lundi 13 janvier 2025

Contribution des infections à la mortalité chez les personnes vivant avec un diabète de type 2 : étude de cohorte populationnelle utilisant des dossiers médicaux électroniques

Auteur : 
Ninon Foussard
Date Publication : 
Décembre 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Carey et al. Contribution of infection to mortality in people with type 2 diabetes: a population-based cohort study using electronic records. Lancet Reg Health Eur. 2024 Nov 27:48:101147. doi : 10.1016/j.lanepe.2024.101147

 

S’il est connu que les personnes vivant avec un diabète de type 2 (DT2) sont plus sensibles aux infections [1], la part réelle de la mortalité liée aux infections est probablement sous-estimée par les études [2]. En effet, ces études reposent sur des systèmes de codage CIM-10. Or, ces codages sont principalement structurés autour de maladies de système [3], et qui se concentrent sur la cause sous-jacente du décès en mettant l’accent sur les maladies chroniques [4]. En outre, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence que la mortalité par infection était plus élevée chez les personnes vivant avec un diabète [5].

Ainsi, l’objectif de cette étude de cohorte était d’examiner les causes spécifiques de mortalité chez les personnes vivant avec un DT2 en comparaison à la population générale au cours de la période 2015-2019, en se concentrant sur les infections.

Les auteurs ont utilisé une base de données de soins primaires en Angleterre liée aux données nationales de certification des décès : le CPRD (Clinical Practice Research Datalink) qui fournit un dossier médical longitudinal pseudo-anonymisé pour tous les patients enregistrés (plus de 99% de la population britannique). Tous les patients âgés de 18 à 90 ans ayant un codage pour le diabète, actifs dans le CPRD au 1er janvier 2015 et enregistrés depuis au moins un an, ont été classés dans les catégories diabète de type 1, DT2 ou inconnu, sur la base de leurs codes de diagnostic et de leurs médicaments antidiabétiques. Un groupe témoin sans diabète connu a été apparié au hasard en fonction de l'âge, du sexe et de l'origine ethnique, avec un maximum de deux personnes sans diabète sélectionnées pour chaque personne vivant avec un DT2. La cause du décès au cours de la période 2015-2019 a été déterminée à partir du code de la cause sous-jacente (CIM-10) dans les données de mortalité de l'OMS : cancer, maladies cardiovasculaires, démence, diabète, maladies digestives, infections et maladies respiratoires, ou autre cause. Pour classer les décès de causes infectieuses, une liste développée pour identifier les admissions hospitalières liées à une infection a été utilisée. Une analyse de sous-groupe par type d'infection a ensuite été effectuée. Les rapports de risque (HR) pour la mortalité toutes causes confondues et par cause au cours de la période 2015-2019 ont comparé les personnes vivant avec un DT2 aux personnes non diabétiques, et ont été estimés à l'aide de modèles de Cox ajustés en fonction de la région de pratique (9 au total). Pour l’analyse de la mortalité, seules les données des personnes vivant avec un DT2 âgées de 41 ans et plus ont été sélectionnées.

Pour l'analyse principale, 509 403 personnes vivant avec un DT2 et âgées de 41 à 90 ans ont été appariées à 976 431 personnes non diabétiques. Parmi les personnes vivant avec un DT2, 56% étaient des hommes, l'âge moyen était de 67,3 ans (écart-type = 11,9 ans) et 34% d’entre elles avaient été diagnostiquées de leur diabète au cours des 5 dernières années. Elles étaient plus susceptibles d'avoir un Indice de Masse Corporelle (IMC) ≥ 30 kg/m² (50% contre 22%) et de vivre dans le quintile le plus défavorisé (23% contre 16%) que les personnes vivant sans diabète. Seize pourcents, soit 85 367/509 403 personnes vivant avec un DT2, sont décédées au cours de la période 2015-2019, contre 106 824/976 431 (10,9%) personnes non diabétiques du même sexe, du même âge et de la même origine ethnique (HR = 1,65, IC 95% 1,64-1,66). Dans les groupes d'âge de 10 ans, le HR variait de HR = 2,95 (IC à 95% 2,75-3,17) pour les 41-50 ans à HR = 1,39 (IC à 95% 1,38-1,41) pour les 81-90 ans. Dans ces différents groupes d'âge, les différences absolues dans le taux de mortalité entre les personnes vivant avec un DT2 et les personnes sans diabète étaient assez similaires pour les hommes et les femmes (13,1 contre 13,9 pour 1000 personnes-années). L'ensemble des infections (11 128/85 367 = 13,0%) représentait la troisième cause sous-jacente de décès chez les personnes vivant avec un DT2, après les maladies cardiovasculaires et le cancer, et 12% des causes de décès chez les non diabétiques ; une contribution beaucoup plus élevée que si l'on ne comptait que les codages d'infections spécifiques (respectivement 1 046/85 367 = 1,2% et 1%). Le HR pour la mortalité due à l’ensemble des infections, pour les personnes vivant avec un DT2 par rapport aux personnes vivant sans diabète (1,82, IC à 95% 1,78-1,86) était plus élevé que le HR estimé pour l'ensemble des causes (HR = 1,65, IC à 95% 1,64-1,66). Une analyse de sensibilité ne prenant en compte que les décès par infection des chapitres A00-B99 (catégorie « certaines maladies infectieuses et parasitaires ») de la CIM-10 a estimé que le taux brut de mortalité était environ deux fois plus élevé chez les personnes vivant avec un DT2 que chez les patients sans diabète (0,45 contre 0,22 pour 1 000 personnes-années), avec un HR estimé = 2,09 (IC à 95% : 1,95-2,25). Parmi les groupes d'âge plus jeunes, les HR étaient élevés pour toutes les causes infectieuses (HR = 3,65 pour les 41-60 ans, HR= 2,38 pour les 61-75 ans) et les HR pour la mortalité par infection était constant dans tous les groupes ethniques (HR compris entre 1,71 et 1,82). Enfin, les associations de mortalité ont été étudiées en fonction du type d'infection enregistré comme cause sous-jacente de décès au cours de la période 2015-2019 : le HR le plus élevé a été observé pour les infections ostéo-articulaires (HR = 3,95, IC à 95% 3,08-5,05). La différence la plus importante dans les taux de mortalité entre les personnes vivant avec un DT2 et les non-diabétiques a été observée pour les infections des voies respiratoires inférieures, en particulier la pneumonie.

Cette étude a donc utilisé de grandes bases de données électroniques sur la santé de la population anglaise pour mettre en évidence un risque plus élevé de décès dû à des infections chez les personnes vivant avec un DT2 versus ceux n’ayant pas de diabète, au cours d'une période de 5 ans précédant de peu la pandémie de COVID-19. Les infections ont été estimées comme étant le troisième facteur de mortalité (après les maladies cardiovasculaires et les cancers) au cours de la période 2015-2019, représentant environ 13% des décès par une évaluation « complète », contre seulement 1,2% lorsque les catégories standards de la CIM-10 sont utilisées. Le taux de mortalité lié aux infections était environ 2 fois plus élevé que chez les personnes sans diabète et même 4 fois plus sur la tranche d’âge 41-60 ans. Le principal point fort de l’étude était la taille importante de l'échantillon (un demi-million de personnes vivant avec un DT2). L'une des limites a été de n'inclure dans la cohorte que des personnes âgées de 41 à 90 ans au début de la période de suivi, en 2015. L'exclusion des 40 ans et moins est négligeable en termes de mortalité à 5 ans, mais la non inclusion des personnes les plus âgées participe à sous-estimer le poids de la démence en tant que cause de décès. Une autre limite était que les patients désinscrits de leur cabinet de médecine générale et décédés au cours de la période 2015-2019 hors d’Angleterre n’ont pu être pris en compte.

En conclusion, les infections sont une cause fréquente de décès chez les personnes vivant avec un DT2, et l'excès de risque relatif est similaire à celui associé aux décès d'origine vasculaire chez ces personnes (x2). Cette étude souligne l'importance des infections dans l'évaluation de l'augmentation du risque absolu de mortalité en cas de DT2 et l'importance de la sensibilisation, d'un diagnostic plus précoce et du traitement des infections pour prévenir les décès prématurés.

