mercredi 5 juin 2019

Les facteurs de risque cardiovasculaire se valent-ils tous chez les diabétiques de type 1 ?

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Mai 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Rawshani A, et al. Relative Prognostic Importance and Optimal Levels of Risk Factors for Mortality and Cardiovascular Outcomes in Type 1 Diabetes Mellitus. Circulation. 2019;139:1900–1912. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.037454

 

Il est maintenant bien démontré que le risque cardiovasculaire des patients diabétiques de type 1 (DT1) est augmenté, et que cette augmentation est associée à une diminution importante de l’espérance de vie (plus de 10 ans pour un diabète débutant dans l’enfance) [1,2]. Cependant, même si le rôle de l’hyperglycémie est majeur dans ce sur-risque et que le DCCT a montré qu’un contrôle glycémique intensif permettait de réduire ce risque [3], le poids relatif des autres facteurs de risque cardiovasculaire (FDRCV) a été peu étudié. De même, les cibles optimales associées à un meilleur pronostic cardiovasculaire sont souvent dérivées des études chez le DT2 donc pas forcément adaptées à une population bien différente sur beaucoup d’aspects. Les auteurs de l’étude présentée ici (une équipe suédoise exploitant les données de leurs formidables registres nationaux) avaient déjà montré qu’un contrôle global des FDRCV était associé à un risque CV moins élevé [2]. Ici, ils ont élargi leur recherche en étudiant l’association de 17 FDRCV (ou plutôt marqueur du risque CV incluant des paramètres cliniques, biologiques mais aussi le niveau de revenus, d’éducation, d’activité physique) avec l’incidence de la mortalité et des événements cardiovasculaires au sein des registres nationaux suédois. De plus, le niveau optimal de certains de ces facteurs associés à un moindre risque a également été évalué.
Les données utilisées dans cette étude proviennent du registre Swedish National Diabetes Register qui inclut des informations sur les facteurs de risque, les traitements et les complications du diabète de plus de 95% des patients avec DT1 ou DT2 vivant en Suède. Ont été inclus les individus du registre avec un DT1 (entre 1998 et 2012) et sans antécédent cardiovasculaire, insuffisance rénale chronique ou amputation. Les critères de jugement étaient le décès, les infarctus du myocarde (IDM) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) fatals et non fatals, et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Les analyses statistiques avaient pour objectifs d’évaluer la contribution et l’importance relative de chaque FDRCV dans la survenue d’évènements CV. Plusieurs modèles statistiques complexes ont été utilisés notamment l’utilisation de modèles de « machine learning » permettant d’améliorer l’efficacité et la fiabilité des corrélations. Enfin, l’association entre le niveau d’HbA1C, de LDL-c et de pression artérielle systolique (PAS) avec les événements CV a été analysée en prenant comme références les cibles recommandées pour chaque variable.
Au total 32 611 individus ont été inclus dont 9 465 avec des données pour l’ensemble des 17 FDRCV. L’âge moyen à l’entrée était de 33,1±13,1 ans, 46% étaient des femmes, la durée moyenne de diabète était de 18±13 ans, l’HbA1c de 8,2±3,6% et la grande majorité n’avait pas d’albuminurie (84%). Le suivi médian était de 10,4 ans durant lequel 1 809 décès (5,5%) ont été enregistrés. Les analyses montrent que l’âge est le facteur prédicteur le plus important du risque de mortalité mais également des autres types d’événements. De même, tous les FDRCV incluant un paramètre temporel (âge, durée de diabète, âge au diagnostic) avaient un importance relative forte dans la survenue des évènements. Au-delà de ces critères liés à l’âge, l’HbA1c surtout, mais aussi l’albuminurie étaient les plus importants prédicteurs du risque de mortalité. Ainsi, chaque augmentation de 3 points d’HbA1c était associée à un risque de décès augmenté de 22%. D’autres facteurs moins traditionnels ressortent de ces analyses. Ainsi, le niveau de rémunération et d’éducation est un facteur prédicteur important de mortalité, un peu moins pour les autres types d’événements. Pour les AVC, l’activité physique et surtout la PAS ressortaient en bonne place par rapport aux autres événements (risque augmenté de 16% pour une augmentation de 10 mmHg). De même, pour l’insuffisance cardiaque, les facteurs prédicteurs importants étaient principalement ceux liés à la néphropathie diabétique (albuminurie et débit de filtration glomérulaire (DFG)). Il est à noter que la part et le niveau de chaque facteur était variable selon le type d’analyse effectuée. Les auteurs ont donc moyenné la contribution de chaque facteur en prenant en compte chaque type d’analyse (en excluant l’âge). Il en ressort que pour la mortalité, les facteurs prédicteurs sont, par autre d’importance l’HbA1c, l’albuminurie et le DFG, le niveau de revenus, la durée du diabète et la PAS. Pour l’IDM, il s’agissait de la durée de diabète, le LDL-c, l’albuminurie/DFG, l’HbA1C et la PAS alors que pour l’insuffisance cardiaque, l’albuminurie/DFG arrivait en tête avec un hazard ratio (HR) à 3,63 suivi des autres facteurs (HbA1c, LDL-c, PAS et durée de diabète) dans des proportions beaucoup plus faibles de l’ordre de 1,1 de HR. La seconde partie de l’analyse évaluant le niveau optimal des facteurs montrait que les niveaux optimaux de LDL-c et de PAS étaient inférieurs à ceux des recommandations (moins de 120 mmHg pour la PAS et moins de 2 mmol/L de LDL-c). Pour l’HbA1c, une courbe en J était observée avec un point d’inflexion autour de 7,6% pour la mortalité. Il n’y avait pas de courbe en J en revanche dans l’insuffisance cardiaque avec une relation quasi linéaire pour les 3 facteurs.

