mercredi 27 mai 2015

Etude Pre-POINT : effets immunologiques de l’insuline orale à forte dose

Auteur : 
Danièle Dubois-Laforgue
Date Publication : 
Mai 2015
 
Bonifacio E, et al. Effects of high-dose oral insulin on immune responses in children at high risk for type 1 diabetes:the Pre-POINT randomized clinical trial. JAMA 2015, 313 :1541-1549.

 

L’histoire naturelle du diabète de type 1 (DT1) est classiquement représentée en 3 phases : (i) une phase dite de latence, caractérisée par un terrain génétique de susceptibilité : apparenté au 1er degré de sujet DT1 et/ou individu porteur de la combinaison HLA à haut risque DRB1*04-DQB1*0302/DRB1*03-DQB1*0201 (autrefois DR3/DR4) ; (ii) une phase d’activation du système immunitaire vis-à-vis des îlots pancréatiques, marquée par l’existence d’une réponse humorale et lymphocytaire T (LT) dirigés contre des antigènes insulaires, durant laquelle l’insulino-sécrétion est initialement préservée. (iii) une phase de diabète avéré, atteinte lorsque la destruction des cellules ß est de l’ordre de 80% [1]. Les essais de prévention du DT1 ont jusqu’à présent concerné essentiellement les 2ème et 3ème phases de la maladie (prévention dite secondaire et tertiaire), durant lesquelles la capacité à prédire l’évolution vers le diabète est de 75 à 100% [2], permettant d’envisager des approches immuno-modulatrices voire immuno-suppressives relativement agressives. Néanmoins dans l’idéal, la prévention du DT1 se situe en amont, avant l’activation du système immunitaire, période courte chez l’enfant et durant laquelle la capacité de prédiction de la maladie est nettement inférieure. Dans ce contexte, l’induction d’une tolérance immune par l’administration orale d’insuline, déjà expérimentée en prévention secondaire et tertiaire du DT1, apparaît séduisante au 1er stade de la maladie, car spécifique de l’antigène et sans effets secondaires attendus marqués. Les précédents essais, dont les résultats ont été nuls au stade de diabète avéré [3,4] et ayant montré un bénéfice modéré en prévention secondaire dans un sous-groupe de sujets porteurs d’auto-anticorps anti-insuline à fort titre [5,6]. ont utilisé des doses faibles d’insuline (1 à 10 mg/j) définies de manière aléatoire. De plus, ils ne comportaient pas d’étude systématique des réponses immunes dirigées contre les îlots pancréatique sous traitement.

Le but de l’étude Pre-POINT, étude pilote de phase 1/2 randomisée en double aveugle, était d’analyser, chez des enfants à très haut risque génétique de développer un DT1, les effets immunologiques de l’administration d’insuline par voie orale (IO), à des doses supérieures à celles utilisées dans les essais antérieurs de prévention secondaire et tertiaire de la maladie. Les critères d’éligibilité étaient : (i) âge compris entre 2 et 7 ans ; (ii) absence d’auto-anticorps anti-insuline, anti glutamate décarboxylase (GAD) et anti insulinoma-associated antigen 2 (IA-2) ; (iii) haut risque génétique de développement d’un DT1 défini soit par l’existence d’au moins 2 antécédents familiaux au 1er degré de DT1 et la présence d’un des 2 allèles HLA à risque DQB1*0302 ou DQB1*0304 (associés à DR4) en l’absence de l’allèle protecteur DQB1*0602, soit par l’existence dans la fratrie d’un sujet DT1 et partageant avec le sujet la combinaison à très haut risque DRB1*04-DQB1*0302/DRB1*03-DQB1*0201. La randomisation insuline vs placebo était de 3/2, et l’IO était administrée selon un schéma complexe comportant 5 groupes de sujets : groupe 1 : 2,5 mg/j pendant 6 mois, puis 7,5 mg/j pendant 3 à 12 mois; groupe 2 : 2,5 mg/j pendant 6 mois, puis 22,5 mg/j pendant 3 à 12 mois; groupe 3 : 7,5 mg/j pendant 6 mois, puis 67,5 mg/j pendant 3 à 12 mois; groupe 4 : 22,5 mg/j pendant 3 à 12 mois; groupe 5 : 67,5 mg/j pendant 3 à 12 mois. La durée maximale de l’étude était de 18 mois. Des visites étaient effectuées 2 semaines, 3 mois, et 6 mois après le début du traitement et 2 semaines, 3 mois, 6 mois, et 12 mois après l’augmentation de dose. Les paramètres immunologiques étudiés étaient : les taux d’IgE, la présence d’autoanticorps anti-îlots, les sous-classes de lymphocytes, la réponse des lymphocytes T CD4 vis-à–vis de l’insuline et de la pro-insuline, la quantification d’IgA salivaires dirigés contre l’insuline. L’objectif primaire était la détection d’une réponse immune vis-à-vis de l’insuline, définie par la détection d’IgG sériques, d’IgA salivaires ou d’une réponse lymphocytaire T dirigées contre l’insuline. L’objectif secondaire était l’étude de l’expression génique des lymphocytes T anti-insuline/pro-insuline quand ils étaient présents.

