vendredi 5 juillet 2024

Les changements du microbiote intestinal des personnes vivant avec un diabète de type 1 sont associés au contrôle glycémique : étude INNODIA

Auteur : 
Florian Mourre
Date Publication : 
Juin 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Vatanen T & al., Gut microbiome shifts in people with type 1 diabetes are associated with glycaemic control: an INNODIA study, Diabetologia. 2024 Jun 4.. doi : 10.1007/s00125-024-06192-7

 

De plus en plus de preuves indiquent une relation étroite entre le microbiote intestinal et le diabète de type 1 (DT1) [1]. Des études de cohorte et des protocoles expérimentaux à partir de modèles animaux ont démontré que le microbiote pouvait influencer les processus menant au DT1. Le microbiote intestinal est aussi impliqué dans l’évolution naturelle du DT1 après son diagnostic [2], par exemple concernant le contrôle glycémique. Une étude chez les personnes avec diagnostic récent de DT1 a montré qu’une transplantation fécale autologue ralentissait le déclin de la sécrétion endogène d’insuline [3]. Ces données suggèrent qu’une modification du microbiote pourrait permettre d’intervenir sur l’histoire naturelle de la maladie et réduire sa progression, mais des études exploratoires et des essais contrôlés restent nécessaires pour identifier les micro-organismes, les métabolites et autres facteurs associés au microbiote impliqués dans la maladie. Dans cette étude, les auteurs ont analysé les microbiotes intestinaux de patients DT1 et de leurs apparentés non diabétiques avec des auto-anticorps de la maladie positifs, afin de voir s’il y avait des associations avec des données biologiques ou cliniques.

Des patients DT1 nouvellement diagnostiqués (cohorte ND pour newly diagnosed) et des apparentés avec des auto-anticorps mais sans diabète (cohorte UFM pour unaffected family member) ont été recrutés entre novembre 2016 et novembre 2021. Les auteurs disposaient de 98 participants pour la cohorte ND et de 194 pour la cohorte UFM, dont seulement 10 étaient des apparentés de participants à la cohorte ND. Tous les participants avaient au moins un auto-anticorps positif parmi les 3 analysés (anti-IA2, anti-GAD, anti-ZntT8). Les échantillons de selles ont été recueillis dans les 6 semaines après le diagnostic de DT1 et à 3, 6, 12 et 24 mois pour le groupe ND, et à 6, 12, 18, 24 et 36 mois après la visite d‘inclusion pour le groupe UFM. Les auteurs ont ensuite analysé l’association de la diversité α (correspondant à la diversité propre d’un échantillon) et de la diversité β (la diversité d’un échantillon à l’autre) avec différentes covariables.

Trois cent soixante-huit échantillons de selles ont été analysés pour la cohorte ND et 492 pour la cohorte UFM. Les participants ont été recrutés dans 25 centres, dans 13 pays européens. Pour la cohorte ND, les participants avaient entre 1 et 38 ans (moyenne [±écart-type] 12,3 ± 8,6 ans) et il y avait 48 (49%) femmes. L’âge au diagnostic moyen (±écart-type [ET]) du DT1 était de 12,3 ± 8,6 ans et la durée moyenne d’évolution du diabète de 3,7 ± 1,6 semaines lors de la 1ère visite, avec notamment une HbA1c moyenne (±ET) de 9,0 ± 4,0%, une dose d’insuline moyenne (±ET) de 0,52 ± 0,26 UI/kg et un peptide-C à 272 pmol/L (intervalle interquartile [IIQ] 106-342). La cohorte a ensuite été répartie en 3 groupes selon la vitesse de décroissance du peptide-C, pour refléter l’évolution de la maladie : décroissance rapide, décroissance lente ou augmentation. Concernant la cohorte UFM, elle comprenait 107 (55%) femmes, l’âge moyen (±ET) était de 21,2 ± 14,1 ans et l’HbA1c moyenne (±ET) était de 5,3 ± 2,6%.

