mardi 10 juillet 2018

Glucagon faible dose : une alternative pour la prévention des hypoglycémies liées à l’activité physique chez les patients DT1 ?

Auteur : 
Michael Joubert
Date Publication : 
Juin 2018
 
Article du mois en accès libre
 
Rickels MR et al. Mini-Dose Glucagon as a Novel Approach to Prevent Exercise-Induced Hypoglycemia in Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2018 May 18. pii: dc180051. doi: 10.2337/dc18-0051. [Epub ahead of print].

 

L’activité physique régulière est bénéfique chez les patients atteints de diabète de type 1 (DT1) car elle diminue l’HbA1c et les besoins en insuline, contribue à maintenir un poids corporel adapté, et réduit l’incidence ou la progression de la rétinopathie et de la néphropathie diabétique, de l’hypertension artérielle et de la dyslipidémie [1]. Il est ainsi recommandé à ces patients de pratiquer un minimum de 150 minutes par semaine d’activité physique d’intensité modérée à vigoureuse, la charge totale d’entraînement devant être idéalement répartie sur au moins 3 séances dans la semaine [2]. Cependant, comme chez les patients atteints de diabète de type 2 (DT2), cette recommandation est assez peu suivie. En effet, une majorité de patients DT1 passent moins de 30 min par jour à pratiquer une activité physique et la prévalence du surpoids et de l’obésité augmente régulièrement dans cette population [1]. Le principal frein à l’activité physique chez les patients DT1 est la peur de l’hypoglycémie et la difficulté de gestion du traitement et de la diététique afin de tenter d’éviter cette complication fréquente [3]. Différentes recommandations sont pourtant maintenant disponibles afin de guider les patients pour l’ajustement de leur insulinothérapie et pour l’évaluation de leurs besoins en glucides avant, pendant et après l’activité physique [4]. La quantité de glucides à consommer pendant une activité physique prolongée et/ou soutenue peut d’ailleurs être importante (jusqu’à 1g/min) et peut représenter un frein supplémentaire pour les patients qui ont par ailleurs une problématique de perte pondérale [5].

Physiologiquement, chez le sujet sain, lors d’une activité physique aérobie, la sécrétion d’insuline diminue et la sécrétion de glucagon augmente, ces deux phénomènes concourant à augmenter la production hépatique de glucose pour répondre aux besoins musculaires et éviter ainsi la diminution du taux de glucose plasmatique. Chez les patients DT1, la physiopathologie de l’hypoglycémie lors de l’activité physique combine l’absence de réduction de l’insulinémie ainsi qu’un défaut d’augmentation de la sécrétion de glucagon. En effet, l’insulinémie qui provient des injections exogènes d’insuline n’est pas diminuée lors de l’activité physique et peut même augmenter, du fait d’une mobilisation accrue des dépôts sous-cutanés d’insuline, induite par les mouvements du sujet. De plus, le défaut de sécrétion de glucagon est d’autant plus marqué que le diabète est ancien (atteinte progressive des cellules alpha des îlots de Langerhans) et qu’une hypoglycémie est survenue récemment, ce phénomène pouvant favoriser la survenue d’hypoglycémies itératives [6,7].

Les évaluations scientifiques des approches visant à réduire les apports en insuline ou à majorer les apports en glucides ont montré une efficacité partielle mais la persistance d’évènements hypo- et hyperglycémiques [8]. La prévention des hypoglycémies liées à l’activité physique par un apport de glucagon n’avait jamais antérieurement été testée, principalement du fait de l’absence de forme facilement administrable de glucagon. En effet, la forme largement disponible du glucagon se présente actuellement comme un lyophilisat qui doit être reconstitué dans un solvant immédiatement avant injection. Cette préparation est exclusivement utilisée dans le cadre de l’urgence, en cas d’hypoglycémie sévère, sous la forme d’une injection de 1000 µg (1 mg). Actuellement en développement, une nouvelle forme liquide, stable, non aqueuse de glucagon peut être administrée par voie sous-cutanée (SC) à des faibles doses de 75, 150 et 300 µg (MDG – mini-dose glucagon). Une précédente étude a montré que l’injection SC de 150 µg de MDG était aussi efficace qu’un resucrage oral en cas d’hypoglycémies modérées chez des patients DT1 [9]. Aux vues de ces résultats, Rickels MR et al. ont conduit une étude pour évaluer l’effet du MDG, comparativement aux approches classiques (réduction de l’insuline ou prise d’hydrates de carbone), sur la prévention des hypoglycémies induites par une activité physique aérobie dans une population de patients DT1.

