lundi 13 mai 2024

Durée d’allaitement au cours de la vie et risque cardiovasculaire chez les femmes atteintes de diabète de type 2 ou ayant des antécédents de diabète gestationnel : données issues de deux grandes cohortes prospectives

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Avril 2024
 
Article du mois en accès libre
 
Anna Birukov, & al. - Lifetime Duration of Breastfeeding and Cardiovascular Risk in Women With Type 2 Diabetes or a History of Gestational Diabetes: Findings From Two Large Prospective Cohorts. Diabetes Care 25 March 2024; 47 (4): 720–728. doi : 10.2337/dc23-1494

 

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l'allaitement maternel exclusif pendant les 6 premiers mois de la vie et la poursuite de l'allaitement pendant au moins les 2 premières années, avec l'introduction de compléments alimentaires à partir de 6 mois post-partum [1]. Cependant, moins de 50% des femmes dans le monde allaitent selon les recommandations de l'OMS. Plus la durée d’allaitement est longue chez une femme non diabétique, moins le risque de maladies cardiovasculaires est important. Or, la question de savoir si l'allaitement, en tant que facteur de risque modifiable, est associé à un risque plus faible de maladies cardiovasculaires (MCV) dans la population à haut risque de femmes atteintes de diabète de type 2 (DT2) ou ayant des antécédents de diabète gestationnel (DG) n'a pas été étudiée jusqu'à présent. Cependant, le DT2 est associé à un risque relatif accru de MCV jusqu’à 50% plus élevé chez la femme que chez l’homme [2]. Par ailleurs, il est également établi que le DG constitue un facteur de risque cardiovasculaire chez les femmes, en présence mais également en l’absence de développement d’un DT2 ultérieurement [3]. Il est donc important d'identifier les déterminants modifiables précoces du risque de MCV spécifiques de ces femmes à haut risque.

Cette étude a inclus 15 146 parturientes atteintes de DT2 issues des études de cohortes prospectives américaines Nurses’Health Study I et II (NHS I, NHS II), ainsi que 4 537 parturientes ayant un antécédent de DG issues de NHS II. Ces études prospectives sont encore en cours, initiées respectivement en 1976 et en 1989, et ont permis le recrutement d’infirmières en âge de procréer. Dans les deux cohortes, des questionnaires envoyés par la poste ont été adressés tous les deux ans pour évaluer les facteurs liés à la reproduction et au mode de vie ainsi qu’à l'état de santé, avec des taux de suivi >90%. Ont été exclues les femmes nullipares, les parturientes aux antécédents de MCV ou de cancer, celles n’ayant pas répondu aux questionnaires ou aux questions spécifiques à l’allaitement. Le suivi s'est terminé en juin 2016 pour les participants au NHS I et en juin 2017 pour les participants au NHS II. Les auteurs ont défini les catégories de durée d’allaitement cumulatif dans les deux cohortes comme suit : 0 mois, 1-6 mois, 7-18 mois et >18 mois. Les catégories de durée totale d'allaitement exclusif au cours de la vie ont été définies comme suit : 0 mois, 1-6 mois, 7-12 mois et >12 mois. Les MCV incidentes détectées étaient les accidents vasculaires cérébraux (AVC), ou les maladies coronariennes (infarctus du myocarde [IDM] fatal ou non, revascularisation par pontage aorto-coronarien [PAC] ou par intervention coronarienne percutanée [ICP]).  Des modèles de Cox ont permis d’estimer les rapports de risque ajustés (RRA) et les intervalles de confiance à 95% (IC95%).

Au total, 6 339 (41,9%), 3 265 (21,6%), 3 197 (21,1%) et 2 345 (15,5%) femmes atteintes de DT2 ont allaité pendant une durée cumulée de 0, 1-6, 7-18 et 18 mois, respectivement. Parmi les femmes ayant déjà eu un DG, la distribution correspondante pour la durée de l'allaitement était de 17,6%, 17,7%, 34,1% et 30,5%. Ont été détectés 1 159 (7,7%) cas incidents de MCV chez les femmes atteintes de DT2 sur 1888 874 personnes-année de suivi, et 132 (2,9%) cas incidents de MCV chez les femmes avec un antécédent de DG sur 100 218 personnes-année de suivi. Chez les femmes atteintes de DT2, une durée d'allaitement plus longue au cours de la vie était associée de manière significative à un risque plus faible de MCV avec un RRA de 0,68 [IC95% : 0,54-0,85] pour une durée d'allaitement de plus de 18 mois par rapport à une durée de 0 mois, et de 0,94 [IC95% : 0,91-0,98] par augmentation de 6 mois de la durée d'allaitement. Les associations persistaient pour l’analyse des maladies coronariennes (RRA 0,93 [IC95% : 0,88-0,97]) mais pas pour les AVC (0,96 [IC95% : 0,91-1,02]) par incrément de 6 mois d'allaitement. Chez les femmes ayant des antécédents de DG, un allaitement de plus de 18 mois par rapport à un allaitement de 0 mois était associé à un RRA de 0,49 [IC95% : 0,28-0,86] pour l’ensemble des MCV. L’association persistait également pour l’analyse des maladies coronariennes (RRA 0,38 [IC95% : 0,20-0,71]). En cas d’allaitement exclusif par rapport à l’absence d’allaitement, le risque de MCV et de coronaropathie chez les femmes atteintes de DG était encore plus faible. Aucune association significative n’a été observée entre la durée de l’allaitement exclusif et les AVC. La période de ≥ 18 mois présentait le risque de MCV le plus faible. Notons que chez les femmes atteintes de DT2, aucun effet statistiquement significatif n’était en lien avec l’âge à l’inclusion, l’âge au premier accouchement, l’Indice de Masse Corporelle pré-conceptionnel, le tabagisme, les antécédents familiaux cardiovasculaires, ou encore l’activité physique. Chez les femmes aux antécédents de DG, seul le statut pré-ménopausique diminuait le risque de MCV lors d’un allaitement ≥ 12 mois, en comparaison aux femmes aux antécédents de DG ménopausées.

