mercredi 6 octobre 2021

L’usage de fénofibrate est associé à une diminution de la morbi-mortalité cardiovasculaire dans une cohorte de patients diabétiques de type 2

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Septembre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Jo, et al. Fenofibrate use is associated with lower mortality and fewer cardiovascular events in patients with diabetes: results of 10,114 patients from the Korean National health insurance service cohort. Diabetes Care 2021; 44:1868-1876. doi : 10.2337/dc20-1533

 

Malgré la diminution de la concentration de LDL-cholestérol grâce à la prise d’une statine, les patients diabétiques présentent un risque cardio-vasculaire (CV) substantiel. Les triglycérides (TG) sont l’une des cibles visées pour réduire ce risque CV résiduel et ainsi prévenir et traiter les maladies CV. En effet, des études épidémiologiques [1] et de randomisation mendéliennes [2] suggèrent qu’un taux élevé de TG est associé à une augmentation du risque de maladie CV, avec même une relation causale [3]. Cependant, les résultats des études évaluant l’impact de la diminution des TG par une action pharmacologique sont hétérogènes. Dans les études FIELD (Fenofibrate Intervention and Event Lowering in Diabetes) [4] et ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes) [5], le fénofibrate, seul ou associé à une statine, n’a pas fait la preuve de son efficacité sur la morbi-mortalité CV. Des bénéfices CV n’étaient observés que dans des sous-groupes de patients, notamment ceux avec un HDL-cholestérol bas et un taux de TG élevé. En revanche, dans l’étude REDUCE-IT [6], l’utilisation d’un acide gras oméga-3 spécifique, chez des patients avec un LDL-cholestérol < 100 mg/dl et des TG > 135 mg/dl sous statines, était associée à une diminution de la morbi-mortalité CV. Il n’existe pas, à ce jour, de larges études de suivi de cohorte prolongé ayant évalué l’impact CV de la diminution des TG par fénofibrate chez des patients diabétiques en conditions de vie réelle.

Cette étude avait pour objectif d’évaluer l’efficacité du fénofibrate sur des critères cliniques chez des patients diabétiques à partir d’une base de données de l’assurance maladie de Corée du Sud. Cette base de données regroupait 97% de la population sud-coréenne. Une cohorte d’environ 510 000 sujets, âgés de 40 à 79 ans, ayant bénéficié d’un examen médical entre 2002 et 2003 et suivie jusqu’en 2015 a été utilisée. Au sein de cette cohorte, 212 969 patients, diagnostiqués diabétiques de type 2 (DT2) entre 2003 et 2014 ont été identifiés. Après avoir exclu 149 242 sujets qui avaient également un code diagnostic de diabète de type 1, qui avaient déjà été traités par fénofibrate ou acides gras oméga-3 avant la découverte du diabète et qui n’avaient pas de résultats biologiques disponibles, 63 727 patients étaient candidats pour l’analyse. Les patients ont été séparés en deux groupes : patients sous fénofibrate seul (au moins une prescription entre 2003 et 2014 après le diagnostic de diabète) et patients sans fénofibrate ni acide-gras oméga-3 (groupe contrôle). Après un appariement 1 : 1, 5 057 patients ont été inclus dans chaque groupe. Le critère de jugement principal composite correspondait à la première survenue d’un infarctus du myocarde (IDM), d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un geste de revascularisation coronarienne et le décès d’origine CV. Les critères de jugement secondaires étaient la survenue isolée de l’un des 4 évènements précédemment décrits et les décès toutes causes confondues. Plusieurs covariables ont été analysées : âge, sexe, indice de masse corporelle (IMC), comorbidités (insuffisance cardiaque, fibrillation auriculaire, néoplasie, insuffisance rénale, HTA), prises de statines, antécédents de revascularisation coronarienne, antécédents de tabagisme, bilan lipidique, consommation alcoolique. La durée moyenne de suivi était de 3 ans.

