jeudi 10 juillet 2025

Association entre hémoglobine A1c et complications chez des patients vivant avec un diabète et une insuffisance rénale chronique sévère

Auteur : 
Florian Mourre
Date Publication : 
Juin 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Dea H. Kofod et al. The Association Between Hemoglobin A1c and Complications Among Individuals With Diabetes and Severe Chronic Kidney Disease. Diabetes Care 2025;48(8):1–10. doi : 10.2337/dc25-0339

 

L’association entre diabète et insuffisance rénale chronique (IRC) augmente le risque de complications à court et à long terme, ainsi que la mortalité [1]. Cependant, l’objectif glycémique optimal pour améliorer ces complications n’est pas bien défini, particulièrement pour les individus avec une IRC sévère. Les recommandations actuelles conseillent un équilibre glycémique moins strict avec le déclin de la fonction rénale [2], du fait d’une augmentation du risque d’hypoglycémie et de la réduction de l’espérance de vie de cette population. L’association entre HbA1c et survenue des complications du diabète est bien connue, notamment grâce aux études ayant montré l’impact d’un traitement intensif de la glycémie sur la réduction des complications micro- et macrovasculaires et la mortalité [3,4]. Cependant, ces essais n’ont pas inclus les individus avec une IRC sévère, soit avec un débit de filtration glomérulaire (DFG) < 30 mL/mn/1,73m². De plus, la fiabilité de l’HbA1c dans cette population pose question du fait de changements dans le métabolisme avec, d’une part, une augmentation des paramètres inflammatoires et d’acidose métabolique (qui vont augmenter la glycation de l’hémoglobine) et, d’autre part, une réduction de la durée de vie des globules rouges et l’utilisation d’EPO ou de fer (qui diminuent l’HbA1c). Les auteurs ont donc investigué l’association entre HbA1c et événements cardiovasculaires majeurs (MACE), complications microvasculaires et hospitalisations pour hypoglycémie, dans une population d’individus vivant avec un diabète et une IRC sévère.

Pour cette étude, les auteurs ont investigué les données des registres nationaux de santé du Danemark, enregistrant les hospitalisations et les diagnostics associés, les délivrances de traitements et les données de laboratoire. Etaient inclus les individus cumulant un diabète et une IRC sévère entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2022. L’IRC sévère était définie par 2 mesures de DFG < 30 mL/mn/1,73m² à plus de 90 jours d’intervalle et la 2ème mesure correspondait à la date d’inclusion dans l’étude. Les personnes vivant avec un diabète étaient identifiées sur la base d’au moins une délivrance de traitement anti-diabétique dans les 5 dernières années. Ont été exclus les patients n’ayant pas de mesure d’HbA1c entre 4,9% et 13,1% dans l’année suivant l’inclusion, les mineurs et ceux ayant un antécédent de dialyse ou de greffe rénale. Chaque individu cumulant un diabète et une IRC sévère a été apparié d’après l’âge et le sexe à 3 patients avec un diabète et une IRC modérée (DFG entre 30 et 59 mL/mn/1,73m²) et 3 autres avec un diabète et une fonction rénale normale ou faiblement diminuée (DFG ≥ 60 mL/mn/1,73m²). Les critères de jugement principaux étaient la survenue d’un élément du MACE (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou décès toute cause), d’une complication microvasculaire (rétinopathie, amputation d’une partie de membre inférieur, IRC terminale ou dialyse) et d’une hospitalisation pour une hypoglycémie. La période de suivi allait de l’inclusion jusqu’à la survenue d’un de ces critères ou jusqu’au 31 décembre 2022, selon ce qui survenait en premier. Les auteurs ont utilisé l’estimateur de Kaplan-Meier pour calculer le suivi médian. L’association entre l’HbA1c et le critère de jugement a été réalisée selon 11 strates d’HbA1c allant de 4,9-5,3% jusqu’à 10,4-13,1%. Les données ont ensuite été analysées via des modèles de Cox ajustés sur le niveau d’hémoglobine et les maladies cardiovasculaires en plus de l’appariement sur l’âge et le sexe, et prenaient en compte le décès comme risque compétitif.

Au total, les auteurs ont pu inclure 27 113 individus cumulant un diabète et une IRC sévère, appariés à 80 131 individus avec un diabète et une IRC faible à modérée et à 80 797 individus avec un diabète et un DFG ≥ 60 mL/mn/1.73m², avec une durée de suivi médiane entre 5,2 et 5,4 ans selon les groupes. L’âge médian des patients inclus était de 77 ans (intervalle interquartile [IQR] 70 – 83 ans) dans les 3 groupes. L’HbA1c était de 7,0% (6,3 – 8,0) dans le groupe IRC sévère, 6,9% (6,3 – 7,7) dans le groupe IRC modérée et 6,8% (6,3 – 7,6) dans le groupe IRC faible ou absente. La proportion de patients avec un diabète de type 1 augmentait lorsque l’IRC était plus sévère : 30,5% dans le groupe IRC sévère, 24,7% dans le groupe IRC modérée et 18,8% dans le groupe IRC faible ou absente. Les individus du groupe IRC sévère étaient généralement plus sévères que les autres groupes, avec un diabète de durée plus longue (40% avec un diabète depuis plus de 14 ans, contre 37 et 33%), un traitement comprenant plus souvent de l’insuline et plus de comorbidités (antécédents cardiovasculaires, hypertension, obésité ou complication du diabète). Chez les individus avec IRC sévère, le risque de MACE augmentait significativement pour des niveaux d’HbA1c < 5,8% et ≥ 7,2% comparé à la tranche d’HbA1c 6,3-6,6%. Plus précisément, concernant le MACE et comparativement aux individus avec une HbA1c entre 6,3 et 6,6%, ceux avec une HbA1c entre 5,4 et 5,7% présentaient un HR à 1,24 (IC 95% 1,16 – 1,32) et ceux avec une HbA1c entre 4,9 et 5,3% un HR à 1,41 (IC 95% 1,26 – 1,57). De l’autre côté du spectre de l’HbA1c, le risque de MACE devenait statistiquement significatif pour une HbA1c entre 7,2 et 7,5% (HR 1,08, IC 95% 1,02 – 1,14) et augmentait progressivement jusqu’à 1,48 (IC 95% 1,37 – 1,61) dans le groupe avec une HbA1c entre 10,4 et 13,1%. Concernant les complications microvasculaires, les auteurs retrouvaient une augmentation du risque à partir d’une HbA1c entre 7,2 et 7,5% (HR 1,32, IC 95% 1,19 – 1,47), progressive jusqu’au dernier groupe d’HbA1c avec un HR à 1,68 (IC 95% 1,43 – 1,96) pour une HbA1c entre 10,4 et 13,1%. Les groupes d’HbA1c en dessous de 6,3 – 6,6% ne présentaient pas de surrisque de complication microvasculaire. Enfin, le risque d’hospitalisation pour hypoglycémie augmentait lui aussi avec l’HbA1c : 1,44 (IC 95% 1,17 – 1,77) pour le groupe d’HbA1c entre 6,7 et 7,1%, jusqu’à 4,48 (IC 95% 3,56 – 5,63) pour le groupe d’HbA1c entre 10,4 et 13,1%. Là encore, pas de surrisque d’hospitalisation pour hypoglycémie chez ceux ayant une HbA1c plus faible, avec même une diminution de ce risque dans le groupe d’HbA1c 5,8 – 6,2%, avec un HR à 0,72 (IC 95% 0,56 – 0,93). Bien que tous les groupes ne présentent pas exactement les mêmes résultats, ces tendances étaient similaires dans les autres groupes d’IRC. Ces associations restaient présentes lorsque les analyses étaient également stratifiées en fonction du sexe, de l’âge et du type de diabète.

Les auteurs retrouvent donc dans cette étude de cohorte nationale, une association entre HbA1c et complications du diabète chez des individus avec une IRC sévère, avec une courbe en U (avec un nadir entre 6,3 et 6,6% d’HbA1c) pour les événements du MACE et une augmentation du risque de complications microvasculaires lorsque l’HbA1c dépasse 7,2% et une augmentation du risque d’hospitalisation pour hypoglycémie lorsque l’HbA1c dépasse 6,3%. Cependant, bien que comportant une population importante, le caractère observationnel de cette étude ne permet pas de tirer de conclusion causale à cette association. Des facteurs confondants tels que l’IMC, le mode de vie ou encore l’ethnie n’étaient pas disponibles pour les auteurs. De même, seule l’HbA1c à l’inclusion est prise en compte et pas les mesures répétées qui ont pu avoir lieu ensuite pouvant également occasionner des biais. Enfin, les auteurs n’avaient accès qu’aux données concernant les hospitalisations pour hypoglycémie et n’avaient pas d’information sur les hypoglycémies ne débouchant pas sur un passage à l’hôpital.

Pour conclure, dans cette étude, l’HbA1c était un facteur important dans la survenue de complications du diabète, y compris chez les participants avec une IRC sévère. La tranche d’HbA1c entre 6,7 et 7,1% semble être la plus favorable pour réduire le risque de complications et de mortalité à long terme.

 

Références

[1] Palsson R, Patel UD. Cardiovascular complications of diabetic kidney disease. Adv Chronic Kidney Dis 2014;21:273–280.
 
