Depuis quelques années, plusieurs essais cliniques se sont intéressés à la capacité de certaines molécules à préserver la fonction résiduelle des cellules β des ilôts de Langherans dans le diabète de type 1 (DT1) débutant, afin de retarder ou de limiter le recours à l’insulinothérapie. Des altérations du métabolisme des sphingolipides, dont la diminution du glycosphingolipide sulfatide, ont été proposées comme facteur contribuant à la physiopathologie du DT1 [1], à partir d’études montrant une diminution de la concentration de ce sulfatide dans des biopsies pancréatiques de personnes nouvellement diagnostiquées avec un DT1. Les sulfatides interagissent avec le canal potassique ATP-dépendant au niveau de la membrane de la cellule β et agissent comme molécules chaperonnes lors de la fabrication de l’insuline. Ils pourraient intervenir dans la diminution de la sécrétion d’insuline lors de l’hyperglycémie pour contrer le stress cellulaire [2,3,4]. Les agonistes de PPARα (Peroxysome Proliferator-Activated Receptor), dont le fénofibrate, régulent le métabolisme des lipides, et il a été récemment observé que le fénofibrate prévenait l’apparition d’un diabète auto-immun et pouvait faire disparaitre ce diabète dans 50% des cas après le début de la maladie chez des souris. Les auteurs ont donc étudié la sécurité et l’efficacité du fénofibrate à la dose de 160 mg dans cet essai clinique.
Il s’agissait d’une étude de phase II, randomisée, contre placebo, en double aveugle, réalisée dans le centre du diabète de Copenhague. Les patients ont été inclus jusqu’à 6 semaines après le diagnostic de DT1 et ont reçu le traitement pendant 52 semaines, avec des contrôles à 4, 12 et 26 semaines, ainsi qu’à la fin de l’étude. Les participants devaient avoir entre 16 et 40 ans, diagnostiqués avec un DT1 en phase 3 et devaient avoir la capacité d’être randomisés dans les 6 semaines suivant la première injection d’insuline. Les autres critères d’inclusion étaient la présence d’au moins un auto-anticorps du DT1, une absence de contre-indication au fénofibrate et un peptide-C > 0,2 nmol/L 2h après un repas test. Les visites de suivi étaient faites après une nuit de jeûne, avec une injection d’insuline lente la veille au soir, sans insuline rapide dans les 2h précédant la visite. Un repas test liquide était servi à chaque visite pour évaluer la réponse β-cellulaire, et les prélèvements sanguins étaient réalisés à 0, 15, 30, 60, 90 et 120 mn. La glycémie était évaluée à l’aide d’un capteur de glucose en continu (CGM). Le critère de jugement principal était le changement dans la sécrétion endogène d’insuline (évaluée grâce à l’aire sous la courbe [AUC, area under curve] des valeurs de peptide-C suivant le repas test). Les critères de jugement secondaires étaient la différence sur le pic de peptide-C, l’hémoglobine glyquée, les variations glycémiques mesurées avec le CGM, la dose d’insuline quotidienne, la proportion de patients en rémission à 52 semaines et le stress β-cellulaire, mesuré par le rapport proinsuline/peptide-C. Concernant les méthodes statistiques, les auteurs ont utilisé un modèle mixte pour mesures répétées avec le sexe, le temps et le groupe comme effet fixe, le participant comme effet aléatoire et l’âge à l’inclusion, le temps entre la découverte du DT1 et la randomisation et le peptide-C comme covariables. La même méthodologie a été utilisée pour les objectifs secondaires, et des régressions logistiques ont été réalisées en cas de variables d’intérêt binaires.
Cinquante-huit individus ont été enrôlés dans l’étude dont 29 dans chaque groupe. Parmi eux, un participant a changé d’avis et un autre avait un peptide-C trop faible, tous deux dans le groupe fénofibrate, qui compte donc 27 participants au total. À l’inclusion, les groupes différaient notamment sur la concentration de peptide-C à 2h post-prandial : 0,65 ± 0,31 nmol/L dans le groupe placebo contre 0,50 ± 0,20 nmol/L dans le groupe fénofibrate, et sur la proportion d’acido-cétose au diagnostic (3,4% vs 37%, respectivement). Cinquante participants sont allés au bout des 52 semaines d’essai, dont 27 (93%) dans le groupe placebo et 23 (85%) dans le groupe fénofibrate. Concernant le critère de jugement principal, la différence moyenne dans l’AUC du peptide-C post prandial était de 0,01 ± 0,26 nmol/L dans le groupe fénofibrate et – 0,07 ± 0,23 nmol/L dans le groupe placebo, conduisant à une différence non significative entre les deux groupes (p = 0,23). Dix-neuf participants (11 du groupe fénofibrate et 8 du groupe placebo) ont eu une visite additionnelle un an après la fin de l’étude, qui ne retrouvait pas non plus de différence significative sur la fonction β-cellulaire, avec une différence moyenne de 0,3 nmol/L (IC 95% -0,17, 1,05 nmol/L).
