vendredi 8 décembre 2017

Quel intérêt pour l’oxygénothérapie hyperbare dans la prise en charge du pied diabétique ischémique ?

Auteur : 
Kamel Mohammedi
Date Publication : 
Novembre 2017
 
Article du mois en accès libre
 
Katrien T.B. et al. Hyperbaric Oxygen Therapy in the Treatment of Ischemic Lower Extremity Ulcers in Patients With Diabetes: Results of the DAMO2CLES Multicenter Randomized Clinical Trial. Diabetes Care 2017 [Epub ahead of print]. doi: 10.2337/dc17-0654

 

Le « pied diabétique » est un problème majeur de santé publique. Les patients diabétiques ont un risque élevé, estimé entre 3 et 11 %, de développer une ulcération du pied [1]. Plusieurs complications sont impliquées dans le développement du pied diabétique, notamment la neuropathie périphérique, les infections, et l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs. Cette dernière complication est souvent associée à un pronostic podologique sévère [1, 2] avec un risque très élevé d’amputation majeure [3]. Les ulcères ischémiques des membres inférieurs sont souvent difficiles à cicatriser, nécessitant une prise en charge complexe et multidisciplinaire [4]. L’oxygénothérapie hyperbare (HBOT) permet d’améliorer l’oxygénation des tissus ulcérés, d’améliorer la cicatrisation, et éventuellement de prévenir les amputations [5-7]. Néanmoins, l’efficacité de la thérapie HBOT n’a pas été clairement démontrée, particulièrement en cas de pied diabétique ischémique. L’étude DAMO2CLES (Does Applying More Oxygen (O2) Cure Lower Extremity Sores?) a été conçue et conduite pour évaluer l’intérêt de la thérapie HBOT, en adjuvant des soins standards et de la revascularisation, dans la cicatrisation des ulcères ischémiques de pied et la prévention des amputations majeures, chez les patients diabétiques.

L’étude DAMO2CLES est un essai clinique multicentrique (24 centres aux Pays-Bas et un centre en Belgique) randomisé en 2 groupes parallèles comparant les soins standards seuls ou combinés à la thérapie HBOT. Les participants diabétiques (type 1 ou 2) répondant à tous les critères suivants ont été inclus : ulcère chronique (≥ 4 semaines) du pied gradé 2 à 4 selon la classification de Wagner, avec une atteinte ischémique nécessitant une revascularisation dont l’indication devait être retenue avant la randomisation. Les principaux critères d’exclusion ont été : antécédent d’amputation homolatérale majeure (au-dessus de la cheville), contre-indication absolue à la thérapie HBOT (exemples : BPCO stade IV, insuffisance cardiaque sévère avec FEVG <20 %, port de pacemaker, néoplasie métastatique, ou grossesse), insuffisance rénale terminale, chimiothérapie en cours, traitement par immunosuppresseurs, corticothérapie à forte dose (>10 mg/jour), ou l’incapacité de renseigner un questionnaire en néerlandais. Tous les participants ont bénéficié d’une revascularisation endovasculaire ou chirurgicale (de préférence avant la thérapie HBOT quand c’était possible) avec un traitement conservateur optimal (antibiotique, anticoagulant, contrôle du diabète) en plus des soins locaux selon les pratiques de chaque centre. La thérapie HBOT a été réalisée par des sessions de 90 minutes dans des chambres de pression 2,4 à 2,5 supérieures à la pression atmosphérique où les patients respiraient 100 % de FiO2 (fraction inspirée en oxygène) à l'exception de trois périodes de 5 minutes pendant lesquelles l'air ambiant était administré pour éviter l'intoxication à l'oxygène. Les participants randomisés dans le bras actif ont bénéficié d’une séance quotidienne (5 jours par semaine) de thérapie HBOT jusqu’à un maximum de 40 séances ou jusqu’à la cicatrisation complète. Les patients ont été suivis régulièrement à 3, 6, et 12 mois après l’inclusion.