[2] Battelino T, Danne T, Bergenstal RM, et al. Clinical targets for continuous glucose monitoring data interpretation: recommendations from the international consensus on time in range. Diabetes Care 2019;42:1593–1603.
 
[3] UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) Group. Intensive blood-glucose control with sulphonylureas or insulin compared with conventional treatment and risk of complications in patients with type 2 diabetes (UKPDS 33). Lancet 1998;352:837–853.
 
[4] Nathan DM, Cleary PA, Backlund J-YC, et al.; Diabetes Control and Complications Trial/Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications (DCCT/EDIC) Study Research Group. Intensive diabetes treatment and cardiovascular disease in patients with type 1 diabetes. N Engl J Med 2005;353:2643–2653.
 


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vendredi 13 juin 2025

Impact de la transplantation d’îlots pancréatiques sur les complications du diabète et la mortalité chez des patients vivant avec un diabète de type 1

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Mai 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Perrier Q. & al., Impact of Islet Transplantation on Diabetes Complications and Mortality in Patients Living With Type 1 Diabetes. Diabetes Care. 2025 Jun 1;48(6):1007-1015. doi : 10.2337/dc25-0059

 

La transplantation d’îlots pancréatiques (TI) a pour objectifs d’améliorer le contrôle glycémique, de prévenir les hypoglycémies sévères, d’améliorer la qualité de vie et d’atteindre l’indépendance à l’insuline, variable selon l’expérience des centres et la stratégie de transplantation [1,2]. Ainsi, la TI est aujourd’hui considérée comme une option thérapeutique pour la prise en charge des personnes vivant avec un diabète de type 1 (DT1) instable (islet transplantation alone, ITA) ou avec un DT1 et greffon rénal fonctionnel (islet after kidney transplantation, IAK), notamment en Europe [3]. Si les bénéfices à long terme de la TI en termes de mortalité, de bénéfices sur les complications ou sur le retour en dialyse en cas de transplantation rénale associée sont aujourd’hui bien décrits, des informations comparatives par rapport à des patients n’ayant pas bénéficié de la TI manquent. Récemment, une étude américaine incluant 49 patients avec TI a montré que cette dernière n’augmentait pas le risque de mortalité en lien avec les immunosuppresseurs comparativement à des personnes vivant avec un DT1 [4]. Néanmoins, ces résultats sont basés sur des données épidémiologiques issues de registres sans appariement entre les patients.

L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact de la TI sur les complications du diabète telles que la mortalité, la dialyse, les amputations, l’infarctus du myocarde (IDM), les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les évènements ischémiques transitoires (AIT), le retour à la dialyse après greffe rénale (si IAK) et les complications secondaires aux immunosuppresseurs comme le cancer.

Dans cette étude de cohorte rétrospective et multicentrique, ont été inclus des patients issus de 3 essais précédemment publiés sur la TI (études GRAGIL, GRAGIL2 et TRIMECO) constituant le groupe expérimental et des patients issus du Système National des Données de Santé (SNDS) constituant le groupe contrôle. Le groupe intervention était composé de 2 sous-groupes : les receveurs de TI après greffe rénale (cohorte IAK) et les patients avec TI seule (cohorte ITA). Le groupe témoin correspondait à un groupe contrôle synthétique identifié à partir du SNDS comme suit : 1) identification des patients vivant avec un DT1 traités depuis au moins 5 ans par insulinothérapie, sans remboursement de traitement oral anti-diabétique et avec un suivi jusqu’à 10 ans, 2) patients âgés de plus de 18 ans à l’inclusion, 3) identification de patients sans greffe rénale et d’autres avec greffe rénale, 4) exclusion des patients avec moins de deux hospitalisations liées au diabète ou à ses complications dans l’année précédant l’inclusion (critère approchant la sévérité du diabète) pour le groupe sans greffe rénale, et exclusion des patients avec greffe rénale de moins de 3 ans par rapport à l’inclusion pour le groupe avec greffe rénale, 5) afin de s’assurer que les patients inclus dans le groupe contrôle ne fassent pas parti du groupe expérimental, ont été exclus tous les patients de même sexe, de même mois et année de naissance au 31 Décembre 2022. Pour chacune des cohortes (ITA et IAK), chaque patient du groupe expérimental a été apparié sur la base de score de propension selon un ratio 1:10 pour la cohorte ITA (i.e. 1 patient du groupe expérimental apparié à 10 patients du groupe contrôle) et 1:1 pour la cohorte IAK (i.e. 1 patient du groupe expérimental apparié à 1 patient du groupe contrôle). Le critère de jugement principal a été défini comme la première occurrence d’un critère composite associant : mortalité, dialyse, amputation, AVC non fatal, IDM non fatal ou AIT. Le critère de jugement secondaire a été défini comme la première occurrence de cancer : cancer du sein, cancer colorectal, cancer broncho-pulmonaire, cancer de la prostate ou autre cancer (par exemple, cancer de la peau).

Au total, le groupe expérimental était composé de deux populations distinctes : 1) une cohorte ITA de 61 patients avec une durée médiane de DT1 de 31,6 (IQR 25-75 : 24,5-39,3) ans et une médiane de suivi après TI de 10,4 (8,7-13,6) ans, 2) une cohorte IAK de 45 patients avec une durée médiane de DT1 de 32,6 (26,9-40,9) ans, une médiane de suivi après TI de 13,4 (8,2-17,4) ans et un délai médian entre les 2 greffes de 3,9 (2,6-6,4) ans. Les 61 patients de la cohorte ITA ont été appariés à 610 patients contrôles avec un niveau satisfaisant de concordance globale (différence moyenne standardisée [DMS] <10%) sauf concernant les antécédents d’AVC (DMS à 11,4%) en défaveur du groupe contrôle (i.e., un plus grand nombre de patients avaient un antécédent d’AVC dans le groupe contrôle par rapport au groupe expérimental). Les 45 patients de la cohorte IAK ont été appariés à 45 patients contrôles avec une moins bonne concordance que pour la cohorte ITA (3 DMS > 10% concernant les AIT, l’âge et l’IDM [10,8%, 30,2% et 26,2% respectivement]) en défaveur du groupe IAK. Comparativement aux patients du groupe contrôle, les patients des cohortes ITA et IAK ont présenté un risque significativement moindre de survenue du critère de jugement principal (respectivement, HR 0,39 [95% IC 0,21-0,71 ; p = 0,002] et 0,52 [0,30-0,88 ; p = 0,014]). Dans la cohorte ITA, cette différence était principalement liée à une réduction significative de la mortalité chez les patients avec TI (0,22 [0,09-0,54 ; p <0,001]). Dans la cohorte IAK, cette différence était principalement liée à une réduction significative de la dialyse chez les patients IAK (0,19 [0,07-0,50 ; p < 0,001]). En revanche, dans cette population, a été observée une plus grande occurrence d’IDM par rapport aux patients avec transplantation rénale seule (4.24 [1,18-15,2 ; p = 0,016]). Dans les deux cohortes (ITA et IAK), aucun changement significatif concernant le risque de cancer n’a été mis en évidence (HR 1, 00 [0,54-1,87 ; p = 1] et 0,88 [0,32-2,41 ; p = 0,80], respectivement).

Les résultats de cette étude mettent en lumière l’impact à long terme de la TI (ITA ou IAK) chez les patients vivant avec un DT1 instable et ceux avec DT1 et greffe rénale. Cette étude apporte également des éléments concernant les bénéfices à long terme (>10 ans) et les risques potentiels associés à l’ITA et à l’IAK. Il est important de noter que ces résultats positifs concernant la TI ont été obtenus en l’absence d’indépendance à long terme de l’insuline. En effet, dans l’étude GRAGIL, moins de 5% des patients n’avaient plus recours à l’insuline à 10 ans de la TI malgré un greffon fonctionnel dans 50% des cas [2]. Dans l’étude TRIMECO, 59% des patients restaient sans insuline à 1 an de la TI (85% de greffon fonctionnel) [5]. Cette étude est l’une des premières à mettre en évidence une réduction significative de la survenue d’un critère composite associant différents évènements liés au diabète parmi les patients ayant bénéficié d’une TI par rapport à ceux sans TI. Dans la cohorte IAK, les données suggèrent une augmentation du risque d’IDM par rapport aux patients avec DT1 et greffe rénale seule, contrastant avec les données de la littérature. Néanmoins, la faible qualité de l’appariement entre les patients avec IAK et ceux du groupe contrôle sur 2 facteurs de risque d’IDM (âge et antécédent d’IDM) pourrait avoir participé à ce résultat défavorable pour l’IAK. Enfin, cette étude ne retrouve aucune augmentation significative du risque de cancer suite à la TI et aux immunosuppresseurs, fournissant des preuves rassurantes quant au profil de sécurité de la TI. Il convient néanmoins de noter que la période de suivi médiane de cette cohorte (>10 ans) pourrait ne pas être suffisante pour détecter certains cancers survenant plus à distance d’une transplantation. Des limites sont néanmoins à prendre en considération : 1) des dates d’inclusion et de suivi différentes entre les 2 groupes (à partir de 1999 pour le groupe expérimental et de 2006 pour le groupe contrôle), 2) un nombre de patients limité (<100) dans le groupe expérimental, ne permettant pas d’exclure un manque de puissance pour certaines observations, 3) une absence d’appariement sur les antécédents de cancer en raison du manque de données disponibles.