Concernant les critères de jugement secondaires, le pic de peptide-C suivant le repas test était similaire dans les 2 groupes, avec une augmentation initiale jusqu’à 12 semaines, puis une diminution jusqu’à la valeur de base à 52 semaines, sans différence entre les groupes (différence moyenne à 52 semaines à 0,04 nmol/L, IC 95% -0,13 à 0,2). L’hémoglobine glyquée et les temps passés dans la cible glycémique étaient similaires entre les deux groupes, passant de 10,8 ± 1,6% à 6,9 ± 0,6% dans le groupe fénofibrate et de 10,5 ± 1,9% à 6,7 ± 0,8% dans le groupe placebo. Les doses d’insuline étaient également comparables à 52 semaines, avec une différence moyenne de 0,03 UI/kg/j (IC 95% -0,06 à 0,12). Le ratio proinsuline/peptide-C augmentait de façon similaire dans les deux groupes sur les 6 premiers mois, puis diminuait dans le groupe placebo à 52 semaines, tandis qu’il continuait à augmenter dans le groupe fénofibrate, témoignant d’un plus grand stress des cellules β dans le groupe fénofibrate, avec une différence de 0,026 (IC 95% 0 à 0,048, p < 0,05). Enfin, le fénofibrate 160 mg était bien toléré, sans arrêt prématuré de l’étude ni effet indésirable sérieux, de même que dans le groupe placebo, avec un nombre d’événement indésirable total comparable dans les deux groupes (28 vs 24, respectivement).
Les auteurs ont également réalisé des analyses in vitro sur des biopsies pancréatiques de donneurs sans diabète. Ils retrouvaient que le fénofibrate seul n’avait pas d’effet sur la sécrétion d’insuline, et que les cellules exposées à un environnement pro-inflammatoire par des cytokines sécrétaient plus d’insuline, effet qui était diminué par l’adjonction de fénofibrate. Concernant la mort cellulaire, le fénofibrate seul n’avait pas d’effet sur celle-ci, et augmentait la mort cellulaire induite par les cytokines lors de l’exposition à de hautes concentrations de glucose (20 mmol/L), mais pas à des faibles concentrations (2 mmol/L).
Pour résumer, les auteurs n’ont pas retrouvé d’effet bénéfique du fénofibrate sur la fonction β-cellulaire, sur le contrôle glycémique ou sur les doses d’insuline injectées, contrairement à ce qui avait été retrouvé précédemment sur des études animales. Les forces de cette étude étaient i) l’inclusion d’adolescents et d’adultes, qui représentent la forme la plus fréquente de DT1, et dont la phase de rémission a tendance à être plus longue que chez les enfants, permettant potentiellement de mieux mettre en évidence la préservation de la fonction β-cellulaire induite par un traitement, ii) l’inclusion très rapide après la découverte du DT1, de 42 jours maximum, pour maximiser la quantité de cellules β encore fonctionnelles. Les limites étaient la présence d’une longue durée de rémission du DT1 dans cet échantillon, avec 56% du groupe placebo encore en rémission partielle à 52 semaines, pouvant masquer des effets faibles induits par le fénofibrate, ainsi que le faible nombre de patients inclus dans l’étude, pouvant induire un manque de puissance statistique pour retrouver des effets faibles induits par le traitement, de même que les 14% de patients perdus de vue au total.
En conclusion, dans cet essai contrôlé versus placebo, en double aveugle chez des adultes et adolescents récemment diagnostiqués d’un DT1, les auteurs ne retrouvent pas d’effet en faveur d’une préservation de la fonction β-cellulaire de la part du fénofibrate, comme cela avait été rapporté chez des souris.
Références
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