vendredi 12 juillet 2019

Le diabète gestationnel, facteur de risque cardio-métabolique chez la descendance, plus que le surpoids ou l’obésité maternel préconceptionnels…

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Juin 2019
 
Article du mois en accès libre
 
Kaseva N et al. Gestational Diabetes But Not Prepregnancy Overweight Predicts for Cardiometabolic Markers in Offspring Twenty Years Later. J Clin Endocrinol Metab 2019 July. doi: 10.1210/jc.2018-02743

 

Les femmes présentant un diabète gestationnel (DG), un surpoids (IMC  ≥ 25 kg/m2) ou une obésité (IMC ≥ 30 kg/m2) préconceptionnels ont fréquemment des anomalies métaboliques. Ces anomalies métaboliques survenant dans une période cruciale du développement fœtal pourraient avoir des effets à long terme, avec la notion de programmation fœtale [1] et de mémoire métabolique. S‘il est bien connu que l’exposition prénatale à un environnement hyperglycémique altère les mécanismes de régulation homéostatique, modifiant l’épigénétique de la descendance [2], il n’est que présagé que le surpoids ou l’obésité préconceptionnels modifient l’environnement utérin prénatal, et ainsi la programmation in utero. Ceci pourrait augmenter les risques de surpoids et d’obésité à la génération suivante, et conduire à un cycle d’obésité / insulino-résistance inter générationnel.
La descendance des femmes ayant eu un DG présente des marqueurs d’insulinorésistance et une prévalence plus élevée de syndrome métabolique et d’IMC plus élevé à l’adolescence [3], et elle est à risque de développer un surpoids et un syndrome métabolique [4] à l’âge adulte.
La descendance de femmes obèses pendant la grossesse a plus de risque d’obésité, d’anomalies métaboliques [5] et de composition corporelle défavorable dès l’enfance [6] et jusqu’à l’âge adulte [7]. Quoi qu’il en soit, ces associations ne sont pas des liens de causalité puisqu’il est difficile de dissocier facteurs génétiques, facteurs de mode de vie partagés par la famille, et facteurs de programmation fœtale. Il est également difficile de faire la part des choses entre l’exposition au DG et/ou au surpoids ou à l’obésité maternelle. Dans ce contexte, Kaseva et al. ont fait l’hypothèse que le DG et le surpoids ou l’obésité préconceptionnels pouvaient influencer différement le risque de développement de facteurs de risque cardiométabolique chez la descendance. Ils ont exploré l’effet de l’exposition au DG ou au surpoids ou à l’obésité préconceptionnels sur la santé cardiométabolique de la descendance.
Les participants de cette étude proviennent de deux cohortes prospectives de naissance : l’étude ESTER [7] et l’étude longitudinale Arvo Ylppö [8]. L’étude ESTER a inclus 1161 participants (nés prématurés, ou de mère avec DG, hypertension gravidique, prééclampsie ou sans pathologie liée à la grossesse) en Finlande. Les participants de l’étude Arvo Ylppö sont nés en Finlande entre 1985 et 1986. Pour chaque participant, les données périnatales ont été collectées à partir des rapports médicaux (durée de la grossesse, DG, hypertension gravidique ou chronique, pré éclampsie). Le DG était dépisté par une hyperglycémie provoquée par voie orale à 75 g de glucose entre la 26éme et la 28éme semaine de gestation en cas de glycosurie, d’antécédent de DG ou de macrosomie, de suspicion de macrosomie fœtale, d’IMC maternel préconceptionnel ≥ 25 kg/m², d’âge maternel ≥ 40 ans. Le diagnostic de DG était posé si au moins une glycémie était pathologique avec des seuils > 5,5 mmol/L à jeun, > 11 mmol/L à une heure et > 8 mmol/L à deux heures. La descendance des femmes ayant un diabète de type 1 ou de type 2 était exclue. Les descendants ayant une infirmité motrice cérébrale, un retard mental, un handicap physique sévère ou étant enceintes le jour du bilan biologique ont été exclus. Les 906 participants de ESTER et AYLS ayant eu les mesures biologiques ont été inclus dans l’étude et divisés en trois groupes: descendance de mère ayant eu un DG, quel que soit l’IMC maternel (groupe DDG, n=193), descendance de mères sans DG avec surpoids ou obésité préconceptionnels (DNO, n=157), et groupe contrôle (descendance des mères sans DG et sans surpoids ou obésité préconceptionnels, n=556). Les participants ont été mesurés, pesés (avec pour la majorité réalisation d’une impédancemétrie), examinés avec mesure de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque. Ils ont rempli des questionnaires sur leur santé et sur celles de leurs parents. Le niveau scolaire des parents était classé en quatre catégories et utilisé comme reflet du niveau socio-économique. Les analyses biologiques comportaient : glycémie à jeun, insulinémie à jeun, cholestérol total, HDL-cholestérol, LDL-cholestérol, triglycérides, ASAT, ALAT, GGT, acide urique, SHBG, testostérone.
L’âge moyen des participants était de 24,1 ± 1,3 ans avec 51,3% de femmes. Les jumeaux ont été exclus de l’analyse (12 au total). En comparaison au groupe contrôle (IMC 21,2 ± 1,9 kg/m²), l’IMC maternel préconceptionnel était significativement différent dans le groupe DDG (24,9 ± 5,4 kg/m²) et dans le groupe DNO (28 ± 3); de même pour la prévalence de l’hypertension maternelle (contrôle 13,1% ; DDG 26,9% et DNO 33,8%), de l’âge gestationnel (respectivement 39,9 ± 1,4 SA; 39 ± 0,2 SA et 39,1 ± 2,9 SA), du poids de naissance (3,535 ± 0,465 kg ; 3,687 ± 0,626 kg et 3,458 ± 0,864 kg). Les descendants étaient plus jeunes lors du bilan clinico-biologique dans le groupe DDG par rapport au groupe contrôle (23,4 ± 1,3 ans versus 24,4 ±1,3 ans). La glycémie à jeun et l’insulinémie étaient en moyenne plus élevées dans le groupe DDG que dans le groupe contrôle (respectivement +1,6%, p=0,03 et + 12,7%, p=0,002) et dans le groupe DNO versus le groupe contrôle (+2,3%, p=0,01 et +8,7%, p=0,05) mais après ajustement sur les facteurs confondants de la descendance dont l‘IMC, les résultats n’étaient plus significatifs ni pour le groupe DNO ni pour le groupe DDG. La SHBG était significativement plus basse (-10,3%, p=0,001) dans le groupe DDG après ajustement sur les facteurs confondants (IMC…), et le HDL-cholestérol, le cholestérol total et l’ApoA1 étaient diminués (respectivement -5,4% , p=0,04 ; -3,9%, p=0,04 et -4,6%, p=0,01). La pression artérielle était elle aussi diminuée dans le groupe DDG avec -3,6% pour la pression systolique, p=0,001 et -2,2% pour la pression diastolique, p=0,006.
Après remplacement de l’IMC par le pourcentage de masse grasse, les résultats restaient identiques. Les analyses ont également été reprises pour comparer séparément la descendance des mères présentant une obésité préconceptionnelle (n=28) au groupe contrôle. Dans ce groupe, les résultats restaient identiques. Après ajustement, tous les résultats étaient similaires entre le groupe surpoids/obésité préconceptionnels et le groupe contrôle pour les marqueurs métaboliques.

