mardi 11 mars 2025

Dépistage de la fibrose avancée associée aux hépatopathies métaboliques en Diabétologie : résultats d’une étude prospective multicentrique

Auteur : 
Blandine Tramunt
Date Publication : 
Février 2025
 
Article du mois en accès libre
 
Caussy C & al., Screening for Metabolic Dysfunction–Associated Steatotic Liver Disease Related Advanced Fibrosis in Diabetology: A Prospective Multicenter Study. Diabetes Care. 2025 Jan 31: dc 242075. doi : 10.2337/dc24-2075

 

Les hépatopathies métaboliques (ou, en anglais, MASLD pour Metabolic dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease) sont fortement prévalentes parmi les patients vivant avec un diabète de type 2 (DT2) et/ou une obésité [1]. En outre, dans cette population, le risque d’évolution vers des formes plus avancées de la pathologie (stéatohépatite [Metabolic dysfunction-Associated Steatohepatitis, MASH] ou fibrose avancée [Advanced Fibrosis, AF]) est plus important [2]. La présence d’une AF est très péjorative car associée à un risque accru de complications hépatiques et de mortalité toute cause [3]. Dans ce contexte, les recommandations actuelles plaident pour un dépistage systématique des formes avancées de fibrose dans ces populations. Ces recommandations proposent une stratégie en 2 temps, incluant le score Fibrosis-4 (FIB-4) comme premier test, suivi, si FIB-4 ≥ 1,30, d’une mesure de l'élasticité du foie (LSM [Liver Stiffness Measurement]) par élastographie impulsionnelle à vibration contrôlée (VCTE, plus connue sous le terme FibroScan®) ou de la réalisation du test ELF (Enhanced Liver Fibrosis). Néanmoins, la question de réaliser la LSM avant de référer à un hépatologue à tous les patients avec un FIB-4 ≥ 1,30 ou seulement à ceux ayant un FIB-4 entre 1,30 et 2,66 n’est pas tranchée. De plus, pour les patients de plus de 65 ans, certaines recommandations proposent un FIB-4 < 2,0 pour éliminer une AF [4]. Ces recommandations et l’évaluation des tests non invasifs (Non Invasive Test, NITs) sont issues d’études portant sur des patients ayant bénéficié d’une biopsie hépatique pour le diagnostic de MASLD, recrutés dans les services d’hépatologie, soit une population sélectionnée [5]. Il apparait donc crucial d’évaluer la performance diagnostique des NITs au sein des populations visées par ces recommandations. Enfin, peu d’études à ce jour ont comparé face-à-face les différentes stratégies en 2 étapes (FIB-4+VCTE ou FIB-4+ELF test) ou l’utilisation du seuil de FIB-4 adapté à l’âge dans le dépistage systématique de l’AF.

Ainsi, les principaux objectifs de cette étude étaient : 1) d’évaluer la faisabilité et la performance diagnostique des tests non invasifs disponibles pour le dépistage de l’AF dans une population à haut risque dans des services de Diabétologie et Nutrition, 2) de comparer la performance diagnostique des différents algorithmes en vigueur pour l’adressage auprès d’un hépatologue des patients à risque intermédiaire ou élevé d’AF.

