mardi 10 mai 2022

Ostéocalcine et risque de survenue de diabète ou de néphropathie diabétique : les enseignements d’une cohorte prospective

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Avril 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Xiaoqi Ye, et al. Osteocalcin and Risks of Incident Diabetes and Diabetic Kidney Disease: A 4.6-Year Prospective Cohort Study. Diabetes Care. 2022;45(4):830-836. doi : 10.2337/dc21-2113

 

L’ostéocalcine (OC) est la protéine non collagénique la plus importante de la matrice osseuse et de la synthèse ostéoblastique. Outre son rôle de marqueur de la formation osseuse, elle est également une hormone active impliquée dans la régulation du métabolisme glucidique et lipidique. Elle circule sous deux formes : carboxylée ou décarboxylée. Seules cinq études de cohortes prospectives ont rapporté une association entre le niveau de base d’OC totale et le risque de diabète : un taux plus faible d’OC étant associé à un risque plus élevé de diabète. Notons qu’une diminution des taux d’OC est possible dans les conditions d’obésité, d’insulinorésistance et d’hyperglycémie. La néphropathie diabétique est, quant à elle, associée à un plus haut risque de mortalité cardiovasculaire mais aussi de mortalité toutes causes confondues. De ce fait, détecter des marqueurs de risque/d’association précoces entre néphropathie diabétique et évènements négatifs est nécessaire. Aucune étude prospective préalable n'a examiné l'OC en tant que prédicteur de l'incidence de néphropathie diabétique. L’objectif des auteurs était de définir si la relation entre l'OC et la néphropathie diabétique était similaire à celle entre l'OC et le risque de diabète incident.

Cette étude découle d'une cohorte prospective communautaire avec un suivi moyen de 4,6 ans. Dans la région de Nicheng à Shanghai, 17 212 individus âgés de 45 à 70 ans ont été recrutés entre 2013 et 2014, et parmi eux, 10 075 personnes âgées de 55 à 70 ans ont été invitées à participer à l'enquête de suivi en 2018. Finalement, 7 069 personnes ont participé à cette étude. Les participants ont été divisés en deux groupes en fonction de la présence ou non de diabète. Le groupe des non-diabétiques (n=5396) a permis l'analyse de l'association entre l’OC et diabète incident, et le groupe des diabétiques (n= 1174) a permis l'analyse de l'association entre l’OC et survenue de néphropathie diabétique. Des échantillons sanguins et urinaires ont été prélevés lors d'une visite matinale après un jeûne d'au moins 10 heures. Un dosage immunologique par électro-chimioluminescence a été utilisé pour détecter le  taux d’OC total sérique, comprenant à la fois la molécule intacte et les fragments de la région N-terminale/médiane.

Les participants développant un diabète ou une néphropathie diabétique comportaient une proportion plus élevée de consommateurs d’alcool occasionnels, avaient un niveau d’OC plus faible et présentaient des profils métaboliques défavorables (niveaux plus élevés d’indice masse corporelle (IMC), de pression artérielle systolique, d’index HOMA-IR, de glycémie à jeun, d’HbA1c et de triglycérides mais niveaux plus faibles de HDL-C). Des corrélations négatives significatives ont été trouvées entre l'OC et l'IMC, l'HOMA-IR, la glycémie à jeun et l'HbA1c après ajustement pour l'âge et le sexe (tous les p < 0,001). Il y avait une association linéaire inverse entre l’OC et le risque de diabète incident (p pour la tendance < 0,05) ; le risque relatif (RR) de diabète incident était de 0,51 (IC 95 % 0,35-0,76) par augmentation d'une unité d’OC transformée en log-e. Dans le modèle multivarié, les participants présentant le quartile le plus élevé d’OC avaient un risque de diabète incident inférieur de 35 % (RR 0,65 [IC à 95 % 0,44-0,95]) par rapport à ceux présentant le quartile le plus bas d’OC. Les modèles de régression multivariée ont montré une association linéaire entre les concentrations d’OC de base et le risque de survenue de néphropathie diabétique (RR de néphropathie diabétique  par augmentation d'une unité d’OC transformée en log-e de 0,49 [IC à 95 % 0,33-0,74]). Des concentrations initiales plus élevées d’OC étaient associées de manière significative à une diminution du risque de survenue de néphropathie (p pour la tendance linéaire < 0,05) ; par rapport aux participants du quartile le plus bas, le RR néphropathie diabétique pour les participants du quartile le plus élevé d’OC était de 0,56 (IC à 95 % : 0,38-0,83).

