lundi 4 avril 2022

Répartition du gras au sein du pancréas et insulinorésistance

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Mars 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Skudder-Hill L et al. Fat Distribution Within the Pancreas According to Diabetes Status and Insulin Traits. Diabetes 2022; 2:db210976. doi : 10.2337/db21-0976

 

Un pancréas chargé de lipides est la maladie du pancréas la plus commune et concerne environ une personne sur 5 dans la population générale [1]. Une étude transversale de 2014 a observé que les personnes avec un pancréas gras avaient une insulinorésistance significativement augmentée [2] et une méta-analyse de 2017 des auteurs du présent article ont rapporté un risque de diabète de type 2 (DT2) multiplié par 2 chez les individus porteurs d’un pancréas gras [3]. Il est à noter que dans cette dernière méta-analyse, les études incluses utilisaient des méthodes différentes de mesure du contenu lipidique intra-pancréatique (échographie par voie trans-abdominale ou endoscopique, IRM, TDM, spectroscopie de masse) ce qui a pu induire une grande variabilité dans les résultats. Parmi elle, l’IRM a émergé comme la méthode non-invasive de référence de quantification des lipides intra-pancréatiques [1].  La technique standardisée de « MR-opsie » a récemment été proposée pour la mesure de la graisse intra-pancréatique en plaçant la région d’intérêt au niveau de la tête, du corps et de la queue du pancréas [2]. Il a été montré que cette technique offrait une meilleure précision et une plus grande reproductibilité comparée aux autres techniques (dessin manuel des contours) qui sont souvent prises en défaut car elles peuvent prendre en compte les organes environnants : duodénum, veine splanchnique, veine cave inférieure, tissu adipeux viscéral. Ces structures anatomiques peuvent rendre difficile la mesure précise du contenu lipidique pancréatique et résulter en une surestimation de la quantification. Ce manque de consistance dans les résultats peut également ne pas rendre compte de la distribution inégale des lipides entre la tête, la queue et le corps du pancréas. Initialement, la répartition inégale de la graisse au sein des différentes parties du pancréas a été suggérée dans une étude de 1995 analysant les données de 80 scanners de plusieurs hôpitaux [3]. Cette question est à ce jour non résolue en l’absence de grandes études utilisant des techniques de quantification modernes prenant en compte les facteurs de confusion potentiels .

En étudiant une cohorte prospective basée sur la population ajustée sur des covariables clés (l’âge, le sexe, l’ethnie, l’IMC et le contenu hépatique en lipides), et utilisant la technique de « MR-opsie » pour quantifier le gras intra-pancréatique, cette étude avait pour but de déterminer les différences de distribution des dépôts lipidiques entre la tête, le corps et la queue du pancréas, en relation avec les différences de statut insulinique et diabétique.

Un total de 368 adultes (au moins 18 ans), issus de la population générale, ont été inclus dans cette étude transversale qui s’est déroulée à l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Les critères d’exclusion étaient : un antécédent de cancer pancréatique ou de tout autre cancer, de chirurgie bariatrique ou de chirurgie du pancréas, de pancréatite chronique ou d’autres pathologies du pancréas détectées par imagerie, de diabète de type 1 ou de pathologie chronique du foie. Les sujets qui participent à un programme de perte de poids ou qui ont reçu des conseils diététiques n’ont pas non plus été inclus, tout comme ceux porteurs d’un pacemaker ou suivant une corticothérapie. Les participants ont donné leur accord pour bénéficier d’une IRM 3T MAGNETOM Skyra scanner VE 11A (Siemens, Erlangen, Germany) quantifiant la graisse intra-pancréatique. Le même protocole d’imagerie a été utilisé pour tous les participants. De plus, une spectroscopie de résonnance magnétique a été employée pour quantifier le contenu hépatique en lipides. Le contenu pancréatique en lipides et leur répartition au sein du pancréas ont été déterminés par la méthode « MR-opsie » modifiée : deux coupes au centre du pancréas ont été sélectionnées à partir des images de l’IRM. Le logiciel ImageJ (National Institutes of Health, Bethesda, MD, USA) a ensuite été utilisé pour positionner les régions d’intérêt sur la tête, le corps et la queue du pancréas. Le diamètre de la tête du pancréas correspondait au diamètre antéropostérieur aligné sur le point le plus à droite de la confluence des veines mésentérique supérieure et splénique. Le diamètre du corps pancréatique était le plus grand diamètre antéropostérieur du pancréas aligné sur le bord latéral gauche de la vertèbre lombaire adjacente. Le diamètre de la queue du pancréas était une ligne perpendiculaire à la ligne médiane de l’organe, à un point situé à 20 mm du point le plus distal du pancréas sur la coupe. Une attention particulière était portée afin d’éviter l’inclusion des structures adjacentes non pertinentes. Le logiciel ImageJ était ensuite utilisé pour quantifier la graisse intrapancréatique selon l’intensité du signal. Le même processus était appliqué pour les 2 coupes et la moyenne des deux valeurs était calculée. Deux techniciens indépendants ont mesuré le contenu lipidique du pancréas de chaque participant manuellement et la moyenne du résultat des deux mesures était calculée. La concordance des mesures entre les deux techniciens a été évaluée en calculant des coefficients de corrélation intra-classe (ICC). L’HbA1c, la glycémie à jeun, l’insulinémie à jeun ont été mesurés. L’index HOMA-IR a été calculé, ainsi que le HOMA-β. Les individus étaient ensuite divisés en tertiles selon les niveaux de HOMA-IR et HOMA-β et ceux qui avaient les tertiles les plus élevés avaient une insulinorésistance et une insulinopénie, respectivement.