Cette étude a été réalisée dans deux centres de diabétologie des Etats-Unis, chez des patients atteints de DT1 depuis plus de 2 années, âgés de 18 à 64 ans, traités par pompe à insuline, réalisant au moins 3 séances de 30 min d’activité aérobie chaque semaine, et dont l’IMC était inférieur à 30 kg/m2. Les critères de non-inclusion comprenaient la survenue d’une hypoglycémie sévère dans les 12 derniers mois, la présence d’une rétinopathie diabétique évolutive, d’une neuropathie périphérique avec hypoesthésie des pieds, d’une neuropathie autonome cardiaque, la prise de béta-bloqueurs ou d’antidiabétiques non-insuliniques ou encore la conduite d’un régime hypocalorique en vue d’une perte pondérale. Quatre séances d’activité physique, espacées de 3 jours minimum, sur une période totale de 12 semaines, étaient réalisées par chaque patient de cette étude, permettant de tester en cross-over 4 modalités thérapeutiques différentes visant à éviter la survenue d’hypoglycémies induites par l’activité physique: pas d’intervention (séance contrôle) ; réduction de la basale d’insuline (séance basale) ; ingestion d’hydrates de carbone (séance glucides) ; administration de MDG (séance MDG). Chaque séance d’activité physique était identique, à type de marche rapide sur un tapis dont la vitesse et la pente étaient ajustées pour maintenir un effort de 45 min à 50-55% de la VO2max préalablement déterminée par une épreuve d’effort cardio-métabolique chez chaque patient. Toutes les procédures thérapeutiques décrites ci dessous étaient mises en oeuvre en simple aveugle pour le patient. Pour la “séance contrôle”, un simulacre de réduction de dose de basale d’insuline et une injection SC de sérum physiologique étaient réalisés 5 min avant le début de l’activité physique. Pour la “séance basale”, une basale temporaire à 50% de la basale habituelle était débutée 5 min avant le début de l’activité physique et maintenue pendant toute la durée de l’effort. Une injection SC de sérum physiologique était également réalisée 5 min avant le début de l’activité physique. Pour la “séance glucides”, aucune adaptation de basale ni injection sous-cutanée n’était réalisée. Une quantité de 20g de glucose était donnée à ingérer au patient 5 min avant le début de l’activité physique, ainsi qu’après 30 min d’effort (soit 40g au total). Pour la “séance MDG”, un simulacre de réduction de dose de basale d’insuline et une injection SC de 150 µg de MDG étaient réalisés 5 min avant le début de l’activité physique. Ainsi, la prise de glucides lors de la “séance glucides” était la seule procédure réalisée en ouvert. L’ordre des 4 séances était randomisé pour chaque patient. Des échantillons sanguins étaient prélevés, grâce à un cathéter veineux posé 1 heure avant le début de l’activité physique, au temps -30, -15, -5 et 0 min avant l’activité physique; au temps 5, 10, 15, 25, 35, 45 min pendant l’effort et au temps 50, 55, 60, et 75 min après la fin de l’effort. La glycémie plasmatique était mesurée extemporanément sur ces échantillons, permettant d’interrompre l’effort en cas de valeur < 70 mg/dL pendant la période d’activité physique. D’autres prélèvements étaient réalisés à 90, 105, 120, 135 et 165 min, après qu’un repas standard (44-50g de glucides représentant 55% des calories) soit pris à la 75ème minute, couvert par un bolus repas, réalisé à la 70ème minute, selon le ratio habituel du patient. De plus, les patients portaient un CGM Dexcom G4 pendant toute la durée de l’étude.

