique, l’asthme, le syndrome d’apnées du sommeil, et les troubles de la statique rachidienne régressent rarement à l’âge adulte. La CB chez les adolescents est de plus en plus pratiquée aux Etats-Unis où la prévalence de l’obésité est la plus importante, mais des données de sécurité sur le long terme manquent encore, notamment sur le risque de carences nutritionnelles. L’étude de Inge et al., publiée en 2016 dans le New England Journal of Medicine rapportait une perte de poids conséquente chez les adolescents obèses opérés (-27%), et une réduction significative des comorbidités (95% de rémission de DT2), mais révélait 57% d’hypoferritinémie à 3 ans, et un taux de ré-intervention intra-abdominale non négligeable de 13% [3]. Une revue de la littérature s’imposait sur cette population particulièrement à risque de rupture de suivi. C’est l’objet de cette méta-analyse qui a colligé l’ensemble des études publiées sur le devenir de patients obèses adolescents ayant bénéficié de CB, après au moins 3 ans de suivi.
Les critères d’éligibilité portaient sur des études originales publiées en anglais avant janvier 2017 concernant des adolescents ou population pédiatrique (âge au moment de la chirurgie <18 ans) opérés de CB et suivis pendant au moins 3 ans. Seules les études concernant des obésités non génétiques, des primo-interventions de CB, et comptant au moins 10 patients ont été incluses. Les critères d’évaluation primaires étaient la perte de poids et la régression des comorbidités. Les critères d’évaluation secondaires portaient sur les complications post-opératoires, les carences nutritionnelles, et les autres effets secondaires attribuables à la chirurgie.
Au total, 3193 publications originales ont été sélectionnées sur le titre/abstract, 1832 ont été retenues après exclusion des doublons, et 45 ont fait l’objet d’une analyse de texte intégral. Seize ont validé les critères d’éligibilité et de qualité, et 14 études comprenant au total 950 adolescents souffrant d’obésité massive opérés entre 2003 et 2016 ont finalement été analysées après extraction des données globales. Il s’agissait de 8 études rétrospectives (n=301 patients, 31,7%), 4 études prospectives observationnelles (n=621 patients, 65,4%) et 2 séries de cas (n=28 patients, 2,9%). La moyenne de suivi des adolescents s’étalait de 2 à 23 années post-opératoires, soit une moyenne supérieure à 3 ans. Le sexe ratio était rapporté dans 12 études (n=875, 92,1%) avec une majorité d’adolescentes opérées (72,8%). La moyenne d’âge des patients variait de 12 à 19 années avec une fourchette d’IMC préopératoire très large (26 à 91 kg/m2). Les comorbidités les plus fréquentes étaient la dyslipidémie (58,8%), l’HTA (36,1%), la dyspnée (15,9%), et le DT2 (11%). L’intervention la plus pratiquée était le by-pass gastrique Roux en Y (47,7%), puis l’anneau gastrique (27,9%), et enfin la sleeve-gastrectomie (15,6%). Une seule étude rapportait des dérivations bilio-pancréatiques (n=68, 7,1%).
Après un minimum de 3 ans de suivi, les données ont pu être obtenues pour 677 patients (71,3%). La perte d’IMC s’étalait de -11,3 à -33 kg/m2. Deux études ont observé un regain pondéral lors du dernier suivi (après la troisième année post opératoire, n=6, 13,9%). Onze études ont rapporté l’évolution des comorbidités. Parmi ces dernières, la dyslipidémie était la comorbidité la plus souvent persistante (n=213, 33%), suivie de l’HTA (n=118, 18,3%), de la dyspnée (n=63, 9,8%), et du diabète (n=28, 4,3%). Le taux de réadmission en post-opératoire était de 11,4%, incluant 91 ré-interventions (9,6%). Trois décès ont été observés (0,3%), un lié à une hypoglycémie post by-pass et 2 non liés à la procédure chirurgicale. Dans 7 études, le devenir chirurgical des patients était rapporté (n=224, 23,6%). Parmi les ré-interventions pratiquées, une conversion de l’anneau en by-pass était le plus couramment choisie (n=31, 58,5%), suivie par le retrait d’anneau (n=15, 28,3%), ou la conversion en dérivation bilio-pancréatique (n=2, 3,8%).