Cette étude est une analyse intermédiaire pré-spécifiée des premiers participants recrutés de manière prospective dans 4 services universitaires français de Diabétologie et Nutrition (Lyon Sud, Lyon Est, Nantes et Dijon) entre Octobre 2020 et Novembre 2023 dans l’étude NAFLD-Care (Screening for NAFLD-related Advanced Fibrosis in high risk popuLation: optimization of the Diabetology/endoCrinology pAthway Referral using combinations of non-invasive biological and Elastography parameters). Ont été inclus des patients âgées de 40 à 80 ans, avec DT2 ou obésité (IMC ≥ 30 kg/m2), diagnostiqués pour une stéatose hépatique à l’échographie abdominale. Les principaux critères d’exclusion étaient les suivants : 1) autre cause évidente d’hépatopathie chronique, 2) consommation régulière et/ou excessive d’alcool (définie par > 30g/jour pour un homme et >20g par jour pour une femme) sur une période de plus de 2 ans dans les 10 dernières années, 3) cirrhose connue, 4) diabète de type 1, 5) IMC ≥ 40 kg/m2. Différents NITs sanguins pour évaluer la fibrose ont été réalisés pour chaque participant parmi lesquels score FIB-4, NAFLD fibrosis score, MAF-5 (tests de première ligne) et ELF test, Fibrotest, Fibromètre (tests de seconde ligne). Pour le score FIB-4, les seuils 1,30/2,67 ont été retenus pour déterminer la faible ou forte probabilité d’AF, respectivement. Le seuil de 2,0 a été utilisé pour les personnes de plus de 65 ans. Pour le ELF test, les seuils 7,7/9,8, recommandés par le fabricant, ou les seuils 9,8/11,3, récemment proposés dans la littérature, ont été retenus pour déterminer la faible ou forte probabilité d’AF, respectivement. Chaque participant a également bénéficié d’une LSM par VCTE, d’une élastographie ultrasonore impulsionnelle 2D en mode shear wave elastography (2D-SWE) et d’une évaluation par résonance magnétique (MRE) (uniquement pour certains participants). Des biopsies hépatiques ont été réalisées si indication après NITs selon un algorithme spécifié dans le protocole et commun à tous les centres. La stratification du risque d’AF (faible/intermédiaire/élevé) a été déterminée par un critère composite hiérarchisé selon les résultats de la biopsie hépatique, de l’élastographie par résonance magnétique et de la VCTE en fonction de la disponibilité de ces analyses. Autrement dit, était utilisée pour stratifier le risque de manière hiérarchique : 1) la biopsie hépatique (n=52), 2) la résonance magnétique, si biopsie non réalisée (n=86), 3) la VCTE, si les 2 premières techniques non disponibles (n=516). Le critère principal de jugement était la présence d’un risque élevé d’AF selon la stratification du risque pour l’évaluation de la performance diagnostique des NITs. Le critère secondaire de jugement était le recours à l’hépatologue définie par la présence d’un risque intermédiaire ou élevé d’AF selon la stratification hiérarchique du risque.

Au total, 654 adultes avec MASLD ont été inclus dans l’étude parmi lesquels 87,2% avaient un DT2 et 73,7% avaient une obésité de grade I/II. Les principales caractéristiques étaient les suivantes : 56% d’hommes, âge médian 60 ans (IQR 52-67), IMC médian 32,7 kg/m2 (IQR 29,8-35,6), enzymes hépatiques normales dans 50,8% des cas. Après stratification du risque d’AF, 17,6% (n=115) présentaient un risque intermédiaire ou élevé - 9,3% (n=61) un risque élevé - et 82,4% (n=539) un faible risque. Les participants à haut risque d’AF étaient significativement plus âgés, avec une prévalence plus élevée de DT2 comparativement à ceux à faible risque (98,4% vs 85,3%, respectivement). L’IMC n’était pas significativement associé à un risque élevé. L’aire sous la courbe ROC (AUROC) pour chacun des NITs pour la détection d’un risque élevé d’AF était la suivante : 0,78 (IC95% 0,72‐0,84) pour le score FIB-4 ; 0,82 (0,76-0,87) pour le ELF test ; 0,74 (0,66-0,83) pour le Fibromètre ; 0,78 (0,72‐0,85) pour le Fibrotest ; et 0,84 (0,78-0,89) pour le 2D-SWE. Ainsi, parmi les tests sanguins de première ligne, le FIB-4 était celui qui présentait la meilleure AUROC. Au seuil < 1,30, le FIB-4 écartait le risque d’AF chez 54,1% des participants, avec une valeur prédictive négative (VPN) élevée de 97,2% et peu de faux négatifs (2,5%). À la valeur ≥ 2,67, le FIB-4 avait une valeur prédictive positive (VPP) de 35,7%. Parmi les tests sanguins de seconde ligne, le test ELF était celui qui présentait la meilleure AUROC pour la détection du risque élevé d’AF. Le test ELF au seuil bas recommandé de 7,7 excluait la présence d’AF chez seulement 1,8% des participants. En revanche, en utilisant des seuils alternatifs de 9,8, le test ELF excluait le risque d’AF chez 74,9% des participants avec une VPN de 95,6%. Les algorithmes avec score FIB-4/VCTE montraient de bonnes performances diagnostiques pour l’adressage vers les hépatologues des patients à risque intermédiaire/élevé (VPN 81%, VPP 75%) sans différence selon si VCTE pour tout FIB-4 ≥ 1,30 ou seulement si FIB-4 entre 1,30 et 2,66. La stratégie score FIB-4/ELF test montrait une VPN élevée (88 à 89%) mais une VPP plus faible (39 à 46%) au seuil de 9,8. La stratégie score FIB-4/2D-SWE avait une VPN de 91% et une VPP de 58 à 62%. Enfin, le seuil de score FIB-4 adapté à l’âge conduisait à une VPN et une VPP plus faibles pour tous les algorithmes.

