lundi 2 janvier 2017

L’abolition des pouls périphériques est un facteur pronostique du risque vasculaire à 5 ans chez les patients diabétiques de type 2

Auteur : 
Manuel Dolz
Date Publication : 
Décembre 2016
 
Article du mois en accès libre
 
Mohammedi K, et al ; ADVANCE Collaborative Group. Absence of peripheral pulses and risk of major vascular outcomes in patients with type 2 diabetes. Diabetes Care 2016 Dec;39(12):2270-7. doi: 10.2337/dc16-1594

 

La prévalence du diabète n’a de cesse de progresser, disséminant dans le monde entier son risque accru de morbi-mortalité prématurée, principalement en lien avec les maladies cardiovasculaires [accident vasculaire cérébral (AVC), infarctus du myocarde (IDM) et maladies artérielles périphériques (MAP)]. De nos jours, en dépit de l’amélioration de la prise en charge des facteurs de risques associés, il persiste un besoin urgent d’outils simples de détection de ce risque cardiovasculaire afin d'en améliorer la prise en charge.

L’index de pression systolique à la cheville, calculé à partir des mesures des pressions systoliques au niveau des artères pédieuses et tibiales postérieures et de la mesure de la pression systolique humérale bilatérale, est un outil simple de détection du risque de survenue d’événements et de mortalité cardiovasculaire [1].

Mais l’abolition des pouls périphériques aux membres inférieurs, lors de l’examen clinique de nos patients, ne pourrait-elle pas déjà être par elle-même annonciatrice de la survenue de futurs événements cardiovasculaires ?

C’est cette question qui a motivé le travail publié dans la revue Diabetes Care de décembre 2016. Dans cette étude, les auteurs ont recherché si l'absence d'un ou plusieurs pouls pédieux et/ou tibial postérieur était associée à la survenue d’évènements macro- et/ou micro-vasculaires majeurs et/ou à la mortalité et/ou à un déclin cognitif chez les patients avec diabète de type 2 (DT2) dans la population de l’étude ADVANCE (Action in Diabetes and Vascular Disease: Preterax and Diamicron Modified-Release Controlled Evaluation) [2].

Rappelons que dans cette étude multicentrique internationale 11140 patients avec diabète de type 2 à risque élevé de complications vasculaires ont été randomisés soit dans un bras traitement intensif à base de gliclazide visant à atteindre une HbA1c ≤ 6,5%, soit dans un bras contrôle standard de la glycémie selon les directives locales. Les patients ont également été assignés au hasard à une dose fixe d’une combinaison de périndopril (4 mg) et d'indapamide (1,25 mg) ou à un placebo. Seuls 20 patients n’ont pas eu de palpation des pouls distaux à l’inclusion et ont été exclus de l’analyse. A l’inclusion, 1491 (13%) participants avaient un ou deux pouls périphériques absents et 727 (6%) avaient trois ou quatre pouls absents.

Les deux critères primaires d’évaluation étaient les événements macro-vasculaires majeurs (décès d'origine cardiovasculaire, IDM non fatal ou AVC non fatal) et les événements micro-vasculaires majeurs (apparition ou aggravation de la néphropathie ou de la rétinopathie). Les critères secondaires comprenaient la mortalité toutes causes confondues, l'insuffisance cardiaque (décès, hospitalisation ou aggravation de la classe New York Heart Association), l’insuffisance rénale terminale (IRT) ou la mort induite par une maladie rénale, l’apparition ou l’aggravation d’une neuropathie périphérique (trouble de sensibilité au monofilament ou absence de réflexe de la cheville ou du genou), la diminution de la fonction cognitive (réduction du score de l'examen Mini-Mental State d’au moins 3 points par rapport au score de référence), une démence (satisfaisant aux critères du DSM-IV) et l'hospitalisation pour toute cause ≥ 24 h.