Ainsi, cette étude suggère un bénéfice à long terme de la TI, tant seule qu’après greffe rénale, sur un critère composite associant décès, complications cardiovasculaires ou dialyse, sans augmentation significative du risque de cancer malgré un traitement immunosuppresseur au long cours. Ces résultats soulignent un rapport risque-bénéfice favorable à la TI dans la prise en charge des personnes vivant avec un DT1 instable.

 

Références

[1] Brennan, D.C. & al. Long-Term Follow-Up of the Edmonton Protocol of Islet Transplantation in the United States. Am J Transplant 2016, 16, 509–517.
 
[2] Lablanche, S. & al. Ten-Year Outcomes of Islet Transplantation in Patients with Type 1 Diabetes: Data from the Swiss-French GRAGIL Network. Am J Transplant 2021, 21, 3725–3733.
 
[3] Wojtusciszyn, A. & al. Indications for Islet or Pancreatic Transplantation: Statement of the TREPID Working Group on Behalf of the Société Francophone Du Diabète (SFD), Société Francaise d’endocrinologie (SFE), Société Francophone de Transplantation (SFT) and Société Française de Néphrologie - Dialyse - Transplantation (SFNDT). Diabetes Metab 2019, 45, 224–237.
 
[4] Lemos, J.R.N. & al. Survival After Islet Transplantation in Subjects With Type 1 Diabetes: Twenty-Year Follow-Up. Diabetes Care 2021, 44, e67–e68.
 
[5] Lablanche, S. & al. Islet Transplantation versus Insulin Therapy in Patients with Type 1 Diabetes with Severe Hypoglycaemia or Poorly Controlled Glycaemia after Kidney Transplantation (TRIMECO): A Multicentre, Randomised Controlled Trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2018, 6, 527–537.
 


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lundi 12 mai 2025

Traitements anti-hyperglycémiants à effet cardioprotecteur et risque de démence : Revue systématique et méta-analyse

Auteur : 
Ninon Foussard
Date Publication : 
Avril 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Seminer et al. Cardioprotective Glucose-Lowering Agents and Dementia Risk: A Systematic Review and Meta-Analysis. JAMA Neurol. Published online April 7, 2025. doi : 10.1007/s00125-025-06363-0

 

Le diabète est un facteur de risque de démence [1]. L’utilisation des inhibiteurs du sodium-glucose cotransporteur-2 (iSGLT2) et des agonistes du récepteur du glucagon-like peptide 1 (aGLP1) est recommandée chez les patients vivant avec un diabète de type 2 (DT2) atteints de maladie cardiovasculaire ou à haut risque cardiovasculaire, sur la base d’essais cliniques randomisés de phase III démontrant une réduction des événements cardiovasculaires [2] et de données d’observation suggérant qu’ils pourraient présenter un effet neuroprotecteur [3]. Cependant, il n'existe pas encore de preuves solides concernant l'efficacité de ces traitements quant à la réduction du risque de démence.

L'objectif de cette méta-analyse d’essais cliniques randomisés était donc de déterminer si les traitements anti-hyperglycémiants cardioprotecteurs, comparés aux traitements témoins, étaient associés à une réduction du risque de démence ou de troubles cognitifs.

Une revue systématique et une méta-analyse ont été réalisées à partir des bases de données PubMed et Embase, consultées pour les études publiées depuis la création de la base de données jusqu'au 11 juillet 2024. Les études considérées comme éligibles devaient être des essais cliniques randomisés incluant des patients de plus de 18 ans et comparant un traitement anti-hyperglycémiant à effet cardioprotecteur démontré (iSGLT2 ou aGLP1) [4,5] ou suggéré (metformine ou pioglitazone) [6], à un traitement témoin (placebo ou absence de traitement antidiabétique), sur le risque de survenue d’une démence, d’une déficience cognitive ou d'une modification des scores cognitifs lors d’un suivi de plus de 6 mois. Les études concernant les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4, les sulfonylurées, et l'insuline, ou concernant les patients ayant déjà un diagnostic de troubles cognitifs, ont été exclues. Le critère de jugement principal de cette méta-analyse était la démence ou les troubles cognitifs au cours du suivi. Les critères de jugement secondaires comprenaient les sous-types de démence (démence vasculaire, démence d'Alzheimer, démence à corps de Lewy et démence fronto-temporale) et le changement dans le score cognitif. Les effets pondérés des traitements groupés ont été calculés globalement et individuellement pour les différentes classes de médicaments, en utilisant des modèles de méta-analyse à effets aléatoires.

Cette méta-analyse a inclus un total de 26 essais (N = 164 531 participants), publiés entre 2015 et 2024 : 23 études (N = 160 191), rapportant l'incidence d'un critère composite de démence ou de troubles cognitifs au cours du suivi, ont été incluses dans la méta-analyse primaire, et 3 ont été incluses uniquement pour le résultat secondaire d’évolution du score cognitif. Toutes étaient contrôlées versus placebo. L’âge moyen (SD) était de 64,4 (3,5) ans, et 34,9% des participants étaient des femmes. La durée moyenne du suivi était de 31,4 (10,1-73,2) mois.
Parmi les 23 essais de l’analyse principale, 12 ont évalué les iSGLT2, 10 les aGLP1 et 1 la pioglitazone (aucun essai sur la metformine n'a été identifié). La démence ou les troubles cognitifs ont été diagnostiqués au cours du suivi chez 93 participants du groupe traitement et 119 du groupe témoin. Le traitement anti-hyperglycémiant en général vs témoin n’était pas associé significativement à une réduction des troubles cognitifs ou de la démence (0,12% contre 0,14% sur un suivi moyen de 31,8 mois ; OR 0,83 [IC 95%, 0,60-1,14] ; réduction du risque absolu, 0,02% [IC 95%, -1,00% à 0,09%] ; I² = 6,6%). En revanche, le traitement par aGLP1 (OR, 0,55 [IC 95%, 0,35-0,86]) était associé à une réduction des troubles cognitifs ou de la démence (valeur P pour l'hétérogénéité = 0,04), contrairement au traitement par iSGLT2 (OR, 1,20 [IC 95%, 0,67-2,17]).
Concernant l’analyse secondaire : 10 essais ont rapporté la survenue de démence vasculaire lors du suivi (94 648 participants), et celle-ci a été diagnostiquée chez 6 participants du groupe traitement et 16 du groupe témoin. Le traitement anti-hyperglycémiant en général vs témoin n’était pas significativement associé à une réduction de la démence vasculaire (0,01% vs 0,03% sur un suivi moyen de 35,7 mois ; OR, 0,45 [IC 95%, 0,19-1,07] ; I² = 0,0%). Ces résultats étaient cohérents pour toutes les classes de médicaments (iSGLT2 OR, 0,35 [95% CI, 0,09-1,36] ; aGLP1 OR, 0,38 [95% CI, 0,18-1,61] ; valeur P pour l'hétérogénéité = 0,93). Douze essais ont rapporté la survenue d’une démence d'Alzheimer (115 840 participants), diagnostiquée au cours du suivi chez 56 participants du groupe traitement et 51 du groupe témoin. Le traitement anti-hyperglycémiant en général vs témoin n’était pas associé à une réduction significative de la démence de type Alzheimer (0,09% contre 0,09% sur un suivi moyen de 37,1 mois ; OR, 1,20 [IC à 95%, 0,82-1,77] ; I² = 0,0%). Ces résultats étaient également cohérents pour toutes les classes de médicaments. De la même façon, aucune différence significative n’était observée pour les 4 essais s’intéressant à la démence à corps de Lewy, mais la survenue de celle-ci ne concernait qu’un seul patient dans le groupe traitement et 3 dans le groupe témoin. Seul un essai étudiait la démence fronto-temporale. En outre, sur 3 essais faisant état d'une évolution du score cognitif, aucune différence significative n’a été rapportée concernant l’exénatide vs placebo et la pioglitazone vs placebo.

En résumé, cette méta-analyse incluant 23 essais avec 160 191 participants pour l'analyse du résultat principal, n'a pas rapporté de réduction significative de la démence ou des troubles cognitifs lorsque toutes les classes de médicaments étaient prises en compte. Cependant, le traitement par aGLP1 était associé à une survenue significativement plus faible de démence ou de troubles cognitifs, par rapport au groupe témoin. Plus spécifiquement, le traitement anti-hyperglycémiant n'a pas été associé à une réduction significative du risque de démence vasculaire ou de démence de type Alzheimer. La différence entre iSGLT2 et aGLP1 dans cette étude, concernant la démence toutes causes confondues, pourrait s'expliquer en partie par les différences dans les populations recrutées : avec un taux d'événements de démence plus élevé dans le groupe témoin des essais sur les aGLP1, que dans les essais sur les iSGLT2 (0,14% contre 0,05%), ce qui peut augmenter la puissance statistique pour détecter les associations. En outre, un faible taux d’événements pourrait être expliqué par le fait que la majorité des essais cliniques n'ont pas systématiquement évalué la démence chez les participants, mais aussi par l'âge moyen des participants modéré et la durée relativement courte du suivi. Ainsi, la réduction du risque absolu rapportée est très probablement sous-estimée.
Concernant les limites de cette étude, les résultats concernant l’apparition d’une démence n'ont pas été vérifiés en tant que résultat d'intérêt mais ils ont plutôt été rapportés en tant qu'événement indésirable et n’ont pas été évalué systématiquement chez tous les participants, ce qui réduit le pouvoir de détection des différences dans l'effet du traitement. Il s'agit d'une limite importante, et des recherches supplémentaires évaluant l'efficacité des thérapies anti-hyperglycémiantes pour réduire le risque de démence dans le cadre d'essais bien conçus (c'est-à-dire avec une bonne évaluation, mais aussi une longue durée de suivi et une population comprenant des adultes au milieu et à la fin de leur vie) sont nécessaires. Une autre limite est que cette méta-analyse n'a pas rapporté d'estimation au sein des sous-groupes des populations étudiées (par exemple, par sexe), en raison d’un manque de disponibilité des données.