Les modèles statistiques étaient ajustés pour l’âge, le sexe, l’ethnie, l’indice de masse corporelle (IMC) et le contenu hépatique en lipides.

Sur les 368 individus inclus, 159 étaient des hommes (43,2%). Cent vingt et un étaient des Européens Caucasiens (32,9%), 179 étaient asiatiques (48,6%), and 68 étaient d’autres ethnies (18,5%). Il y avait 208 participants normoglycémiques (56,5%), 117 participants avec un prédiabète (31,8%) et 43 avec un DT2 (11,7%) (17 sous antidiabétiques oraux et 14 sous insuline). Aucun participant n’avait un IMC < 18 kg/m² et 88 (23,9%) avaient un IMC ≥ 30 kg/m².

Au niveau de la tête du pancréas, le minimum de pourcentage de graisse était de 2,4% et le maximum était de 14,5%. Pour le corps, le minimum et le maximum étaient de 2,3% et de 14,4%, respectivement, et pour la région de la queue, le minimum et le maximum étaient de 2,4% et de 14,7%, respectivement. Les quantités de lipides dans la tête le corps et la queue du pancréas ne différaient pas significativement dans les modèles ajustés, dans la cohorte entière et également au sein des trois sous-groupes définis selon le statut diabétique (normoglycémiques, prédiabétiques et diabétiques). L’indice HOMA-IR et l’insulinémie à jeun étaient significativement associés au contenu lipidique de la queue et du corps du pancréas, mais pas au niveau de la tête. L’index HOMA-IR expliquait 7,4% de la variabilité de contenu lipidique du corps du pancréas et 6,7 % de la variabilité de la queue du pancréas. Il n’y avait pas d’association significative entre le contenu lipidique dans chaque partie du pancréas et l’indice HOMA-β.

Le principal point fort de l’étude est qu’il s’agit de la plus large étude portant spécifiquement sur le contenu lipidique intra-pancréatique utilisant l’IRM et également la plus large investiguant les associations entre la graisse dans les différentes régions du pancréas et les paramètres insuliniques et le statut diabétique, grâce à des analyses ajustées sur 5 covariables.

Les points faibles de l’étude étaient : le design transversal de l’étude qui ne permet pas d’établir de lien de causalité entre le gras pancréatique et les paramètres étudiés, la présence d’autres facteurs de confusion potentiels, l’absence de prise en compte des facteurs génétiques connus pour être associés à la répartition corporelle du tissu adipeux mais les auteurs admettent qu’il n’y a pas de facteurs génétiques connus pour prédisposer à l’augmentation du gras intra pancréatique. Les autres points négatifs étaient l’absence de certaines ethnies dans la population d’étude, l’absence d’indication sur le niveau d’activité physique et le profil diététique des participants et l’utilisation d’index HOMA-IR et HOMA-β reflétant plutôt l’insulinorésistance hépatique et l’insulinosécrétion basale, respectivement. Le clamp euglycémique hyperinsulinémique n’a pas pu être utilisé dans cette étude.

L’association positive entre le contenu lipidique de la queue et du corps du pancréas avec l’insulinorésistance pourrait aider à l’identification précoce des patients à risque de développer une insulinorésistance et donc un diabète de type 2.

 

Références

[1] Petrov MS, Taylor R. Intra-pancreatic fat deposition: bringing hidden fat to the fore. Nat Rev Gastroenterol Hepatol. 2022; 19 :153-168.
 
[2] Wong VW, Wong GL, Yeung DK, Abrigo JM, Kong AP, Chan RS, Chim AM, Shen J, Ho CS, Woo J, Chu WC, Chan HL. Fatty pancreas, insulin resistance, and β-cell function: a population study using fat-water magnetic resonance imaging. Am J Gastroenterol. 2014; 109:589-97.
 
[3] Taylor R, Al-Mrabeh A, Zhyzhneuskaya S, Peters C, Barnes AC, Aribisala BS, Hollingsworth KG, Mathers JC, Sattar N, Lean MEJ. Remission of Human Type 2 Diabetes Requires Decrease in Liver and Pancreas Fat Content but Is Dependent upon Capacity for β Cell Recovery. Cell Metab. 2018; 28:547-556.e3.
 
[4] Singh RG, Yoon HD, Wu LM, Lu J, Plank LD, Petrov MS. Ectopic fat accumulation in the pancreas and its clinical relevance: A systematic review, meta-analysis, and meta-regression. Metabolism. 2017; 69: 1-13.
 
[5] Matsumoto S, Mori H, Miyake H, Takaki H, Maeda T, Yamada Y, Oga M. Uneven fatty replacement of the pancreas: evaluation with CT. Radiology. 1995; 194 :453-8.
 


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