mercredi 14 novembre 2018

Les complications urologiques des patients diabétiques de type 1

Auteur : 
Manuel Dolz
Date Publication : 
Octobre 2018
 
Article du mois en accès libre
 
Burden of Urological Complications in Men and Women With Long-standing Type 1 Diabetes in the Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications Cohort. Diabetes Care 2018 Oct; 41(10): 2170-2177. doi: 10.2337/dc18-0255

 

Peu d’études se sont penchées sur les affections urologiques associées au diabète. La dysfonction érectile (DE) est la plus connue, mais d’autres complications altèrent la qualité de vie de nos patients et patientes telles que les infections des voies urinaires, l'incontinence urinaire et d'autres symptômes des voies urinaires basses (LUTS-Low Urinary Track Symptoms) [1,2]. Des travaux ont montré qu'un certain nombre de ces complications urologiques étaient associées à un diabète de type 1 (DT1) plus sévère et moins bien contrôlé. Cependant, ces publications étaient toutes focalisées sur une seule complication et actuellement il n’y a pas de données disponibles permettant de connaître leur co-incidence ou co-prévalence [3,4].

Afin de mieux caractériser le fardeau des complications urologiques, individuelles et cumulatives, au cours du DT1, les données de suivi à 7 ans de l’étude Urologic EDIC (UroEDIC), étude ancillaire de EDIC, sont présentées dans cet article publié en octobre 2018 dans la revue Diabetes Care. On rappellera que le DCCT avait randomisé 1441 sujets DT1 entre 1983 et 1989, et démontré après un suivi moyen de 6,5 ans qu’un traitement intensif par multi-injections d’insuline permettait de retarder l'apparition et ralentir la progression de la rétinopathie, de la néphropathie et de la neuropathie de 35 à 70%. En 1994, 96% des patients du DCCT ont accepté de participer au programme EDIC qui comprend des examens annuels pour statuer sur les complications [5]. L'âge moyen des participants à EDIC était de 33,6 ans, avec une durée moyenne de diabète de 12,2 ans.

Tous les hommes et toutes les femmes d’EDIC ont été invités à participer à UroEDIC à la dixième année d’EDIC (2003 - UroEDIC I) et à nouveau à la dix-septième année d’EDIC (2010/2011 - UroEDIC II), indépendamment de leur participation à la dixième année. Les participants consentants ont répondu à une enquête confidentielle évaluant la fonction sexuelle et urinaire, l’impact des symptômes et les antécédents d’infection des voies urinaires (vessie-rein). Elle s’est appuyée sur des auto-questionnaires validés pour l’exploration des symptômes urologiques. L’objectif d’UroEDIC était double : 1) documenter la prévalence et la co-occurrence des dysfonctions sexuelles (DE, diminution de la libido, dysfonction orgasmique), de l’incontinence urinaire, des LUTS et des infections des voies urinaires, ainsi que leurs taux d'émergence, de persistance et de rémission ; 2) identifier des associations entre ces complications urologiques et des variables démographiques et cliniques liées au diabète (IMC, HbA1c, âge, atteintes micro-vasculaires associées…). Les taux de participation aux enquêtes UroEDIC I et UroEDIC II étaient de 83,6 et 95,1%, respectivement. Sur les 1141 participants d’UroEDIC I, 1059 (92,8%) ont participé à UroEDIC II. Ainsi, au total, 508 femmes et 551 hommes ont répondu au sondage aux deux temps, et au total 65% des femmes et 68% des hommes ont signalé au moins une complication urologique lors d’UroEDIC II.

La prévalence des complications urologiques dans UroEDIC II chez les femmes était de 42% pour les dysfonctions sexuelles, de 31% pour l’incontinence urinaire, de 22% pour les LUTS, et de 17% pour les infections des voies urinaires. Globalement, chez les femmes sexuellement actives, 35% n’ont signalé aucune complication, 39% en avaient une et 26%, deux complications ou plus. Les LUTS étaient souvent associés à d'autres complications, alors que les dysfonctions sexuelles survenaient plus souvent isolément. La deuxième complication urologique la plus fréquemment signalée chez les femmes participant à UroEDIC était l’incontinence urinaire. Le fait que 31% des femmes déclare présenter une incontinence urinaire hebdomadaire ou supérieure n’est pas anodin. Car outre le fait que cela peut être source d’une détresse importante, d’un isolement social et par conséquent d’une moins bonne qualité de vie, cela témoigne d’une prévalence très supérieure aux populations de femmes non-diabétiques de même âge : 15% dans l’étude BACH et 17% dans NHANES [6,7].
Chez les hommes il était rapporté 45% de DE, de 40% diminution de la libido, 24% de LUTS et 14% de dysfonction orgasmique. Seulement 31% n'avaient pas de complications, 36% en avaient une, 22% deux, 9% trois et 3% quatre.  De manière similaire, le type de chevauchement entre les complications chez les hommes était spécifique à chaque complication et contrairement aux femmes les LUTS apparaissant plus souvent sans autre complication, tandis que la DE, la diminution de la libido et dysfonction orgasmique survenaient simultanément.
La majorité des participants qui présentaient une complication urologique lors d’UroEDIC I conservait cette complication à UroEDIC II (de 56 à 86%), à l'exception des infections urinaires chez les femmes, où seulement 29% de celles ayant signalé la complication lors de la première enquête signalaient encore une infection de la vessie ou des reins au cours de la deuxième enquête.

