vendredi 26 février 2021

L’adversité dans l’enfance influence-t-elle le risque de diabète ?

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Février 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Bengtsson J, et al. Trajectories of Childhood Adversity and Type 1 Diabetes: A Nationwide Study of One Million Children. Diabetes Care. 2021;44:740-747. doi : 10.2337/dc20-1130

 

Le diabète de type 1 (DT1) est une maladie auto-immune dont les mécanismes d’activation restent encore inconnus. Le stress induit par des expériences de malheurs ou d’adversités vécues dans l’enfance est un des facteurs qui pourrait influencer l’activation pathologique du système immunitaire contre les cellules béta productrices d’insuline. En effet, ce stress peut conduire à une dérégulation de la balance immunitaire conduisant à un phénotype pro-inflammatoire [1] mais aussi à une sécrétion accrue de cortisol induisant une pression sur les cellules bêta qui deviendraient plus susceptibles aux attaques auto-immunes [2]. Des études ont ainsi déjà mis en évidence un lien entre adversité et DT1 avec un risque presque 3 fois plus important de développer un DT1 en cas d’exposition à un épisode d’adversité [3] mais avec des limitations dans le nombre de cas et d’autres biais méthodologiques. Les auteurs de cette étude ont déjà montré que seules les filles soumises à un degré important d’adversité avaient un risque plus important de DT1 mais sans analyse du délai entre l’exposition à l’adversité et le début du DT1. Dans cette nouvelle étude, cette équipe danoise a utilisé les données d’un vaste registre national pour analyser l’association entre le niveau et la durée d’exposition à l’adversité et l’apparition d’un DT1.

A partir des formidables registre nationaux danois, tous les enfants nés au Danemark entre 1980 et 1998 et avec des données disponibles sur le niveau d’adversité jusqu’à leur 16 ans ont été inclus soit 1 097 628 sujets. Les facteurs permettant de mesurer le niveau d’adversité étaient recueillis annuellement et incluaient : pauvreté familiale, chômage parental, décès ou maladie somatique ou psychiatrique d’un parent ou d’un membre de la fratrie, famille d’accueil, alcoolisme ou toxicomanie parental et séparation maternelle. A partir de ces données, cinq trajectoires d’adversité ont été définies qui prenaient en compte la durée, la fréquence et l’accumulation de ces facteurs : 1) faible adversité (54% des sujets) ; 2) dénuement matériel avant 5 ans (20%) ; 3) dénuement matériel persistant (13%) ; 4) perte ou menace de perte familial (10%) et 5) adversité élevée et croissante (3%). A noter que les enfants ayant un des parents DT1 ont été exclus (n= 15 635). Les analyses ont été faites séparément selon le sexe et ajustées sur divers facteurs confondants (âge, année de naissance, poids de naissance, DT1 dans la fratrie, origine ethnique…).

Parmi les 1 081 993 sujets analysés, 5 619 ont développé un DT1 durant le suivi dont 1 797 après 16 ans. L’incidence du DT1 n’était pas différente entre les 5 groupes étudiés aussi bien chez les garçons que chez les filles (0,2 à 0,3%). De la même façon, le pic d’incidence du DT1 était d’environ 10 ans chez les filles et 14 ans chez les garçons comme déjà connu. Les seules différences majeures étaient :

  • Un risque 80% significativement plus élevé de DT1 avant 11 ans chez les garçons du groupe 5 (adversité élevée) versus 1 (adversité faible)
  • Un risque significativement 2 fois plus élevé de DT1 après 16 ans chez les filles du groupe 5 (adversité élevée) versus 1 (adversité faible) avec un risque de diabète tardif déjà élevé pour le groupe 4 versus 1 (39%, p<0,05)
 

Cette étude ne montre donc pas d’association claire entre niveau d’exposition à l’adversité et risque de DT1 dans une large population de plus d’un million d’enfants. La seule différence notable est observée chez les 3% de sujets exposés à un niveau d’adversité élevé chez qui le diabète débute plus tôt pour les garçons (avant 11 ans) et plus tard chez les filles (après 16 ans) s’éloignant du pic d’incidence classique de 10 ans chez les filles et 14 ans chez les garçons. Ces résultats ne permettent absolument pas d’expliquer ces observations mais montrent que l’influence d’un haut degré d’adversité sur le risque de DT1 diffère entre filles et garçons. Reste à savoir pourquoi...