Cette étude qui combine les résultats de deux grosses cohortes longitudinales, compare les marqueurs cardiométaboliques communs chez des adultes nés de mères présentant un DG, ou un surpoids/ une obésité préconceptionnels, ou ni l’un ni l’autre. Le groupe DDG présente une augmentation de l’insulinorésistance et un profil lipidique plus athérogène (diminution du HDL-cholestérol et de l’ApoA1) à l’âge adulte mais cette association est en partie liée aux facteurs confondants incluant l’adiposité de la descendance. Da façons surprenante, la pression artérielle était plus basse dans le groupe DDG que dans le groupe contrôle. Dans le groupe DNO, les conséquences cardiométaboliques ne sont pas aussi nettes, il existe une augmentation de la glycémie à jeun et de l’insulinémie à jeun par rapport au contrôle, expliquée quasi exclusivement par l’IMC ou le pourcentage de masse grasse à l’âge adulte puisque les résultats ne sont plus significatifs après ajustement sur les facteurs confondants. Pour arriver à mieux différencier les effets du diabète gestationnel ou ceux du surpoids/obésité maternelle sur les conséquences cardiométaboliques de la descendance, le groupe DDG a été divisé en deux groupes : IMC maternel préconceptionnel <25 kg/m² ou  ≥25kg/m². La combinaison du diabète gestationnel et de l’IMC préonceptionnel en surpoids ou en obésité montre un effet plus fort sur la glycémie à jeun et l’insulinémie chez la descendance par rapport à la descendance de femmes en surpoids ou obèses sans DG.
S‘il est traditionnellement admis que l’épidémie d’obésité s’explique par l’alimentation plus dense en énergie et la diminution de l’activité physique, il semble que d’autres facteurs existent incluant des facteurs génétiques ainsi que certaines caractéristiques du milieu de développent intra-utérin. Le DG est une cause fréquente de modification de ce milieu intra-utérin et pourrait expliquer des modifications épigénétiques. Dans des modèles de souris, la descendance de souris ayant eu un DG montre une altération du profil de méthylation dans le pancréas, concomitant d’une dyslipidémie, d’une insulinorésistance et d’une intolérance au glucose [2]. Les résultats de Kaseva et al. suggèrent que le DG et le surpoids/obésité préconceptionnels pourraient avoir des effets distincts sur la santé de la descendance. Les forces de ce travail sont le nombre de patients inclus et la durée de suivi. Par contre, il s’agit d’une population quasi exclusivement finlandaise ne permettant pas d’extrapoler ces résultats à d’autres populations. Depuis ce travail, le diagnostic de DG a changé, de même que sa prise en charge. De ce fait, le groupe DDG pourrait représenter ici un groupe plus sévère que le groupe de descendants de DG actuel. Quoi qu’il en soit, les descendants de mères ayant eu un DG semblent avoir un profil cardiométabolique plus à risque pour leur vie future, tandis que les descendants de mères en surpoids/obèses ont surtout un profil métabolique plus sévère à l’âge d’adultes jeunes, qui semble principalement lié à leur poids.