En conclusion, cette étude, basée sur une large population et utilisant des méthodes statistiques complexes, montre qu’au-delà de l’âge, les facteurs prédicteurs majeurs de la mortalité et des événements CV chez les patients diabétiques de type 1 sont l’HbA1c, la fonction rénale, la durée du diabète, le LDL-c et la PAS. Elle fait apparaitre également qu’il existe un certain degré de variabilité de l’importance pronostique de chaque facteur pour chaque type d’événement suggérant des mécanismes sous-jacents différents. Ainsi, l’insuffisance cardiaque est très dépendante des paramètres rénaux et de l’HbA1c alors que les pathologies athérothrombotiques (IDM, AVC) sont plus liées aux FDRCV traditionnels comme l’HbA1c, le LDL-c et la PAS. Un autre enseignement important de cette étude est le fait que le niveau de LDL-c est un facteur prédicteur important de la mortalité et que les niveaux associés au risque le plus faible (pour tous types d’événement) sont au-dessous des seuils habituellement admis dans un population de patients DT1 jeunes. Attention toutefois, malgré des analyses statistiques robustes, à la pointe des connaissances statistiques actuelles, il faut garder à l’esprit que ce ne sont que des analyses d’association dont la causalité ne peut pas être affirmée formellement. Ainsi, si diminuer le LDL-c jusqu’à des seuils inférieurs à 2 mmol/l chez des DT1 jeunes réduit le risque CV futur ne peut pas être affirmé à partir de telles données.

 

Références

[1] Livingstone SJ, et al. Estimated life expectancy in a Scottish cohort with type 1 diabetes, 2008-2010. JAMA. 2015;313:37-44.
 
[2] Rawshani A, et al. Mortality and Cardiovascular Disease in Type 1 and Type 2 Diabetes. N Engl J Med. 2017;376:1407-1418.
 
[3] Diabetes Control and Complications Trial (DCCT)/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications (EDIC) Study Research Group. Intensive Diabetes Treatment and Cardiovascular Outcomes in Type 1 Diabetes: The DCCT/EDIC Study 30-Year Follow-up. Diabetes Care. 2016;39:686-93.
 


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