Cette étude est la plus grande étude de cohorte prospective à s’intéresser à l'association entre taux d’OC et survenue d’un diabète d’une part et taux d’OC et survenue d’une néphropathie diabétique d’autre part. Des concentrations sériques plus élevées d’OC totale sont associées à une réduction du risque de diabète incident et de néphropathie diabétique. Deux études longitudinales, l'une incluant 1 870 patients hospitalisés en Chine [1] et l'autre incluant 1 691 femmes japonaises ménopausées [2], ont retrouvé des résultats similaires. Cependant, des résultats contradictoires existent. Premièrement, dans une étude portant sur 1 455 femmes âgées (moyenne d’âge à 74 ± 5 ans) aux États-Unis, les auteurs ont observé que des taux d’OC plus faibles étaient associés à des risques accrus de diabète incident [3]. Deux études n'ont pas trouvé d'association significative entre le taux d’OC et le risque de diabète incident : l'une sur un petit échantillon de 307 personnes [4], et l'autre uniquement sur des hommes [5]. Par ailleurs, au travers de cette étude, les auteurs ont également démontré qu’il existait une association inverse, indépendante et robuste entre taux d’OC et survenue d’une néphropathie diabétique, même après ajustement sur les niveaux de filtration glomérulaire.

Concernant les hypothèses physiopathologiques, les auteurs précisent que des études ultérieures ont démontré que les souris sans OC pouvaient accumuler des quantités anormales de graisse viscérale et ainsi présenter une diminution de la prolifération β-cellulaire, une hyperglycémie, une diminution de la sécrétion d'insuline et une résistance à l'insuline. Dans cette étude, les concentrations d’OC étaient inversement associées à l'IMC, à l’HOMA-IR et à la glycémie initiale, ce qui leur permet de faire un parallèle avec leurs résultats. Le rôle de l’adiponectine pourrait être central puisque nous savons que l’OC peut favoriser la sensibilité à l'insuline en augmentant l'expression de l’adiponectine dans les adipocytes. Spécifiquement pour la néphropathie diabétique, les auteurs évoquent un lien entre l’OC et la dysfonction endothéliale, l’OC pouvant augmenter les niveaux de synthèse d’oxyde nitrique endothéliale en activant la voie AKT/oxyde nitrique synthase endothéliale.

Cette étude présente plusieurs points forts : 1) la taille de l’échantillon utilisé ; 2) la collecte de données complètes permettant d'évaluer les facteurs de confusion communs. Plusieurs limites doivent également être prises en compte : 1) le manque de données sur les marqueurs du renouvellement osseux ; 2) le recueil d’un seul échantillon d'urine le matin, pouvant être affecté par la variabilité journalière du débit de filtration glomérulaire chez les individus ; 3) la population était d'âge moyen avancé (médiane à 61,6 ans), rendant les résultats inapplicables aux groupes d'âge plus jeunes ; 4) l’absence de vérification du type de diabète pouvant induire des biais; 5) la possibilité d’avoir méconnu des cas d’ostéoporose bien que les auteurs aient exclu l'ostéoporose par l'utilisation de médicaments anti-ostéoporotiques ou un diagnostic sous-jacent.

En conclusion, le taux d’OC circulant pourrait potentiellement servir de biomarqueur pour la détection des sujets à risque de diabète et de survenue de néphropathie diabétique. Ces résultats restent cependant préliminaires mais permettent de générer des hypothèses, notamment concernant le lien avec l’adiponectine ou la dysfonction endothéliale, méritant  d'autres études prospectives observationnelles et interventionnelles afin de clarifier les mécanismes  physiopathologiques sous-jacents.

 

Références

[1] Shu H, & al. Significant inverse association between serum osteocalcin and incident type 2 diabetes in a middle-aged cohort. Diabetes Metab Res Rev. 2016;32(8):867-874.
 
[2] Urano T, & al. Low serum osteocalcin concentration is associated with incident type 2 diabetes mellitus in Japanese women. J Bone Miner Metab. 2018;36(4):470-477.
 
[3] Massera D, & al. Biochemical Markers of Bone Turnover and Risk of Incident Diabetes in Older Women: The Cardiovascular Health Study. Diabetes Care. 2018;41(9):1901-1908.
 
[4] Liatis S, & al. Baseline osteocalcin levels and incident diabetes in a 3-year prospective study of high-risk individuals. Diabetes Metab. 2014;40(3):198-203.
 
[5] Hwang YC, & al. Circulating osteocalcin level is not associated with incident type 2 diabetes in middle-aged male subjects: mean 8.4-year retrospective follow-up study. Diabetes Care. 2012;35(9):1919-24.
 


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