Au total, 15 sujets ont été traités par insuline (3 par groupe thérapeutique) et 10 par placebo. La durée médiane de suivi était de 7,3 mois dans le groupe placebo et de 8 mois dans le groupe IO. Une réponse (humorale et/ou cellulaire) dirigée contre l’insuline était notée de manière significativement plus fréquente chez les sujets traités (9/15, 60%) comparativement au placebo (2/10, 20%). Une augmentation des IgG anti-insuline était notée chez 6 enfants, dont 3 ayant reçu 67,5 mg/j d’IO et 1 dans le groupe placebo. Des IgA à fort titre étaient par ailleurs détectés chez un enfant recevant 22,5 mg/j d’IO. Une réponse T anti-insuline était détectée chez 5 enfants, dont 2 recevant 67,5 mg/j d’IO et un traité par placebo. Une réponse dirigée contre la pro-insuline était également détectée chez 3 de ces 5 enfants. L’analyse de l’expression génique de ces lymphocytes montrait chez les sujets IO un profil de type régulateur (cellules exprimant FOXP3 et pas d’interféron γ, IFNγ). Le ratio cellules régulatrices/cellules IFNγ était ainsi de 1,05 pour les LT anti-insuline, et de 1,15 pour les LT anti-proinsuline. Pour comparaison, ce ratio était de 0,26 chez les enfants porteurs d’autoanticorps (et donc déjà engagés dans la maladie autoimmune, et non traités de l’étude BABYDIET [7]) et de 0.04 pour les LT dirigés contre la toxine tétanique. Aucun effet indésirable attribuable au traitement n’a été rapporté, et en particulier, aucun cas d’hypoglycémie ni d’allergie. Aucun sujet n’a développé d’auto-anticorps anti-GAD et anti-IA2, ni de diabète, durant l’étude.