Les valeurs moyennes des glycémies pendant le CGM (10,2 vs 9,9 mmol/L), de l’HbA1c (8,7 vs 8,7%) et d’ancienneté de diabète (24,5 vs 19,8 années) étaient comparables chez les patients avec un rCP < 200 ou > 600 pmol/L. En revanche, les patients avec déficit insulino-sécrétoire sévère ont eu plus rapidement besoin d’un traitement par insuline, avec des doses plus fortes et un recours plus fréquent au schéma basal-bolus, et avaient plus fréquemment des anticorps anti-ilôts positifs. La déviation standard des concentrations du glucose interstitiel était plus élevée dans le groupe ‘rCP bas’ en comparaison au groupe ‘rCP élevé’ (4,15 IC 95% [3,67 – 4,64]) vs 3,01 [2,65 – 3,38] mmol/L, p<0,001). L’indice MAGE n’était pas significativement différent entre les 2 groupes (7,05 [5,9 – 8,2] vs 6,03 [4,8 – 7,3] mmol/L, p=0,1). Les hypoglycémies étaient plus fréquentes dans le groupe avec déficit insulino-sécrétoire sévère : 16 sujets de ce groupe (94%) ont eu au moins un épisode d’hypoglycémie (≤ 4 mmol/L pendant ≥ 20 min) vs 7 (41%) dans le groupe avec insulino-sécrétion préservée (p<0,001). L’incidence des épisodes hypoglycémiques (5,5 [4,4 – 6,7] vs 2,1 [1,4 – 2,9] épisodes/personne/semaine, p=0,004) et leur durée totale (630 [329 – 931] vs 223 [14 – 431] minutes/personne/semaine, p=0,01) étaient plus élevées chez les sujets avec déficit insulino-sécrétoire sévère que chez ceux avec une sécrétion d’insuline conservée. Des différences comparables étaient observées avec les hypoglycémies plus basses (≤ 3 mmol/L) : incidence 1,8 [1,2 – 2,6] vs 0,4 [0,1 – 0,8] épisodes/personne/semaine (p=0,037); durée 199 [47 – 352] vs 31 [0 – 83] minutes/personne/semaine (p=0,049). Les mêmes tendances étaient observées pour les hypoglycémies sévères (définie par une valeur CGM ≤ 2,2 mmol/l), mais sans atteindre la signification statistique. L’index LBGI (Low Blood Glucose Index) était plus élevé dans le groupe avec faible concentration de rCP (5,5 [3,8 – 7,3] vs 1,9 [0,8 – 3,0], p<0,001). Les associations entre le rCP et la variabilité glycémique ou les hypoglycémies n’étaient pas influencées par le protocole d’insulinothérapie.

Les critères principaux de jugement ont été le sauvetage du membre inférieur (absence d’amputation majeure au-dessus de la cheville) et cicatrisation (ré-épithélialisation complète) de l’ulcère à 12 mois. Les critères secondaires de jugement ont été l’absence d’amputation mineure (un ou plusieurs orteils ou trans-métatarsienne), la survie sans amputation majeure, la nécessité de revascularisation supplémentaire, un nouvel ulcère, récidive de l’ulcère index déjà cicatrisé, toutes les complications et les morbidités liées (ou pas) à la thérapie HBOT, et la mortalité totale. La qualité de vie et le rapport coût-efficacité de la thérapie HBOT ont été également évalués, mais non rapportés dans la présente publication.

Entre juin 2013 et décembre 2015, 120 patients ont été inclus, 60 dans le groupe de soins standards (4 d’entre eux ont décidé de leur propre initiative d’avoir une thérapie HBOT) et 60 dans le groupe HBOT (seulement 39 ont complété l’étude, car 11 n’ont jamais commencé la thérapie, et 10 sont sortis de l’étude précocement).

Pendant le suivi, 13 patients (22 %) ont eu une amputation majeure dans le groupe de soins standards et 7 (12 %) dans le groupe HBOT. La thérapie HBOT était associée à un taux plus élevé, mais statistiquement non significatif, de sauvetage de membre inférieur en comparaison au traitement standard : risque relatif (RR) 0,54, IC95 % [0,23-1,26]. Les auteurs n’ont pas observé de différence entre les 2 groupes en termes de taux ou de délai de cicatrisation. Pendant l’étude, 29 (48 %) ulcères ont cicatrisé dans le groupe de soins standards et 33 (55 %) dans le groupe HBOT (RR 0,87 [0,60-1,26]). À la fin de l’étude, 28 (47 %) ulcères ont définitivement cicatrisé dans le groupe de soins standards et 30 (50 %) dans le groupe HBOT (RR 0,94 [0,66-1,33]). Des résultats comparables ont été observés après plusieurs analyses en per protocole.

À la fin de l’étude, 31 (52 %) et 38 (63 %) participants dans les 2 groupes standard et actif respectifs n’ont eu aucune amputation (mineure ou majeure) : RR 0,76 [0,50-1,16]. Le nombre de participants qui ont survécu à la fin de l’étude sans amputation majeure était plus élevé dans le groupe HBOT comparé au groupe standard : 49 (82 %) versus 41 (68 %), RR 0,58 [0,30-1,11], mais cette différence n’était pas significative statistiquement. Quatorze participants sont décédés pendant le suivi. Le taux de mortalité était plus faible, mais de façon non significative, dans le groupe HBOT comparé au groupe de soins standards : 9 (15 %) vs 5 (8 %), RR 0,56 [0,20-1,56]. La fréquence du recours à une revascularisation complémentaire était comparable entre les 2 groupes : 17 (28 %) vs 14 (23 %), RR 0,98 [0,81-1,19]. Le taux de récidive des ulcères et l’incidence des nouveaux ulcères étaient également similaires dans les 2 groupes. Deux évènements indésirables graves ont été potentiellement attribués à la thérapie HBOT (convulsion et perforation tympanique).