En conclusion, bien que les traitements anti-hyperglycémiants cardioprotecteurs n'aient pas été associés à une réduction globale de la démence toutes causes confondues, cette méta-analyse d'essais cliniques randomisés a révélé que l’utilisation des aGLP1 était associée à une réduction de la démence toutes causes confondues. D’autres recherches restent nécessaires, notamment des essais cliniques randomisés évaluant spécifiquement l'effet du traitement anti-hyperglycémiant sur la démence incidente et les résultats cognitifs, avec une durée de suivi suffisante.

 

Références

[1] Livingston  G, Huntley  J, Sommerlad  A,  et al.  Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. Lancet. 2020;396(10248):413-446.
 
[2] Marx  N, Federici  M, Schütt  K, et al; ESC Scientific Document Group.  2023 ESC guidelines for the management of cardiovascular disease in patients with diabetes. Eur Heart J. 2023;44(39):4043-4140.
 
[3] Tang  H, Shao  H, Shaaban  CE, et al. Newer glucose-lowering drugs and risk of dementia: a systematic review and meta-analysis of observational studies. J Am Geriatr Soc. 2023;71(7):2096-2106.
 
[4] McGuire  DK, Shih  WJ, Cosentino  F, et al. Association of SGLT2 inhibitors with cardiovascular and kidney outcomes in patients with type 2 diabetes: a meta-analysis. JAMA Cardiol. 2021;6(2):148-158.
 
[5] Sattar  N, Lee  MMY, Kristensen  SL, et al.  Cardiovascular, mortality, and kidney outcomes with GLP-1 receptor agonists in patients with type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis of randomised trials. Lancet Diabetes Endocrinol. 2021;9(10):653-662.
 
[6] Holman  RR, Paul  SK, Bethel  MA, Matthews  DR, Neil  HAW.  10-Year follow-up of intensive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med. 2008;359(15):1577-1589.
 


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lundi 14 avril 2025

Agonistes du récepteur du GLP-1, inhibiteurs du SGLT2 et prévention de la cirrhose chez les patients vivant avec un diabète de type 2

Auteur : 
Florian Mourre
Date Publication : 
Mars 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Richeek Pradhan et al, Glucagon-Like Peptide 1 Receptor Agonists and Sodium–Glucose Cotransporter 2 Inhibitors and the Prevention of Cirrhosis Among Patients With Type 2 Diabetes, Diabetes Care 2025;48(3):444–454. doi : 10.2337/dc24-1903

 

Les agonistes du récepteur du GLP-1 (AR-GLP1) et les inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur 2 (i-SGLT2) ont des effets favorables sur le poids et l’inflammation [1], ce qui pourrait suggérer un effet bénéfique dans la prévention des hépatopathies métaboliques (MASLD, pour Metabolic dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease) et de leurs complications. Des essais randomisés contrôlés réalisés chez des patients atteints de MASLD ont montré que les AR-GLP1 et les i-SGLT2 réduisaient la graisse intra-hépatique [2,3]. Cependant, il n’est pas clairement établi si ces médicaments réduisent ou non l’incidence des autres événements hépatiques. A l’heure actuelle, les études observationnelles ont montré un degré de protection variable (entre 9 et 83%) des AR-GLP1 concernant les événements hépatiques sévères. De plus, les essais randomisés n’ont pas montré de réversibilité de la fibrose hépatique avec le liraglutide ou le sémaglutide 1 mg [4]. Les i-SGLT2 ont été associés à un plus faible risque d’événements hépatiques dans des études sud-coréennes mais la généralisation de ces résultats reste discutable. De plus, aucune des études évaluant l’impact des AR-GLP1 ne prend en compte l’utilisation d’un i-SGLT2 pendant le suivi et vice-versa. Les auteurs ont donc réalisé cette étude pour déterminer si l’utilisation des AR-GLP1 et des i-SGLT2, séparément, était associée à une réduction du risque de cirrhose (critère de jugement principal), de carcinome hépato-cellulaire, de cirrhose décompensée et de mortalité d’origine hépatique (critère de jugement secondaire), en comparaison à l’utilisation d’inhibiteurs de DPP-4 (i-DPP-4), chez des patients vivant avec un diabète de type 2 (DT2).

Les auteurs ont réalisé cette étude de cohorte à partir des données du UK Clinical Practice Research Datalink (CPRD), regroupant des données d’environ 60 millions de patients et liées aux bases de données hospitalières et nationales. Deux cohortes, avec 2 groupes comparateurs, ont été constituées. La première incluait les patients ayant débuté un traitement par AR-GLP1 ou i-DPP-4 entre le 1er janvier 2007 et le 31 mars 2020. La 2ème cohorte incluait les patients ayant débuté un traitement par i-SGLT2 ou i-DPP-4 entre le 1er janvier 2013 et le 31 mars 2020. Les critères d’inclusion dans les cohortes étaient un âge d’au moins 18 ans, un diagnostic de DT2 et au moins un an d’informations médicales dans la base de données. Les patients bénéficiant des 2 classes thérapeutiques étudiées ou qui avaient bénéficié d’une des classes thérapeutiques avant l’entrée dans l’étude ont été exclus, de même que les patients ayant une maladie hépatique préexistante à l’étude. Les patients ont été suivis de l’entrée dans la cohorte jusqu’à la survenue d’un événement d’intérêt, 6 mois après l’arrêt ou le changement de traitement, d’un décès, d’une sortie de la base de données ou la fin de l’étude, selon la condition survenant en premier. Les événements d’intérêts survenant dans les 6 premiers mois de l’étude ont été censurés. Les auteurs ont pris en compte plusieurs facteurs confondants potentiels tels que l’âge, le sexe, l’ethnie, l’indice de masse corporelle (IMC) et le statut tabagique. La sévérité du DT2 (via la mesure de l’HbA1c), la durée du diabète, les complications et la prise d’autres traitements anti diabétiques ou non ont été prises en compte, ainsi que la présence d’autres comorbidités fréquentes et le nombre d’hospitalisations dans l’année précédant l’entrée dans l’étude. Sur le plan statistique, le poids de chaque patient des groupes i-DPP-4 a été ajusté en fonction d’un score de propension, afin de rendre les groupes comparables, avec un objectif de différence standardisée < 0,10. Les auteurs ont utilisé la méthode de Kaplan-Meier pour calculer l’incidence cumulée de chaque événement et pour calculer le nombre de sujets à traiter après 5 et 10 ans de traitement. Enfin, ils ont utilisé des modèles de Cox pour estimer les Hazard Ratio (HR) pour chaque critère de jugement, comparant les classes thérapeutiques d’intérêt aux i-DPP-4. Pour les analyses secondaires, les auteurs ont voulu déterminer si l’association variait en fonction de la durée de traitement (< 1 an, 1 à 3 ans, > 3 ans), en fonction de la molécule utilisée au sein des deux classes thérapeutiques et en fonction de différentes caractéristiques clinico-biologiques telles que l’âge, le sexe, l’ethnie, l’IMC, la durée du DT2 ou l’HbA1c.

La 1ère cohorte incluait 25 516 utilisateurs d’AR-GLP1 et 186 752 utilisateurs d’i-DPP-4, avec un suivi médian de 1,5 (intervalle inter quartile [IQR] 0,6 – 3,3) et 1,7 (IQR 0,5 – 3,6) ans respectivement. Durant cette période, 707 cirrhoses ont été diagnostiquées, correspondant à un taux d’incidence de 1,4 (intervalle de confiance à 95% 1,3 – 1,5) pour 1 000 personnes-années (p-a). Avant le score de propension, les utilisateurs d’AR-GLP1 étaient plus jeunes, plus enclins à l’obésité, avaient une HbA1c plus élevée et plus de complications micro-vasculaires que les utilisateurs d’i-DPP-4. L’utilisation d’AR-GLP1 n’était pas associée à une modification du risque de cirrhose comparativement à l’utilisation d’i-DPP-4 avec un HR à 0,90 (IC 95% 0,68 – 1,19). Les analyses secondaires n’ont pas mis en évidence de différence en fonction de la durée d’utilisation, de la molécule ou des caractéristiques clinico-biologiques. Concernant le critère de jugement secondaire, 920 décompensations de cirrhose sont survenues (taux d’incidence 1,8 [1,7 – 1,9] pour 1000 p-a), ainsi que 184 carcinomes hépato-cellulaires (0,4 [0,3 – 0,4] pour 1000 p-a) et 158 décès d’origine hépatique (0,3 [0,3 – 0,4] pour 1000 p-a). Les HR pour le carcinome hépato-cellulaire (0,71, IC 95% 0,38 – 1,31) et la mortalité d’origine hépatique (0,49, IC 95% 0,23 – 1,06) étaient en dessous de 1 mais n’atteignait pas la significativité statistique.