Cette méta-analyse montre la même tendance pour la CB que chez l’adulte à savoir, à partir de 2009, un recours plus fréquent à des techniques non réversibles telles que la sleeve ou le by-pass chez les adolescents [4]. La moyenne de perte d’IMC (-13,3 kg/m²) est quant à elle comparable à celle observée dans d’autres études qui montrent également la supériorité du by-pass sur les autres techniques en terme de perte pondérale [5,6]. Concernant la régression des comorbidités, on peut souligner la faible qualité des études, et la variabilité des définitions utilisées. Une observation intéressante est la persistance à long terme de la dyslipidémie pour 1/3 des adolescents, suggérant que le suivi métabolique doit être poursuivi. Quant aux ré-interventions, elles étaient assez fréquentes (7,9%), mais avec une incidence moindre que chez l’adulte (entre 9 et 20 %) [7], et étaient décidées pour deux raisons principales : échec de perte de poids ou complication post-opératoire. La mortalité est comparable aux autres études et à ce qui est retrouvé chez l’adulte après CB, et confirme les résultats d’une étude âge spécifique sur les causes de mortalité après by-pass chez les jeunes < 35 ans, comme les accidents de la voie publique, les suicides et les évènements hypoglycémiques [8]. On déplore évidemment le manque de données sur les carences nutritionnelles et l’adhérence au traitement par vitamines de cette population souvent en période transitionnelle, et sur le suivi des éventuelles grossesses chez ces femmes jeunes. En France, les recommandations de l’HAS de janvier 2016 sur les indications de chirurgie bariatrique chez les moins de 18 ans [9], marquent la volonté d’encadrement de cette procédure et rappellent qu’il faut que l’adolescent ait plus de 15 ans avec un stade de Tanner ≥ IV, un suivi pluri-professionnel par un centre spécialisé d’obésité (CSO) à compétence pédiatrique avec une préparation spécifique d’au moins 12 mois, et la nécessité d’au moins deux réunions de concertation pluridisciplinaire. Il est fort à parier que les CSO à compétence pédiatrique ne vont pas manquer de travail dans les années à venir et devront mettre en place rapidement un parcours coordonné avec les équipes adultes pour un suivi de cette population tout au long de la vie.

 

Références

[1] Chung A, et al. Trends in child and adolescent obesity prevalence in economically advanced countries according to socioeconomic position: a systematic review. Obes Rev. 2016;17: 276–95.
 
[2] Kelleher DC, et al. Recent national trends in the use of adolescent inpatient bariatric surgery: 2000 through 2009. JAMA Pediatr. 2013;167:126–32.
 
[3] Inge TH, Courcoulas AP, Jenkins TM, et al. Weight loss and health status 3 years after bariatric surgery in adolescents. N Engl J Med. 2016;374: 113–23.
 
[4] Pallati P, et al. Trends in adolescent bariatric surgery evaluated by UHC database collection. Surg Endosc. 2012;26: 3077–81.
 
[5] Paulus GF, et al. Bariatric surgery in morbidly obese adolescents: a systematic review andmeta-analysis. Obes Surg. 2015;25: 860–78.
 
[6] Black JA, et al. Bariatric surgery for obese children and adolescents: a systematic review and meta-analysis. Obes Rev. 2013; 14: 634–44.
 
[7] Kellogg TA, et al. Patterns of readmission and reoperation within 90 days after roux-en-Y gastric bypass. Surg Obes Relat Dis. 2009;5: 416–23.
 
[8] Davidson LE, et al. Association of patient age at gastric bypass surgery with long-term all-cause and cause-specific mortality. JAMA Surg. 2016;151: 631–7.
 


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