Les auteurs ont donc, au travers de ces deux larges cohortes prospectives, mis en évidence que la durée d’allaitement au cours de la vie était inversement associée au risque de MCV, indépendamment d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, chez les femmes atteintes de DT2. Cette association était également significative chez les femmes aux antécédents de DG. Cette étude nous informe également d’une association inverse encore plus forte en cas d’allaitement maternel exclusif. Ces résultats sont concordants avec des études antérieures en population générale [4]. Notons également qu’une relation inverse entre l’allaitement et l’athérosclérose subclinique a déjà été démontrée [5]. Les mécanismes d’implication sont multiples et ne sont pas encore tous élucidés. Les auteurs citent ici l’influence de l’allaitement sur le métabolisme glucidique et lipidique, la réduction du stress oxydatif et la perte de poids. Le rôle de l’ocytocine est également à considérer, par ses effets hypotenseurs, vasodilatateurs, hypoglycémiants, anti-oxydants et anti-inflammatoires [6]. Enfin, l’allaitement induit une réponse minimisée au stress en raison de plus faibles réactions du système nerveux autonome.

Les points forts de l’étude sont le grand nombre de parturientes, la longue durée et les taux satisfaisants de suivi, l’utilisation de mesures répétées du mode de vie et des variables reproductives, et les analyses de plusieurs résultats liés aux MCV. Cependant, certains points faibles sont à évoquer : 1/ certaines femmes atteintes de diabète n’ont peut-être pas été diagnostiquées dans la cohorte en l’absence de dépistage universel, 2/ la durée de l'allaitement a été évaluée au moyen d'auto-évaluations pouvant avoir entraîné une erreur de classification, 3/ la nature observationnelle de l’étude ne permet pas de mettre en lumière une relation causale, 4/ les analyses ont été menées sur des cohortes d'infirmières blanches majoritairement non hispaniques, ce qui minimise les risques de confusion liés aux facteurs culturels et socio-économiques, mais peut limiter la généralisation des résultats à l’ensemble des parturientes.

En conclusion, cette étude démontre qu’une durée d'allaitement plus longue est associée à un risque plus faible de MCV chez les femmes atteintes de DT2 ou ayant des antécédents de DG. Cela nous encourage d’autant plus à promouvoir l’allaitement dans cette catégorie particulière de parturientes, l’allaitement apparaissant alors comme une stratégie de prévention primaire chez ces femmes à haut risque cardiovasculaire.

 

Références

[1] Perez-Escamilla R, Tomori C, Hernandez- Cordero S, et al.; 2023 Lancet Breastfeeding Series Group. Breastfeeding: crucially important, but increasingly challenged in a market-driven world. Lancet 2023;401:472–485.
 
[2] Regensteiner JG, Golden S, Huebschmann AG, et al.; American Heart Association Diabetes Committee of the Council on Lifestyle and Cardiometabolic Health, Council on Epidemiology and Prevention, Council on Functional Genomics and Translational Biology, and Council on Hyper- tension. Sex differences in the cardiovascular consequences of diabetes mellitus: a scientific statement from the American Heart Association. Circulation 2015;132:2424–2447.
 
[3] Kramer CK, Campbell S, Retnakaran R. Gestational diabetes and the risk of cardiovascular disease in women: a systematic review and meta-analysis. Diabetologia 2019;62:905–914.
 
[4] Stuebe AM, Michels KB, Willett WC, Manson JE, Rexrode K, Rich-Edwards JW. Duration of lactation and incidence of myocardial infarction in middle to late adulthood. Am J Obstet Gynecol 2009;200:138.e1–138.e8.
 
[5] Gunderson EP, Quesenberry CP Jr, Ning X, et al. Lactation duration and midlife atherosclerosis. Obstet Gynecol 2015;126:381–390.
 
[6] Gutkowska J, Jankowski M. Oxytocin revisited: its role in cardiovascular regulation. J Neuroendocrinol 2012;24:599–608.
 


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