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Duncan AD et al. Type 2 diabetes prevalence and its risk factors in HIV: A cross-sectional study. Plos One 2018 march;13:(3):e0194199. doi: 10.1371/journal.pone.0194199
Depuis le milieu des années 1990, des progrès importants dans les traitements antirétroviraux (ARV) ont permis une diminution de la morbidité et de la mortalité associées à l’infection par le VIH, la morbidité des patients vivants avec le VIH (PLWH) étant désormais commune à celle de la population générale. Le virus du VIH lui même ainsi que certains traitements ARV sont associés à une augmentation du risque de développer certaines comorbidités chroniques incluant le diabète de type 2, dont la prévalence est estimée à 4 fois supérieure dans la population de PLWH par rapport à la population générale [1,2]. Si les facteurs de risque de diabète de type 2 sont bien établis dans la population générale [3], certains facteurs spécifiques ont été identifiés chez les PLWH, comme le niveau d’immunosuppression et l’exposition aux ARV [4,5]. Afin de mieux comprendre les raisons de l’augmentation de la prévalence du DT2 chez les PLWH, et afin de pouvoir développer des stratégies de prévention spécifiques, Duncan et al. ont réalisé une étude transversale de cohortes ethniquement diversifiées, pour identifier les facteurs de risque de pré-diabète et de DT2 spécifiquement chez les PLWH.
Les patients VIH suivis dans trois centres ambulatoires londoniens couvrant une zone de forte prévalence d’infection par le VIH et des ethnies diverses ont été inclus dans ces cohortes. Les données des cohortes ont été collectées en 2005 et en 2014-2015. La cohorte de 2005 a été étudiée pour définir le profil métabolique des patients VIH [6]. La cohorte de 2014-2015 a été recrutée pour permettre une description minutieuse des facteurs de risque associés au DT2 et pour permettre une comparaison dans le temps. Une approche de sélection randomisée a été réalisée pour la cohorte de 2005 : un patient sur trois se présentant dans les centres ambulatoires était invité à participer, en excluant le recrutement par les médecins spécialisés dans le métabolisme (les patients pouvant être inclus dans le cadre du suivi par un généraliste). Trois cent trente-sept des patients inclus dans cette cohorte, soit 33% de la cohorte, avaient un résultat de glycémie à jeun disponible. La comparaison de ces patients avec le reste de la cohorte ne retrouvait pas de différence en terme de caractéristiques démographiques, médicales ou concernant l’infection par le VIH. La cohorte 2014-2015 a été recrutée en utilisant une méthode de randomisation structurée à partir d’une grille stratifiée par tranches d’âge de 10 ans, par sexe, et par ethnicité (caucasien, noir africain, antillais ou autre) pour limiter les biais concernant ces paramètres démographiques. L’objectif de la stratification était d’assurer la représentativité de la cohorte, notamment concernant les femmes et les minorités ethniques souvent sous-représentées dans les études cliniques [7]. Les participants correspondaient à des patients consultant en réponse à des publicités des centres ambulatoires pour réaliser un dépistage métabolique, des patients suivis dans ces centres (un patient sur trois), et des patients adressés par des professionnels de santé. La taille de la cohorte a été calculée à partir des données issues de la cohorte de 2005 qui avait une prévalence d’anomalies glucidiques de 25% avec un IMC moyen de 25,8kg/m2 avec une marge d’erreur de 5%, représentant une cohorte de 339 patients.