Les auteurs ont ensuite analysé les métagénomes des microbiotes intestinaux. Concernant la cohorte ND, les espèces les plus abondantes et les plus fréquemment rencontrées étaient des Bifidobacterium et des Bacteroides (Faecalibacterium prausnitzii), qui sont des espèces communes dans le microbiote intestinal humain. Les analyses de diversité ont détecté des changements dans les profils des microbiotes intestinaux entre les différents centres (diversité β). Il n’y avait pas d’association entre les diversités α et β et les caractéristiques des patients telles que l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle, la dose d’insuline, l’HbA1c et le peptide-C. Des analyses longitudinales ont été conduites durant le suivi, afin d’étudier les modifications du microbiote intestinal avec l’évolution de la maladie dans la cohorte ND : 21 espèces et 8 « modules fonctionnels » (des communautés de bactéries qui assurent une même fonction biochimique) montraient une évolution, avec une augmentation en fonction du temps, incluant des espèces rares et communes (coefficient β = -0,15 [IC 95% -0,24 ;-0,058], p = 0,019 pour les espèces et coefficient β = 2,43 [IC 95% 0,92 ; 3,94], p = 0,002 pour les modules fonctionnels). Au diagnostic, l’abondance relative de F. prausnitzii était inversement corrélée à l’HbA1c, et le métabolisme de l’hydrogène par le microbiote était positivement associé à l’HbA1c. Les patients qui avaient une acido-cétose au diagnostic avaient une HbA1c plus élevée (12,9% en moyenne) que les autres (10,7%). En tenant compte de cette variable, les associations étaient moindres mais restaient significatives. Le nombre d’auto-anticorps au diagnostic était positivement corrélé à la présence de Coprococcus eutactus (β = 0,41 [IC 95% 0,16 ;0,66], p = 0,0014) et inversement corrélé à la dégradation de la tyrosine (β = -0,48 [IC 95% -0,77 ;-0,19], p = 0,0014).

En comparant les 3 sous-groupes de la cohorte ND (répartis selon l’évolution de leur peptide-C), les auteurs ont mis en évidence une moindre diversité α (la richesse du microbiote d’un individu) chez les participants avec un déclin rapide du peptide-C, et cette association était la plus importante chez les participants chez qui le DT1 a été diagnostiqué avant 7 ans, sans que l’âge au diagnostic n’influe sur l’évolution de la maladie chez les participants.

Enfin, dans la cohorte UFM, 19 participants ont développé un DT1. Comparés aux autres participants de la cohorte UFM, ceux qui développaient un DT1 avaient une abondance plus importante de Sutterella sp KLE1602 (β = 1,2 [IC 95% 0,59 ;1,8], p = 0,0001), et cette bactérie était retrouvée chez 10 sur 19 (57%) de ces participants, et chez 48 sur 175 (27%) des participants non diabétiques de la cohorte UFM.

Dans cette étude, les auteurs retrouvent une abondance relative de F. prausnitzii inversement corrélée à l’HbA1c au diagnostic. Cette bactérie a des fonctions, telles que la production de butyrate, qui font partie des mécanismes grâce auxquels le microbiote intestinal offre une protection contre le DT1 [1], et le lien entre concentration fécale ou sanguine de butyrate et le contrôle glycémique dans le DT1 devra faire l’objet d’études futures. La diminution de la richesse du microbiote intestinal dans le groupe avec le déclin le plus rapide du peptide-C est cohérent avec les observations de la cohorte DIABIMMUNE [4], qui était une étude longitudinale chez les enfants ayant un HLA de susceptibilité. La diminution de la richesse du microbiote dans DIABIMMUNE apparaissait avant la découverte du DT1, et ce résultat n’était pas retrouvé dans les autres études de cohortes, ce qui suggère que la richesse en elle-même du microbiote intestinal ne permet pas de prédire la survenue du DT1. Sutterella, quant à elle, semble être associée à la dégradation des IgA chez la souris, et pourrait créer une inflammation locale et systémique lorsque son abondance augmente [5], mais son rôle dans la genèse du DT1 reste encore à investiguer.

Les forces de cette étude sont la taille relativement importante des cohortes et le suivi pendant 2 ans, sur 5 visites. Les données recueillies lors des visites étaient harmonisées entre les participants, y compris pour le recueil des selles, permettant des comparaisons robustes. Les limites incluent le fait que les échantillons viennent de 13 centres européens, ce qui a probablement mené aux différences retrouvées sur les microbiotes intestinaux initialement, du fait de différences dans le mode de vie, l’alimentation et l’ethnie, entre autres.

En conclusion, cette étude met en lumière des associations entre la composition du microbiote intestinal et le DT1. Bien que ces associations soient statistiquement faibles, les potentiels mécanismes qui les sous-tendent doivent être investigués par des essais cliniques rigoureux et contrôlés.

 

Références

[1] Vatanen T, Franzosa EA, Schwager R et al (2018) The human gut microbiome in early-onset type 1 diabetes from the TEDDY study. Nature 562(7728):589–594.
 
[2] Yuan X, Wang R, Han B et al (2022) Functional and metabolic alterations of gut microbiota in children with new-onset type 1 diabetes. Nat Commun 13(1):6356.
 
[3] de Groot P, Nikolic T, Pellegrini S et al (2020) Faecal microbiota transplantation halts progression of human new-onset type 1 diabetes in a randomised controlled trial. Gut 70:92–105.
 
[4] Kostic AD, Gevers D, Siljander H et al (2015) The dynamics of the human infant gut microbiome in development and in progression toward type 1 diabetes. Cell Host Microbe 17(2):260–273.
 
[5] Hansen IS, Baeten DLP, den Dunnen J (2019) The inflammatory function of human IgA. Cell Mol Life Sci 76(6):1041–1055.
 


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