mardi 10 octobre 2023

Variabilité glycémique et besoins en insuline au cours du cycle menstruel : étude qualitative sur les femmes vivant avec un diabète de type 1 utilisant un système automatisé en open source de délivrance de l’insuline

Auteur : 
Sopio Tatulashvili
Date Publication : 
Septembre 2023
 
Article du mois en accès libre
 
Mewes D, et al. Variability of Glycemic Outcomes and Insulin Requirements Throughout the Menstrual Cycle: A Qualitative Study on Women With Type 1 Diabetes Using an Open-Source Automated Insulin Delivery System. J Diabetes Sci Technol 2023; 17: 1304–1316. doi : 10.1177/19322968221080199

 

Le diabète est l'une des affections chroniques les plus courantes chez les femmes, avec une incidence mondiale croissante du diabète de type 1 (DT1) et du diabète de type 2 (DT2). Des avancées thérapeutiques et technologiques récentes, telles que les systèmes de mesure continue du glucose (CGM) et les systèmes d'infusion sous-cutanée continue d'insuline (CSII), ont facilité le développement de systèmes d'administration d'insuline automatisés (AID), aussi appelés "boucles fermées (hybrides)" ou "pancréas artificiels". Ces systèmes automatisent la délivrance de l'insuline en fonction des niveaux glycémiques et d'autres facteurs. Les études ont montré leur efficacité pour améliorer équilibre glycémique et qualité de vie. Avant l'existence des AID commerciaux, la communauté #WeAreNotWaiting a développé des algorithmes AID open source, permettant à des milliers de personnes atteintes de diabète, dont 44% sont des femmes, de les utiliser en toute sécurité.

Pour les femmes atteintes de DT1, la gestion du diabète est particulièrement difficile à différentes étapes de la vie. Les hormones sexuelles influencent la sensibilité à l'insuline, mais les études sont contradictoires. Certaines montrent une résistance à l'insuline accrue pendant la phase lutéale, tandis que d'autres ne trouvent pas de différence significative. Les recherches concernant l'influence des hormones sexuelles sur la variabilité glycémique chez les femmes sont limitées. Les premières observations suggérant une association entre  la variabilité glycémique et cycle menstruel ont été faites dès le début de l'histoire de l’insulinothérapie dans les années 1940, où des variations cycliques des concentrations de glucose sanguin ont été observées chez sept filles atteintes de DT1 avant leur ménarche [1]. La sensibilité à l'insuline par rapport au cycle menstruel a été étudiée pour la première fois par des études de clamp hyperglycémique hyperinsulinémique dans les années 1990 montrant une sensibilité à l'insuline réduite pendant la phase lutéale chez certaines participantes [2]. Une étude basée sur une population 124 femmes atteintes de DT1 a mis en évidence des modifications autodéclarées des niveaux glycémiques autour des menstruations chez 61% des participantes [3]. Des données sur plusieurs cycles menstruels complets ont été évaluées pour la première fois en 2004 par une étude pilote portant sur quatre femmes vivant avec un DT1 utilisant un CGM, où différentes tendances individuelles de de la variabilité glycémique ont été trouvées ; cependant, ces tendances étaient cohérentes sur plusieurs cycles pour la même personne [4]. Une étude observationnelle portant sur 12 femmes utilisant une CSII et un CGM combinés retrouvait une hyperglycémie plus fréquente autour de l'ovulation et au début de la phase lutéale par rapport au début de la phase folliculaire [5]. A contrario, une étude récente portant sur 20 femmes atteintes de DT1 utilisant un CGM a mis en évidence une glycémie moyenne et une variabilité glycémique plus élevées pendant la phase folliculaire par rapport à la phase lutéale [6].

Les AID, en particulier les systèmes open source, pourraient aider à étudier les besoins en insuline et les tendances glycémiques liées au cycle menstruel, contribuant ainsi à une meilleure compréhension dans ce domaine peu abordé jusque lors. La présente étude explore les expériences des utilisatrices de systèmes open source en relation avec leur cycle menstruel pour enrichir les preuves et améliorer ces systèmes. Le questionnaire et les interviews semi-structurées ont été créés pour recueillir des informations sur les participants utilisant des systèmes AID open source pour le DT1. Les critères d'inclusion exigeaient que les participants soient des femmes de plus de 18 ans vivant avec le DT1 et utilisant un système AID open source depuis au moins six mois. Le recrutement a été effectué via les réseaux sociaux, et les entretiens ont été menés en ligne en allemand ou en anglais. Les participantes ont été invitées à partager leurs expériences liées au diabète à différentes étapes de la vie et du cycle menstruel, ainsi que leurs stratégies pour faire face à ces défis.