Dans ces deux cohortes, les informations ont été collectées de façon prospective à partir des rapports médicaux incluant : l’IMC (maigreur si <18,5kg/m2, normal entre 18,5 et 24,9kg/m2, surpoids entre 25 et 29,9kg/m2 et obésité si ≥30kg/m2), le tour de taille (classé selon les critères du syndrome métabolique de la fédération internationale du diabète (IDF) [8]), la pression artérielle (calculée comme la moyenne de trois mesures successives, et classée en hypertension si > 140/80 mmHg ou en cas de traitement anti hypertenseur) ; le statut tabagique (jamais, tabagisme actuel ou tabagisme passé), la concentration en vitamine D (valeur la plus récente des 3 dernières années), le risque cardiovasculaire à 10 ans calculé à partir de l’échelle de Framingham, le statut lipidique (dyslipidémie si cholestérol total, LDL-cholestérol ou triglycérides > 5,2 mmol/l, 3 mmol/l et 2,2 mmol/l respectivement ou HDL-cholestérol <1,2 mmol/l). Chaque participant a eu une mesure de la glycémie à jeun après 10 à 12 heures de jeûne, afin de le classer selon son statut glycémique : DT2 connu, glycémie à jeun normale ≤5,9mmol/l, hyperglycémie modérée à jeun entre 6 et 6,9mmol/l et DT2 si ≥7mmol/l). De plus, l’âge, le genre, l’ethnie, l’histoire cardiovasculaire, la durée de l’infection par le VIH, le traitement actuel et l’histoire des traitements ARV, la notion de lipodystrophie, une co-infection par un virus d’hépatite ont été collectées. En 2015, les données se sont enrichies de la fréquence de consommation de fruits et légumes (< ou > cinq portions par jour), du nombre d’heures d’activité physique par semaine, de l’histoire cardiovasculaire et d’accidents vasculaires recueillis de façon distincte, de l’histoire familiale de diabète, de la présence d’une maladie rénale chronique, des variations pondérales dans les 12 mois suivant l’initiation des ARV, de la présence d’une stéatose hépatique (définie par une biopsie, une IRM ou un fibroscan), et du nadir de CD4. Les ARV associés au développement de l’insulinorésistance étaient : zidovudine, didanosine, stavudine, zalcitabine, indinavir et de fortes doses de ritonavir, conformément à la littérature. Le syndrome métabolique était défini selon les critères de l’IDF [8].
Les données issues de ces deux cohortes ont été comparées. Pour la cohorte de 2015, le risque relatif de développer un diabète a été comparé à celui de la population générale en utilisant le score Qdiabetes [9]. La cohorte de 2005 regroupait 227 participants (77% d’hommes) et celle de 2015, 338 (74% d’hommes). Ces deux cohortes étaient diversifiées sur le plan ethnique avec 61 pays de naissance, correspondant à la population de Londres. En 2015, 58% des participants étaient en surpoids ou obèses. En comparaison à la cohorte de 2005, la cohorte de 2015 était en moyenne plus vieille, plus lourde, plus hypertendue, avec une infection par le VIH plus longue et plus traitée par des ARV, mais moins tabagique et moins lipodystrophique. La prévalence d’une anomalie de la glycémie à jeun était de 24,9% en 2005 et de 32,3% en 2015, avec une même prévalence d’hyperglycémie modérée à jeun (18,1% en 2005 et 17,2% en 2015, p=0,76) et une augmentation de la prévalence de DT2 (6,8% en 2005 et 15,1% en 2015, p=0,003). Les facteurs significativement associés à une anomalie de la glycémie à jeun dans ces deux cohortes étaient : le tour de taille, l’hypertension, la durée de l’infection par le VIH et l’utilisation d’ARV. L’exposition aux ARV et l’IMC n’étaient associés au DT2 que dans la cohorte de 2015. Parmi les données recueillies exclusivement dans la cohorte de 2015, la stéatose hépatique, le faible niveau d’activité physique et la prise de poids à l’initiation des ARV étaient associés à une anomalie de la glycémie à jeun (p<0,001). Une analyse en régression logistique a été réalisée à partir de la cohorte de 2015, avec tout d’abord les facteurs de risque modifiables, puis les facteurs non modifiables puis tous les facteurs. Les facteurs de risque modifiables (stéatose hépatique, hypertension, ratio HDL/triglycérides et activité physique) sont le plus fortement associés à la prédiction d’une anomalie de la glycémie à jeun, plus encore que les facteurs liés au VIH (durée de l’infection par le VIH, poids pris à l’initiation des ARV) et que les facteurs non modifiables (âge). La stéatose hépatique et l’hypertension étant les meilleurs prédicteurs avec un odds ratio à 7,28 (p<0,001) et 2,58 (p=0,003), respectivement. Le nadir de CD4 et la fréquence de consommation de fruits et légumes étudié dans la cohorte de 2015 n’était pas significativement associé au risque d’anomalie glycémique à jeun.