Chez les femmes, l’âge croissant était associé à la fois à l’émergence (p=0,03) et à la persistance d’une dysfonction sexuelle (p<0,001) et à la persistance de l’incontinence urinaire (p=0,03). L'HbA1c était associée à l'émergence des LUTS (p=0,03) et à la persistance de l’incontinence urinaire (p=0,05). Ainsi les femmes du quartile supérieur d'HbA1c (> 8,54%) étaient deux fois plus susceptibles de déclarer des LUTS que celles du quartile inférieur d'HbA1c (≤ 7,38%), confirmant les données d’une étude du même groupe [8]. De plus, un IMC ≥ 30 kg/m² était associé à une probabilité plus élevée de déclarer une incontinence urinaire. Cette association de l’incontinence urinaire avec l'IMC est en accord avec les résultats obtenus auprès de populations non diabétiques et de femmes atteintes de diabète de type 2 [9]. Les femmes atteintes de néphropathie présentaient une probabilité plus élevée de déclarer une infection des voies urinaires, celles présentant une neuropathie périphérique, une probabilité plus élevée de LUTS, et celles ayant une neuropathie autonome, une probabilité plus élevée de dysfonction sexuelle et d'infection des voies urinaires, ce qui pourrait indiquer une mauvaise vidange de la vessie en raison d'une cystopathie diabétique.
Chez les hommes, l’âge était associé à l’émergence de LUTS (p<0,01) et à la persistance des quatre complications : les LUTS (p<0,001), la DE (p<0,0001), la diminution de la libido (p<0,01) et la dysfonction orgasmique (p=0,0063). L'HbA1c était associée à la persistance de la DE (p<0,0001) et à la persistance de la dysfonction orgasmique (p<0,001). Chez les hommes, l'IMC n'est pas considéré comme un facteur de risque indépendant de complications urologiques. Les hommes présentant des complications microvasculaires liées au diabète avaient une probabilité plus élevée de déclarer des LUTS, une DE et une dysfonction orgasmique. Le fait que la DE soit la complication la plus fréquemment rapportée n’est pas surprenant, de même que son association avec l’âge, un contrôle du diabète moins performant et d’autres complications du diabète, notamment la neuropathie autonome. Toutefois, il est important de signaler le rôle fort du diabète dans ce risque de survenue de cette complication puisque la proportion d’hommes déclarant une DE était beaucoup plus élevée que dans un groupe comparable dans la NHANES (par exemple, 42% dans UroEDIC II contre 8% dans le groupe NHANES des 40 à 50 ans) [10]. De façon comparable à la dysfonction sexuelle de la femme diabétique, un taux plus élevé d'hommes signale cette complication isolément et cela peut rendre compte d’étiologies indépendantes des mécanismes classiques métaboliques, neuronaux et vasculaires, telle que la dépression fréquemment associée au diabète. Enfin il est important de signaler que le groupe de traitement initial du DCCT n'était pas associé à l'émergence ou à la persistance de complications dans les 2 sexes.

En conclusion, dans un climat de solitude et de mystère réunis, cette étude démontre que les complications urologiques sont très fréquentes et coexistent habituellement chez les hommes et les femmes atteints de DT1. De plus, même si une majorité des participants à l'étude UroEDIC présentent globalement une persistance de leurs complications urologiques sur une période de 7 ans, la rémission possible de certaines complications offre la possibilité d’étudier les mécanismes impliqués dans l'amélioration des symptômes et d’identifier les facteurs qui prédisent une amélioration. Alors que les améliorations dans la gestion du diabète réduisent la sévérité de la rétinopathie, de la néphropathie et de la neuropathie, et tenant compte du fait que les personnes atteintes de diabète vivent plus longtemps, les complications urologiques représentent un réel fardeau affectant la qualité de vie de nos patients. Ce travail permet donc d’amorcer la réflexion sur la morbidité urologique associée au diabète et sur les études à mener pour en atténuer les symptômes.

 

Références

[1] Brown JS, et al. Urologic complications of diabetes. Diabetes Care 2005 Jan;28(1):177-85.
 
[2] Kupelian V, et al. Association of urological symptoms and chronic illness in men and women: contributions of symptom severity and duration--results from the BACH Survey. J Urol 2009 Feb;181(2):694-700.
 
[3] Czaja CA, et al. Urinary tract infections in women with type 1 diabetes mellitus: survey of female participants in the epidemiology of diabetes interventions and complications study cohort. J Urol 2009 Mar;181(3):1129-34;discussion 1134-5.
 
[4] Sarma AV, et al. Risk factors for urinary incontinence among women with type 1 diabetes: findings from the epidemiology of diabetes interventions and complications study. Urology 2009 Jun;73(6):1203-9.
 
[5] Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications (EDIC). Design, implementation, and preliminary results of a long-term follow-up of the Diabetes Control and Complications Trial cohort. Diabetes Care 1999 Jan;22(1):99-111.
 
[6] Tennstedt SL, et al. Prevalence of and risk factors for urine leakage in a racially and ethnically diverse population of adults: the Boston Area Community Health (BACH) Survey. Am J Epidemiol 2008 Feb 15;167(4):390-9.
 
[7] Nygaard I, et al. Prevalence of symptomatic pelvic floor disorders in US women. JAMA 2008 Sep 17;300(11):1311-6.
 
[8] Lenherr SM, et al. Glycemic Control and Urinary Tract Infections in Women with Type 1 Diabetes : Results from the DCCT/EDIC. J Urol 2016 Oct;196(4):1129-35.
 
[9] Jackson SL, Scholes D, Boyko EJ, Abraham L, Fihn SD. Urinary incontinence and diabetes in postmenopausal women. Diabetes Care 2005 Jul;28(7):1730-8.
 
[10] Saigal CS, Wessells H, Pace J, Schonlau M, Wilt TJ; Urologic Diseases in America Project. Predictors and prevalence of erectile dysfunction in a racially diverse population. Arch Intern Med 2006 Jan 23;166(2):207-12.
 


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