La 2ème cohorte comprenait 33 161 utilisateurs d’i-SGLT2 et 124 431 utilisateurs d’i-DPP-4, avec un suivi médian de 1,1 (0,5 – 2,3) et 1,5 (0,5 – 3,1) ans respectivement, pendant lesquels sont survenues 414 cirrhoses, correspondant à un taux d’incidence de 1,4 (IC 95% 1,2 – 1,5) pour 1000 p-a. Les utilisateurs d’i-SGLT2 étaient plus jeunes, moins sujets à l’obésité, avaient une HbA1c plus haute, une durée de diabète plus courte et moins de complications micro- ou macrovasculaires. L’utilisation d’i-SGLT2 était associée à un plus faible risque de cirrhose, avec un HR à 0,64 (IC 95% 0,46 – 0,90). Le nombre de sujets à traiter pour éviter une cirrhose après 5 et 10 ans étaient de 376 et 163, respectivement. Concernant le critère de jugement secondaire, 521 décompensations de cirrhose ont été observées, 101 carcinomes hépato-cellulaires et 98 décès d’origine hépatique. L’utilisation d’i-SGLT2 était associée à un plus faible risque de décompensation de cirrhose : HR 0, 74 (IC 95% 0,54 – 1,00), tandis que les HR concernant les carcinomes hépato-cellulaires et les décès étaient également en dessous de 1 mais n’atteignaient pas la significativité statistique.

En résumé, dans cette étude de cohorte anglaise, l’utilisation d’AR-GLP1 n’était pas associée à une réduction du risque d’événements hépatiques sévères, contrairement à l’utilisation d’i-SGLT2 qui était associée à une réduction de 36% du risque de cirrhose et de 26% du risque de décompensation cirrhotique comparativement aux iDPP4. Ces résultats concernant les i-SGLT2 sont cohérents avec les résultats d’études observationnelles précédentes, et pourraient être expliqués par une réduction de l’accumulation de graisse intra-hépatique via la perte de poids et la diminution de l’inflammation, ou encore par une participation de l’effet diurétique qui pourrait notamment réduire les événements aigus tels que les décompensations cirrhotiques.

Les forces de cette étude sont la prise en compte de nombreux facteurs de confusion potentiels, l’utilisation d’un comparateur actif et la prise en compte des nouveaux utilisateurs de chaque classe thérapeutique uniquement, afin de limiter les biais ainsi que le design de l’étude, qui excluait notamment la survenue d’événements dans les premiers mois de l’étude. Les limites étaient les erreurs potentielles de classification des patients dans chaque groupe, du fait de la nature de la base de données qui n’est pas directement liée aux prescriptions des spécialistes ou de potentielles erreurs de classifications des événements hépatiques. Enfin, il n’est pas clair si les effets observés passent par une réduction du poids, une baisse de l’HbA1c ou par d’autres mécanismes, ou encore s’ils sont en lien avec une réduction de la graisse intra-hépatique.

En conclusion, dans cette large étude populationnelle anglaise, l’utilisation d’i-SGLT2 était associée à un risque plus faible de cirrhose et de décompensation cirrhotique comparativement à l’utilisation d’i-DPP-4, mais pas à un plus faible risque de carcinome hépato-cellulaire ou de décès d’origine hépatique, chez les patients vivant avec un DT2. Ces associations n’ont pas été retrouvées avec les AR-GLP1. D’autres études avec une durée de suivi plus longue restent cependant nécessaires afin de corroborer ces conclusions.

 

Références

[1] American Diabetes Association. 9. Pharmacologic approaches to glycemic treatment: Standards of Medical Care in Diabetes—2021. Diabetes Care 2021;44:S111–S124.
 
[2] Mantovani A, Petracca G, Beatrice G, et al. Glucagon-like peptide-1 receptor agonists for treatment of nonalcoholic fatty liver disease and nonalcoholic steatohepatitis: an updated meta-analysis of randomized controlled trials. Metabolites 2021;11:73.
 
[3] Mantovani A, Petracca G, Csermely A, et al. Sodium-glucose cotransporter-2 inhibitors for treatment of nonalcoholic fatty liver disease: a meta-analysis of randomized controlled trials. Metabolites 2020;11:22.
 
[4] Newsome PN, Ambery P. Incretins (GLP-1 receptor agonists and dual/triple agonists) and the liver. J Hepatol 2023;79:1557–1565.
 


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mardi 11 mars 2025

Dépistage de la fibrose avancée associée aux hépatopathies métaboliques en Diabétologie : résultats d’une étude prospective multicentrique

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Février 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Caussy C & al., Screening for Metabolic Dysfunction–Associated Steatotic Liver Disease Related Advanced Fibrosis in Diabetology: A Prospective Multicenter Study. Diabetes Care. 2025 Jan 31: dc 242075. doi : 10.2337/dc24-2075

 

Les hépatopathies métaboliques (ou, en anglais, MASLD pour Metabolic dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease) sont fortement prévalentes parmi les patients vivant avec un diabète de type 2 (DT2) et/ou une obésité [1]. En outre, dans cette population, le risque d’évolution vers des formes plus avancées de la pathologie (stéatohépatite [Metabolic dysfunction-Associated Steatohepatitis, MASH] ou fibrose avancée [Advanced Fibrosis, AF]) est plus important [2]. La présence d’une AF est très péjorative car associée à un risque accru de complications hépatiques et de mortalité toute cause [3]. Dans ce contexte, les recommandations actuelles plaident pour un dépistage systématique des formes avancées de fibrose dans ces populations. Ces recommandations proposent une stratégie en 2 temps, incluant le score Fibrosis-4 (FIB-4) comme premier test, suivi, si FIB-4 ≥ 1,30, d’une mesure de l'élasticité du foie (LSM [Liver Stiffness Measurement]) par élastographie impulsionnelle à vibration contrôlée (VCTE, plus connue sous le terme FibroScan®) ou de la réalisation du test ELF (Enhanced Liver Fibrosis). Néanmoins, la question de réaliser la LSM avant de référer à un hépatologue à tous les patients avec un FIB-4 ≥ 1,30 ou seulement à ceux ayant un FIB-4 entre 1,30 et 2,66 n’est pas tranchée. De plus, pour les patients de plus de 65 ans, certaines recommandations proposent un FIB-4 < 2,0 pour éliminer une AF [4]. Ces recommandations et l’évaluation des tests non invasifs (Non Invasive Test, NITs) sont issues d’études portant sur des patients ayant bénéficié d’une biopsie hépatique pour le diagnostic de MASLD, recrutés dans les services d’hépatologie, soit une population sélectionnée [5]. Il apparait donc crucial d’évaluer la performance diagnostique des NITs au sein des populations visées par ces recommandations. Enfin, peu d’études à ce jour ont comparé face-à-face les différentes stratégies en 2 étapes (FIB-4+VCTE ou FIB-4+ELF test) ou l’utilisation du seuil de FIB-4 adapté à l’âge dans le dépistage systématique de l’AF.

Ainsi, les principaux objectifs de cette étude étaient : 1) d’évaluer la faisabilité et la performance diagnostique des tests non invasifs disponibles pour le dépistage de l’AF dans une population à haut risque dans des services de Diabétologie et Nutrition, 2) de comparer la performance diagnostique des différents algorithmes en vigueur pour l’adressage auprès d’un hépatologue des patients à risque intermédiaire ou élevé d’AF.