Quinze patients ont pu réaliser l’ensemble de l’étude, c’est à dire les 4 séances d’activité physique. Leur âge médian était de 30 ans (IQR 25-43), leur IMC de 24 kg/m2 (23-27), leur ancienneté de diabète de 22 années (14-31), leur HbA1c de 6,8 % (6,5-7,6) et leur VO2max de 42 mL/kg/min (35-51). La glycémie était identique avant les quatres séances d’activité physique, entre 115 et 120 mg/dL. En revanche, à la fin de l’activité physique, la glycémie était significativement plus basse lors des séances “contrôle” et “basale” comparativement aux séances “glucides” et “MDG” (86±30 et 85±25 comparativement à 174±59 et 161±39 mg/dL, respectivement ; p<0,001). Après le repas standardisé au décours de l’activité physique, les glycémies ont convergé après les 4 séances pour aboutir à des valeurs similaires à 90 minutes du début du repas (178±57, 160±67, 209±67 et 187±71 mg/dL, respectivement). Comme on pouvait s’y attendre, la glucagonémie était significativement plus basse pendant les séances “contrôle”, “basale” et “glucides” comparativement à la séance “MDG” (55±12, 53±9 et 61±21 comparativement à 424±201 pg/mL ; p<0,001). En revanche, l’insulinémie n’était pas différente au cours des 4 séances d’activité physique, notamment lors de la séance “basale” où la procédure de réduction du débit d’insuline n’a pas eu l’effet escompté (24±16, 23±10, 25±14 et 22±13 mU/mL). Après le repas test, la glucagonémie après séance “MDG” est revenue rapidement au niveau basal observé aprés les 3 autres séances et l’insulinémie a augmenté modérément après les 4 séances de façon superposable (insulinémie à 90 min du repas test : 40±20, 40±23, 50±39 et 36±16 mU/mL).

Pendant la période d’activité physique et la phase de récupération précoce, 6 et 5 évènements hypoglycémiques < 70 mg/dL sont survenus après les séances “contrôle” et “basale” comparativement à aucun évènement après les séances “glucides” et “MDG”. Concernant les évènements hyperglycémiques > 250 mg/dL pendant cette même période, les investigateurs en ont dénombré 0, 0, 5 et 1, après les 4 différentes séances, respectivement. Ces résultats ont été retrouvés sur les critères CGM avec un temps en hypo < 70 mg/dL de 12, 10, 0 et 1% (p=0,02) et un temps en hyper > 250 mg/dL de 0, 0, 11 et 5% (p=0,009) après les 4 différentes séances, respectivement. En revanche, les critères CGM n’étaient plus différents après les 4 séances dès la période de récupération précoce, après le repas test, dans l’après-midi, ni la nuit qui suivait la séance d’activité physique.

En résumé, cette étude montre que l’injection SC d’une mini dose de 150 µg de glucagon est une procédure efficace pour prévenir la survenue d’hypoglycémies pendant l’activité physique. Cette procédure était aussi efficace que l’ingestion de 40 g de glucides pour prévenir les hypoglycémies mais était associée à un moindre risque d’hyperglycémie. Cette étude rappelle également que les stratégies visant à réduire l’insulinémie active en vue d’une activité physique sont difficiles à mettre en oeuvre. En effet, dans ce protocole, la mise en place d’une basale temporaire à 50% de la basale habituelle 5 min avant et pendant toute la durée de l’effort ne permettait pas d’obtenir de réduction de l’insulinémie et n’avait donc aucun effet sur la réduction des hypoglycémies qui survenaient avec la même fréquence que lors de la séance “contrôle”. Des études antérieures ont cependant montré des résultats discordants de cette procédure de réduction du débit d’insuline qui peut tout de même s’avérer efficace si la réduction du débit est notamment plus marquée ou effectuée plus précocément avant le début de l’effort [8,10].