Sur les 28 femmes qui ont exprimé leur intérêt pour participer, 12 participantes basées dans quatre pays différents ont été recrutées. Les participantes avaient entre 24 et 56 ans (médiane 39 ans) et une expérience médiane de l'utilisation d'un système AID open source (OpenAPS, Loop ou AndroidAPS) de 21 mois, allant de 12 à 48 mois. Trois participantes étaient ménopausées, 2 n’utilisaient pas de méthode contraceptive et 7 utilisaient différents types de contraception hormonale et non hormonale. Toutes les participantes ont exprimé une grande satisfaction à l'égard de l'AID open source comme option de traitement de leur choix.

Toutes les participantes ont signalé avoir éprouvé des variations des niveaux de glycémie et des besoins en insuline associées aux différentes phases de leur cycle menstruel, ce qui a nécessité des ajustements de leur traitement pour la plupart d'entre elles (n = 10). La phase folliculaire tardive, jusqu'au jour présumé de l'ovulation, était considérée comme la plus "stable" et la plus "facile à gérer" en ce qui concerne les niveaux de glucose sanguin. Les besoins en insuline au cours de cette phase étaient considérés comme "normaux" ou "moyens". Autour de l'ovulation (entre le jour 13 et le jour 21 du cycle), trois participantes ont signalé une augmentation soudaine de leurs besoins en insuline le jour de l'ovulation et un à deux jours suivants, tandis qu'une femme a expliqué avoir des besoins en insuline réduits. Pendant la phase lutéale, après l'ovulation, les besoins en insuline ont été signalés comme augmentant jusqu'à 35% jusqu'au cycle suivant. Les participantes ont adopté plusieurs stratégies d'ajustement thérapeutique différentes : deux des trois femmes ayant des besoins en insuline plus élevés pendant l'ovulation ont maintenu leurs paramètres plus agressifs jusqu'à la fin du cycle. Une participante a temporairement réduit son insuline à "normal" (100 %) après l'ovulation, puis a augmenté sa dose d'insuline à nouveau pour la dernière semaine du cycle. Une femme a signalé une légère diminution de ses besoins en insuline pour les derniers jours du cycle, tandis qu'une autre a expliqué être en mesure de maintenir ses paramètres à "par défaut" (100%) tout au long de l'ovulation et jusqu'au cycle suivant. Sur les cinq femmes qui n'ont pas régulièrement modifié leurs paramètres pendant l'ovulation, quatre ont signalé une augmentation constante de leurs besoins en insuline jusqu'au cycle suivant. Une femme a signalé être légèrement plus sensible à l'insuline pendant cette période et a donc réduit sa prise à 80 %. Au cours de la phase folliculaire, qui débute avec le début des règles et dure deux à trois jours, certaines femmes (n = 5) ont signalé une diminution soudaine de leurs besoins en insuline, les obligeant ainsi à réduire leur délivrance d'insuline de 10% à 30%. Cependant, d'autres femmes (n = 4) ont eu besoin d'augmenter leur dose de 10% à 20%. La transition vers la ménopause a été associée à une diminution globale des besoins en insuline. Enfin, le soutien et la sensibilisation à la santé des femmes et au diabète de la part des endocrinologues et des obstétriciens/gynécologues ont été perçus comme limités par toutes les participantes.

Dans l'ensemble, les preuves sur les effets du cycle menstruel sur la glycémie chez les femmes atteintes de diabète sont limitées, et les résultats sont contradictoires. Les variations des taux hormonaux au cours du cycle menstruel peuvent influencer la sensibilité à l'insuline et le métabolisme du glucose chez certaines femmes atteintes de diabète, mais il n'y a pas de tendance claire et uniforme qui s'applique à toutes les femmes. La gestion du diabète chez les femmes atteintes de DT1 pendant le cycle menstruel peut être complexe et exige des ajustements individuels du traitement.

 

Références

[1] Cramer HI. The Influence of Menstruation on Carbohydrate Tolerance in Diabetes Mellitus. Can Med Assoc J 1942;47:51–5.
 
[2] Widom B, Diamond MP, Simonson DC. Alterations in glucose metabolism during menstrual cycle in women with IDDM. Diabetes Care 1992;15:213–20.
 
[3] Lunt H, Brown LJ. Self-reported changes in capillary glucose and insulin requirements during the menstrual cycle. Diabet Med 1996;13:525–30.
 
[4] Goldner WS, Kraus VL, Sivitz WI, Hunter SK, Dillon JS. Cyclic changes in glycemia assessed by continuous glucose monitoring system during multiple complete menstrual cycles in women with type 1 diabetes. Diabetes Technol Ther 2004;6:473–80.
 
[5] Brown SA, Jiang B, McElwee-Malloy M, Wakeman C, Breton MD. Fluctuations of Hyperglycemia and Insulin Sensitivity Are Linked to Menstrual Cycle Phases in Women With T1D. J Diabetes Sci Technol 2015;9:1192–9.
 
[6] Momeni Z, Yardley J. Early Follicular Phase of the Menstrual Cycle May Be Associated With More Post-Exercise Hyperglycemia in Female Participants With Type 1 Diabetes. Canadian Journal of Diabetes 2021;45:S16.
 


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