Dans cette étude, les patients avec au moins un des 4 pouls distaux absents (n=2218) étaient plus âgés (67,7±6,7 vs 65,3±6,2 ans, p<0,0001) et plus souvent de sexe masculin (61,6 vs 56,5%, p<0,0001) que les patients avec pouls perçus. De même, ils avaient un diabète plus ancien (8,4±6,8 vs 7,8±6,2 ans, p<0,0001), un IMC (29,5±5,5 vs 28,1±5,1kg/m², p<0,0001) et un tour de taille (102±13 vs 98±13 cm, p<0,0001) plus importants et une pression artérielle systolique plus élevée (147±21 vs 145±22mmHg, p<0,0001). On notera qu’ils présentaient une pression artérielle diastolique (80±11 vs 81±11mmHg, p<0,0001), une HbA1c (7,4±1,4 vs 7,5±1,6%, p=0,006), un débit de filtration glomérulaire (71±18 vs 75±17ml/min, p<0,0001), un taux de cholestérol total (5,0±1,1 vs 5,2±1,2mmol/l, p<0,0001) et de HDL-c (1,2±0,3 vs 1,3±0,4mmol/l, p<0,0001) plus faibles que les patients avec pouls périphériques perçus. Ils étaient également plus souvent sous antihypertenseurs (71,1 vs 68,0%, p=0,0009), hypolipémiants (44,5 vs 33,0%, p<0,0001), et antiplaquettaires (52,3 vs 45,3%, p<0,0001), avec des antécédents de maladie macro-vasculaire (36,2 vs 29,8%, p<0,0001), de MAP (9,2 vs 3,4%, p<0,0001), de neuropathie périphérique (52,8 vs 22,6%, p<0,0001) et de tabagisme (55,9 vs 38,5%, p<0,0001).

Au cours d'un suivi médian de 5 ans, des événements macro-vasculaires majeurs ont été observés chez 1145 participants (10%) et des événements micro-vasculaires majeurs chez 1130 participants (10%) ; le décès (toutes causes) est survenu chez 1027 participants (9%), un décès d’origine cardiovasculaire chez 541 participants (5%) et une insuffisance cardiaque chez 451 participants (4%).

Quel que soit l’ajustement sur les facteurs confondants (modèle 1 ajusté en fonction du sexe, de l’âge, de la région d’origine et des traitements de l’étude ; modèle 2 ajusté sur le modèle 1 plus ancienneté du diabète, IMC, tour de taille, pression artérielle systolique et diastolique avec et sans traitement antihypertenseur, HbA1c, DFG, DFG², ratio albumine/créatinine urinaire, cholestérol total et HDL-c, antécédents de tabagisme et utilisation d’hypolipémiants et d’antiplaquettaires), et comparativement aux patients avec tous les pouls périphériques présents, l'absence d'au moins un pouls périphérique était significativement associée (Hazard ratio, HR, pour modèle 2) à une incidence plus élevée :

  • d'événements macro-vasculaires majeurs (HR 1,47 [IC95%1,28-1,69], p<0,0001)
  • d’IDM non fatal (1,45 [1,13-1,87], p=0,003)
  • d’AVC non fatals (1,57 [1,23-2,00], p=0,0003)
  • de décès d’origine cardiovasculaire (1,61 [1,33-1], p<0,0001)
  • de décès toutes causes (1,48  [1,29-1,71], p<0,0001)
  • d’insuffisance cardiaque (1,49 [1,21-1,84], p=0,0002)
  • d’événements micro-vasculaires majeurs (1,17 [1,00-1,36], p=0,04)
  • de néphropathie (1,24 [1-1,54], p=0,041)
  • d’insuffisance rénale terminale (IRT) ou de décès d’origine rénale (2,04 [1,12-3,70], p=0,02)
  • de neuropathie périphérique (1,13 [1,05-1,21], p=0,0008)
  • d’hospitalisation toutes causes confondues (1,18 [1,10-1,26], p<0,0001)

L’association avec le déclin cognitif fait exception car significatif dans le modèle 1 (1,15 [1,03-1,30], p=0,02), mais pas dans le modèle 2 (1,11 [0,99-1,25], p=0,08).

