S’il est connu que les personnes vivant avec un diabète de type 2 (DT2) sont plus sensibles aux infections [1], la part réelle de la mortalité liée aux infections est probablement sous-estimée par les études [2]. En effet, ces études reposent sur des systèmes de codage CIM-10. Or, ces codages sont principalement structurés autour de maladies de système [3], et qui se concentrent sur la cause sous-jacente du décès en mettant l’accent sur les maladies chroniques [4]. En outre, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence que la mortalité par infection était plus élevée chez les personnes vivant avec un diabète [5].
Ainsi, l’objectif de cette étude de cohorte était d’examiner les causes spécifiques de mortalité chez les personnes vivant avec un DT2 en comparaison à la population générale au cours de la période 2015-2019, en se concentrant sur les infections.
Les auteurs ont utilisé une base de données de soins primaires en Angleterre liée aux données nationales de certification des décès : le CPRD (Clinical Practice Research Datalink) qui fournit un dossier médical longitudinal pseudo-anonymisé pour tous les patients enregistrés (plus de 99% de la population britannique). Tous les patients âgés de 18 à 90 ans ayant un codage pour le diabète, actifs dans le CPRD au 1er janvier 2015 et enregistrés depuis au moins un an, ont été classés dans les catégories diabète de type 1, DT2 ou inconnu, sur la base de leurs codes de diagnostic et de leurs médicaments antidiabétiques. Un groupe témoin sans diabète connu a été apparié au hasard en fonction de l'âge, du sexe et de l'origine ethnique, avec un maximum de deux personnes sans diabète sélectionnées pour chaque personne vivant avec un DT2. La cause du décès au cours de la période 2015-2019 a été déterminée à partir du code de la cause sous-jacente (CIM-10) dans les données de mortalité de l'OMS : cancer, maladies cardiovasculaires, démence, diabète, maladies digestives, infections et maladies respiratoires, ou autre cause. Pour classer les décès de causes infectieuses, une liste développée pour identifier les admissions hospitalières liées à une infection a été utilisée. Une analyse de sous-groupe par type d'infection a ensuite été effectuée. Les rapports de risque (HR) pour la mortalité toutes causes confondues et par cause au cours de la période 2015-2019 ont comparé les personnes vivant avec un DT2 aux personnes non diabétiques, et ont été estimés à l'aide de modèles de Cox ajustés en fonction de la région de pratique (9 au total). Pour l’analyse de la mortalité, seules les données des personnes vivant avec un DT2 âgées de 41 ans et plus ont été sélectionnées.
Pour l'analyse principale, 509 403 personnes vivant avec un DT2 et âgées de 41 à 90 ans ont été appariées à 976 431 personnes non diabétiques. Parmi les personnes vivant avec un DT2, 56% étaient des hommes, l'âge moyen était de 67,3 ans (écart-type = 11,9 ans) et 34% d’entre elles avaient été diagnostiquées de leur diabète au cours des 5 dernières années. Elles étaient plus susceptibles d'avoir un Indice de Masse Corporelle (IMC) ≥ 30 kg/m² (50% contre 22%) et de vivre dans le quintile le plus défavorisé (23% contre 16%) que les personnes vivant sans diabète. Seize pourcents, soit 85 367/509 403 personnes vivant avec un DT2, sont décédées au cours de la période 2015-2019, contre 106 824/976 431 (10,9%) personnes non diabétiques du même sexe, du même âge et de la même origine ethnique (HR = 1,65, IC 95% 1,64-1,66). Dans les groupes d'âge de 10 ans, le HR variait de HR = 2,95 (IC à 95% 2,75-3,17) pour les 41-50 ans à HR = 1,39 (IC à 95% 1,38-1,41) pour les 81-90 ans. Dans ces différents groupes d'âge, les différences absolues dans le taux de mortalité entre les personnes vivant avec un DT2 et les personnes sans diabète étaient assez similaires pour les hommes et les femmes (13,1 contre 13,9 pour 