L’étude DAMO2CLES n’a pas réussi à démontrer l’efficacité de la thérapie HBOT par rapport aux soins standards pour améliorer le taux de cicatrisation des ulcères ischémiques des membres inférieurs ou de diminuer le risque d’amputation majeure chez les patients diabétiques. Les résultats négatifs de cette étude peuvent être expliqués par le faible effectif qui ne permet pas de détecter des différences modestes entre les 2 groupes. En plus, 35 % des participants du groupe HBOT n’ont pas commencé cette thérapie ou l’ont abandonné précocement. L’autre limite de cette étude est l’absence de méthode d’adjudication appropriée pour valider les évènements en insu du bras de randomisation.

Il est difficile de comparer ces données avec des études antérieures qui ont des résultats discordants avec plusieurs niveaux d’hétérogénéité (caractéristiques des plaies, statut vasculaire, protocole de la thérapie HBOT, et évènements testés) [8-10]. Il est toutefois important de noter qu’au moins trois études ont montré une amélioration du taux de cicatrisation d’ulcères et/ou une réduction du risque d’amputation chez des patients diabétiques [11-13]. Néanmoins, il est difficile de tirer des conclusions pratiques à partir de ces études à cause d’un suivi trop court, plusieurs biais méthodologiques, et un nombre limité de participants.

Au total, cette étude ne valide pas l’intérêt de la thérapie HBOT en adjuvant des soins standards dans la prise en charge des ulcères ischémiques des patients diabétiques. Une étude plus large, avec une meilleure observance thérapeutique et une adjudication des évènements testés, est indispensable pour mieux évaluer l’intérêt de cette thérapie.

 

Références

[1] Boulton AJ. The diabetic foot: grand overview, epidemiology and pathogenesis. Diabetes Metab Res Rev 2008;24(Suppl. 1):S3–S6.
 
[2] Boulton AJ. The pathway to foot ulceration in diabetes. Med Clin North Am 2013;97:775– 790.
 
[3] Hinchliffe RJ, et al. A systematic review of the effectiveness of revascularization of the ulcerated foot in patients with diabetes and peripheral arterial disease [published correction appears in Diabetes Metab Res Rev 2012;28:376]. Diabetes Metab Res Rev 2012; 28(Suppl. 1):179–217.
 
[4] Schaper NC, et al. International Working Group on the Diabetic Foot. Prevention and management of foot problems in diabetes: a summary guidance for daily practice 2015, based on the IWGDF guidance documents. Diabetes Metab Res Rev 2016; 32(Suppl. 1):7–15.
 
[5] Unfirer S, et al. The effect of hyperbaric oxygen therapy on blood vessel function in diabetes mellitus. Med Hypotheses 2008;71:776–780.
 
[6] Flegg JA, et al. Mathematical model of hyperbaric oxygen therapy applied to chronic diabetic wounds. Bull Math Biol 2010; 72:1867–1891.
 
[7] Thackham JA, et al. The use of hyperbaric oxygen therapy to treat chronic wounds: a review. Wound Repair Regen 2008; 16:321–330.
 
[8] Stoekenbroek RM, et al. Hyperbaric oxygen for the treatment of diabetic foot ulcers: a systematic review. Eur J Vasc Endovasc Surg 2014;47:647–655.
 
[9] Elraiyah T, et al. A systematic review and meta-analysis of adjunctive therapies in diabetic foot ulcers. J Vasc Surg 2016;63:46S.e1-2–58S.e1-2.
 
[10] Kranke P, et al. Hyperbaric oxygen therapy for chronic wounds. Cochrane Database Syst Rev 2015;6:CD004123.
 
[11] Abidia A, et al. The role of hyperbaric oxygen therapy in ischaemic diabetic lower extremity ulcers: a double-blind randomised- controlled trial. Eur J Vasc Endovasc Surg 2003;25: 513–518.
 
[12] Faglia E, et al. Adjunctive systemic hyperbaric oxygen therapy in treatment of severe prevalently ischemic diabetic foot ulcer. A randomized study. Diabetes Care 1996;19: 1338–1343.
 
[13] Löndahl M, et al. Hyperbaric oxygen therapy facilitates healing of chronic foot ulcers in patients with diabetes. Diabetes Care 2010;33:998–1003.
 


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