 

Références

[1] Faresjö M. The Link between Psychological Stress and Autoimmune Response in Children. Crit Rev Immunol. 2015;35:117-34.
 
[2] Nicolaides NC, Kyratzi E, Lamprokostopoulou A, Chrousos GP, Charmandari E. Stress, the stress system and the role of glucocorticoids. Neuroimmunomodulation. 2015;22:6-19.
 
[3] Nygren M, et al. Experience of a serious life event increases the risk for childhood type 1 diabetes: the ABIS population-based prospective cohort study. Diabetologia. 2015;58:1188-97.
 


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mercredi 3 février 2021

La testostérone en traitement adjuvant d’un programme d’intervention hygiéno-diététique pour prévenir ou inverser le diabète de type 2 chez les hommes

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Janvier 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Wittert G et al., Testosterone treatment to prevent or revert type 2 diabetes in men enrolled in a lifestyle programme (T4DM): a randomised, double-blind, placebo-controlled, 2-year, phase 3b trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2021; 9:32-45. doi : 10.1016/S2213-8587(20)30367-3

 

Une concentration de testostérone sérique basse est fréquemment retrouvée chez les hommes obèses ou en surpoids et est associée à un risque augmenté d’apparition de diabète de type 2 (DT2) [1]. Dans une revue systématique et une méta-analyse, les hommes ayant une concentration de testostérone sérique supérieure à 15,5 nmol/l (447 ng/dl) ont un risque diminué de DT2 comparé à ceux ayant un taux inférieur ou égal à 15,5 nmol/l [2]. Si une perte de poids induite par un programme diététique est connue pour induire une rémission durable de l’intolérance au glucose et du DT2 d’installation récente [3], elle est également associée à une modeste remontée des taux de testostérone chez les hommes obèses ayant une testostérone diminuée sans pathologie hypothalamo-hypophysaire ou testiculaire connue [4]. Dans une étude observationnelle de 229 hommes avec des concentrations initiales de testostérone inférieures ou égales à 12,1 nmol/l (349 ng/dl), un traitement de 8 ans ou plus par injection intramusculaire d’undécanoate de testostérone a permis de prévenir la progression du prédiabète vers le DT2 et d’améliorer le métabolisme glucidique chez les patients DT2 [5]. Il n’existait pas d’essai randomisé contrôlé évaluant le traitement par testostérone pour prévenir ou inverser le DT2 chez des hommes obèses ou en surpoids avec des niveaux sériques bas en cette hormone. Les auteurs ont donc comblé cette lacune en évaluant l’efficacité et la sécurité de ce traitement hormonal contre placebo, en adjuvant d’un programme diététique et d’activité physique sur une durée de 2 ans.