Cette étude est une analyse intermédiaire pré-spécifiée des premiers participants recrutés de manière prospective dans 4 services universitaires français de Diabétologie et Nutrition (Lyon Sud, Lyon Est, Nantes et Dijon) entre Octobre 2020 et Novembre 2023 dans l’étude NAFLD-Care (Screening for NAFLD-related Advanced Fibrosis in high risk popuLation: optimization of the Diabetology/endoCrinology pAthway Referral using combinations of non-invasive biological and Elastography parameters). Ont été inclus des patients âgées de 40 à 80 ans, avec DT2 ou obésité (IMC ≥ 30 kg/m2), diagnostiqués pour une stéatose hépatique à l’échographie abdominale. Les principaux critères d’exclusion étaient les suivants : 1) autre cause évidente d’hépatopathie chronique, 2) consommation régulière et/ou excessive d’alcool (définie par > 30g/jour pour un homme et >20g par jour pour une femme) sur une période de plus de 2 ans dans les 10 dernières années, 3) cirrhose connue, 4) diabète de type 1, 5) IMC ≥ 40 kg/m2. Différents NITs sanguins pour évaluer la fibrose ont été réalisés pour chaque participant parmi lesquels score FIB-4, NAFLD fibrosis score, MAF-5 (tests de première ligne) et ELF test, Fibrotest, Fibromètre (tests de seconde ligne). Pour le score FIB-4, les seuils 1,30/2,67 ont été retenus pour déterminer la faible ou forte probabilité d’AF, respectivement. Le seuil de 2,0 a été utilisé pour les personnes de plus de 65 ans. Pour le ELF test, les seuils 7,7/9,8, recommandés par le fabricant, ou les seuils 9,8/11,3, récemment proposés dans la littérature, ont été retenus pour déterminer la faible ou forte probabilité d’AF, respectivement. Chaque participant a également bénéficié d’une LSM par VCTE, d’une élastographie ultrasonore impulsionnelle 2D en mode shear wave elastography (2D-SWE) et d’une évaluation par résonance magnétique (MRE) (uniquement pour certains participants). Des biopsies hépatiques ont été réalisées si indication après NITs selon un algorithme spécifié dans le protocole et commun à tous les centres. La stratification du risque d’AF (faible/intermédiaire/élevé) a été déterminée par un critère composite hiérarchisé selon les résultats de la biopsie hépatique, de l’élastographie par résonance magnétique et de la VCTE en fonction de la disponibilité de ces analyses. Autrement dit, était utilisée pour stratifier le risque de manière hiérarchique : 1) la biopsie hépatique (n=52), 2) la résonance magnétique, si biopsie non réalisée (n=86), 3) la VCTE, si les 2 premières techniques non disponibles (n=516). Le critère principal de jugement était la présence d’un risque élevé d’AF selon la stratification du risque pour l’évaluation de la performance diagnostique des NITs. Le critère secondaire de jugement était le recours à l’hépatologue définie par la présence d’un risque intermédiaire ou élevé d’AF selon la stratification hiérarchique du risque.

Au total, 654 adultes avec MASLD ont été inclus dans l’étude parmi lesquels 87,2% avaient un DT2 et 73,7% avaient une obésité de grade I/II. Les principales caractéristiques étaient les suivantes : 56% d’hommes, âge médian 60 ans (IQR 52-67), IMC médian 32,7 kg/m2 (IQR 29,8-35,6), enzymes hépatiques normales dans 50,8% des cas. Après stratification du risque d’AF, 17,6% (n=115) présentaient un risque intermédiaire ou élevé - 9,3% (n=61) un risque élevé - et 82,4% (n=539) un faible risque. Les participants à haut risque d’AF étaient significativement plus âgés, avec une prévalence plus élevée de DT2 comparativement à ceux à faible risque (98,4% vs 85,3%, respectivement). L’IMC n’était pas significativement associé à un risque élevé. L’aire sous la courbe ROC (AUROC) pour chacun des NITs pour la détection d’un risque élevé d’AF était la suivante : 0,78 (IC95% 0,72‐0,84) pour le score FIB-4 ; 0,82 (0,76-0,87) pour le ELF test ; 0,74 (0,66-0,83) pour le Fibromètre ; 0,78 (0,72‐0,85) pour le Fibrotest ; et 0,84 (0,78-0,89) pour le 2D-SWE. Ainsi, parmi les tests sanguins de première ligne, le FIB-4 était celui qui présentait la meilleure AUROC. Au seuil < 1,30, le FIB-4 écartait le risque d’AF chez 54,1% des participants, avec une valeur prédictive négative (VPN) élevée de 97,2% et peu de faux négatifs (2,5%). À la valeur ≥ 2,67, le FIB-4 avait une valeur prédictive positive (VPP) de 35,7%. Parmi les tests sanguins de seconde ligne, le test ELF était celui qui présentait la meilleure AUROC pour la détection du risque élevé d’AF. Le test ELF au seuil bas recommandé de 7,7 excluait la présence d’AF chez seulement 1,8% des participants. En revanche, en utilisant des seuils alternatifs de 9,8, le test ELF excluait le risque d’AF chez 74,9% des participants avec une VPN de 95,6%. Les algorithmes avec score FIB-4/VCTE montraient de bonnes performances diagnostiques pour l’adressage vers les hépatologues des patients à risque intermédiaire/élevé (VPN 81%, VPP 75%) sans différence selon si VCTE pour tout FIB-4 ≥ 1,30 ou seulement si FIB-4 entre 1,30 et 2,66. La stratégie score FIB-4/ELF test montrait une VPN élevée (88 à 89%) mais une VPP plus faible (39 à 46%) au seuil de 9,8. La stratégie score FIB-4/2D-SWE avait une VPN de 91% et une VPP de 58 à 62%. Enfin, le seuil de score FIB-4 adapté à l’âge conduisait à une VPN et une VPP plus faibles pour tous les algorithmes.

Dans cette étude multicentrique prospective, menée dans des services de Diabétologie et Nutrition, le dépistage systématique de l’AF chez des patients avec DT2 et/ou obésité de grade I/II a identifié 9,3% des participants à risque élevé d’AF et 17,6% à risque intermédiaire/élevé nécessitant le recours à un avis spécialisé en hépatologie. La stratégie de dépistage recommandée utilisant score FIB-4 puis VCTE a montré une bonne performance diagnostique. Par ailleurs, cette étude montre que le seuil adapté à l’âge pour le score FIB-4 (seuil de 2,0 contre 1,30 chez les sujets > 65 ans) ne semble pas nécessaire, diminuant la VPN et la VPP pour chacune des stratégies évaluées. La proportion de patient à risque élevé d’AF est ici plus faible que celle rapportée dans des cohortes sélectionnées sur biopsie (prévalence de 40 à 46%) mais en accord avec des résultats publiés sur la base de l’utilisation de la résonance magnétique [6–8]. Ceci souligne que les cohortes avec biopsie issues des centres d’hépatologie ne sont pas appropriées pour l’évaluation des stratégies de dépistage du fait d’un enrichissement en AF. Les forces de cette étude sont : 1) une large population, 2) le caractère prospectif, 3) des conditions similaires de réalisation des différents tests pour chaque participant, 4) le critère composite hiérarchisé pour stratifier le risque d’AF. Néanmoins, la réalisation de cette étude dans des centres universitaires limitent la généralisation des résultats.

Cette étude démontre que l’algorithme en 2 temps associant score FIB-4 et VCTE présente une excellente performance diagnostique, témoignant de son applicabilité dans le dépistage en routine des AF en Diabétologie. Le test ELF peut être une alternative à la VCTE, en utilisant un seuil bas à 9,8. La communauté diabétologique doit désormais intégrer, de manière systématique, le dépistage des formes avancées de MASLD dans la prise en charge des patients vivant avec un DT2, à l’instar des autres complications chroniques du diabète.

 

Références

[1] Younossi, Z.M. & al. The Global Epidemiology of Nonalcoholic Fatty Liver Disease and Nonalcoholic Steatohepatitis Among Patients With Type 2 Diabetes. Clin Gastroenterol Hepatol 2024, 22, 1999-2010.e8.
 
[2] Qi, X. & al. Epidemiology, Screening, and Co-Management of Type 2 Diabetes Mellitus and Metabolic Dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease. Hepatology 2024.
 
[3] Simon, T.G. & al. Mortality in Biopsy-Confirmed Nonalcoholic Fatty Liver Disease: Results from a Nationwide Cohort. Gut 2021, 70, 1375–1382.
 
[4] European Association for the Study of the Liver (EASL); European Association for the Study of Diabetes (EASD); European Association for the Study of Obesity (EASO) EASL-EASD-EASO Clinical Practice Guidelines on the Management of Metabolic Dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease (MASLD). J Hepatol 2024, 81, 492–542.
 
[5] Sanyal, A.J. & al. Diagnostic Performance of Circulating Biomarkers for Non-Alcoholic Steatohepatitis. Nat Med 2023, 29, 2656–2664.
 
[6] Pennisi, G. & al. Noninvasive Assessment of Liver Disease Severity in Patients with Nonalcoholic Fatty Liver Disease (NAFLD) and Type 2 Diabetes. Hepatology 2023, 78, 195–211.
 
[7] Castera, L. & al. High Prevalence of NASH and Advanced Fibrosis in Type 2 Diabetes: A Prospective Study of 330 Outpatients Undergoing Liver Biopsies for Elevated ALT, Using a Low Threshold. Diabetes Care 2023, 46, 1354–1362.
 
[8] Ajmera, V. & al. Validation of AGA Clinical Care Pathway and AASLD Practice Guidance for Nonalcoholic Fatty Liver Disease in a Prospective Cohort of Patients with Type 2 Diabetes. Hepatology 2024, 79, 1098–1106.
 


