mercredi 1 février 2023

Vers un nouveau biomarqueur de la polyneuropathie sensitivomotrice diabétique précoce : apport du taux sérique de la chaîne légère de monofilament (NFL)

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Janvier 2023
 
Article du mois en accès libre
 
Maalmi H & al., Serum neurofilament light chain: a novel biomarker for early diabetic sensorimotor polyneuropathy. Diabetologia. 2022 Dec 6. doi : 10.1007/s00125-022-05846-8. Online ahead of print.

 

La polyneuropathie sensitivomotrice diabétique (PNSD) est caractérisée par une démyélinisation et une perte axonale des nerfs périphériques sensitifs et moteurs [1]. Cette complication micro-angiopathique diabétique représente, pour tout clinicien, un défi tant diagnostique que thérapeutique. Dans le cadre d’essais thérapeutiques, son évaluation objective est complexe. Constat ainsi fait, la recherche d’un test de réalisation simple, peu onéreux et de mise en œuvre aisée apparaît nécessaire que ce soit pour le diagnostic, le suivi ou la recherche clinique. La chaîne légère de monofilament (en anglais, Neurofilament Light Chain [NFL]), composante du cytosquelette des neurones matures, pourrait être un élément de réponse. Déjà utilisée comme biomarqueur dans la sclérose en plaques [2], une récente étude mettait en évidence une corrélation inverse entre le taux sérique de NFL et les mesures de fonctionnalité nerveuse chez des patients diabétiques de type 2 (DT2) depuis 3 ans ou moins [3]. Pour autant, l’association entre taux sérique de NFL et prévalence de la PNSD chez des patients diabétiques de type 1 (DT1) et DT2 reste à déterminer.

Ainsi, l’objectif principal de cette étude était d’évaluer l’association entre taux sériques de NFL et prévalence de la PNSD chez des patients DT1 et DT2, récemment diagnostiqués. Un second objectif visait à déterminer d’autres cibles protéiques comme d’éventuels biomarqueurs.

À partir des données de la cohorte observationnelle prospective « German Diabetes Study », une analyse transversale a été menée sur 423 adultes DT1 ou DT2 dont la durée de diabète n’excédait pas un an. Le dosage de la NFL a été réalisé sur des échantillons de sérum prélevés à jeun par une approche multiplex utilisant la technologie de « proximity extension assay ». Cette méthode repose sur la reconnaissance par deux anticorps, chacun couplé à un oligonucléotide complémentaire, d’une protéine dans un échantillon de sérum. L’approche multiplex permet, en outre, de doser jusqu’à 92 biomarqueurs potentiels sur un faible volume de sérum. Les taux sériques de NFL étaient exprimés en valeur relative, et non en valeur absolue, après normalisation de l’expression protéique (NPX). La PNSD a été évaluée chez chaque participant par un examen neurologique, des études de conduction nerveuse et des tests sensoriels quantitatifs. Les stades de la PNSD ont été définis selon les critères du consensus de Toronto comme subclinique, asymptomatique et symptomatique [4]. L’association entre taux sérique de NFL et PNSD a été déterminée à l’aide d’une régression de Poisson. Des analyses exploratoires ont été menées pour évaluer le potentiel d’autres protéines du panel comme biomarqueur de la PNSD.

Parmi les 423 participants de l’étude, une PNSD était retrouvée chez 66 d’entre eux (16% de la population de l’étude) de stade subclinique, asymptomatique ou symptomatique respectivement chez 41, 11 et 14 participants. Les patients avec PNSD étaient plus souvent de sexe masculin, plus âgés, plus grands et avec un tour de taille plus important que les participants sans PNSD. Après ajustement pour l’âge, une corrélation positive était retrouvée entre le taux sérique de NFL et l’âge au diagnostic (r=0.61, p<0.0001) mais pas avec d’autres facteurs tels que l’indice de masse corporelle (IMC), le tour de taille ou l’HbA1c. Après ajustement pour différents facteurs de confusion (modèle « fully adjusted »), des concentrations sériques plus élevées de NFL étaient positivement associées à la PNSD (risque relatif [RR] pour chaque augmentation de 1 d’expression protéique normalisée = 1,92 ; intervalle de confiance de 95% [IC95 %] (1,50-2,45), p<0,0001) ainsi qu’à des vitesses de conduction nerveuse motrice et sensorielle significativement plus lentes. Aucune interaction n’était retrouvée avec le type de diabète. En revanche, aucune autre protéine testée dans le panel n’a montré un potentiel de biomarqueur.

Une association entre taux sériques de NFL plus élevés et prévalence de la PNSD est donc bien retrouvée dans cette étude chez des patients DT1 et DT2 récemment diagnostiqués. Le caractère indépendant de cette association vis-à-vis de l’âge ou d’autres covariables valide l’hypothèse que la NFL sérique représente un biomarqueur prometteur de la présence d’une dysfonction nerveuse précoce. Ces résultats sont en accord avec ceux de l’étude de Morgenstern et al. [3]. Néanmoins, cette dernière ne rapportait que des éléments de corrélations entre NFL sérique et PNSD et n’incluait que des patients DT2 d’âge avancé avec une durée de diabète (plus de 3 ans) bien supérieure à celle de la présente étude. De même, celle-ci retrouvait, à l’inverse de la présente étude, une différence de taux sériques de NFL entre les patients diabétiques avec neuropathie et une population contrôle non diabétique mais aucunement entre patients diabétiques avec ou sans neuropathie. En outre, des taux sériques élevés de NFL n’étant pas spécifiques de la PNSD, la NFL sérique ne peut s’envisager comme un outil diagnostique de la PNSD. En revanche, il pourrait s’avérer un biomarqueur précieux de suivi tant en pratique clinique courante qu’en recherche thérapeutique.

Néanmoins, certaines limites sont à prendre en compte : (1) le design de l’étude ne permettant pas de déterminer une valeur prédictive de la NFL sérique; (2) l’inclusion de participants avec un bon équilibre glycémique pour lequel l’étendue des lésions nerveuses était moindre que celui de personnes atteintes de diabète moins contrôlé; (3) la prédominance de PNSD subclinique limitant la possibilité de conclure entre taux sérique de NFL et stade de PNSD et enfin (4) la population strictement germanique limitant la généralisation de ces résultats à d’autres populations.

Pour autant, cette étude indique que des taux sériques plus élevés de NFL sont associés à la prévalence de la PNSD et au dysfonctionnement nerveux chez des patients diabétiques récemment diagnostiqués, faisant de la NFL sérique un nouveau biomarqueur de suivi de la PNSD. L’apport potentiel de ce biomarqueur dans la surveillance des patients en pratique clinique courante tout comme son utilité dans les essais cliniques requiert cependant des études complémentaires.

 

Références

[1] Ziegler D, et al. Current concepts in the management of diabetic polyneuropathy. J Diabetes Investig. 2021;12:464–75.
 
[2] Ferreira-Atuesta C, et al. The Evolution of Neurofilament Light Chain in Multiple Sclerosis. Front Neurosci. 2021;15:642384.
 
[3] Morgenstern J, et al. Neuron-specific biomarkers predict hypo- and hyperalgesia in individuals with diabetic peripheral neuropathy. Diabetologia. 2021;64:2843–55.
 
[4] Dyck PJ, et al. Diabetic polyneuropathies: update on research definition, diagnostic criteria and estimation of severity: Diabetic Polyneuropathies. Diabetes Metab Res Rev. 2011;27:620–8.
 


from Société Francophone du Diabète https://ift.tt/iTYoKhQ