Cette étude montre que chez les enfants à très haut risque génétique de développer un diabète de type 1, l’administration orale d’insuline à forte dose induit une réponse cellulaire T de type régulatrice (5 des 6 enfants (83,3%) ayant reçu la dose quotidienne de 67,5 mg/j). Le phénotype de la réponse humorale (IgG1 ou IgG4, associées respectivement à une réponse agressive ou protectrice) n’a cependant pas été étudié. Elle montre également l’innocuité de cette approche, tout au moins à court terme. En effet, aucun des sujets n’a présenté d’hypoglycémie (seule 1% de l’insuline administrée par voie orale est absorbée), effet secondaire rapporté dans le cas particulier d’un sujet ayant absorbé 3000 UI d’insuline injectable (ce qui correspond à environ 150 mg d’insuline, [8]). Point important également, l’administration d’insuline orale n’était associée ni à l’apparition d’anticorps anti-GAD ou anti-IA2, ni au développement d’un diabète durant l’étude. En effet, une accélération de la survenue du diabète par l’administration oral d’insuline avait été décrite dans le modèle de diabète autoimmun du rat BB (Biobreeding) [9], à l’inverse de l’effet protecteur observé dans le modèle de la souris NOD (Non Obese Diabetic) [10]. Cette étude n’est que préliminaire : le nombre de sujets inclus était faible, la durée de suivi courte, ne permettant pas d’établir un lien entre la réponse immune régulatrice induite par l’IO et la protection vis-à-vis du développement des auto-anticorps et a fortiori du diabète. Par ailleurs, l’âge à l’inclusion des sujets, d’au minimum 2 ans, était supérieur à l’âge du pic d’incidence (18 mois) d’apparition des premiers auto-anticorps chez les enfants à risque génétique de développer un DT1 [11]. Ainsi, les enfants sélectionnés faisaient-ils peut-être partie d’un groupe de sujets à moindre risque d’auto-immunité, du fait d’un fort potentiel régulateur. Une étude chez des enfants plus jeunes seraient donc intéressante, mais bien évidemment techniquement plus difficile. Enfin, se pose la question d’inclure dans ce type d’essai les enfants à haut risque génétique de développer un DT1 issus de la population générale, plus nombreux que les cas familiaux.

En conclusion, la réponse immune de type régulatrice associée à l’administration d’insuline par voie orale chez des enfants à très haut risque génétique de développer un DT1 laisse espérer un bénéfice de ce type d’approche en prévention primaire de la maladie.

 

Références

[1] Atkinson MA. The Pathogenesis and Natural History of Type 1 Diabetes. Cold Spring Harb Perspect Med 2012, 2:a007641.
 
[2] Ziegler AG et al. Seroconversion to multiple islet autoantibodies and risk of progression to diabetes in children. JAMA. 2013, 309: 2473-2479.
 
[3] Diabetes Prevention Trial–Type 1 Diabetes Study Group. Effects of oral insulin in relatives of patients with type 1 diabetes mellitus. N Engl J Med 2002, 346:1685-1691.
 
[4] Chaillous L et al. Diabète Insuline Orale Group. Oral insulin administration and residual beta-cell function in recent-onset type 1 diabetes: a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2000, 356 : 545-549.
 
[5] Pozzilli P et al. IMDIAB Group. No effect of oral insulin on residual beta-cell function in recent-onset type I diabetes (the IMDIAB VII). Diabetologia 2000, 43:1000-1004.
 
[6] Vehik K et al. DPT-1 and TrialNet Study Groups. Long-term outcome of individuals treated with oral insulin: Diabetes Prevention Trial-Type 1 (DPT-1) oral insulin trial. Diabetes Care 2011, 34: 1585-1590.
 
[7] Hummel S et al. Primary dietary intervention study to reduce the risk of islet autoimmunity in children at increased risk for type 1 diabetes: the BABYDIET study. Diabetes Care 2011, 34:1301-1305.
 
[8] Svingos RS et al. Life-threatening hypoglycemia associated with intentional insulin ingestion. Pharmacotherapy 2013, 33:e28-e33.
 
[9] Bellmann K et al. Potential risk of oral insulin with adjuvant for the prevention of type 1 diabetes: a protocol effective in NOD mice may exacerbate disease in BB rats. Diabetologia 1998, 41: 844±847.
 
[10] Zhang ZJ et al. Suppression of diabetes in nonobese diabetic mice by oral administration of porcine insulin. Proc Natl Acad Sci U S A 1991, 88:10252-10256.
 
[11] Ziegler AG et al. BABYDIAB-BABYDIET Study Group. Age-related islet autoantibody incidence in offspring of patients with type 1 diabetes. Diabetologia. 2012, 55:1937-1943.
 


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