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lundi 10 février 2025

Effet du fénofibrate sur la fonction résiduelle des cellules béta chez les adultes et les adolescents vivant avec un diabète de type 1 nouvellement diagnostiqué : un essai clinique randomisé

Auteur : 
Florian Mourre
Date Publication : 
Janvier 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Pernille E. Hostrup et al, Effect of fenofibrate on residual beta cell function in adults and adolescents with newly diagnosed type 1 diabetes: a randomised clinical trial, Diabetologia. 2025 Jan;68(1):29-40. doi : 10.1007/s00125-024-06290-6

 

Depuis quelques années, plusieurs essais cliniques se sont intéressés à la capacité de certaines molécules à préserver la fonction résiduelle des cellules β des ilôts de Langherans dans le diabète de type 1 (DT1) débutant, afin de retarder ou de limiter le recours à l’insulinothérapie. Des altérations du métabolisme des sphingolipides, dont la diminution du glycosphingolipide sulfatide, ont été proposées comme facteur contribuant à la physiopathologie du DT1 [1], à partir d’études montrant une diminution de la concentration de ce sulfatide dans des biopsies pancréatiques de personnes nouvellement diagnostiquées avec un DT1. Les sulfatides interagissent avec le canal potassique ATP-dépendant au niveau de la membrane de la cellule β et agissent comme molécules chaperonnes lors de la fabrication de l’insuline. Ils pourraient intervenir dans la diminution de la sécrétion d’insuline lors de l’hyperglycémie pour contrer le stress cellulaire [2,3,4]. Les agonistes de PPARα (Peroxysome Proliferator-Activated Receptor), dont le fénofibrate, régulent le métabolisme des lipides, et il a été récemment observé que le fénofibrate prévenait l’apparition d’un diabète auto-immun et pouvait faire disparaitre ce diabète dans 50% des cas après le début de la maladie chez des souris. Les auteurs ont donc étudié la sécurité et l’efficacité du fénofibrate à la dose de 160 mg dans cet essai clinique.

Il s’agissait d’une étude de phase II, randomisée, contre placebo, en double aveugle, réalisée dans le centre du diabète de Copenhague. Les patients ont été inclus jusqu’à 6 semaines après le diagnostic de DT1 et ont reçu le traitement pendant 52 semaines, avec des contrôles à 4, 12 et 26 semaines, ainsi qu’à la fin de l’étude. Les participants devaient avoir entre 16 et 40 ans, diagnostiqués avec un DT1 en phase 3 et devaient avoir la capacité d’être randomisés dans les 6 semaines suivant la première injection d’insuline. Les autres critères d’inclusion étaient la présence d’au moins un auto-anticorps du DT1, une absence de contre-indication au fénofibrate et un peptide-C > 0,2 nmol/L 2h après un repas test. Les visites de suivi étaient faites après une nuit de jeûne, avec une injection d’insuline lente la veille au soir, sans insuline rapide dans les 2h précédant la visite. Un repas test liquide était servi à chaque visite pour évaluer la réponse β-cellulaire, et les prélèvements sanguins étaient réalisés à 0, 15, 30, 60, 90 et 120 mn. La glycémie était évaluée à l’aide d’un capteur de glucose en continu (CGM). Le critère de jugement principal était le changement dans la sécrétion endogène d’insuline (évaluée grâce à l’aire sous la courbe [AUC, area under curve] des valeurs de peptide-C suivant le repas test). Les critères de jugement secondaires étaient la différence sur le pic de peptide-C, l’hémoglobine glyquée, les variations glycémiques mesurées avec le CGM, la dose d’insuline quotidienne, la proportion de patients en rémission à 52 semaines et le stress β-cellulaire, mesuré par le rapport proinsuline/peptide-C. Concernant les méthodes statistiques, les auteurs ont utilisé un modèle mixte pour mesures répétées avec le sexe, le temps et le groupe comme effet fixe, le participant comme effet aléatoire et l’âge à l’inclusion, le temps entre la découverte du DT1 et la randomisation et le peptide-C comme covariables. La même méthodologie a été utilisée pour les objectifs secondaires, et des régressions logistiques ont été réalisées en cas de variables d’intérêt binaires.

Cinquante-huit individus ont été enrôlés dans l’étude dont 29 dans chaque groupe. Parmi eux, un participant a changé d’avis et un autre avait un peptide-C trop faible, tous deux dans le groupe fénofibrate, qui compte donc 27 participants au total. À l’inclusion, les groupes différaient notamment sur la concentration de peptide-C à 2h post-prandial : 0,65 ± 0,31 nmol/L dans le groupe placebo contre 0,50 ± 0,20 nmol/L dans le groupe fénofibrate, et sur la proportion d’acido-cétose au diagnostic (3,4% vs 37%, respectivement). Cinquante participants sont allés au bout des 52 semaines d’essai, dont 27 (93%) dans le groupe placebo et 23 (85%) dans le groupe fénofibrate. Concernant le critère de jugement principal, la différence moyenne dans l’AUC du peptide-C post prandial était de 0,01 ± 0,26 nmol/L dans le groupe fénofibrate et – 0,07 ± 0,23 nmol/L dans le groupe placebo, conduisant à une différence non significative entre les deux groupes (p = 0,23). Dix-neuf participants (11 du groupe fénofibrate et 8 du groupe placebo) ont eu une visite additionnelle un an après la fin de l’étude, qui ne retrouvait pas non plus de différence significative sur la fonction β-cellulaire, avec une différence moyenne de 0,3 nmol/L (IC 95% -0,17, 1,05 nmol/L).

Concernant les critères de jugement secondaires, le pic de peptide-C suivant le repas test était similaire dans les 2 groupes, avec une augmentation initiale jusqu’à 12 semaines, puis une diminution jusqu’à la valeur de base à 52 semaines, sans différence entre les groupes (différence moyenne à 52 semaines à 0,04 nmol/L, IC 95% -0,13 à 0,2). L’hémoglobine glyquée et les temps passés dans la cible glycémique étaient similaires entre les deux groupes, passant de 10,8 ± 1,6% à 6,9 ± 0,6% dans le groupe fénofibrate et de 10,5 ± 1,9% à 6,7 ± 0,8% dans le groupe placebo. Les doses d’insuline étaient également comparables à 52 semaines, avec une différence moyenne de 0,03 UI/kg/j (IC 95% -0,06 à 0,12). Le ratio proinsuline/peptide-C augmentait de façon similaire dans les deux groupes sur les 6 premiers mois, puis diminuait dans le groupe placebo à 52 semaines, tandis qu’il continuait à augmenter dans le groupe fénofibrate, témoignant d’un plus grand stress des cellules β dans le groupe fénofibrate, avec une différence de 0,026 (IC 95% 0 à 0,048, p < 0,05). Enfin, le fénofibrate 160 mg était bien toléré, sans arrêt prématuré de l’étude ni effet indésirable sérieux, de même que dans le groupe placebo, avec un nombre d’événement indésirable total comparable dans les deux groupes (28 vs 24, respectivement).

Les auteurs ont également réalisé des analyses in vitro sur des biopsies pancréatiques de donneurs sans diabète. Ils retrouvaient que le fénofibrate seul n’avait pas d’effet sur la sécrétion d’insuline, et que les cellules exposées à un environnement pro-inflammatoire par des cytokines sécrétaient plus d’insuline, effet qui était diminué par l’adjonction de fénofibrate. Concernant la mort cellulaire, le fénofibrate seul n’avait pas d’effet sur celle-ci, et augmentait la mort cellulaire induite par les cytokines lors de l’exposition à de hautes concentrations de glucose (20 mmol/L), mais pas à des faibles concentrations (2 mmol/L).

Pour résumer, les auteurs n’ont pas retrouvé d’effet bénéfique du fénofibrate sur la fonction β-cellulaire, sur le contrôle glycémique ou sur les doses d’insuline injectées, contrairement à ce qui avait été retrouvé précédemment sur des études animales. Les forces de cette étude étaient i) l’inclusion d’adolescents et d’adultes, qui représentent la forme la plus fréquente de DT1, et dont la phase de rémission a tendance à être plus longue que chez les enfants, permettant potentiellement de mieux mettre en évidence la préservation de la fonction β-cellulaire induite par un traitement, ii) l’inclusion très rapide après la découverte du DT1, de 42 jours maximum, pour maximiser la quantité de cellules β encore fonctionnelles. Les limites étaient la présence d’une longue durée de rémission du DT1 dans cet échantillon, avec 56% du groupe placebo encore en rémission partielle à 52 semaines, pouvant masquer des effets faibles induits par le fénofibrate, ainsi que le faible nombre de patients inclus dans l’étude, pouvant induire un manque de puissance statistique pour retrouver des effets faibles induits par le traitement, de même que les 14% de patients perdus de vue au total.

En conclusion, dans cet essai contrôlé versus placebo, en double aveugle chez des adultes et adolescents récemment diagnostiqués d’un DT1, les auteurs ne retrouvent pas d’effet en faveur d’une préservation de la fonction β-cellulaire de la part du fénofibrate, comme cela avait été rapporté chez des souris.

 

Références

[1] Gurgul-Convey E (2020) Sphingolipids in type 1 diabetes: focus on beta-cells. Cells 9(8):1835.
 
[2] Buschard K, Blomqvist M, Mansson JE, Fredman P, Juhl K, Gromada J (2006) C16:0 sulfatide inhibits insulin secretion in rat beta-cells by reducing the sensitivity of KATP channels to ATP inhibition. Diabetes 55(10):2826–2834.
 
[3] Buschard K, Bracey AW, McElroy DL et al (2016) Sulfatide preserves insulin crystals not by being integrated in the lattice but by stabilizing their surface. J Diabetes Res 2016:6179635.
 
[4] Marhfour I, Lopez XM, Lefkaditis D et al (2012) Expression of endoplasmic reticulum stress markers in the islets of patients with type 1 diabetes. Diabetologia 55(9):2417–2420.
 