 

Références

[1] Holt R.I.G., Cockram C.S., Ma R.C.W., Luk A.O.Y. Diabetes and infection: review of the epidemiology, mechanisms and principles of treatment. Diabetologia. 2024;67(7):1168–1180.
 
[2] McPherson D., Griffiths C., Williams M., et al. Sepsis-associated mortality in England: an analysis of multiple cause of death data from 2001 to 2010. BMJ Open. 2013;3(8).
 
[3] World Health Organization . 2nd ed. World Health Organization; Geneva: 2004. ICD-10 : international statistical classification of diseases and related health problems: tenth revision.
 
[4] Govindan S., Shapiro L., Langa K.M., Iwashyna T.J. Death certificates underestimate infections as proximal causes of death in the US. PLoS One. 2014;9(5).
 
[5] Khunti K., Valabhji J., Misra S. Diabetes and the COVID-19 pandemic. Diabetologia. 2023;66(2):255–266.
 


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vendredi 6 décembre 2024

Diabète de type 2 de survenue précoce versus survenue tardive : analyse issue des données de l’étude prospective UKPDS

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Novembre 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Lin B & al., Younger-onset compared with later-onset type 2 diabetes: an analysis of the UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) with up to 30 years of follow-up (UKPDS 92). Lancet Diabetes Endocrinol. 2024 Dec;12(12):904-914. doi : 10.1016/S2213-8587(24)00242-0

 

Ces dernières décennies, le nombre de patients diagnostiqués avec un diabète de type de type 2 (DT2) à un jeune âge n’a cessé d’augmenter, devenant au Royaume-Uni le diabète le plus représenté, devant le diabète de type 1 (DT1), dans la tranche d’âge entre 19 et 39 ans [1,2]. L’exposition à l’hyperglycémie à un jeune âge fait alors craindre une augmentation du risque de complications chroniques et une réduction de l’espérance de vie. De plus, certaines données suggèrent que le DT2 de survenue précoce est plus agressif qu’un DT2 de survenue tardive du fait d’une détérioration plus rapide de la fonction béta cellulaire, conduisant à un risque accru de complications chroniques [3,4]. Néanmoins, la plupart de ces données sont issues d’études rétrospectives. Des données précédemment publiées de l’étude prospective UKPDS (UK Prospective Diabetes Study), menée chez des patients âgés de 25 à 65 ans avec un DT2 nouvellement diagnostiqué, montraient que l’âge au diagnostic avait des effets variables sur les atteintes d’organes cibles au cours des 6 premières années d’un DT2 [5].

Dans cette nouvelle analyse de l’étude UKPDS, les auteurs ont évalué si les taux de complications chroniques et de mortalité différaient entre un DT2 de survenue précoce (avant 40 ans) versus un DT2 d’apparition plus tardive (après 40 ans) sur un suivi de plus de 30 ans. Les auteurs ont également exploré l’effet de la stratégie de contrôle glycémique (intensive vs conventionnelle) selon l’âge de survenue du DT2 (précoce vs tardif).

Cette analyse observationnelle a été réalisée à partir des données de l’étude UKPDS, recueillies entre 1977 et 2007, chez des participants âgés de 25 à 65 ans avec un DT2 nouvellement diagnostiqué, d’apparition précoce (diagnostic avant 40 ans) ou tardive (diagnostic à 40 ans ou plus), et ne présentant aucune auto-immunité (négativité des auto-anticorps du DT1). Les évènements pré-spécifiés suivants ont été analysés : tout évènement en lien avec le diabète (i.e. mort subite, décès secondaire à une hyperglycémie ou hypoglycémie, infarctus [IDM] fatal ou non fatal, angor, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral [AVC] fatal ou non, insuffisance rénale, amputation, hémorragie du vitré, panphotocoagulation rétinienne, cécité d’un œil ou chirurgie de la cataracte), décès liés au diabète (i.e. mort subite ou décès par IDM, AVC, artériopathie périphérique, maladie rénale, hyperglycémie ou hypoglycémie), décès toute cause, IDM, AVC, et atteinte microangiopathique. Ont été également analysés les événements cardiovasculaires majeurs. Le risque de survenue de chacun de ces évènements a été estimé dans chacun des 2 groupes (diagnostic précoce ou tardif).  Les taux de mortalité standardisés sur l’âge (SMR) sur la base des données démographiques en population générale britannique, et les taux d’incidence d’évènements prédéterminés par intervalles de 10 ans d’âge au diagnostic, ont été évalués. Enfin, les auteurs ont regardé s’il y avait une interaction entre l’âge au diagnostic de DT2 et la stratégie de contrôle glycémique (intensif ou conventionnel).

Au total, 4550 participants ont été inclus dans cette analyse parmi lesquels 429 (9,4%) présentaient un DT2 de survenue précoce (âge moyen au diagnostic 35,1 ans [±écart-type 3,5]), et 4121 (90,6%) un DT2 de survenue tardive (âge moyen au diagnostic 53,8 ans [±6,7]). Dans l’ensemble de la population, 2704 (59,4%) participants étaient des hommes et la moyenne d’HbA1c était de 9,1% (±2,3). Le suivi médian était de 17,5 ans (IQR 12,7–20,8). Au diagnostic de DT2, les participants avec DT2 précoce étaient plus fréquemment d’origine asiatique ou indienne (23,3% parmi les participants avec DT2 précoce vs 9,1% des participants avec DT2 tardif, p<0 001), avaient un indice de masse corporelle plus élevé (30,6 kg/m² vs 29,0 kg/m², p<0,001) avec une proportion de participants en situation d’obésité plus importante (50,8% vs 35,2%,p<0,001) et une HbA1c moyenne plus faible (8,7% vs 9,2%, p<0,001) comparativement aux participants avec un diagnostic tardif. Un évènement en lien avec le diabète est survenu chez 202 (47,1%) participants avec DT2 précoce et 3016 (73,2%) participants avec DT2 tardif sur une durée médiane de suivi de 18,0 ans (IQR 13,9-21,0) et 17,4 ans (IQR 12,6-20,8), respectivement. Le risque ajusté (incidence pour 1000 personnes-année) était plus élevé pour tous les évènements chez les participants avec DT2 tardif, à l’exception des atteintes microvasculaires (risque ajusté 18,0 [IC95% 13,8-22,1] pour 1000 personnes-année lors du DT2 précoce vs 11,7 [10,7-12,7] pour 1000 personnes-année lors du DT2 tardif). Cependant, à tout âge donné pendant le suivi, l’incidence sur 5 ans de tous les évènements agrégés, en particulier la mortalité toute cause, la mortalité liée au diabète et les atteintes microvasculaires était plus élevée avec un âge jeune au diagnostic. Concernant la mortalité, le taux de mortalité brut était plus faible chez les participants avec un DT2 précoce (10,4 pour 1000 personnes-années) comparativement à ceux avec un diagnostic tardif (29,2 pour 1000 personnes-années). Cependant, le sur-risque de mortalité conféré par le DT2 par rapport à la population générale était plus élevé chez les DT2 précoces (SMR 3,72 [IC 95% 2,8-4,64]) comparativement à ceux avec un diagnostic tardif (SMR 1,54 [IC 95% 1,47-1,61]). Après stratification des patients par cohorte de 10 ans d’âge au diagnostic (25-35 ans, 36-45 ans, 46-55 ans, 56-65 ans), le SMR le plus élevé était retrouvé dans le groupe 25-35 ans (SMR 3,85 [2,62-5,66]) avec atténuation du SMR au fur et à mesure de l’avancée de l’âge au diagnostic. En revanche, aucune interaction n’a été observée selon le sous-groupe de contrôle glycémique (intensif ou conventionnel) et l’âge au diagnostic (p d’interaction >0,05).

Dans ce vaste suivi prospectif mené sur 30 ans dans le cadre de l’essai UKPDS de personnes avec DT2 nouvellement diagnostiqué, un diagnostic précoce de DT2 est associé à un risque plus élevé de complications liées au diabète et à une mortalité excessive. Ces conclusions selon lesquelles le sur-risque de mortalité toute cause confondue est important, et le plus élevé avec un DT2 d’apparition précoce, est en accord avec les études précédemment publiées [6]. Les forces de cette étude sont le caractère prospectif et la durée de suivi des participants. Néanmoins, certaines limites sont à prendre en compte : 1) le faible nombre de participants ayant âge précoce au diagnostic de DT2, 2) l’origine ethnique de la cohorte UKPDS majoritairement caucasienne alors que les DT2 de survenue précoce sont fréquemment retrouvés en population non caucasienne, 3) la non prise en compte des nouvelles thérapeutiques du DT2 pouvant modifier le pronostic des patients telles que les analogue du GLP-1 ou les inhibiteurs du SGLT2, non disponibles au début de l’étude UKPDS.