L’âge moyen des 10 114 patients inclus dans l’étude était de 62 ans, 58,5% étaient des hommes, l’IMC moyen était de 25,2 kg/m2, la concentration  moyenne de TG  était de 239 mg/dl, de HDL-cholestérol de 49 mg/dl, de LDL-cholestérol de 111 mg/dl et 21% étaient fumeurs. La seule différence significative observée entre les patients sous fénofibrate et le groupe contrôle était la proportion de sujets avec des TG ≥ 200 mg/dl et un HDL-cholestérol < 35 mg/dl (7,6 vs 6,9%, p=0,035). Le critère de jugement primaire composite était significativement plus bas dans le groupe fénofibrate que dans le groupe contrôle (13,4 vs 15,5 /1000 sujet-années ; HR 0,76 ; IC 95% 0,62-0,94 ; p=0,01). L’incidence isolée des AVC était significativement plus basse dans le groupe fénofibrate (6,5 vs 8,6 /1000 sujet-années ; HR 0,62 ; IC 95% 0,46-0,83 ; p=0,015). L’incidence des décès d’origine CV et des décès toutes causes confondues était également plus basse dans le groupe fénofibrate (respectivement 1,8 vs 3,1/ 1000 sujets-année ; p=0,045 et 7,6 vs 15,3/1000 sujets-année ; p<0,0001). L’incidence des IDM et des gestes de revascularisation coronarienne n’était pas significativement différente entre les deux groupes. L’analyse de Kaplan-Meier retrouvait également une efficacité significative sur le critère composite, les AVC, la mortalité CV et la mortalité toutes causes en faveur du groupe fénofibrate. Une analyse en fonction de la durée du traitement par fénofibrate a été réalisée. Le Hazard Ratio (HR) ajusté pour le critère composite était augmenté à 1,52 (IC 95% 1,17-1,98 ; p=0,0018) pour le premier quartile (1 à 59 jours de fénofibrate) en comparaison au groupe contrôle, n’était pas modifié pour les 2ème (60 à 193 jours de fénofibrate) et 3ème quartiles (194-485 jours de fénofibrate) et était diminué à 0,35 (IC 95% 0,27-0,53 ; p<0,0001) pour le 4ème quartile (≥486 jours de fénofibrate).
L’effet favorable du fénofibrate sur le critère composite était persistant après ajustement sur l’ensemble des covariables analysées et dans les différents sous-groupes analysés (âge, présence ou non des comorbidités, IMC, traitement par statine, tabagisme, consommation alcoolique, niveaux des différents paramètres lipidiques). L’effet favorable du fénofibrate sur le critère composite était plus prononcé chez les hommes, en cas d’antécédent d’AVC et chez les patients avec un LDL-cholestérol < 100 mg/dl.

Les forces de cette étude sont une large population étudiée, des conditions en vie réelle et la prise en compte de nombreuses covariables dans l’analyse statistique. Ses limites sont : 1) les biais inhérents à une étude de cohorte basées sur une population donnée ; 2) l’utilisation du codage diagnostic pour définir les différentes comorbidités, qui peuvent être inexactes ; 3) les incertitudes concernant l’observance médicamenteuse ; 4) l’absence de données sur la dose de fénofibrate prescrite ; 5) des conclusions qui ne peuvent être extrapolées à d’autres populations ; 6) l’absence de données sur les taux des paramètres lipidiques après exposition au fénofibrate.

Au final, cette étude sud-coréenne, menée en conditions de vie réelle chez plus de 10 000 patients diabétiques de type 2 avec un suivi moyen de 3 ans, montre que l’utilisation de fénofibrate est associée à une amélioration de la morbi-mortalité CV, en diminuant notamment l’incidence des AVC, la mortalité CV et la mortalité toute causes confondues. Cet effet bénéfique est observé que les patients prennent ou non des statines.

 

Références

[1] Madsen, et al. Unmet need for primary prevention in individuals with hypertriglyceridaemia not eligible for statin therapy according to European Society of Cardiology/ European Atherosclerosis Society guidelines: a contemporary population-based study. Eur Heart J 2018; 39: 610–619.
 
[2] Ference, et al. Association of triglyceride-lowering LPL variants and LDL-C-lowering LDLR variants with risk of coronary heart disease. JAMA 2019; 321: 364–373.
 
[3] Watts, et al. Demystifying the management of hypertriglyceridaemia. Nat Rev Cardiol 2013; 10: 648–661.
 
[4] Keech A, et al. Effects of long-term fenofibrate therapy on cardiovascular events in 9795 people with type 2 diabetes mellitus (the FIELD study): randomised controlled trial. Lancet 2005; 366: 1849–1861.
 
[5] Ginsberg HN, et al. Effects of combination lipid therapy in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010; 362: 1563–1574.
 
[6] Bhatt DL, et al. Cardiovascular risk reduction with icosapent ethyl for hypertriglyceridemia. N Engl J Med 2019; 380: 11–22.
 


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