lundi 30 novembre 2020

Monitorage du glucose en hospitalisation : la cinquième constante ?

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Novembre 2020
 
Article du mois en accès libre
 
Galindo RJ, et al. Comparison of the FreeStyle Libre Pro Flash Continuous Glucose Monitoring (CGM) System and Point-of-Care Capillary Glucose Testing in Hospitalized Patients With Type 2 Diabetes Treated With Basal-Bolus Insulin Regimen. Diabetes Care. 2020; 43:2730-2735. doi : 10.2337/dc19-2073
Singh LG, et al. Reducing Inpatient Hypoglycemia in the General Wards Using Real-time Continuous Glucose Monitoring: The Glucose Telemetry System, a Randomized Clinical Trial. Diabetes Care. 2020; 43:2736-2743. doi : 10.2337/dc20-0840
Fortmann AL, et al. Glucose as the Fifth Vital Sign: A Randomized Controlled Trial of Continuous Glucose Monitoring in a Non-ICU Hospital Setting. Diabetes Care. 2020; 43:2873-2877. doi : 10.2337/dc20-1016

 

Les progrès technologiques en matière de diabète sont en train de bouleverser la spécialité. Parmi ces progrès, les systèmes de surveillance du glucose interstitiel (en continu : CGM ou par scan : FGM comme le FreeStyle Libre®) ont clairement changé la donne tant en termes de confort pour le patient que de capacité pour le patient et le soignant à améliorer l’équilibre glycémique. Si ces capteurs, surtout le FreeStyle Libre®, sont utilisés depuis quelques années en routine chez les patients diabétiques sous insuline, c’est loin d’être encore le cas en hospitalisation où les glycémies capillaires restent la référence pour la surveillance du diabète. Pourtant, hors service de diabétologie, la gestion du diabète reste complexe pour de multiples raisons : effet hyperglycémiant de la pathologie ayant conduit à l’hospitalisation, parfois corticothérapie, prise alimentaire fluctuante, glycémies à horaires variables, et difficulté d’adaptation de l’insuline. Le monitorage du glucose en continu pourrait permettre d’améliorer l’équilibre glycémique, notamment de diminuer les hypoglycémies mais de nombreuses inconnues existent encore sur la fiabilité et l’efficacité de tels systèmes à l’hôpital. Dans un numéro récent de Diabetes Care, trois essais cliniques, tous américains, ont été publiés simultanément sur ce sujet, chacun testant l’utilisation d’un CGM ou FGM chez des diabétiques en hospitalisation traditionnelle (hors unité de soins intensif USI).
Le premier essai était un essai de fiabilité dont l’objectif était de comparer les données des glycémies capillaires faites au moins 6 fois/jour avec celles de l’ensemble des données issues d’un FGM - le FreeStyle Libre Pro®. L’étude a été conduite à Atlanta et Minneapolis et a inclus 134 patients diabétiques de type 2 (DT2) hospitalisés en médecine ou chirurgie, quel que soit leur traitement antidiabétique antérieur mais avec une glycémie à l’admission entre 1,40 et 4,00 g/l et qui ont tous été mis sous insulinothérapie basal/bolus durant l’hospitalisation. Le FGM a été placé rapidement après l’admission et ses données n’ont pas été utilisées durant l’hospitalisation mais uniquement après pour comparaison avec les valeurs de glycémies capillaires. Au final, 97 patients ont pu être analysés avec une moyenne d’âge de 54 ans, 66% d’hommes et une HbA1c moyenne de 10,2%. Les glycémies moyennes quotidiennes étaient plus élevées sur les 6 glycémies capillaires que le taux de glucose moyen issue du FGM (1,89 vs 1,76 g/l, p< 0,001) avec une différence moyenne de 0,13 g/l. La durée dans la cible (ou pourcentage de valeurs dans la cible pour les glycémies capillaires) entre 0,70 et 1,80 g/l était plus basse avec les glycémies capillaires qu’avec le FGM (48 vs 53%). De la même façon, le temps passé en hyperglycémie était plus important avec les glycémies capillaires alors que celui passé en hypoglycémie était plus faible. Ainsi, les données complètes du FGM mettaient en évidence beaucoup plus de patients ayant fait des hypoglycémies que sur la seule base des glycémies capillaires (56 vs 14% pour < 0 ,7 g/l et 36% vs 4 ,1% pour < 0,54 g/l). Enfin, le MARD (mean absolute relative difference) entre 2 points au même instant de glycémie capillaire et du FGM était de 14,8% mais s’élevait à 28% pour les hypoglycémies même si le nombre d’hypoglycémies ayant pu être matché entre FGM et glycémies capillaires était faible (n=13). En moyenne, 90% des mesures comparées du FGM étaient à ± 30% de la valeur de la glycémie capillaire au même instant. Aucun effet de l’âge ou du poids n’était mis en évidence sur la comparaison FGM et glycémies capillaires.
Les deux autres études étaient des essais randomisés contrôlés dont l’objectif était cette fois de comparer l’effet d’une surveillance du diabète par glycémies capillaires ou CGM sur l’équilibre glycémique durant l’hospitalisation. Le Dexcom G6® a été utilisé dans les deux études. Dans l’étude de Fortmann et al., tous les patients avec 3 glycémies > 2 g/l dans les premières 24h d’hospitalisation et nécessitant une insulinothérapie sous-cutanée ont été inclus. Cette étude monocentrique conduite à San Diego (siège de Dexcom®) a inclus 110 patients chez qui a été posé un CGM : 53 sans possibilité de lecture des données (aveugle) et 57 avec lecture par l’équipe de soins via un moniteur dans le poste de soins (comme une télémétrie ECG dans les unités d’USIC). Les alarmes étaient réglées pour < 0,90 et > 2,50 g/l. Un protocole d’ajustement de l’insuline avait été développé spécifiquement. Les patients du groupe CGM avaient une meilleure glycémie moyenne (2,19 vs 2,38 g/l, p=0,03), un TIR 70-180 plus élevé mais non différent statistiquement (25,3 vs 19,9%, p=0,14) et moins de temps passé en hyperglycémie > 2,5 g/l (27 vs 33%, p=0,04). Le temps passé en hypoglycémie ou le nombre d’hypoglycémies étaient trop faibles pour être comparés entre les deux groupes.
Le deuxième essai d’intervention avait pour objectif plus spécifique d’étudier la capacité du CGM à limiter les hypoglycémies chez des sujets à risque. Au total, 72 patients DT2 estimés à risque élevé d’hypoglycémie et hospitalisés dans un hôpital de Baltimore ont été inclus (traitement par insuline, âge ≥ 65 ans, IMC ≤ 27kg/m², dose d’insuline ≥ 0,6 U/kg/j, ou comorbidités importantes). Tous ont eu un CGM (la moitié en ouvert avec alertes pour des taux de glucose < 0,85 g/L et > 4 g/l et moniteur dans le poste de soins) et l’autre en aveugle. Le basal/bolus avec un protocole d’adaptation était la règle pour tous. Les patients sous CGM ouvert avaient 60,7% moins d’’événements hypoglycémiques (<0,7 g/l) que ceux en CGM aveugle (0,67 vs 1,69 événements/patient, p=0,024). Le temps passé sous 0,7 g/l était logiquement plus faible : 0,4% contre 1,88%. La comparaison était aussi statistiquement favorable au CGM ouvert pour les valeurs < 0,54 g/l. Concernant le TIR, qui n’était pas un objectif de l’étude, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes (59 vs 54%, p=0,39). Enfin, à noter que la durée d’hospitalisation était similaire entre les deux groupes pour les deux études.

