Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) est l’un des troubles neuro-comportementaux les plus répandus, avec une prévalence estimée à 5,3% dans le monde en 2007 [1]. L'âge moyen du diagnostic est de 7 ans [2]. Le TDAH est caractérisé par des symptômes d’inattention et/ou d’hyperactivité-impulsivité qui interfèrent avec le fonctionnement ou le développement de l’enfant dans plusieurs sphères de sa vie (scolaire, sociale...). En effet, le TDAH donne lieu à une forte incidence de comorbidités : il s’agit le plus souvent de troubles de l’apprentissage (47,3%), de troubles des conduites (28,6%), et/ou d’un trouble oppositionnel avec provocation (22,1%). Une méta-analyse d’études prospectives menées auprès d’enfants atteints de TDAH montre que ces derniers sont également exposés à un risque plus important d’abus de substances et de tabagisme que les enfants qui ne souffrent pas de la maladie [3].
Plusieurs études suggèrent que l'exposition au diabète maternel pendant la grossesse peut augmenter le risque de troubles neuro-comportementaux dans la descendance [4,5]. Des études sur de petits échantillons ont examiné la relation entre le diabète de type 2 (DT2) et le diabète gestationnel (DG) chez la mère pendant la grossesse et le risque de TDAH chez la descendance [5] avec des résultats discordants. Deux études européennes récentes sur de grands échantillons ont montré que les antécédents maternels de diabète de type 1 (DT1) étaient associés au risque de TDAH chez les enfants [6,7]. Cependant, aucune étude n’a évalué l’importance relative du DT1, du DT2 et du diabète gestationnel, ni le moment de survenue ou la gravité du diabète gestationnel pendant la grossesse, en ce qui concerne le risque de TDAH chez les enfants.
C’est dans ce contexte qu’a été conduite cette étude de cohorte longitudinale multi-ethnique. Elle a inclus des enfants nés entre 28 et 44 semaines de gestation dans les hôpitaux du Kaiser Permanente Southern California (KPSC) entre le 1er janvier 1995 et le 31 décembre 2012. Il s’agit de la plus grande étude jamais réalisée dans ce domaine puisque l’échantillon final de l’étude comprenait un total de 333 182 enfants nés de 243 882 mères. Selon les recommandations de KPSC, tous les enfants dès l’âge de 4 ans et les adolescents de moins de 18 ans présentant des symptômes évocateurs de TDAH sont soumis à une ou plusieurs échelles validées d'évaluation du comportement et sont adressés à un spécialiste du comportement. Dans cette étude, pour minimiser les biais de dépistage et de diagnostic, les enfants devaient naître dans un hôpital affilié au KPSC et être inscrits au régime de santé de KPSC à l'âge de 4 ans. Les cas de TDAH ont été identifiés sur la base des codes 314.x de la CIM-9 ou de renouvellements de médicaments spécifiques au TDAH lors d’au moins deux visites pendant la période de suivi. Les 333 182 enfants ont été suivis pendant une durée médiane de 4,9 ans (intervalle IQ 2,2-9,6) après l'âge de 4 ans.
Une analyse comparant directement l'exposition au DT1 ou au DT2 a montré que, par rapport au DT2, le HR du DT1 était de 1,44 (1,00-2,06 ; p=0,05) avant et de 1,16 (0,81-1,67 ; p=0,42) après ajustement pour les facteurs de confusion potentiels. Ainsi, les facteurs de confusion potentiels semblaient expliquer en grande partie la différence de risque de TDAH entre ces deux groupes exposés au diabète.
Parmi les cas de DG, l’âge gestationnel au moment du diagnostic (avant et après ajustement) n’était pas associé au risque de TDAH de l’enfant, ce qui suggère qu’il n’existe pas de fenêtre de vulnérabilité claire pendant la grossesse associée au risque de TDAH de l’enfant. Bien que le DG dans son ensemble ne soit pas associé au risque de TDAH chez l'enfant, il apparaît cependant que les enfants exposés à un DG justifiant un traitement médicamenteux présentent un risque significativement plus élevé que les enfants du groupe sans diabète (HR ajusté 1,26 [IC 95% 1,14-1,41] ; p<0,001). De même, la fréquence des enfants atteints de TDAH était de 5,5% pour les groupes DG nécessitant un médicament (8 614 femmes, soit 29% des DG, dont 84% recevaient de l'insuline) contre 4,5% dans le groupe DG sans médicament (p<0,001). Le risque de TDAH chez les enfants était donc significativement plus grand pour le groupe DG avec médicament que pour le DG sans médicament (HR 1,48 [IC 95% 1,30-1,68] ; p<0,001). Les femmes nécessitant des médicaments antidiabétiques pendant la grossesse peuvent présenter une hyperglycémie relativement grave nécessitant un traitement médicamenteux visant à faire baisser le taux de glucose. Après ajustement, le DG traité reste significativement associé à un risque plus élevé de TDAH par rapport au groupe DG sans médicament (HR ajusté 1,38 [IC 95% 1,20-1,59] ; p<0,001).