L’étude T4DM (Testosterone for Diabetes Mellitus) était un essai randomisé contrôlé contre placebo en double aveugle de deux ans, de phase 3b, ayant été menée dans 6 centres australiens de troisième recours. Les critères d’éligibilité étaient des hommes âgés de 50 à 74 ans, avec un tour de taille supérieur ou égal à 95 cm, qui avaient soit une intolérance au glucose (glycémie à 2h au cours d’une HGPO entre 7,8 et 11,1 mmol/l) soit un DT2 nouvellement diagnostiqué (glycémie à 2h au cours d’une HGPO entre 11,1 et 15,0 mmol/l) et pour qui l’intervention diététique était possible. Ajouté à cela, les participants devaient avoir un taux de testostérone inférieur à 14,0 nmol/l (40,3 ng/dl). Quelques modifications mineures du protocole ont été effectuées concernant ce seuil de testostérone (abaissé à 13,0 nmol/l), le seuil de glycémie à 2h de l’HGPO (10 patients ont été inclus avec une glycémie à 2h à 7,7 mmol/l et plusieurs autres avec un seuil supérieur à 15,0 mmol/l). Les participants n’étaient pas inclus s’ils étaient à haut risque de faire un évènement cardiovasculaire. Les autres critères d’exclusion incluaient la prise d’un traitement par testostérone dans les 12 mois précédents ou si l’indication de ce traitement était une pathologie de l’axe hypothalamo-hypophysaire et testiculaire, toute prise de médication affectant l’axe hypothalamo-hypophysaire et testiculaire, toute pathologie psychiatrique grave, pathologie maligne récente ou en cours, infection virale chronique, perturbations du bilan hépatique, insuffisance rénale, antécédent de chirurgie bariatrique, traitement par médicaments anti-obésité dans les 6 mois précédents, abus de substances dans les 6 derniers mois et diagnostic ancien de DT1 ou DT2. Les patients étaient recrutés par une infirmière d’étude et randomisés (1:1) dans le bras placebo ou testostérone via un système de randomisation centralisé en ligne. La randomisation était stratifiée sur l’âge, le sexe, le centre, le tour de taille, la glycémie à 2h de l’HGPO, la consommation de tabac et l’antécédent familial de DT2 au premier degré. Les participants et tous les personnels de l’étude ignoraient quel traitement leur était administré. Tous les sujets participaient à un programme d’intervention diététique de 2 ans, réalisé par Weight Watchers (WW). Ce programme offrait un site web interactif ainsi que des réunions hebdomadaires. Les participants étaient invités à utiliser ces deux ressources. Le site web prodiguait des conseils diététiques, des guides d’activité physique, leur donnait des outils pour s’autoévaluer, au niveau des apports caloriques, de la quantité d’activité physique et des modalités de pesée. L’adhésion au programme était évaluée par leur présence ou non à chaque réunion et par la connexion au site ou non. L’undécanoate de testostérone (1000 mg [4 ml]) ou le placebo était administré par injection intramusculaire dans le quadrant supéro-externe du muscle glutéal par l’infirmière d’étude du centre, initialement, à 6 semaines, et ensuite tous les 3 mois pendant 2 ans. Des prises de sang étaient effectuées avant chaque injection. L’activité physique était évaluée par questionnaire validé (Active Australian Survey) qui comprenait 8 questions évaluant la pratique de différents types d’activité physique ainsi que leur intensité et leur durée. A partir de ce questionnaire, il était déterminé si un participant faisait suffisamment d’exercice (c’est-à-dire >150 minutes d’exercice par semaine) à 2 ans.
Les critères de jugement principaux à 2 ans étaient : apparition d’un DT2 (glycémie à 2h de l’HGPO ≥ 11,1 mmol/l) et les changements moyens de la glycémie à 2h de l’HGPO, en analyse en intention de traiter. Les critères secondaires étaient nombreux et incluaient : normalisation de la glycémie à 2h de l’HGPO, l’instauration d’un traitement antidiabétique, l’adhésion au programme hygiéno-diététique, le fait de faire suffisamment d’exercice, et les changements à 2 ans des paramètres suivants : glycémie à jeun, HbA1c, poids, tour de taille, composition corporelle (mesurée par absorptiométrie biphotonique), force musculaire de préhension (mesurée par un dynamomètre), doses des hormones stéroïdiennes, fonctions sexuelle et prostatique mesurées par questionnaires validés.

L’évaluation de la sécurité du traitement a été réalisée par la surveillance masquée de l’hématocrite et des PSA, en plus du recueil habituel des évènements indésirables.

Entre février 2013 et février 2017, 19 022 hommes ont été recrutés, 1007 (5%) ont été randomisés, soit dans le bras placebo (n = 503), soit dans le bras testostérone (n = 504). Les caractéristiques initiales des participants étaient similaires dans les 2 groupes. La dernière visite de suivi a eu lieu en mai 2019 et les données d’HGPO à 2 ans étaient disponibles pour 413 (82%) des 503 participants du groupe placebo et 443 (88%) des 504 participants du groupe testostérone. Sur ces 856 hommes, 172 (20%) avaient un DT2 initialement.

Au bout de deux ans, une glycémie à 2h de l’HGPO ≥ 11,1 mmol/l a été retrouvée chez 87 (21%) des 413 patients avec des données disponibles dans le groupe placébo et 55 (12%) des 443 participants dans le groupe testostérone, soit un risque relatif (RR) à 0,59 ; intervalle de confiance (IC) à 95% (0,43 ; 0,8) p = 0,0007). La variation moyenne de la glycémie à 2h de l’OGTT était de -0,95 mmol/l (±2,78 (écart type)) dans le groupe placebo et de -1,7 mmol/l (±2,47) dans le groupe testostérone (différence moyenne -0,75 mmol/l, (-1,10 ; -1,4) p < 0,0001). L’effet du traitement était indépendant du niveau initial de testostérone. La corrélation observée entre ces deux groupes était de 0,75 (0,72 à 0,78). Concernant les critères de jugement secondaires, une plus grande proportion de participants dans le groupe testostérone avait une normalisation de la glycémie à 2h de l’HGPO à 2 ans mais l’HbA1c était similaire dans les 2 groupes. Le groupe testostérone avait une diminution plus marquée de la glycémie à jeun, du tour de taille, de la masse grasse totale et une augmentation plus marquée de la masse musculaire totale et de la force de préhension mesurée par hand grip-test, comparées au groupe placebo. Le test international des fonctions érectiles montrait également une amélioration du score dans le groupe testostérone, comparé au placebo, tandis qu’il n’y avait pas eu de différence inter groupes dans le score international de symptômes prostatiques.