Les participants avec pouls pédieux ou tibial postérieur abolis présentaient des risques comparables concernant les événements macro-vasculaires majeurs (et leurs composantes), une insuffisance cardiaque, une mortalité toutes causes, une neuropathie périphérique et une hospitalisation toutes causes confondues. Une abolition d’un pouls pédieux était également associée à un excès de risque d'événements micro-vasculaires majeurs, de néphropathie et de déclin cognitif, alors qu'un pouls tibial postérieur absent était associé à des risques accrus d’IRT ou de mort rénale et de démence.

Il est intéressant de noter que l’association entre l’absence de pouls et la survenue d’événements était comparables dans chaque bras (glycémiques ou tensionnels) de l’étude. De même, les associations persistaient chez les participants exempts d’atteintes macro-vasculaires, de MAP majeure, ou de neuropathie périphérique à l’inclusion.

Plus les patients avaient de pouls abolis, plus le risque d’événements majeurs était important.

Enfin, en analyse multi-variée, l'ajout de l’élément abolition d’un pouls aux facteurs de risque classiques améliorait modestement, mais de manière significative, la prédiction du risque d’événements macro-vasculaires (p=0,03), d’insuffisance cardiaque (p=0,03), de mortalité toutes causes confondues (p=0,04), de neuropathie périphérique (p=0,001), et hospitalisation toutes causes confondues (p<0,0001).

Même si ce travail est une étude post hoc basée sur une population d'essai clinique (qui peut ne pas être représentative de l’ensemble des patients DT2), il s’agit du premier article démontrant une association forte et indépendante entre l'absence de pouls périphériques et l’augmentation du risque à 5 ans d’événements délétères voire fatals chez les patients DT2.

Le pouls - vous savez ce battement ressenti par la pulpe de l'index et du majeur - correspond à l’arrivée de l’onde artérielle au niveau où l’artère est palpée et témoigne de la perméabilité des artères en amont. La palpation des pouls, qui doit faire partie de l'examen clinique de routine, est une procédure simple, rapide, et non invasive. Comme le souligne les auteurs, le résultat de ce geste présente une grande variabilité inter-observateurs, en fonction de la variation anatomique du pied, de l'expérience du clinicien et des conditions d'examen du patient [3]. La palpation des pouls est également affectée par la présence d’une médiacalcose, ce qui est commun chez les patients DT2. Cependant, quand l'examen des pouls se fait de façon minutieuse, sans précipitation (telles que lors des visites programmées d’un essai clinique), l'absence de pouls pédieux et/ou tibiaux postérieurs apparaît être un facteur pronostique fort et indépendant du risque d’événements macro-vasculaires majeurs, de mortalité cardiovasculaire et toutes causes, d’insuffisance cardiaque et d’événements rénaux chez les patients DT2.

Alors merci pour ce travail, et à nous de revenir à la clinique et de prêter davantage attention à ces marqueurs simples et accessibles partout, et par tous, pour mieux appréhender le risque de nos patients afin d’ajuster leur prise en charge.

 

Références

[1] Fowkes FG, Murray GD, Butcher I, et al. Ankle Brachial Index Collaboration. Ankle brachial index combined with Framingham Risk Score to predict cardiovascular events and mortality: a meta-analysis. JAMA 2008;300:197-208.
 
[2] Patel A et al; ADVANCE Collaborative Group. Effects of a fixed combination of perindopril and indapamide on macrovascular and microvascular outcomes in patients with type 2 diabetes mellitus (the ADVANCE trial): a randomised controlled trial. Lancet 2007; 370:829-40.
 
[3] Lundin M, et al. Distal pulse palpation: is it reliable? World J Surg 1999;23:252-5.
 


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