Ainsi, le suivi sur 30 ans dans l’étude UKPDS met en évidence que les patients avec un DT2 de survenue précoce présentent un risque élevé de complications liées au diabète et un excès de mortalité standardisée sur l’âge, comparativement aux patients avec un DT2 de survenue tardive.  Ces données plaident en faveur d’études dédiées à cette sous-population particulière de DT2 semblant présenter une maladie plus sévère et agressive, ainsi que pour une meilleure identification de ces populations afin d’initier une prise en charge précoce.

 

Références

[1] Holden, S.H. & al. The Incidence of Type 2 Diabetes in the United Kingdom from 1991 to 2010. Diabetes Obes Metab 2013, 15, 844–852.
 
[2] Magliano, D.J. & al. Young-Onset Type 2 Diabetes Mellitus - Implications for Morbidity and Mortality. Nat Rev Endocrinol 2020, 16, 321–331.
 
[3] Fan, Y. & al. Comparison of Beta-Cell Function between Hong Kong Chinese with Young-Onset Type 2 Diabetes and Late-Onset Type 2 Diabetes. Diabetes Res Clin Pract 2023, 205, 110954.
 
[4] Hillier, T.A. & al. Complications in Young Adults with Early-Onset Type 2 Diabetes: Losing the Relative Protection of Youth. Diabetes Care 2003, 26, 2999–3005.
 
[5] Davis, T.M. & al. U.K. Prospective Diabetes Study 22. Effect of Age at Diagnosis on Diabetic Tissue Damage during the First 6 Years of NIDDM. Diabetes Care 1997, 20, 1435–1441.
 
[6] Al-Saeed, A.H. & al. An Inverse Relationship Between Age of Type 2 Diabetes Onset and Complication Risk and Mortality: The Impact of Youth-Onset Type 2 Diabetes. Diabetes Care 2016, 39, 823–829.
 


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vendredi 8 novembre 2024

Identification de facteurs de risque du développement d’un pied de Charcot chez les personnes vivant avec un diabète

Auteur : 
Ninon Foussard
Date Publication : 
Octobre 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Tsatsaris G. et al. Risk factors for Charcot foot development in individuals with diabetes mellitus. Diabetologia (2024). Online ahead of print. doi : 10.1007/s00125-024-06271-9

 

L'ostéoarthropathie de Charcot, ou pied de Charcot, est une complication inflammatoire du diabète évoluant dans un contexte de neuropathie, dont le diagnostic est difficile à établir expliquant un retard de prise en charge chez 25% des patients [1]. Ce retard accroit les déformations du pied [1], ce qui augmente les risques d'ulcère chronique du pied et d'amputation des membres inférieurs (entre x15 à x40) [2]. En outre, sa pathogénèse et ses facteurs de risque restent mal compris. Seules quelques études antérieures de petite taille suggèrent comme facteurs de risque, en plus de la présence d'une neuropathie périphérique, une HbA1c plus élevée, la présence d'autres complications et une durée plus longue du diabète [3,4,5], mais la taille limitée de ces études affecte la généralisation de leurs résultats.

L’objectif de cette étude de cohorte nationale suédoise était donc d’identifier des facteurs de risque de développement d’un pied de Charcot chez les patients vivant avec un diabète de type 1 (DT1) ou avec un diabète de type 2 (DT2). Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective basée sur deux registres nationaux suédois (le registre national du diabète ou NDR pour National Diabetes Register, et le registre national des patients ou NPR pour National Patient Register). Cette étude a été réalisée sur la période allant de 2001 à 2016. Les personnes âgées de ≥ 18 ans, vivant avec un diabète et atteintes de pied de Charcot, ont été identifiées et appariées selon le type et la durée du diabète à des personnes atteintes de diabète mais ne présentant pas de pied de Charcot (ratio de 1:7 pour les personnes vivant avec un DT1; 1:10 pour les personnes vivant avec un DT2). Des analyses de régression logistique ont été utilisées pour identifier les facteurs de risque à partir de données récoltées dans les 12 mois précédant le diagnostic de pied de Charcot : concernant des données démographiques, cliniques, biochimiques et les thérapies antidiabétiques, hypolipémiantes et antihypertensives.

Les auteurs ont identifié 3449 personnes vivant avec un diabète et atteintes d'un pied de Charcot au sein des deux registres, parmi lesquelles 3397 ont été incluses (1270 avec un DT1, 2127 avec un DT2) et 52 exclues en raison d’un manque d’appariement. Les patients inclus ont, quant à eux, été appariés à 27662 témoins participant à ces registres, vivant avec un diabète mais ne présentant pas de pied de Charcot. Les participants vivant avec un DT1 et atteints d’un pied de Charcot présentaient une prévalence plus élevée de rétinopathie, de micro- et macroalbuminurie, et de maladie macrovasculaire, ainsi qu’une HbA1C plus élevée (68 mmol/mol (8,4%) contre 64 mmol/mol (8%)) que le groupe témoin de participants vivant avec un DT1 mais sans pied de Charcot. La même observation était retrouvée pour les patients vivant avec un DT2. En revanche, il a été observé que les femmes vivant avec un DT1 (50,4%) et les hommes vivant avec un DT2 (68,1%) ont développé un pied de Charcot beaucoup plus fréquemment que leurs homologues du sexe opposé.

Une analyse de régression logistique multi-ajustée a été réalisée pour découvrir les liens de causalité potentiels entre l’HbA1C, la durée du diabète, la micro- et la macroalbuminurie, la rétinopathie et la maladie macrovasculaire, avec le développement d’un pied de Charcot. Après ajustement, la maladie macrovasculaire était liée à un risque plus élevé de développer un pied de Charcot chez les participants vivant avec un DT1 (OR 3,32 [95% IC 2,27 - 4,86], p<0,001) et chez les participants vivant avec un DT2 (OR 8,60 [95% IC 6,79 – 10,87], p<0,001). La présence de complications microangiopathiques était également associée à un risque plus élevé de développer un pied de Charcot dans les deux groupes. Ainsi, chez les patients vivant avec un DT1, la microalbuminurie (2,31 [2,00 -2,68], p<0,001), la macroalbuminurie (3,12 [2,63 – 3,71], p<0,001), et la rétinopathie (4,10 [3,19 – 5,43], p<0,001) étaient associées à un surrisque, de la même façon que chez ceux vivant avec un DT2 : microalbuminurie (1,89 [1,70 – 2,10] p<0,001), macroalbuminurie (2,54 [2,23 – 2,89] p<0,001), rétinopathie (2,66 [2,31 – 3,05] p<0,001). L’HbA1C (en mmol/mol) et la durée du diabète étaient associées au risque de pied de Charcot dans les deux groupes mais plus faiblement, avec des OR compris entre 1,01 et 1,03 (p<0,001). Une analyse de sensibilité a ensuite été réalisée en reproduisant les modèles de régression logistique avec la catégorie « donnée inconnue » pour l'indice de masse corporelle, la tension artérielle, la créatinine et la présence d’une rétinopathie diabétique, et celle-ci retrouvait les mêmes résultats.