Concernant les mesures de sécurité, comparées au groupe placebo, il y a eu une augmentation dans la variation à 2 ans de l’hématocrite (4%, (3-4)) et des PSA (0,3 ng/ml, (0,2-0,4) p< 0,0001, tous les deux). Un taux d’hématocrite supérieur au seuil de sécurité de 54% a été observé chez 6 (1%) des 484 participants dans le groupe placebo et 106 (22%) des 491 participants dans le groupe testostérone. Une augmentation minimale de 0,75 µg/ml des PSA a été observée chez 87 (19%) des 468 participants dans le groupe placebo et 109 (23%) des 480 participants dans le groupe testostérone. Des évènements graves se sont produits chez 37 (7,4% (5,4 à 10,0) des 503 participants du groupe placebo et 55 (10,9% (8,5 – 13,9)) des 504 patients du groupe testostérone. Il y a eu également deux décès dans chaque groupe.

Les forces de l’étude sont la durée assez longue de 2 ans, le fort taux de participation des participants, l’inclusion d’un programme diététique et d’activité physique reconnu comme efficace pour la prévention du DT2 chez l’homme, l’administration directe du traitement par l’infirmière de l’étude au moment de la visite au centre de recherche, et deux critères de jugement principaux basés sur une HGPO, plutôt que sur la glycémie à jeun ou l’HbA1c. Le taux d’abandon de 15% est faible par rapport aux études de perte de poids par pharmacothérapie d’une durée de 2 ans.

Les limites de l’étude sont l’exclusion des hommes avec un hypogonadisme relié à une pathologie, le fait que l’adhésion au programme Weight Watchers et d’activité physique soit auto-rapportée, l’absence d’ajustement pour les comparaisons multiples, le fait que certains participants aient arrêté le traitement par testostérone puis repris et aient eu l’HGPO à 2 ans.

Les auteurs soulignent bien que ni les bénéfices ni la sécurité de cette étude ne peuvent être généralisés au-delà cette population à relativement bas risque, avec un programme concomitant d’hygiène de vie et avec un suivi étroit. De plus, vue la fréquence de l’augmentation de l’hématocrite induite par le traitement, il semble prudent, selon les auteurs, de vérifier l’absence d’hématocrite élevée ou les facteurs de risque d’augmentation avant de débuter un traitement par testostérone.

Le traitement par testostérone pendant deux ans permet donc de diminuer la proportion de participants ayant un DT2, en plus des effets d’un programme d’intervention hygiéno-diététique. L’augmentation de l’hématocrite est un facteur limitant du traitement. La durabilité, la sécurité et les effets cardiovasculaires à long terme de l’intervention restent à être étudiés.

 

Références

[1] Gyawali P, Martin SA, Heilbronn LK, Vincent AD et al. The role of sex hormone-binding globulin (SHBG), testosterone, and other sex steroids, on the development of type 2 diabetes in a cohort of community-dwelling middle-aged to elderly men. Acta Diabetol 2018; 55: 861-872.
 
[2] Ding EL, Song Y, Malik VS et al. Sex differences of endogenous sex hormones and risk of type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2006; 295: 1288-99.
 
[3] Lean MEJ, Leslie WS, Barnes AC et al. Durability of a primary care-led weight-management intervention for remission of type 2 diabetes: 2-year results of the DiRECT open-label, cluster-randomised trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2019; 7: 344-355.
 
[4] Grossmann M. Low testosterone in men with type 2 diabetes: significance and treatment. J Clin Endocrinol Metab 2011; 96: 2341-53.
 
[5] Yassin A, Haider A, Haider KS et al. Testosterone Therapy in Men With Hypogonadism Prevents Progression From Prediabetes to Type 2 Diabetes: Eight-Year Data From a Registry Study. Diabetes Care 2019; 42: 1104-1111.
 


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