Plusieurs limites de cette étude doivent être soulignées. Tout d’abord, l’injection de glucagon SC a entraîné des nausées (sans vomissements) chez 2/15 patients dans ce protocole, comme cela a déjà été rapporté dans des études antérieures utilisant le glucagon à faible dose pour le traitement d’hypoglycémies modérées [9,11]. On rappelle également qu’en cas d’injection d’une dose de 1 mg de glucagon en situation d’hypoglycémie sévère, environ 1/3 des patients présentent des nausées sans ou avec vomissements. Par ailleurs, l’activité physique dans cette étude était calibrée et une seule intensité et une seule durée ont été testées. Il est donc difficile d’extrapoler ces résultats à une pratique plus libre et plus diversifiée de l’activité physique. Des études de “vraie vie” seraient indispensables pour valider, en routine, l’utilisation du glucagon faible dose pour prévenir les hypoglycémies induites par le sport. Enfin, la sécurité au long cours du glucagon en utilisation régulière nécessite d’étre testée. Quoi qu’il en soit, cette étude montre que l’utilisation du glucagon à faible dose avant le sport est aussi efficace que la prise de glucides pour éviter les hypoglycémies induites par l’activité physique. Cette alternative pourrait donc être intéressante pour les sujets DT1 sportifs, d’autant plus chez les patients qui ont un objectif pondéral pour lequel ils ne souhaitent pas être contraints de consommer de trop grandes quantités de glucides.

 

Références

[1] Bohn B et al. Impact of physical activity on glycemic control and prevalence of cardiovascular risk factors in adults with type 1 diabetes: a crosssectional multicenter study of 18,028 patients. Diabetes Care 2015;38:1536-1543.
 
[2] Colberg SR et al. Physical activity/exercise and diabetes: a position statement of the American Diabetes Association. Diabetes Care 2016;39:2065-2079.
 
[3] Brazeau AS et al. Barriers to physical activity among patients with type 1 diabetes. Diabetes Care 2008;31:2108-2109.
 
[4] Pinsker JE et al. Techniques for exercise preparation and management in adults with type 1 diabetes. Can J Diabetes 2016;40:503-508.
 
[5] Francescato MP et al. Prolonged exercise in type 1 diabetes: performance of a customizable algorithm to estimate the carbohydrate supplements to minimize glycemic imbalances. PLoS One 2015;10:e0125220.
 
[6] Mallad A et al. Exercise effects on postprandial glucose metabolism in type 1 diabetes: a triple-tracer approach. Am J Physiol Endocrinol Metab 2015;308:E1106-E1115.
 
[7] Galassetti P et al. Effect of antecedent hypoglycemia on counterregulatory responses to subsequent euglycemic exercise in type 1 diabetes. Diabetes 2003;52:1761-1769.
 
[8] Franc S et al. Insulin-based strategies to prevent hypoglycaemia during and after exercise in adult patients with type 1 diabetes on pump therapy: the DIABRASPORT randomized study. Diabetes Obes Metab 2015;17:1150-1157.
 
[9] Haymond MW et al. Nonaqueous, mini-dose glucagon for treatment of mild hypoglycemia in adults with type 1 diabetes: a dose-seeking study. Diabetes Care 2016;39:465-468.
 
[10] Riddell MC et al. Exercise management in type 1 diabetes: a consensus statement. Lancet Diabetes Endocrinol 2017;5:377-390.
 
[11] Haymond MW et al. T1D Exchange Mini-dose Glucagon Study Group. Efficacy and safety of mini-dose glucagon for treatment of nonsevere hypoglycemia in adults with type 1 diabetes. J Clin Endocrinol Metab 2017;102:2994-3001.
 


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