Les contours de la relation entre le traitement du diabète et le risque de morbi-mortalité cardiovasculaire ne sont pas clairement déterminés. Le bénéfice du contrôle strict de la glycémie en terme de prévention des évènements macrovasculaires majeurs chez les patients diabétiques de type 2 (DT2), suggéré par certaines études épidémiologiques et interventionnelles, n’a pas été confirmé par les grandes études interventionnelles récentes [1-5] et n’apparaîtrait qu’après de longues années de suivi. Dans l’étude Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes (ACCORD), l’incidence de la mortalité cardiovasculaire et totale était même plus élevée chez les participants bénéficiant d’un contrôle strict de la glycémie que chez ceux randomisés dans le groupe ‘traitement standard’ [2,5]. Les analyses post-hoc de l’étude ACCORD n’ont pas permis d’établir un lien étroit entre la baisse de l’HbA1c (proche des valeurs normales) ou les hypoglycémies sévères et la surmortalité observée [6-7]. Dans le présent travail, les auteurs ont étudié l’impact de la dose d’insuline exogène sur la mortalité cardiovasculaire dans l’étude ACCORD.
Pour rappel, dans l’étude ACCORD, 10 251 patients DT2 avec un risque cardiovasculaire élevé et/ou en prévention secondaire, ont été randomisés en 2 bras parallèles : contrôle strict de la glycémie ciblant une HbA1c <6,0 % vs. prise en charge standard (HbA1c entre 7,0 et 7,9 %). Le critère de jugement principal était composé de la survenue d’un infarctus du myocarde non fatal, d’un AVC non fatal ou d’un décès de cause cardiovasculaire. La mortalité totale faisait partie des critères de jugement secondaires. L’essai a été arrêté précocement en 2008 à cause d’une surmortalité dans le groupe intensif.
Les facteurs associés à la prescription d’insuline dans l’étude ACCORD étaient : origine ethnique, durée du diabète, antécédent de maladie cardiovasculaire, complications du diabète, type d’assurance maladie et suivi par un endocrinologue. La mortalité cardiovasculaire, établie chez 328 participants, a été associée à plusieurs facteurs notamment : âge, sexe, durée du diabète, antécédents de maladie cardiovasculaire, d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque congestive ou de complications du diabète, traitement par insuline avant la randomisation, et taux élevés d’HbA1c, de créatinine plasmatique et du ratio albumine/créatinine urinaire.
La fréquence de la prescription d’insuline (79 % vs. 62 %) et les doses totale (0,41 ± 0,43 vs. 0,30 ± 0,40 U/kg), basale (0,30 ± 0,29 vs. 0,22 ± 0,28 U/kg) et prandiale (0,12 ± 0,18 vs. 0,08 ± 0,17 U/kg) étaient plus importantes dans le groupe ‘traitement intensif’ comparé au bras ‘standard’. La dose moyenne d’insuline a augmenté de façon proportionnelle à la hausse d’HbA1c pendant le suivi, mais sans différence entre les 2 bras de randomisation. Les auteurs ont observé qu’une augmentation de la dose d’insuline (totale, basale, ou prandiale) de 1 U/kg était associée à un risque élevé (1,8 à 3,4 fois) de mortalité cardiovasculaire dans un modèle statistique non ajusté. En revanche, cette association n’a pas persisté après ajustement sur les différentes variables confondantes, notamment les 3 bras de traitements de l’étude ACCORD assignés aléatoirement (contrôle du diabète, de la pression artérielle, des lipides), les hypoglycémies sévères, et le changement du poids. Les facteurs les plus déterminants de l’association entre la dose moyenne d’insuline et la mortalité cardiovasculaire étaient l’HbA1c, l’antécédent d’insuffisance cardiaque congestive, la neuropathie périphérique et l’antécédent de maladie cardiovasculaire à l’inclusion. Un taux élevé d’HbA1c lors du suivi était associé à un risque élevé de mortalité cardiovasculaire dans les modèles non ajustés et multi-ajustés incluant notamment la dose moyenne d’insuline.
Dans ce travail, les auteurs ont observé dans un modèle non ajusté qu’une dose d’insuline exogène d’une unité par kilogramme de poids corporel était associée à une augmentation du risque de mortalité cardiovasculaire. Cette association n’était cependant pas indépendante des autres facteurs confondants, et disparaissait complètement après différents ajustements. Les principaux facteurs déterminant cette association sont : HbA1c, antécédent d’insuffisance cardiaque congestive, neuropathie périphérique, et antécédent de maladie cardiovasculaire à l’inclusion. L’éventualité d’une association entre l’insulinothérapie et la mortalité n’a été suggérée que par un nombre très limité d’études épidémiologiques [8,9]. Aucune étude d’intervention ne plaide en faveur de cette hypothèse. Lors de l’étude ORIGIN par exemple, le traitement par glargine n’a pas été associé à un risque de mortalité cardiovasculaire chez des patients à haut risque cardiovasculaire [10]. Il faut néanmoins noter que la population de l’étude ORIGIN avait une dysglycémie ou un DT2 récent avec certainement moins de complications microvasculaires que les participants de l’étude ACCORD.
La présente étude a plusieurs limites, principalement celles liées aux analyses post-hoc. Les patients n’ont pas été randomisés sur la base d’un traitement par insuline, contrairement à l’étude ORIGIN ou à l’étude UKPDS [11]. Dans l’étude ACCORD, les caractéristiques des patients traités par insuline étaient complètement différentes à l’inclusion en comparaison de celles des patients traités seulement par antidiabétiques oraux. Effectivement, les patients traités par insuline avaient un diabète plus ancien et une fréquence plus élevée d’antécédents cardiovasculaires ou de complications du diabète que les autres. De ce fait, la différence observée en termes de mortalité cardiovasculaire peut être vraisemblablement liée à un ou plusieurs facteurs de risque confondants. L’atténuation de l’association dans plusieurs modèles multi-ajustés plaide en faveur de cette hypothèse. Enfin, les auteurs n’ont pas réalisé d’analyses en fonction de type d’insuline (analogue vs. humaine).
Au total, cette étude post-hoc des données de l’essai clinique ACCORD ne permet pas d’établir une association indépendante entre la dose quotidienne d’insuline administrée et la mortalité cardiovasculaire. Néanmoins, elle incite à rester vigilant vis-à-vis des effets secondaires de l’insuline, particulièrement le risque d’hypoglycémie sévère chez les patients avec complications vasculaires et comorbidités.
Références
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