Cette étude est la plus grande cohorte d'individus atteints de pied de Charcot secondaire à un diabète étudiée à ce jour, avec les données de 3397 patients. Ce travail a mis en évidence les facteurs de risque suivant : la durée du diabète, la rétinopathie, la micro- et la macroalbuminurie, des HbA1C élevées, et la présence d’une maladie macrovasculaire. Il est intéressant de noter que les facteurs de risque les plus significatifs différaient entre les individus vivant avec un DT1 et ceux vivant avec un DT2 : respectivement les complications microvasculaires préexistantes et la maladie macrovasculaire. Ce travail permet d’améliorer la compréhension des facteurs de risque du pied de Charcot. La principale force de l’étude réside dans sa conception basée sur un registre national incluant presque tous les patients vivant avec un diabète en Suède, permettant d'obtenir un échantillon de grande taille avec de nombreuses données cliniques, biochimiques et épidémiologiques. Les limites de cette étude résident dans le fait que, bien qu'il ait été prévu que l'appariement soit de 1:10, cela n'a pas été possible dans le cas du DT1 entrainant un ratio d'appariement plus faible et une différence dans la durée du diabète (32,73 ± 12,97 ans pour les patients qui présentaient un pied de Charcot vs 27,61 ± 12,37 ans pour ceux qui n’en présentaient pas). De plus, les données du registre NDR sont sujettes à des biais dus à des valeurs manquantes, dont le risque a été minimisé par la réalisation d’une analyse de sensibilité dans laquelle les valeurs manquantes ont été incluses dans une catégorie « donnée inconnue ». Cette analyse de sensibilité a abouti à des conclusions similaires à celles de l’analyse principale. Enfin, bien que la neuropathie périphérique soit intrinsèquement présente chez les personnes atteintes du pied de Charcot, les auteurs ne disposaient d'aucune donnée fiable pour l'évaluer.

En conclusion, dans cette grande cohorte de patients vivant avec un diabète et présentant un pied de Charcot, la durée du diabète, la rétinopathie, la micro- et la macroalbuminurie, des HbA1C élevées et la présence d’une maladie macrovasculaire ont été identifiées comme des facteurs de risque significatifs pour le développement d’un pied de Charcot dans les 12 mois. En outre, les femmes vivant avec un DT1 et les hommes vivant avec un DT2 présentaient un risque plus élevé de développer un pied de Charcot que leurs homologues de sexe opposé. Cette étude concernant uniquement des patients d’origine suédoise, des études ultérieures similaires réalisées dans d'autres populations sont désormais nécessaires pour déterminer s’il est possible de généraliser ces résultats.

 

Références

[1] Myerson MS, Henderson MR, Saxby T, Short KW (1994) Management of midfoot diabetic neuroarthropathy. Foot Ankle Int 15(5):233–241.
 
[2] Foltz KD, Fallat LM, Schwartz S (2004) Usefulness of a brief assessment battery for early detection of Charcot foot deformity in patients with diabetes. J Foot Ankle Surg 43(2):87–92.
 
[3] Nehring P, Mrozikiewicz-Rakowska B, Maroszek P et al (2014) Risk factors of Charcot neuroarthropathy development in patients with type 2 diabetes. Exp Clin Endocrinol Diabetes 122(01):31–34.
 
[4] Nóbrega MBdM, Aras R, Netto EM et al (2015) Risk factors for Charcot foot. Arch Endocrinol Metab 59:226–230.
 
[5] Petrova NL, Foster AVM, Edmonds ME (2004) Difference in presentation of Charcot osteoarthropathy in type 1 compared with type 2 diabetes. Diabetes Care 27(5):1235–1236.
 


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mardi 8 octobre 2024

Insulinothérapie en boucle fermée hybride chez des patients vivant avec un diabète de type 2 traités par pompe à insuline : résultats à 12 semaines d’un essai multicentrique, croisé, contrôlé, randomisé en ouvert

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Septembre 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Borel AL & al., Closed-Loop Insulin Therapy for People With Type 2 Diabetes Treated With an Insulin Pump: A 12-Week Multicenter, Open-Label Randomized, Controlled, Crossover Trial. Diabetes Care. 2024 Oct 1;47(10):1778-1786. doi : 10.2337/dc24-0623

 

Le diabète de type 2 (DT2) est une maladie évolutive nécessitant, dans certains cas, le recours à une insulinothérapie. En France, l’étude ENTRED3 (Échantillon National Témoin Représentatif des personnes Diabétiques) rapporte que 22,5% des personnes vivant avec un DT2 sont traitées par insuline. Parmi ces patients, l’utilisation des nouvelles technologies du diabète tant pour l’administration d’insuline (pompe à insuline sous-cutanée) que pour la surveillance glycémique (mesure continue du glucose [MCG]) a démontré un bénéfice sur le contrôle métabolique comparé à un traitement par multi-injections d’insuline (MDI) ou à une mesure capillaire de la glycémie, respectivement [1,2]. Dernière avancée technologique en date, la délivrance automatisée d’insuline ou boucle fermée hybride (BFH) a montré sa supériorité dans la prise en charge du diabète de type 1 par rapport aux autres modalités thérapeutiques (MDI ou pompe à insuline associée à une MCG) [3]. Dans le DT2, peu d’études sont aujourd’hui disponibles quant à l’impact de la BFH sur l’équilibre glycémique. Une méta-analyse récente démontre une amélioration du temps dans la cible associée à une réduction du temps passé en hyperglycémie, sans différence sur la survenue des hypoglycémies par la BFH en comparaison à un traitement par MDI, seule stratégie comparée à la BFH [4].

L’objectif de cette étude était d’évaluer si un dispositif de BFH améliorait le contrôle glycémique par rapport à un traitement par pompe associée à une MCG chez des patients vivant avec un DT2, antérieurement traités par pompe à insuline sous-cutanée, dans leurs conditions de vie habituelles.

Les auteurs ont mené un essai croisé, randomisé, en ouvert, multicentrique sur 13 semaines chez 17 adultes vivant avec un DT2 et traités par pompe à insuline sous-cutanée. Les principaux critères d’inclusion étaient : poids ≤150 kg, traitement par pompe depuis au moins 6 mois, utilisation d’une MCG, dose d’insuline quotidienne <160UI et HbA1c < 10%. Les patients vivant avec un DT1, avec une dose d’insuline quotidienne < 8UI, ou présentant des pathologies susceptibles d’interférer avec le contrôle métabolique ou une complication chronique non stabilisée (susceptible d’être aggravée par un meilleur équilibre glycémique) étaient exclus. Le critère principal de jugement était la différence de pourcentage de temps dans la cible (70–180 mg/dL). Les critères secondaires comprenaient les autres métriques de la MCG (GMI, temps passé en hyperglycémie, temps en hypoglycémie, variabilité glycémique, etc.), la dose moyenne quotidienne d’insuline, l’activité et le sommeil (objectivés par une actimétrie d’une semaine) et la satisfaction des patients. La BFH consistait en l’utilisation du système DBLG1 (pompe AccuChek Insight® et DexcomG6®). Pendant la période de l’étude sans BFH, les patients bénéficiaient également d’une MCG par DexcomG6®.

Au total, 17 patients ont été inclus dans l’analyse finale parmi lesquels 9 ont reçu 6 semaines de traitement par pompe + MCG en premier et 8 ont reçu 6 semaines de thérapie par BFH en premier. Les caractéristiques des patients étaient les suivantes : âge moyen de 63 ans (écart-type [ET] ± 9 ans), 65% d’hommes, indice de masse corporel moyen à 32 kg/m2 (ET ± 4 kg/m²), durée moyenne du diabète de 24 ans (ET ± 9 ans), HbA1c moyenne à l’inclusion à 7,9% (ET ± 0,9%) avec un temps dans la cible moyen de 58,9% (ET ± 20,1%). Le pourcentage médian de temps dans la cible, critère de jugement principal, était de 61,0% (Intervalle Interquartile [IQR] : 55,0-70,0) pendant la période pompe + MCG contre 76,0% (IQR : 69,0-84,0) pendant la période BFH soit une différence médiane significative de 15,0% (IQR : 8,0-22,0; P < 0,001) entre les 2 périodes. Parmi les critères secondaires, le traitement par BFH a permis une réduction significative de la moyenne glycémique, du temps passé en hyperglycémie, de la variabilité glycémique ou du GMI sans augmentation significative du temps passé en hypoglycémie. Une augmentation significative de la dose quotidienne d’insuline a été observée pendant la période BFH sans conséquence sur le plan pondéral. Enfin, les analyses ont également montré une amélioration de la qualité du sommeil pendant le traitement par BFH.

