L’insuffisance rénale chronique terminale et le recours à l’hémodialyse concernaient en 2010 un total de 2,6 millions de personnes dans le monde. En 2030, ce chiffre atteindra plus de 5,4 millions d’individus [1]. Dans 22 % des cas, la maladie causale est le diabète [2]. Ceci représente un vrai challenge médico-économique car toutes les études pointent le sur-risque cardiovasculaire de ces patients. Bien que de nombreuses études aient tenté de prédire la survie chez les patients hémodialysés, peu se sont intéressées à une population uniquement diabétique sur le long terme (> 10 années de suivi) [3,4]. L’objectif de cette étude était de décrire la survie des patients diabétiques de type 2 (DT2) en hémodialyse d’après un essai randomisé multicentrique prospectif, l’étude 4D (German Diabetes Dialysis Study), et son étude observationnelle de suivi afin de déterminer les facteurs associés à la mortalité, prédéfinis en fonction de l’expertise clinique, la littérature et la possibilité de récupération des données.
L’étude 4D est un essai randomisé prospectif qui a inclus 1255 patients DT2 âgés entre 18 et 80 ans recrutés dans 178 centres de dialyse allemands entre mars 1998 et octobre 2002 [5]. Les patients ont été randomisés en double aveugle dans un bras atorvastatine 20 mg/jour (n = 619) ou placebo (n = 636). Le critère principal d’évaluation était un critère composite incluant la mortalité cardiovasculaire, l’infarctus non fatal et l’accident vasculaire cérébral non fatal. Dans l’étude princeps publiée dans le New England Journal of Medicine, il n’y avait pas de différence significative pour ce critère à la fin des 4 ans de suivi. Dans l’étude observationnelle de suivi, la poursuite de la statine a été laissée à la discrétion du néphrologue du patient. Lors de cette phase de suivi, des questionnaires ont été envoyés aux néphrologues par mail en 2006 et 2011. En l’absence de réponse, les médecins traitants, la famille, les centres hospitaliers et les mairies ont été contactées afin d’obtenir les certificats de décès.
Le critère d’analyse principal de l’étude était la mortalité toutes causes. Dix paramètres initiaux ont été choisis afin d’évaluer leur possible association avec la mortalité globale : âge, sexe, maladie cardiovasculaire, maladie cérébrovasculaire ou maladie artérielle périphérique, durée d’évolution du diabète, hémoglobine glyquée (HbA1c), albumine, indice de masse corporelle (IMC), et état de santé général. La maladie cardiovasculaire (CaVD) était définie par la survenue d’un des événements parmi les suivants avant le début de l’étude : infarctus du myocarde, pontage aorto-coronarien, angioplastie coronaire, arythmie, fibrillation auriculaire, valvulopathie, ou œdème aigu du poumon. La maladie cérébrovasculaire (CeVD) était un composite d’accident vasculaire cérébral (AVC), accident ischémique transitoire (AIT) et déficit neurologique ischémique prolongé réversible. La maladie artérielle périphérique (PVD) était définie par la présence d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, et/ou la survenue d’une gangrène avant le début de l’étude. La perte d’autonomie était définie par la nécessité d’une aide à domicile au moins 1 heure et demi par jour pour la mobilité, l’hygiène, ou la nutrition. Pour toutes les variables, les données initiales issues de la visite de randomisation ont été utilisées.
Sur les 1255 patients DT2 en hémodialyse inclus dans l’étude 4D, 103 étaient vivants après les 11,5 années de médiane de suivi. Vingt patients ont été perdus de vue (1 pendant l’étude 4D, 19 durant la phase de suivi), et 46 ont été transplantés d’un rein ou d’une double greffe rein-pancréas. Les patients du groupe survivant étaient significativement plus jeunes (59,3 ± 8,8 versus 66,3 ± 8,0 ans, p<0,001 respectivement), étaient plus souvent des hommes (68 versus 53%, p=0,003), et avaient moins de maladie cardiovasculaire (33 versus 61%, p<0,001) ou de maladie artérielle périphérique (26,2 % versus 48,6%, p<0,001) que les patients du groupe non survivant. Les patients du groupe survivant avaient de plus une durée d’évolution du DT2 plus faible (16,3 ± 8,2 versus 18,3 ± 8,9 années, respectivement, p=0,034), un équilibre glycémique statistiquement meilleur (HbA1c 6,4 ± 1,3 versus 6,8 ± 1,3%, p=0,004), un IMC plus élevé (29 ± 5 versus 27,4 ± 4,8 kg/m2), moins de perte d’autonomie (8,7 versus 24,6%, p=0,001), et une durée de dialyse légèrement plus importante (12,9 versus 12,3 heures/semaine). Les deux groupes n’étaient par contre pas différents en termes de profil tensionnel ou lipidique.
Le risque de mortalité toutes causes augmentait de 3% par an avec l’âge (Hazard ratio 1,03, IC 95% [1,02-1,04]). Il n’existait pas de différence significative pour le sexe. La présence de maladie cardiovasculaire et artérielle périphérique étaient les paramètres qui étaient le plus associés à la mortalité (CaVD HR=1,42 IC 95% [1,25-1,62] et PVD HR=1,55 IC 95% [1,36-1,76], respectivement). Le déséquilibre glycémique représenté par l’HbA1c était associé à un sur-risque (HR=1,08 IC 95% [1,03-1,14]), de même pour la perte d’autonomie (HR=1,20 IC 95% [1,03-1,39]). Il n’existait pas d’association de la mortalité avec la maladie cérébrovasculaire, ou la durée d’évolution du diabète. En revanche, l’IMC élevé et le maintien des taux d’albumine étaient statistiquement associés à la survie : chaque augmentation d’1g/dL d’albumine diminuait le risque de 28% HR=0,72 IC 95% [0,59-0,89] ; chaque augmentation d’1 kg/m2 de l’IMC diminuait le risque de 2% HR=0,98 IC 95% [0,96-0,99].
Cette étude montre, chez des patients hémodialysés chroniques diabétiques de type 2, que la maladie artérielle coronaire et périphérique sont les facteurs les plus associés à la mortalité sur le long terme. Plus que la durée d’évolution du diabète, l’équilibre glycémique est significativement associé à un sur-risque alors que l’on retrouve le paradoxe du surpoids qui semble protecteur, probablement en miroir de la dénutrition, puisque l’IMC élevé et l’albumine sont significativement associés à la survie. Cette étude confirme les résultats d’autres études de mortalité effectuées sur des populations semblables en hémodialyse [4,6], mais étend ces données sur une population uniquement diabétique sur le long terme (au-delà de 10 ans). Le lien entre HbA1c et mortalité chez les hémodialysés n’est pas constant dans les études. L’augmentation du turnover érythrocytaire, et les traitements de stimulation de l’érythropoiétine conduisant à une réduction du temps de glycation de l’hémoglobine, l’HbA1c n’est peut être pas le juste reflet de la moyenne glycémique, ni le meilleur marqueur de suivi chez ces patients hémodialysés. De plus, on ne peut que regretter l’absence de suivi de ce paramètre qui n’a été évalué qu’au début de l’étude. La sous-population des patients atteints de DT2 représentant aux Etats-Unis déjà 45% de la population en hémodialyse, il est fort à penser que d’autres études viendront corroborer ces résultats intéressants.
Références
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