 

Références

[1] Baterson P et al. Developmental plasticity and human health. Nature 2004;430:419-421.
 
[2] Zhu Z et al. Gestational diabetes mellitus alters DNA methylation profiles in pancreas of the offspring mice. J Diabetes Complications 2019;33:15-22.
 
[3] Vääräsmäki M et al. Adolescent manifestations of metabolic syndrome among children born to women with gestational diabetes in a general-population birth cohort. Am J Epidemiol. 2009;169:1209-15.
 
[4] Clausen TD et al. Overweight and the metabolic syndrome in adult offspring of women with diet-treated gestational diabetes mellitus or type 1 diabetes. J Clin Endocrinol Metab 2009;94:2464-2470.
 
[5] Nicholas LM et al. The early origins of obesity and insulin resistance: timing, programming and mechanisms. Int J Obes 2016;40:229-238.
 
[6] Starling AP et al. Associations of maternal BMI and gestational weight gain with neonatal adiposity in the Healthy Start study. Am J Clin Nutr 2015;101:302-309.
 
[7] Eriksson JG et al. Maternal weight in pregnancy and offspring body composition in late adulthood: findings from the Helsinki Birth Cohort Study (HBCS). Ann Med 2015;47:94-99.
 
[8] Wolke D et al. An epidemiologic longitudinal study of sleeping problems and feeding experience of preterm and term children in southern Finland: comparison with a southern German population sample. J Pediatr 1998;133:224–231.
 
[9] Kaseva N et al. Prepregnancy overweight or obesity and gestational diabetes as predictors of body composition in offspring twenty years later: evidence from two birth cohort studie. Int J Obes 2018;42:872–879.
 


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