Ces résultats démontrent que le traitement par BFH apporte un bénéfice dans la prise en charge du DT2 chez des patients déjà traités de manière optimale par pompe à insuline + MCG en augmentant le pourcentage de temps passé dans la cible de 15,0% sans augmentation du risque d’hypoglycémie. Outre les résultats concernant l’équilibre glycémique, le traitement par BFH dans cette étude est également associé à une amélioration de la qualité du sommeil, paramètre important dans la prise en charge globale du DT2. Des limites sont néanmoins à souligner : 1) l’inclusion de patients avec une dose d’insuline quotidienne <160UI/24h et un poids ≤ 150 kg, eu égard aux capacités du réservoir de pompe ; 2) la courte durée de l’intervention ; et 3) le faible nombre de patients.

Cette étude montre que la thérapie par BFH pourrait améliorer le contrôle glycémique chez des personnes avec DT2 déjà traitées de manière optimale par pompe à insuline + MCG. Des études complémentaires sont maintenant nécessaires à plus long terme pour évaluer les avantages d’une telle stratégie thérapeutique en termes de contrôle glycémique, de qualité de vie, de satisfaction ou encore de prévention des complications du diabète.

 

Références

[1] Reznik, Y. & al. OpT2mise Study Group Insulin Pump Treatment Compared with Multiple Daily Injections for Treatment of Type 2 Diabetes (OpT2mise): A Randomised Open-Label Controlled Trial. Lancet 2014, 384, 1265–1272.
 
[2] Uhl, S. & al. Effectiveness of Continuous Glucose Monitoring on Metrics of Glycemic Control in Type 2 Diabetes Mellitus: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. J Clin Endocrinol Metab 2024, 109, 1119–1131.
 
[3] Renard, É. & al. Actualisation de la prise de position des experts français sur l’insulinothérapie automatisée en boucle fermée. Médecine des Maladies Métaboliques 2024, 18, 343–393.
 
[4] Amer, B.E. & al. Does Fully Closed-Loop Automated Insulin Delivery Improve Glycaemic Control in Patients with Type 2 Diabetes? A Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Diabet Med 2024, 41, e15196.
 


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vendredi 5 juillet 2024

Les changements du microbiote intestinal des personnes vivant avec un diabète de type 1 sont associés au contrôle glycémique : étude INNODIA

Auteur : 
Florian Mourre
Date Publication : 
Juin 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Vatanen T & al., Gut microbiome shifts in people with type 1 diabetes are associated with glycaemic control: an INNODIA study, Diabetologia. 2024 Jun 4.. doi : 10.1007/s00125-024-06192-7

 

De plus en plus de preuves indiquent une relation étroite entre le microbiote intestinal et le diabète de type 1 (DT1) [1]. Des études de cohorte et des protocoles expérimentaux à partir de modèles animaux ont démontré que le microbiote pouvait influencer les processus menant au DT1. Le microbiote intestinal est aussi impliqué dans l’évolution naturelle du DT1 après son diagnostic [2], par exemple concernant le contrôle glycémique. Une étude chez les personnes avec diagnostic récent de DT1 a montré qu’une transplantation fécale autologue ralentissait le déclin de la sécrétion endogène d’insuline [3]. Ces données suggèrent qu’une modification du microbiote pourrait permettre d’intervenir sur l’histoire naturelle de la maladie et réduire sa progression, mais des études exploratoires et des essais contrôlés restent nécessaires pour identifier les micro-organismes, les métabolites et autres facteurs associés au microbiote impliqués dans la maladie. Dans cette étude, les auteurs ont analysé les microbiotes intestinaux de patients DT1 et de leurs apparentés non diabétiques avec des auto-anticorps de la maladie positifs, afin de voir s’il y avait des associations avec des données biologiques ou cliniques.

Des patients DT1 nouvellement diagnostiqués (cohorte ND pour newly diagnosed) et des apparentés avec des auto-anticorps mais sans diabète (cohorte UFM pour unaffected family member) ont été recrutés entre novembre 2016 et novembre 2021. Les auteurs disposaient de 98 participants pour la cohorte ND et de 194 pour la cohorte UFM, dont seulement 10 étaient des apparentés de participants à la cohorte ND. Tous les participants avaient au moins un auto-anticorps positif parmi les 3 analysés (anti-IA2, anti-GAD, anti-ZntT8). Les échantillons de selles ont été recueillis dans les 6 semaines après le diagnostic de DT1 et à 3, 6, 12 et 24 mois pour le groupe ND, et à 6, 12, 18, 24 et 36 mois après la visite d‘inclusion pour le groupe UFM. Les auteurs ont ensuite analysé l’association de la diversité α (correspondant à la diversité propre d’un échantillon) et de la diversité β (la diversité d’un échantillon à l’autre) avec différentes covariables.

Trois cent soixante-huit échantillons de selles ont été analysés pour la cohorte ND et 492 pour la cohorte UFM. Les participants ont été recrutés dans 25 centres, dans 13 pays européens. Pour la cohorte ND, les participants avaient entre 1 et 38 ans (moyenne [±écart-type] 12,3 ± 8,6 ans) et il y avait 48 (49%) femmes. L’âge au diagnostic moyen (±écart-type [ET]) du DT1 était de 12,3 ± 8,6 ans et la durée moyenne d’évolution du diabète de 3,7 ± 1,6 semaines lors de la 1ère visite, avec notamment une HbA1c moyenne (±ET) de 9,0 ± 4,0%, une dose d’insuline moyenne (±ET) de 0,52 ± 0,26 UI/kg et un peptide-C à 272 pmol/L (intervalle interquartile [IIQ] 106-342). La cohorte a ensuite été répartie en 3 groupes selon la vitesse de décroissance du peptide-C, pour refléter l’évolution de la maladie : décroissance rapide, décroissance lente ou augmentation. Concernant la cohorte UFM, elle comprenait 107 (55%) femmes, l’âge moyen (±ET) était de 21,2 ± 14,1 ans et l’HbA1c moyenne (±ET) était de 5,3 ± 2,6%.

Les auteurs ont ensuite analysé les métagénomes des microbiotes intestinaux. Concernant la cohorte ND, les espèces les plus abondantes et les plus fréquemment rencontrées étaient des Bifidobacterium et des Bacteroides (Faecalibacterium prausnitzii), qui sont des espèces communes dans le microbiote intestinal humain. Les analyses de diversité ont détecté des changements dans les profils des microbiotes intestinaux entre les différents centres (diversité β). Il n’y avait pas d’association entre les diversités α et β et les caractéristiques des patients telles que l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle, la dose d’insuline, l’HbA1c et le peptide-C. Des analyses longitudinales ont été conduites durant le suivi, afin d’étudier les modifications du microbiote intestinal avec l’évolution de la maladie dans la cohorte ND : 21 espèces et 8 « modules fonctionnels » (des communautés de bactéries qui assurent une même fonction biochimique) montraient une évolution, avec une augmentation en fonction du temps, incluant des espèces rares et communes (coefficient β = -0,15 [IC 95% -0,24 ;-0,058], p = 0,019 pour les espèces et coefficient β = 2,43 [IC 95% 0,92 ; 3,94], p = 0,002 pour les modules fonctionnels). Au diagnostic, l’abondance relative de F. prausnitzii était inversement corrélée à l’HbA1c, et le métabolisme de l’hydrogène par le microbiote était positivement associé à l’HbA1c. Les patients qui avaient une acido-cétose au diagnostic avaient une HbA1c plus élevée (12,9% en moyenne) que les autres (10,7%). En tenant compte de cette variable, les associations étaient moindres mais restaient significatives. Le nombre d’auto-anticorps au diagnostic était positivement corrélé à la présence de Coprococcus eutactus (β = 0,41 [IC 95% 0,16 ;0,66], p = 0,0014) et inversement corrélé à la dégradation de la tyrosine (β = -0,48 [IC 95% -0,77 ;-0,19], p = 0,0014).

En comparant les 3 sous-groupes de la cohorte ND (répartis selon l’évolution de leur peptide-C), les auteurs ont mis en évidence une moindre diversité α (la richesse du microbiote d’un individu) chez les participants avec un déclin rapide du peptide-C, et cette association était la plus importante chez les participants chez qui le DT1 a été diagnostiqué avant 7 ans, sans que l’âge au diagnostic n’influe sur l’évolution de la maladie chez les participants.

Enfin, dans la cohorte UFM, 19 participants ont développé un DT1. Comparés aux autres participants de la cohorte UFM, ceux qui développaient un DT1 avaient une abondance plus importante de Sutterella sp KLE1602 (β = 1,2 [IC 95% 0,59 ;1,8], p = 0,0001), et cette bactérie était retrouvée chez 10 sur 19 (57%) de ces participants, et chez 48 sur 175 (27%) des participants non diabétiques de la cohorte UFM.