Ce travail rétrospectif souligne la prévalence alarmante des anomalies de la glycémie à jeun dans une cohorte de patients VIH d’ethnies variées avec environ 1 patient sur 3 pré-diabétiques ou DT2. Cette étude identifie le rôle de facteurs de risque conventionnels et spécifiques à la population VIH de prédire le risque de DT2 et montre le poids important des facteurs de risque modifiables. Entre 2005 et 2015, les cohortes ont vieilli, ont une plus longue durée d’infection par le VIH et une plus longue exposition aux ARV, déterminants importants des anomalies glucidiques. Cependant, d’autres facteurs semblent déterminants dans ce travail comme l’adiposité centrale dont la prévalence a augmenté en 2015. Dans ce contexte de prévalence alarmant, l’identification des facteurs de risque de développer un diabète dans la population de patients vivants avec le VIH est indispensable pour développer une stratégie de prévention et de traitement spécifique. Si autrefois l’infection par le VIH était associée à une mort prématurée et à une maigreur, rendant les facteurs de risque conventionnels du diabète non relevant dans cette population, aujourd’hui, les patients infectés par le VIH vivent plus longtemps et la prévalence du surpoids et de l’obésité abdominale augmentent pour devenir comparable à la population générale [10]. Ce travail explique pourquoi la prévalence du DT2 augmente chez les PLWH : le changement de l’incidence des facteurs de risque conventionnels (âge, IMC) et la combinaison avec des facteurs spécifiques de l’infection par le VIH en sont à l’origine. La durée de l’infection par le VIH, le traitement ARV (plus spécifiquement les traitements métaboliquement toxiques), la prise de poids après initiation du traitement ARV et la présence de lipodystrophies sont significativement associés au risque d’anomalie glucidique mais surtout la stéatose hépatique et l’hypertension, plus encore que l’âge qui sont prédictifs du risque de développer un diabète. La prévalence du DT2 dans ces cohortes de patients VIH était de 6,8% en 2005 et 15,1% en 2015, en partie du fait de l’augmentation de l’âge et de l’lMC. Les implications de ces résultats concernent des millions de patients dans le monde, vivant avec le VIH. Pour améliorer leur prise en charge, il semble important d’augmenter le dépistage du diabète chez ces patients et de dépister les facteurs de risque comme la stéatose hépatique et l’hypertension, en plus d’être proactif sur le mode de vie. Des études d’intervention sur l’impact du changement de mode de vie et des régimes dans cette population semblent indispensables pour connaître l’efficacité sur les facteurs de risque de diabète et proposer une stratégie thérapeutique adaptée.
Références
[1] Monroe AK, et al. Diagnosing and managing diabetes in HIV-infected patients: current concepts. Clin Inf Dis 2015; 60(3) :453-62.
[2] Brown TT, et al. Antiretroviral therapy and the prevalence and incidence of diabetes mellitus in the multicentre AIDS cohort study. Arch Int Med 2005;165(10):1179-82.
[3] American Diabetes Association;Diagnosis and classification of diabetes mellitus. Diabetes Care 2014;37(Suppl 1):S81-90.
[4] Hadigan C, et al. Diabetes mellitus type 2 and abnormal glucose metabolism in the setting of human immunedeficiency virus. Endocrinol Metab Clin North Am 2014;43:685-696.
[5] Ledergerber B, et al. Factors associated with the incidence of type 2 diabetes mellitus in HIV-infected participants in the Swiss HIV Cohort Study. Clin Infect Dis 2007;45(1): 111-9.
[6] Aboud M, et al. Cardiovascular risk evaluation and antiretroviral therapy effects in an HIV cohort: implications for clinical management: the CREATE 1 study. Int J Clin Pract 2010;64(9): 1252-19.
[7] Redwood S, et al. Under-representation of minority ethnic groups in research-call for action. Br J Gen Pract 2013;63(612): 342-3.
[8] Alberti KG, et al. Metabolic syndrome-a new world-wide definition. A Consensus Statement from the International Diabetes Federation. Diabet Med 2006 23(5): 469-80.
[9] Hippisley-Cox J, et al. Predicting risk of type 2 diabetes in England and Wales: prospective derivation and validation of QDScore. BMJ 2009;338: b880Br.
[10] Public Health England (2015). The Public Health Outcomes Framework for England, 2013-2016.