Dans cette étude multicentrique prospective, menée dans des services de Diabétologie et Nutrition, le dépistage systématique de l’AF chez des patients avec DT2 et/ou obésité de grade I/II a identifié 9,3% des participants à risque élevé d’AF et 17,6% à risque intermédiaire/élevé nécessitant le recours à un avis spécialisé en hépatologie. La stratégie de dépistage recommandée utilisant score FIB-4 puis VCTE a montré une bonne performance diagnostique. Par ailleurs, cette étude montre que le seuil adapté à l’âge pour le score FIB-4 (seuil de 2,0 contre 1,30 chez les sujets > 65 ans) ne semble pas nécessaire, diminuant la VPN et la VPP pour chacune des stratégies évaluées. La proportion de patient à risque élevé d’AF est ici plus faible que celle rapportée dans des cohortes sélectionnées sur biopsie (prévalence de 40 à 46%) mais en accord avec des résultats publiés sur la base de l’utilisation de la résonance magnétique [6–8]. Ceci souligne que les cohortes avec biopsie issues des centres d’hépatologie ne sont pas appropriées pour l’évaluation des stratégies de dépistage du fait d’un enrichissement en AF. Les forces de cette étude sont : 1) une large population, 2) le caractère prospectif, 3) des conditions similaires de réalisation des différents tests pour chaque participant, 4) le critère composite hiérarchisé pour stratifier le risque d’AF. Néanmoins, la réalisation de cette étude dans des centres universitaires limitent la généralisation des résultats.

Cette étude démontre que l’algorithme en 2 temps associant score FIB-4 et VCTE présente une excellente performance diagnostique, témoignant de son applicabilité dans le dépistage en routine des AF en Diabétologie. Le test ELF peut être une alternative à la VCTE, en utilisant un seuil bas à 9,8. La communauté diabétologique doit désormais intégrer, de manière systématique, le dépistage des formes avancées de MASLD dans la prise en charge des patients vivant avec un DT2, à l’instar des autres complications chroniques du diabète.

 

Références

[1] Younossi, Z.M. & al. The Global Epidemiology of Nonalcoholic Fatty Liver Disease and Nonalcoholic Steatohepatitis Among Patients With Type 2 Diabetes. Clin Gastroenterol Hepatol 2024, 22, 1999-2010.e8.
 
[2] Qi, X. & al. Epidemiology, Screening, and Co-Management of Type 2 Diabetes Mellitus and Metabolic Dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease. Hepatology 2024.
 
[3] Simon, T.G. & al. Mortality in Biopsy-Confirmed Nonalcoholic Fatty Liver Disease: Results from a Nationwide Cohort. Gut 2021, 70, 1375–1382.
 
[4] European Association for the Study of the Liver (EASL); European Association for the Study of Diabetes (EASD); European Association for the Study of Obesity (EASO) EASL-EASD-EASO Clinical Practice Guidelines on the Management of Metabolic Dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease (MASLD). J Hepatol 2024, 81, 492–542.
 
[5] Sanyal, A.J. & al. Diagnostic Performance of Circulating Biomarkers for Non-Alcoholic Steatohepatitis. Nat Med 2023, 29, 2656–2664.
 
[6] Pennisi, G. & al. Noninvasive Assessment of Liver Disease Severity in Patients with Nonalcoholic Fatty Liver Disease (NAFLD) and Type 2 Diabetes. Hepatology 2023, 78, 195–211.
 
[7] Castera, L. & al. High Prevalence of NASH and Advanced Fibrosis in Type 2 Diabetes: A Prospective Study of 330 Outpatients Undergoing Liver Biopsies for Elevated ALT, Using a Low Threshold. Diabetes Care 2023, 46, 1354–1362.
 
[8] Ajmera, V. & al. Validation of AGA Clinical Care Pathway and AASLD Practice Guidance for Nonalcoholic Fatty Liver Disease in a Prospective Cohort of Patients with Type 2 Diabetes. Hepatology 2024, 79, 1098–1106.
 


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