Dans cette étude, les auteurs retrouvent une abondance relative de F. prausnitzii inversement corrélée à l’HbA1c au diagnostic. Cette bactérie a des fonctions, telles que la production de butyrate, qui font partie des mécanismes grâce auxquels le microbiote intestinal offre une protection contre le DT1 [1], et le lien entre concentration fécale ou sanguine de butyrate et le contrôle glycémique dans le DT1 devra faire l’objet d’études futures. La diminution de la richesse du microbiote intestinal dans le groupe avec le déclin le plus rapide du peptide-C est cohérent avec les observations de la cohorte DIABIMMUNE [4], qui était une étude longitudinale chez les enfants ayant un HLA de susceptibilité. La diminution de la richesse du microbiote dans DIABIMMUNE apparaissait avant la découverte du DT1, et ce résultat n’était pas retrouvé dans les autres études de cohortes, ce qui suggère que la richesse en elle-même du microbiote intestinal ne permet pas de prédire la survenue du DT1. Sutterella, quant à elle, semble être associée à la dégradation des IgA chez la souris, et pourrait créer une inflammation locale et systémique lorsque son abondance augmente [5], mais son rôle dans la genèse du DT1 reste encore à investiguer.

Les forces de cette étude sont la taille relativement importante des cohortes et le suivi pendant 2 ans, sur 5 visites. Les données recueillies lors des visites étaient harmonisées entre les participants, y compris pour le recueil des selles, permettant des comparaisons robustes. Les limites incluent le fait que les échantillons viennent de 13 centres européens, ce qui a probablement mené aux différences retrouvées sur les microbiotes intestinaux initialement, du fait de différences dans le mode de vie, l’alimentation et l’ethnie, entre autres.

En conclusion, cette étude met en lumière des associations entre la composition du microbiote intestinal et le DT1. Bien que ces associations soient statistiquement faibles, les potentiels mécanismes qui les sous-tendent doivent être investigués par des essais cliniques rigoureux et contrôlés.

 

Références

[1] Vatanen T, Franzosa EA, Schwager R et al (2018) The human gut microbiome in early-onset type 1 diabetes from the TEDDY study. Nature 562(7728):589–594.
 
[2] Yuan X, Wang R, Han B et al (2022) Functional and metabolic alterations of gut microbiota in children with new-onset type 1 diabetes. Nat Commun 13(1):6356.
 
[3] de Groot P, Nikolic T, Pellegrini S et al (2020) Faecal microbiota transplantation halts progression of human new-onset type 1 diabetes in a randomised controlled trial. Gut 70:92–105.
 
[4] Kostic AD, Gevers D, Siljander H et al (2015) The dynamics of the human infant gut microbiome in development and in progression toward type 1 diabetes. Cell Host Microbe 17(2):260–273.
 
[5] Hansen IS, Baeten DLP, den Dunnen J (2019) The inflammatory function of human IgA. Cell Mol Life Sci 76(6):1041–1055.
 


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lundi 17 juin 2024

Comparaison de l'administration d’insuline en boucle fermée hybride versus l’administration standard chez les femmes enceintes atteintes de diabète de type 1 (étude CRISTAL) : essai contrôlé randomisé, ouvert et en groupes parallèles

Auteur : 
Ninon Foussard
Date Publication : 
Mai 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Benhalima K., et al. Comparing advanced hybrid closed loop therapy and standard insulin therapy in pregnant women with type 1 diabetes (CRISTAL): a parallel-group, open-label, randomised controlled trial. Lancet Diabetes Endocrinol. Published online April 29, 2024. doi : 10.1016/S2213-8587(24)00089-5

 

Le diabète de type 1 (DT1) pendant la grossesse est associé à un risque accru de complications périnatales et maternelles [1]. Ce risque peut être diminué par un contrôle strict de la glycémie avec une HbA1c inférieure à 6,5% et un temps passé dans l’intervalle glycémique cible (TIR) spécifique à la grossesse (entre 0,63 à 1,40 g/L) d’au moins 70% [2]. Cependant, ce contrôle strict s’accompagne d’un risque accru d'hypoglycémie maternelle, rendant l’objectif préconisé difficilement atteignable pour certaines femmes malgré le développement des pompes à insuline et des systèmes de mesure continue du glucose (CGM) [3]. L’insulinothérapie par boucle fermée hybride (BFH) a été étudiée chez les femmes enceintes atteintes de DT1 avec l'essai AiDAPT, dans lequel le système BFH CamAPS FX augmentait le TIR à 68% chez les femmes avec une HbA1C à l’inclusion de 7,7% (± 1,2) [4]. Ainsi, le système CamAPS FX est actuellement la seule BFH autorisée pendant la grossesse en Europe, l’obtention de données d’efficacité et de sécurité à propos d’autres systèmes comme le MiniMed 780G restant nécessaires.

L’objectif de cette étude était de déterminer si le système BFH MiniMed 780G pouvait améliorer le contrôle glycémique et réduire les hypoglycémies chez les femmes enceintes atteintes de DT1. L'étude CRISTAL (NCT04520971) est un essai multicentrique (11 hôpitaux belges et 1 néerlandais), randomisé, contrôlé, ouvert, à double bras et en groupes parallèles. Il compare le système BFH MiniMed 780G (groupe d'intervention) à l'insulinothérapie dite « standard » (groupe contrôle, avec injections quotidiennes multiples, pompes à insuline sans BFH, ou thérapie par pompe et capteur avec suspension prédictive de l’insuline avant ou pendant l’hypoglycémie) chez des femmes enceintes âgées de 18 à 45 ans et atteintes de DT1 avec une randomisation 1:1 [5]. Les femmes ont été incluses entre le 15 janvier 2021 et le 30 septembre 2022 selon les critères suivants : un DT1 diagnostiqué depuis au moins un an avec un suivi par CGM et une HbA1C à l’inclusion inférieure à 10%, une grossesse monofœtale et un terme à l’inclusion inférieur à 11 semaines et 6 jours. Les principaux critères d'exclusion étaient l'utilisation préalable d'un système BFH, une grossesse multiple, une dose quotidienne totale d'insuline supérieure ou égale à 1,5 unité par kg, et une allergie connue aux adhésifs des systèmes de pompe et/ou de CGM. Pour le groupe MiniMed 780G, l'objectif glycémique était fixé à 1 g/L et la durée d'insuline active à 2 heures (h). Il était conseillé aux femmes d'effectuer un bolus 15 minutes avant les repas, avec une augmentation progressive au cours de la grossesse, si nécessaire, jusqu’à 30 à 45 minutes avant les repas. Le critère de jugement principal de l’étude était le TIR (intervalle cible de 0,63 à 1,40 g/L) mesuré par CGM sur 4 périodes : 14-17 semaines de grossesse (SG), puis 20-23, 26-29 et 33-36. Les principaux critères de jugement secondaires étaient le TIR nocturne (entre minuit et 6h) et le temps passé en dessous de l’intervalle cible (<0,63 g/L) sur 24h et nocturne.
Les analyses ont été réalisées en intension de traiter. L'effet estimé du traitement MiniMed 780G était la différence observée entre les 2 groupes d'étude moyennée sur les 4 périodes d’observation.