Ces trois études ouvrent donc la porte à l’utilisation du CGM en hospitalisation classique. La première nous confirme que les données de CGM ne sont pas comparables aux données de glycémies capillaires (plus basses en moyenne mais on ne mesure pas la même chose) tout en restant relativement proche et ne sont pas un frein au développement du CGM à l’hôpital. Les deux autres démontrent pour la première fois sur un grand nombre de patients et avec une méthodologie solide que le CGM peut permettre d’améliorer le contrôle glycémique et limiter les hypoglycémies, deux facteurs potentiellement susceptibles d’aggraver le pronostic du patient. Il faudra encore évaluer l’efficacité du CGM sur des critères plus lourds (mortalité, durée de séjour,…) et à plus large échelle. Cependant, il existe des freins évidents à la diffusion de cette technologie. D’abord la nécessité d’une validation par les autorités et les laboratoires de biochimie (responsables de la fiabilité des lecteurs de glycémies capillaires à l’hôpital). Ensuite, son coût évidemment et la capacité de gérer de tel système par un service et une équipe non diabétologiques. Ce système décharge de la glycémie capillaire mais génère énormément de données et injonctions de soins via les alarmes, ajoutant encore au travail des équipes paramédicales déjà bien sollicitées. Ainsi, le CGM à l’hôpital nécessitera un « service après-vente » de diabétologie avec des protocoles rigoureux, clairs et précis afin de pouvoir gérer efficacement ces nouvelles données. C’était le cas dans ces deux études randomisées mais on est encore un peu loin de la réalité de l’hôpital au quotidien. Reste que ces obstacles franchis, le CGM aura probablement sa place à l’hôpital pour la gestion de la glycémie qui pourrait devenir une constante comme une autre au même titre que le pouls, la tension artérielle ou la saturation. Quand on parle CGM, on parle aussi boucle fermée et on envisage aisément l’intérêt que pourrait avoir la gestion automatisée de la glycémie dans un service de soins permettant de s’affranchir cette fois de toute les contraintes et difficultés de la gestion du diabète. Un essai randomisé maintenant ancien (2017) avait montré une augmentation significative du TIR avec la boucle fermée chez 40 patients DT2 hospitalisés [1]. Pour aller plus loin, un panel d’expert vient d’ailleurs de publier en novembre des recommandations sur l’utilisation du CGM et de la boucle fermée en hospitalisation [2].

 

Références

[1] Thabit H, et al. Closed-loop insulin delivery in inpatients with type 2 diabetes: a randomised, parallel-group trial. Lancet Diabetes Endocrinol. 2017;5:117-124.
 
[2] Galindo RJ, et al. Continuous Glucose Monitors and Automated Insulin Dosing Systems in the Hospital Consensus Guideline. J Diabetes Sci Technol. 2020;14:1035-1064.
 


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