1000 personnes-années). L'ensemble des infections (11 128/85 367 = 13,0%) représentait la troisième cause sous-jacente de décès chez les personnes vivant avec un DT2, après les maladies cardiovasculaires et le cancer, et 12% des causes de décès chez les non diabétiques ; une contribution beaucoup plus élevée que si l'on ne comptait que les codages d'infections spécifiques (respectivement 1 046/85 367 = 1,2% et 1%). Le HR pour la mortalité due à l’ensemble des infections, pour les personnes vivant avec un DT2 par rapport aux personnes vivant sans diabète (1,82, IC à 95% 1,78-1,86) était plus élevé que le HR estimé pour l'ensemble des causes (HR = 1,65, IC à 95% 1,64-1,66). Une analyse de sensibilité ne prenant en compte que les décès par infection des chapitres A00-B99 (catégorie « certaines maladies infectieuses et parasitaires ») de la CIM-10 a estimé que le taux brut de mortalité était environ deux fois plus élevé chez les personnes vivant avec un DT2 que chez les patients sans diabète (0,45 contre 0,22 pour 1 000 personnes-années), avec un HR estimé = 2,09 (IC à 95% : 1,95-2,25). Parmi les groupes d'âge plus jeunes, les HR étaient élevés pour toutes les causes infectieuses (HR = 3,65 pour les 41-60 ans, HR= 2,38 pour les 61-75 ans) et les HR pour la mortalité par infection était constant dans tous les groupes ethniques (HR compris entre 1,71 et 1,82). Enfin, les associations de mortalité ont été étudiées en fonction du type d'infection enregistré comme cause sous-jacente de décès au cours de la période 2015-2019 : le HR le plus élevé a été observé pour les infections ostéo-articulaires (HR = 3,95, IC à 95% 3,08-5,05). La différence la plus importante dans les taux de mortalité entre les personnes vivant avec un DT2 et les non-diabétiques a été observée pour les infections des voies respiratoires inférieures, en particulier la pneumonie.
Cette étude a donc utilisé de grandes bases de données électroniques sur la santé de la population anglaise pour mettre en évidence un risque plus élevé de décès dû à des infections chez les personnes vivant avec un DT2 versus ceux n’ayant pas de diabète, au cours d'une période de 5 ans précédant de peu la pandémie de COVID-19. Les infections ont été estimées comme étant le troisième facteur de mortalité (après les maladies cardiovasculaires et les cancers) au cours de la période 2015-2019, représentant environ 13% des décès par une évaluation « complète », contre seulement 1,2% lorsque les catégories standards de la CIM-10 sont utilisées. Le taux de mortalité lié aux infections était environ 2 fois plus élevé que chez les personnes sans diabète et même 4 fois plus sur la tranche d’âge 41-60 ans. Le principal point fort de l’étude était la taille importante de l'échantillon (un demi-million de personnes vivant avec un DT2). L'une des limites a été de n'inclure dans la cohorte que des personnes âgées de 41 à 90 ans au début de la période de suivi, en 2015. L'exclusion des 40 ans et moins est négligeable en termes de mortalité à 5 ans, mais la non inclusion des personnes les plus âgées participe à sous-estimer le poids de la démence en tant que cause de décès. Une autre limite était que les patients désinscrits de leur cabinet de médecine générale et décédés au cours de la période 2015-2019 hors d’Angleterre n’ont pu être pris en compte.
En conclusion, les infections sont une cause fréquente de décès chez les personnes vivant avec un DT2, et l'excès de risque relatif est similaire à celui associé aux décès d'origine vasculaire chez ces personnes (x2). Cette étude souligne l'importance des infections dans l'évaluation de l'augmentation du risque absolu de mortalité en cas de DT2 et l'importance de la sensibilisation, d'un diagnostic plus précoce et du traitement des infections pour prévenir les décès prématurés.
Références
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