Ont été sélectionnées 101 participantes éligibles. 95 d’entre elles ont été assignées soit à la thérapie MiniMed 780G (n=46), soit à l'insulinothérapie standard (n=49). À l’inclusion, 91 (95,8%) des patientes étaient traitées par pompe à insuline, l’HbA1C moyenne était de 6,5% (±0,6), le TIR moyen de 59,0% (±13,9) et le terme médian de 10,1 SG (IQR 8,6-11,6). Parmi ces patientes, 43 dans le groupe MiniMed 780G et 46 dans le groupe standard ont terminé l’étude. Dans les deux groupes, le CGM a été utilisé 93,7% du temps, et dans le groupe MiniMed 780G, le système BFH a été utilisée 95,3% du temps. Le TIR a augmenté dans chacun des groupes au cours de la grossesse, et cette progression prédominait au cours des dernières SG avec un TIR supérieur à 70% atteint à partir de la période 33-36 SG. Le TIR moyen (i.e. moyenne des résultats sur les 4 périodes) était de 66,5% (±10,0) dans le groupe MiniMed 780G et de 63,2% (±12,4) dans le groupe standard, sans différence significative et avec une différence moyenne ajustée de 1,88% ([IC à 95% 0,82 à 4,58], p=0,17). En revanche, le TIR nocturne était significativement plus élevé dans le groupe MiniMed 780G versus groupe standard, avec une différence moyenne ajustée de 6,58% ([IC 95% 2,31 à 10,85], p=0,0026). Le temps passé en dessous de 0,63 g/L sur 24h, et nocturne, était significativement plus faible pour le groupe MiniMed 780G versus groupe standard, avec une différence moyenne ajustée de, respectivement, -1,34% ([IC 95% -2,19 à -0,49], p=0,0020) et -1,86% ([IC 95% -2,90 à -0,81], p=0,0005). En ce qui concerne les autres critères de jugement secondaires, considérés exploratoires, les patientes du groupe MiniMed 780G avaient une plus grande satisfaction à l’égard du traitement que celles dans le groupe standard (DTSQ, différence 4,98 ([IC 95% 2,37 à 7,58], p=0,0002)), et présentaient un indice d’hypoglycémie significativement plus faible (différence -0,49 ([IC 95% -0,76 à -0,23], p=0,0004). Le temps nocturne passé au-dessus de l’intervalle cible (1,40 g/L) était significativement plus faible chez les femmes avec MiniMed 780G versus groupe standard, avec une différence moyenne ajustée de -4,46% ([IC 95% -8,68 à -0,25], p=0,038), et le coefficient de variation était significativement plus faible avec une différence moyenne ajustée de -2,24% ([IC 95 % -3,70 à -0,79], p=0,0028). Enfin, la prise de poids gestationnelle excessive était plus faible (p=0,033) chez les femmes avec MiniMed 780G versus insulinothérapie standard. En outre, les concentrations moyennes de glucose et d'HbA1c, les doses totales d'insuline et le temps passé au-dessus de 1,40 g/L sur 24h, étaient similaires dans les deux groupes. Il n’a pas été rapporté d’événement indésirable grave inattendu dans le groupe MiniMed 780G.

Cette étude est le premier essai randomisé contrôlé évaluant l'utilisation pendant la grossesse du système BFH MiniMed 780G. Le système n’a pas optimisé significativement le TIR sur 24h par rapport à la thérapie standard, mais dans un contexte de contrôle glycémique à l’inclusion relativement strict avec une HbA1C moyenne de 6,5% (±0,6). Par ailleurs, il a amélioré significativement le TIR nocturne avec une différence de 6,58% (correspondant à 24 minutes supplémentaires dans la cible par nuit), et le temps passé en dessous de 0,63 g/L sur 24h (-1,34% soit 19 minutes de moins par jour) et nocturne (-1,86% soit 7 minutes de moins par nuit).  Il a également amélioré la variabilité glycémique et la satisfaction à l’égard du traitement. En outre, il a diminué le risque d’hypoglycémie, important à limiter car pouvant être un facteur limitant pour atteindre et maintenir un équilibre glycémique strict tout au long de la grossesse [3]. Par ailleurs, aucun événement indésirable grave de nature imprévue n’a été rapporté dans le groupe BFH MiniMed 780G. Ces résultats suggèrent que le système BFH MiniMed 780G peut être utilisé en toute sécurité pendant la grossesse. En outre, les auteurs mentionnent que l'algorithme du système MiniMed 780G a présenté quelques difficultés avec les repas pour s'adapter suffisamment rapidement aux besoins accrus en insuline avec l’avancée de la grossesse, et qu’il sera important d'affiner ultérieurement l'algorithme pour mieux l'aligner sur les besoins spécifiques de la grossesse.

Les points forts de l’étude CRISTAL sont : sa nature randomisée contrôlée, l’inclusion d’une population de femmes dans le groupe contrôle la plus représentative possible avec l’utilisation de toutes les formes d'insulinothérapie, et la limitation des biais liés à la mesure grâce à l’utilisation du même CGM pour les deux groupes sur les 4 périodes de mesure [5]. Les limites de cette étude sont : sa nature ouverte avec l’attribution du traitement non masquée aux participantes et à l’équipe de recherche, l’absence de diversité dans la population limitant la possibilité de généraliser ces résultats (95,8% de femmes traitées par pompe à insuline avant inclusion, 90% d’origine caucasienne, et deux tiers avec un niveau d’éducation élevé), et le manque de puissance pour certains critères de jugement secondaires notamment pour l’étude des complications périnatales.

En résumé, chez les femmes enceintes atteintes de DT1 avec une HbA1C moyenne d’inclusion de 6,5% (±0,6), la thérapie BFH par MiniMed 780G n'a pas amélioré le TIR spécifique à la grossesse (0,63-1,40 g/L) sur 24h, mais a amélioré le TIR nocturne et le temps passé en dessous de l'intervalle cible. Le système a également amélioré la satisfaction à l’égard du traitement et le risque d’hypoglycémie (résultats exploratoires), sans effet indésirable grave inattendu. Cette étude suggère que le système MiniMed 780G peut être utilisé en toute sécurité pendant la grossesse et qu'il offre certains avantages par rapport à l'insulinothérapie standard. Néanmoins, il semble nécessaire de disposer d’un algorithme plus spécifique à la période de grossesse.

 

Références

[1] HR Murphy, C Howgate, J O'Keefe, et al. Characteristics and outcomes of pregnant women with type 1 or type 2 diabetes: a 5-year national population-based cohort study. Lancet Diabetes Endocrinol, 9 (2021), pp. 153-164.
 
[2] NA ElSayed, G Aleppo, VR Aroda, et al. 15. Management of diabetes in pregnancy: standards of care in diabetes—2023 Diabetes Care, 46 (suppl 1) (2023), pp. S254-S266.
 
[3] L Ringholm, U Pedersen-Bjergaard, B Thorsteinsson, P Damm, ER Mathiesen Hypoglycaemia during pregnancy in women with type 1 diabetes Diabet Med, 29 (2012), pp. 558-566.
 
[4] TTM Lee, C Collett, S Bergford, et al. Automated insulin delivery in women with pregnancy complicated by type 1 diabetes N Engl J Med, 389 (2023), pp. 1566-1578.
 
[5] K Beunen, N Van Wilder, D Ballaux, et al. Closed-loop insulin delivery in pregnant women with type 1 diabetes (CRISTAL): a multicentre randomized controlled trial - study protocol BMC Pregnancy Childbirth, 23 (2023), p. 180.
 


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lundi 13 mai 2024

Durée d’allaitement au cours de la vie et risque cardiovasculaire chez les femmes atteintes de diabète de type 2 ou ayant des antécédents de diabète gestationnel : données issues de deux grandes cohortes prospectives

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Avril 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Anna Birukov, & al. - Lifetime Duration of Breastfeeding and Cardiovascular Risk in Women With Type 2 Diabetes or a History of Gestational Diabetes: Findings From Two Large Prospective Cohorts. Diabetes Care 25 March 2024; 47 (4): 720–728. doi : 10.2337/dc23-1494

 

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l'allaitement maternel exclusif pendant les 6 premiers mois de la vie et la poursuite de l'allaitement pendant au moins les 2 premières années, avec l'introduction de compléments alimentaires à partir de 6 mois post-partum [1]. Cependant, moins de 50% des femmes dans le monde allaitent selon les recommandations de l'OMS. Plus la durée d’allaitement est longue chez une femme non diabétique, moins le risque de maladies cardiovasculaires est important. Or, la question de savoir si l'allaitement, en tant que facteur de risque modifiable, est associé à un risque plus faible de maladies cardiovasculaires (MCV) dans la population à haut risque de femmes atteintes de diabète de type 2 (DT2) ou ayant des antécédents de diabète gestationnel (DG) n'a pas été étudiée jusqu'à présent. Cependant, le DT2 est associé à un risque relatif accru de MCV jusqu’à 50% plus élevé chez la femme que chez l’homme [2]. Par ailleurs, il est également établi que le DG constitue un facteur de risque cardiovasculaire chez les femmes, en présence mais également en l’absence de développement d’un DT2 ultérieurement [3]. Il est donc important d'identifier les déterminants modifiables précoces du risque de MCV spécifiques de ces femmes à haut risque.

