L'ostéoarthropathie de Charcot, ou pied de Charcot, est une complication inflammatoire du diabète évoluant dans un contexte de neuropathie, dont le diagnostic est difficile à établir expliquant un retard de prise en charge chez 25% des patients [1]. Ce retard accroit les déformations du pied [1], ce qui augmente les risques d'ulcère chronique du pied et d'amputation des membres inférieurs (entre x15 à x40) [2]. En outre, sa pathogénèse et ses facteurs de risque restent mal compris. Seules quelques études antérieures de petite taille suggèrent comme facteurs de risque, en plus de la présence d'une neuropathie périphérique, une HbA1c plus élevée, la présence d'autres complications et une durée plus longue du diabète [3,4,5], mais la taille limitée de ces études affecte la généralisation de leurs résultats.
L’objectif de cette étude de cohorte nationale suédoise était donc d’identifier des facteurs de risque de développement d’un pied de Charcot chez les patients vivant avec un diabète de type 1 (DT1) ou avec un diabète de type 2 (DT2). Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective basée sur deux registres nationaux suédois (le registre national du diabète ou NDR pour National Diabetes Register, et le registre national des patients ou NPR pour National Patient Register). Cette étude a été réalisée sur la période allant de 2001 à 2016. Les personnes âgées de ≥ 18 ans, vivant avec un diabète et atteintes de pied de Charcot, ont été identifiées et appariées selon le type et la durée du diabète à des personnes atteintes de diabète mais ne présentant pas de pied de Charcot (ratio de 1:7 pour les personnes vivant avec un DT1; 1:10 pour les personnes vivant avec un DT2). Des analyses de régression logistique ont été utilisées pour identifier les facteurs de risque à partir de données récoltées dans les 12 mois précédant le diagnostic de pied de Charcot : concernant des données démographiques, cliniques, biochimiques et les thérapies antidiabétiques, hypolipémiantes et antihypertensives.
Les auteurs ont identifié 3449 personnes vivant avec un diabète et atteintes d'un pied de Charcot au sein des deux registres, parmi lesquelles 3397 ont été incluses (1270 avec un DT1, 2127 avec un DT2) et 52 exclues en raison d’un manque d’appariement. Les patients inclus ont, quant à eux, été appariés à 27662 témoins participant à ces registres, vivant avec un diabète mais ne présentant pas de pied de Charcot. Les participants vivant avec un DT1 et atteints d’un pied de Charcot présentaient une prévalence plus élevée de rétinopathie, de micro- et macroalbuminurie, et de maladie macrovasculaire, ainsi qu’une HbA1C plus élevée (68 mmol/mol (8,4%) contre 64 mmol/mol (8%)) que le groupe témoin de participants vivant avec un DT1 mais sans pied de Charcot. La même observation était retrouvée pour les patients vivant avec un DT2. En revanche, il a été observé que les femmes vivant avec un DT1 (50,4%) et les hommes vivant avec un DT2 (68,1%) ont développé un pied de Charcot beaucoup plus fréquemment que leurs homologues du sexe opposé.
Une analyse de régression logistique multi-ajustée a été réalisée pour découvrir les liens de causalité potentiels entre l’HbA1C, la durée du diabète, la micro- et la macroalbuminurie, la rétinopathie et la maladie macrovasculaire, avec le développement d’un pied de Charcot. Après ajustement, la maladie macrovasculaire était liée à un risque plus élevé de développer un pied de Charcot chez les participants vivant avec un DT1 (OR 3,32 [95% IC 2,27 - 4,86], p<0,001) et chez les participants vivant avec un DT2 (OR 8,60 [95% IC 6,79 – 10,87], p<0,001). La présence de complications microangiopathiques était également associée à un risque plus élevé de développer un pied de Charcot dans les deux groupes. Ainsi, chez les patients vivant avec un DT1, la microalbuminurie (2,31 [2,00 -2,68], p<0,001), la macroalbuminurie (3,12 [2,63 – 3,71], p<0,001), et la rétinopathie (4,10 [3,19 – 5,43], p<0,001) étaient associées à un surrisque, de la même façon que chez ceux vivant avec un DT2 : microalbuminurie (1,89 [1,70 – 2,10] p<0,001), macroalbuminurie (2,54 [2,23 – 2,89] p<0,001), rétinopathie (2,66 [2,31 – 3,05] p<0,001). L’HbA1C (en mmol/mol) et la durée du diabète étaient associées au risque de pied de Charcot dans les deux groupes mais plus faiblement, avec des OR compris entre 1,01 et 1,03 (p<0,001). Une analyse de sensibilité a ensuite été réalisée en reproduisant les modèles de régression logistique avec la catégorie « donnée inconnue » pour l'indice de masse corporelle, la tension artérielle, la créatinine et la présence d’une rétinopathie diabétique, et celle-ci retrouvait les mêmes résultats.
Cette étude est la plus grande cohorte d'individus atteints de pied de Charcot secondaire à un diabète étudiée à ce jour, avec les données de 3397 patients. Ce travail a mis en évidence les facteurs de risque suivant : la durée du diabète, la rétinopathie, la micro- et la macroalbuminurie, des HbA1C élevées, et la présence d’une maladie macrovasculaire. Il est intéressant de noter que les facteurs de risque les plus significatifs différaient entre les individus vivant avec un DT1 et ceux vivant avec un DT2 : respectivement les complications microvasculaires préexistantes et la maladie macrovasculaire. Ce travail permet d’améliorer la compréhension des facteurs de risque du pied de Charcot. La principale force de l’étude réside dans sa conception basée sur un registre national incluant presque tous les patients vivant avec un diabète en Suède, permettant d'obtenir un échantillon de grande taille avec de nombreuses données cliniques, biochimiques et épidémiologiques. Les limites de cette étude résident dans le fait que, bien qu'il ait été prévu que l'appariement soit de 1:10, cela n'a pas été possible dans le cas du DT1 entrainant un ratio d'appariement plus faible et une différence dans la durée du diabète (32,73 ± 12,97 ans pour les patients qui présentaient un pied de Charcot vs 27,61 ± 12,37 ans pour ceux qui n’en présentaient pas). De plus, les données du registre NDR sont sujettes à des biais dus à des valeurs manquantes, dont le risque a été minimisé par la réalisation d’une analyse de sensibilité dans laquelle les valeurs manquantes ont été incluses dans une catégorie « donnée inconnue ». Cette analyse de sensibilité a abouti à des conclusions similaires à celles de l’analyse principale. Enfin, bien que la neuropathie périphérique soit intrinsèquement présente chez les personnes atteintes du pied de Charcot, les auteurs ne disposaient d'aucune donnée fiable pour l'évaluer.
En conclusion, dans cette grande cohorte de patients vivant avec un diabète et présentant un pied de Charcot, la durée du diabète, la rétinopathie, la micro- et la macroalbuminurie, des HbA1C élevées et la présence d’une maladie macrovasculaire ont été identifiées comme des facteurs de risque significatifs pour le développement d’un pied de Charcot dans les 12 mois. En outre, les femmes vivant avec un DT1 et les hommes vivant avec un DT2 présentaient un risque plus élevé de développer un pied de Charcot que leurs homologues de sexe opposé. Cette étude concernant uniquement des patients d’origine suédoise, des études ultérieures similaires réalisées dans d'autres populations sont désormais nécessaires pour déterminer s’il est possible de généraliser ces résultats.
Références
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