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lundi 13 janvier 2025

Contribution des infections à la mortalité chez les personnes vivant avec un diabète de type 2 : étude de cohorte populationnelle utilisant des dossiers médicaux électroniques

Auteur : 
Ninon Foussard
Date Publication : 
Décembre 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Carey et al. Contribution of infection to mortality in people with type 2 diabetes: a population-based cohort study using electronic records. Lancet Reg Health Eur. 2024 Nov 27:48:101147. doi : 10.1016/j.lanepe.2024.101147

 

S’il est connu que les personnes vivant avec un diabète de type 2 (DT2) sont plus sensibles aux infections [1], la part réelle de la mortalité liée aux infections est probablement sous-estimée par les études [2]. En effet, ces études reposent sur des systèmes de codage CIM-10. Or, ces codages sont principalement structurés autour de maladies de système [3], et qui se concentrent sur la cause sous-jacente du décès en mettant l’accent sur les maladies chroniques [4]. En outre, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence que la mortalité par infection était plus élevée chez les personnes vivant avec un diabète [5].

Ainsi, l’objectif de cette étude de cohorte était d’examiner les causes spécifiques de mortalité chez les personnes vivant avec un DT2 en comparaison à la population générale au cours de la période 2015-2019, en se concentrant sur les infections.

Les auteurs ont utilisé une base de données de soins primaires en Angleterre liée aux données nationales de certification des décès : le CPRD (Clinical Practice Research Datalink) qui fournit un dossier médical longitudinal pseudo-anonymisé pour tous les patients enregistrés (plus de 99% de la population britannique). Tous les patients âgés de 18 à 90 ans ayant un codage pour le diabète, actifs dans le CPRD au 1er janvier 2015 et enregistrés depuis au moins un an, ont été classés dans les catégories diabète de type 1, DT2 ou inconnu, sur la base de leurs codes de diagnostic et de leurs médicaments antidiabétiques. Un groupe témoin sans diabète connu a été apparié au hasard en fonction de l'âge, du sexe et de l'origine ethnique, avec un maximum de deux personnes sans diabète sélectionnées pour chaque personne vivant avec un DT2. La cause du décès au cours de la période 2015-2019 a été déterminée à partir du code de la cause sous-jacente (CIM-10) dans les données de mortalité de l'OMS : cancer, maladies cardiovasculaires, démence, diabète, maladies digestives, infections et maladies respiratoires, ou autre cause. Pour classer les décès de causes infectieuses, une liste développée pour identifier les admissions hospitalières liées à une infection a été utilisée. Une analyse de sous-groupe par type d'infection a ensuite été effectuée. Les rapports de risque (HR) pour la mortalité toutes causes confondues et par cause au cours de la période 2015-2019 ont comparé les personnes vivant avec un DT2 aux personnes non diabétiques, et ont été estimés à l'aide de modèles de Cox ajustés en fonction de la région de pratique (9 au total). Pour l’analyse de la mortalité, seules les données des personnes vivant avec un DT2 âgées de 41 ans et plus ont été sélectionnées.

Pour l'analyse principale, 509 403 personnes vivant avec un DT2 et âgées de 41 à 90 ans ont été appariées à 976 431 personnes non diabétiques. Parmi les personnes vivant avec un DT2, 56% étaient des hommes, l'âge moyen était de 67,3 ans (écart-type = 11,9 ans) et 34% d’entre elles avaient été diagnostiquées de leur diabète au cours des 5 dernières années. Elles étaient plus susceptibles d'avoir un Indice de Masse Corporelle (IMC) ≥ 30 kg/m² (50% contre 22%) et de vivre dans le quintile le plus défavorisé (23% contre 16%) que les personnes vivant sans diabète. Seize pourcents, soit 85 367/509 403 personnes vivant avec un DT2, sont décédées au cours de la période 2015-2019, contre 106 824/976 431 (10,9%) personnes non diabétiques du même sexe, du même âge et de la même origine ethnique (HR = 1,65, IC 95% 1,64-1,66). Dans les groupes d'âge de 10 ans, le HR variait de HR = 2,95 (IC à 95% 2,75-3,17) pour les 41-50 ans à HR = 1,39 (IC à 95% 1,38-1,41) pour les 81-90 ans. Dans ces différents groupes d'âge, les différences absolues dans le taux de mortalité entre les personnes vivant avec un DT2 et les personnes sans diabète étaient assez similaires pour les hommes et les femmes (13,1 contre 13,9 pour 1000 personnes-années). L'ensemble des infections (11 128/85 367 = 13,0%) représentait la troisième cause sous-jacente de décès chez les personnes vivant avec un DT2, après les maladies cardiovasculaires et le cancer, et 12% des causes de décès chez les non diabétiques ; une contribution beaucoup plus élevée que si l'on ne comptait que les codages d'infections spécifiques (respectivement 1 046/85 367 = 1,2% et 1%). Le HR pour la mortalité due à l’ensemble des infections, pour les personnes vivant avec un DT2 par rapport aux personnes vivant sans diabète (1,82, IC à 95% 1,78-1,86) était plus élevé que le HR estimé pour l'ensemble des causes (HR = 1,65, IC à 95% 1,64-1,66). Une analyse de sensibilité ne prenant en compte que les décès par infection des chapitres A00-B99 (catégorie « certaines maladies infectieuses et parasitaires ») de la CIM-10 a estimé que le taux brut de mortalité était environ deux fois plus élevé chez les personnes vivant avec un DT2 que chez les patients sans diabète (0,45 contre 0,22 pour 1 000 personnes-années), avec un HR estimé = 2,09 (IC à 95% : 1,95-2,25). Parmi les groupes d'âge plus jeunes, les HR étaient élevés pour toutes les causes infectieuses (HR = 3,65 pour les 41-60 ans, HR= 2,38 pour les 61-75 ans) et les HR pour la mortalité par infection était constant dans tous les groupes ethniques (HR compris entre 1,71 et 1,82). Enfin, les associations de mortalité ont été étudiées en fonction du type d'infection enregistré comme cause sous-jacente de décès au cours de la période 2015-2019 : le HR le plus élevé a été observé pour les infections ostéo-articulaires (HR = 3,95, IC à 95% 3,08-5,05). La différence la plus importante dans les taux de mortalité entre les personnes vivant avec un DT2 et les non-diabétiques a été observée pour les infections des voies respiratoires inférieures, en particulier la pneumonie.

Cette étude a donc utilisé de grandes bases de données électroniques sur la santé de la population anglaise pour mettre en évidence un risque plus élevé de décès dû à des infections chez les personnes vivant avec un DT2 versus ceux n’ayant pas de diabète, au cours d'une période de 5 ans précédant de peu la pandémie de COVID-19. Les infections ont été estimées comme étant le troisième facteur de mortalité (après les maladies cardiovasculaires et les cancers) au cours de la période 2015-2019, représentant environ 13% des décès par une évaluation « complète », contre seulement 1,2% lorsque les catégories standards de la CIM-10 sont utilisées. Le taux de mortalité lié aux infections était environ 2 fois plus élevé que chez les personnes sans diabète et même 4 fois plus sur la tranche d’âge 41-60 ans. Le principal point fort de l’étude était la taille importante de l'échantillon (un demi-million de personnes vivant avec un DT2). L'une des limites a été de n'inclure dans la cohorte que des personnes âgées de 41 à 90 ans au début de la période de suivi, en 2015. L'exclusion des 40 ans et moins est négligeable en termes de mortalité à 5 ans, mais la non inclusion des personnes les plus âgées participe à sous-estimer le poids de la démence en tant que cause de décès. Une autre limite était que les patients désinscrits de leur cabinet de médecine générale et décédés au cours de la période 2015-2019 hors d’Angleterre n’ont pu être pris en compte.

En conclusion, les infections sont une cause fréquente de décès chez les personnes vivant avec un DT2, et l'excès de risque relatif est similaire à celui associé aux décès d'origine vasculaire chez ces personnes (x2). Cette étude souligne l'importance des infections dans l'évaluation de l'augmentation du risque absolu de mortalité en cas de DT2 et l'importance de la sensibilisation, d'un diagnostic plus précoce et du traitement des infections pour prévenir les décès prématurés.

 

Références

[1] Holt R.I.G., Cockram C.S., Ma R.C.W., Luk A.O.Y. Diabetes and infection: review of the epidemiology, mechanisms and principles of treatment. Diabetologia. 2024;67(7):1168–1180.
 
[2] McPherson D., Griffiths C., Williams M., et al. Sepsis-associated mortality in England: an analysis of multiple cause of death data from 2001 to 2010. BMJ Open. 2013;3(8).
 
[3] World Health Organization . 2nd ed. World Health Organization; Geneva: 2004. ICD-10 : international statistical classification of diseases and related health problems: tenth revision.
 
[4] Govindan S., Shapiro L., Langa K.M., Iwashyna T.J. Death certificates underestimate infections as proximal causes of death in the US. PLoS One. 2014;9(5).
 
[5] Khunti K., Valabhji J., Misra S. Diabetes and the COVID-19 pandemic. Diabetologia. 2023;66(2):255–266.
 


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