Cette étude a inclus 15 146 parturientes atteintes de DT2 issues des études de cohortes prospectives américaines Nurses’Health Study I et II (NHS I, NHS II), ainsi que 4 537 parturientes ayant un antécédent de DG issues de NHS II. Ces études prospectives sont encore en cours, initiées respectivement en 1976 et en 1989, et ont permis le recrutement d’infirmières en âge de procréer. Dans les deux cohortes, des questionnaires envoyés par la poste ont été adressés tous les deux ans pour évaluer les facteurs liés à la reproduction et au mode de vie ainsi qu’à l'état de santé, avec des taux de suivi >90%. Ont été exclues les femmes nullipares, les parturientes aux antécédents de MCV ou de cancer, celles n’ayant pas répondu aux questionnaires ou aux questions spécifiques à l’allaitement. Le suivi s'est terminé en juin 2016 pour les participants au NHS I et en juin 2017 pour les participants au NHS II. Les auteurs ont défini les catégories de durée d’allaitement cumulatif dans les deux cohortes comme suit : 0 mois, 1-6 mois, 7-18 mois et >18 mois. Les catégories de durée totale d'allaitement exclusif au cours de la vie ont été définies comme suit : 0 mois, 1-6 mois, 7-12 mois et >12 mois. Les MCV incidentes détectées étaient les accidents vasculaires cérébraux (AVC), ou les maladies coronariennes (infarctus du myocarde [IDM] fatal ou non, revascularisation par pontage aorto-coronarien [PAC] ou par intervention coronarienne percutanée [ICP]).  Des modèles de Cox ont permis d’estimer les rapports de risque ajustés (RRA) et les intervalles de confiance à 95% (IC95%).

Au total, 6 339 (41,9%), 3 265 (21,6%), 3 197 (21,1%) et 2 345 (15,5%) femmes atteintes de DT2 ont allaité pendant une durée cumulée de 0, 1-6, 7-18 et 18 mois, respectivement. Parmi les femmes ayant déjà eu un DG, la distribution correspondante pour la durée de l'allaitement était de 17,6%, 17,7%, 34,1% et 30,5%. Ont été détectés 1 159 (7,7%) cas incidents de MCV chez les femmes atteintes de DT2 sur 1888 874 personnes-année de suivi, et 132 (2,9%) cas incidents de MCV chez les femmes avec un antécédent de DG sur 100 218 personnes-année de suivi. Chez les femmes atteintes de DT2, une durée d'allaitement plus longue au cours de la vie était associée de manière significative à un risque plus faible de MCV avec un RRA de 0,68 [IC95% : 0,54-0,85] pour une durée d'allaitement de plus de 18 mois par rapport à une durée de 0 mois, et de 0,94 [IC95% : 0,91-0,98] par augmentation de 6 mois de la durée d'allaitement. Les associations persistaient pour l’analyse des maladies coronariennes (RRA 0,93 [IC95% : 0,88-0,97]) mais pas pour les AVC (0,96 [IC95% : 0,91-1,02]) par incrément de 6 mois d'allaitement. Chez les femmes ayant des antécédents de DG, un allaitement de plus de 18 mois par rapport à un allaitement de 0 mois était associé à un RRA de 0,49 [IC95% : 0,28-0,86] pour l’ensemble des MCV. L’association persistait également pour l’analyse des maladies coronariennes (RRA 0,38 [IC95% : 0,20-0,71]). En cas d’allaitement exclusif par rapport à l’absence d’allaitement, le risque de MCV et de coronaropathie chez les femmes atteintes de DG était encore plus faible. Aucune association significative n’a été observée entre la durée de l’allaitement exclusif et les AVC. La période de ≥ 18 mois présentait le risque de MCV le plus faible. Notons que chez les femmes atteintes de DT2, aucun effet statistiquement significatif n’était en lien avec l’âge à l’inclusion, l’âge au premier accouchement, l’Indice de Masse Corporelle pré-conceptionnel, le tabagisme, les antécédents familiaux cardiovasculaires, ou encore l’activité physique. Chez les femmes aux antécédents de DG, seul le statut pré-ménopausique diminuait le risque de MCV lors d’un allaitement ≥ 12 mois, en comparaison aux femmes aux antécédents de DG ménopausées.

Les auteurs ont donc, au travers de ces deux larges cohortes prospectives, mis en évidence que la durée d’allaitement au cours de la vie était inversement associée au risque de MCV, indépendamment d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, chez les femmes atteintes de DT2. Cette association était également significative chez les femmes aux antécédents de DG. Cette étude nous informe également d’une association inverse encore plus forte en cas d’allaitement maternel exclusif. Ces résultats sont concordants avec des études antérieures en population générale [4]. Notons également qu’une relation inverse entre l’allaitement et l’athérosclérose subclinique a déjà été démontrée [5]. Les mécanismes d’implication sont multiples et ne sont pas encore tous élucidés. Les auteurs citent ici l’influence de l’allaitement sur le métabolisme glucidique et lipidique, la réduction du stress oxydatif et la perte de poids. Le rôle de l’ocytocine est également à considérer, par ses effets hypotenseurs, vasodilatateurs, hypoglycémiants, anti-oxydants et anti-inflammatoires [6]. Enfin, l’allaitement induit une réponse minimisée au stress en raison de plus faibles réactions du système nerveux autonome.

Les points forts de l’étude sont le grand nombre de parturientes, la longue durée et les taux satisfaisants de suivi, l’utilisation de mesures répétées du mode de vie et des variables reproductives, et les analyses de plusieurs résultats liés aux MCV. Cependant, certains points faibles sont à évoquer : 1/ certaines femmes atteintes de diabète n’ont peut-être pas été diagnostiquées dans la cohorte en l’absence de dépistage universel, 2/ la durée de l'allaitement a été évaluée au moyen d'auto-évaluations pouvant avoir entraîné une erreur de classification, 3/ la nature observationnelle de l’étude ne permet pas de mettre en lumière une relation causale, 4/ les analyses ont été menées sur des cohortes d'infirmières blanches majoritairement non hispaniques, ce qui minimise les risques de confusion liés aux facteurs culturels et socio-économiques, mais peut limiter la généralisation des résultats à l’ensemble des parturientes.

En conclusion, cette étude démontre qu’une durée d'allaitement plus longue est associée à un risque plus faible de MCV chez les femmes atteintes de DT2 ou ayant des antécédents de DG. Cela nous encourage d’autant plus à promouvoir l’allaitement dans cette catégorie particulière de parturientes, l’allaitement apparaissant alors comme une stratégie de prévention primaire chez ces femmes à haut risque cardiovasculaire.

 

Références

[1] Perez-Escamilla R, Tomori C, Hernandez- Cordero S, et al.; 2023 Lancet Breastfeeding Series Group. Breastfeeding: crucially important, but increasingly challenged in a market-driven world. Lancet 2023;401:472–485.
 
[2] Regensteiner JG, Golden S, Huebschmann AG, et al.; American Heart Association Diabetes Committee of the Council on Lifestyle and Cardiometabolic Health, Council on Epidemiology and Prevention, Council on Functional Genomics and Translational Biology, and Council on Hyper- tension. Sex differences in the cardiovascular consequences of diabetes mellitus: a scientific statement from the American Heart Association. Circulation 2015;132:2424–2447.
 
[3] Kramer CK, Campbell S, Retnakaran R. Gestational diabetes and the risk of cardiovascular disease in women: a systematic review and meta-analysis. Diabetologia 2019;62:905–914.
 
[4] Stuebe AM, Michels KB, Willett WC, Manson JE, Rexrode K, Rich-Edwards JW. Duration of lactation and incidence of myocardial infarction in middle to late adulthood. Am J Obstet Gynecol 2009;200:138.e1–138.e8.
 
[5] Gunderson EP, Quesenberry CP Jr, Ning X, et al. Lactation duration and midlife atherosclerosis. Obstet Gynecol 2015;126:381–390.
 
[6] Gutkowska J, Jankowski M. Oxytocin revisited: its role in cardiovascular regulation. J Neuroendocrinol 2012;24:599–608.
 


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