Certains biais de confusion potentiellement non mesurés, dus à la fois à des facteurs intra-utérins, à des événements post-nataux (tels que l'utilisation de paracétamol/acétaminophène [8], l’exposition à la pollution atmosphérique [9], les modalités d'accouchement, la détresse néonatale, la survenue d’hypoglycémies, ou d’un traumatisme crânien) ou encore à une susceptibilité génétique ne peuvent être exclus. Mais l'inclusion de co-variables tels que la pré-éclampsie/éclampsie, la présence ou l'absence d'anomalies congénitales, le poids à la naissance et l'âge gestationnel à l'accouchement ont eu peu d'incidence sur les estimations du risque.
Dans cette étude, bien que les femmes diabétiques pendant la grossesse recevaient des lecteurs et des bandelettes pour mesurer leur glycémie au domicile, on peut regretter l’absence de données réellement exploitables concernant l’équilibre glycémique dans les différents groupes. En effet les données des auto-mesures de glucose n’ont pas été colligées dans les dossiers médicaux de manière systématique et peu de patientes ont eu un suivi de leur HbA1c à chaque trimestre. Par conséquent, les données sur l'HbA1c sont très limitées et ce sous-ensemble peut ne pas être représentatif de la population de l’étude. Cette étude nous apprend tout de même qu’au cours du premier trimestre, les taux moyens d'HbA1c chez les DT1, DT2, DG avec médicament, DG sans médicament et grossesses non diabétiques étaient de 7,6%, 6,8%, 6,1%, 5,6% et 5,4%, respectivement. Cette « hiérarchie » s’est maintenue tout au long de la grossesse, bien que les différences aient été moins importantes au deuxième et troisième trimestres. Ces données laissent à penser que le degré de contrôle de la glycémie peut jouer un rôle dans l'explication du risque. Néanmoins, des études complémentaires seront nécessaires pour évaluer formellement la relation entre le niveau de contrôle glycémique pendant la grossesse et le risque de TDAH chez les enfants.
Les résultats de cet article concernant le sur-risque de TDAH dans le groupe exposition au DT1 sont en accord avec une étude suédoise de registre montrant un sur-risque de 35% de TDAH chez les enfants exposés au DT1 maternel comparativement aux enfants de la population générale [7]. Cette étude a également montré que le DT1 paternel était associé à un sur-risque de 20% de TDAH dans la descendance. Le plus grand risque associé au DT1 maternel versus paternel est en accord avec l’hypothèse d'un impact de l'environnement glycémique intra-utérin dans la survenue étiologie du TDAH. Mais le fait qu’il existe un risque élevé associé au DT1 à la fois paternel et maternel suggère que la prédisposition génétique associée à l'immunité pourrait jouer un rôle dans la survenue d'un TDAH [6].
Il est important de rappeler que la répartition démographique des membres du KPSC représente globalement la population des résidents du sud de la Californie ; ainsi, cette étude ne peut-être généralisée. Toutefois pris dans leur ensemble, les résultats de cette étude suggèrent qu'une hyperglycémie sévère nécessitant un traitement médicamenteux pour traiter le diabète pendant la grossesse, qu'il s'agisse d'un DT1, d'un DT2 préexistant, ou d'un DG peut être associée à un risque accru de TDAH chez les enfants. Les mécanismes biologiques potentiels qui lient le risque de TDAH dans la descendance et dans un environnement glycémique sous-optimal pendant la grossesse sont inconnus et peuvent impliquer de multiples voies. Cette hyperglycémie peut prédisposer les fœtus au stress, à l'inflammation chronique, à l'hypoxie et à l'hyperinsulinémie fœtale, qui peuvent à leur tour entraver le développement du cerveau du fœtus pendant les périodes prénatales critiques et entraîner des troubles neuro-comportementaux plus tard dans la vie. L'épigénétique pourrait être un autre mécanisme potentiel. Une étude chez l’animal a montré que l’hyperglycémie maternelle chronique pendant la grossesse augmentait l’excitation de l’hippocampe et modifiait le comportement des enfants [10].
Cette étude doit donc nous inciter à être d’autant plus attentifs à l’équilibre glycémique durant la grossesse de nos patientes diabétiques pour ne pas potentiellement impacter sur le développement neuro-comportemental de leurs enfants.
Références
from Société Francophone du Diabète http://bit.ly/2RRP76e
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