lundi 18 juillet 2022

Le régime méditerranéen est également efficace en prévention secondaire cardio-vasculaire

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Juin 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Delgado-Lista J, et al. Long-term secondary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet and a low-fat diet (CORDIOPREV): a randomised controlled trial. Lancet 2022; 399:1876-85. doi : 10.1016/S0140-6736(22)00122-2

 

La composition du régime méditerranéen est caractérisée par une proportion importante de fruits, légumes, céréales, de viande blanche et poisson comme source principale de protéines et d’huile d’olive comme principale source de lipides. L’étude PREDIMED a montré que le régime méditerranéen était efficace en prévention primaire cardio-vasculaire (CV) chez des sujets à haut risque CV en comparaison à un régime pauvre en graisses [1].  Malgré des études épidémiologiques montrant des résultats similaires, il n’existe pas d’étude de grande ampleur et de longue durée ayant démontré l’efficacité du régime méditerranéen en prévention secondaire CV, notamment en comparaison à un groupe interventionnel actif. L’étude CORDIOPREV est la première étude à comparer dans un large essai l’efficacité de deux interventions diététiques (régime méditerranéen et régime pauvre en graisses) en prévention secondaire CV.

L’étude CORDIOPREV est un essai monocentrique, randomisé, comparant deux interventions diététiques chez des sujets coronariens, à l’hôpital universitaire de Cordoba, en Espagne. Les critères d’inclusion étaient un âge compris entre 20 et 75 ans et l’existence d’une coronaropathie établie (infarctus du myocarde (IDM), hospitalisation pour angor instable ou événement coronarien avec sténose > 50% à la coronarographie). Les critères d’exclusion étaient d’avoir présenté un événement coronarien au cours des 6 derniers mois, d’avoir une pathologie associée sévère ou une espérance de vie inférieure à la durée prévue de l’étude. La randomisation était de 1 : 1 dans les deux groupes d’intervention. Elle était réalisée en aveugle des membres de l’équipe de recherche. Seuls les diététiciens étaient au courant du groupe d’intervention.
La durée prévue de l’étude était de 7 ans. Le régime méditerranéen (RM) devait comprendre au moins 35% de lipides (22% d’acides gras (AG) monoinsaturés, 6% d’AG polyinsaturés et <10% d’AG saturés), 15% de protéines et au maximum 50% de glucides. Le régime pauvre en graisses (RPG) devait contenir moins de 30% de lipides (<10% d’AG saturés, 12-14% d’AG monoinsaturés, 6-8% d’AG poly-insaturés), 15% de protéines et au moins 55% de glucides. Les apports quotidiens en cholestérol étaient <300 mg dans les deux régimes. L’adhérence aux régimes a été évaluée grâce à deux échelles spécifiques : la 4-point Mediterranean Diet Adherence Screener et la 9-point low-fat diet adherence. Une restriction calorique et la pratique d’une activité physique n’étaient pas recommandées dans le protocole. Le suivi diététique comprenait une visite individuelle tous les 6 mois, une session de groupe tous les 3 mois et un appel téléphonique tous les 2 mois. Douze contacts annuels avec un diététicien ont donc eu lieu tout au long de l’étude. Le critère de jugement principal était un score composite d’événements CV majeurs (IDM, revascularisation, accident vasculaire cérébral (AVC), artériopathie des membres inférieurs documentée et décès CV). L’analyse statistique a été menée en intention de traiter. Elle a utilisé une courbe de Kaplan-Meier et 7 modèles de Cox ajustés à différentes variables (ajustement le plus complet avec âge, sexe, antécédents familiaux CV précoces, hypertension artérielle, LDL-cholestérol <100 mg/dl, IMC, tabagisme, traitement par statine, diabète, changement de poids et d’activité physique au cours du suivi, traitement médicamenteux à l’inclusion).

Entre Octobre 2009 et Février 2012, 1 002 sujets ont été inclus dans l’étude. L’analyse statistique a été réalisée chez 502 sujets dans le groupe RM et 500 dans le groupe RPG. Dans le groupe RM, 423 sujets ont suivi l’intervention à son terme (33 décès et 46 abandons), alors qu’ils étaient 370 dans le groupe RPG (44 décès et 86 abandons).
L’âge moyen était de 59,5 ans et 82,5% des participants étaient des hommes. Le suivi médian était de 2 557 jours. L’adhérence moyenne était de 8,78 pour le RM (sur une échelle comprise entre 0 et 14) et de 3,81 pour le RPG (sur une échelle allant de 0 à 9). A l’issue de l’étude, les sujets du groupe RM avaient significativement augmenté leurs apports en lipides (37,4 à 40,5% des apports énergétiques totaux quotidiens (AETQ)), en AG monoinsaturés (18,4 à 21,4% des AETQ), en AG polyinsaturés (6,4 à 7,4% des AETQ) (grâce à une augmentation de la consommation d’huile d’olive, de noix et de poissons gras) et leurs apports en fibres (2,3 à 3,2 g/1000 kcal). Ils avaient significativement diminué leurs apports en glucides (41,4 à 39,4% des AETQ) et leurs apports en AG saturés (9 à 7,9% des AETQ). Dans le groupe RPG, les participants avaient significativement diminué leurs apports en lipides (36,7 à 32,1% des AETQ), en AG monoinsaturés (17,9 à 25,1% des AETQ) et en AG saturés (8,9 à 7,1% des AETQ). Ils avaient significativement augmenté leurs apports en glucides (41,7 à 45,5% des AETQ) et en fibres (2,3 à 3,2 g/1000 kcal).
Les évènements CV ont concerné 17,3% (n=87) des sujets du groupe RM et 22,2% des sujets du groupe RPG. Le taux d’évènement était significativement plus faible dans le groupe RM que dans le groupe RPG (28,1 vs 37,7 pour 1000 personnes-années, p=0,039). Le Hazard Ratio (HR) non ajusté était en faveur du RM (0,745 95% IC 0,563-0,986). Dans tous les modèles d’ajustement, le HR était en faveur du RM et oscillait entre 0,719 et 0,753. Il n’était pas observé de différence significative entre les deux groupes lorsque chaque composant du score composite était analysé individuellement. Dans l’analyse en sous-groupe, le RM restait supérieur au RPG chez les sujets sans antécédents familiaux CV précoces, sans hypertension artérielle à l’inclusion, avec un LDL-cholestérol <100 mg/dl. Le RM était également supérieur au RPG chez les diabétiques (HR = 0,77 95% IC 0,55-1,10) et les non diabétiques (HR=0,69 95% IC 0,43-1,11).

Les limites de cette étude étaient : 1) l’inclusion uniquement de patients coronariens ce qui ne permet pas de généraliser les résultats à d’autres populations ; 2) la réalisation de l’étude dans un pays méditerranéen avec une acceptation plus important du RM. Cependant, des études menées dans des pays non méditerranéens ont montré une très bonne acceptation du RM. Les forces de cette étude étaient  la durée prolongée du suivi avec intervention diététique et l’uniformité de la prise en charge diététique dans les deux groupes d’intervention.

Cette étude montre donc que le régime méditerranéen comparé à un régime pauvre en graisses permet une diminution du risque d’événements CV de l’ordre de 25% en prévention secondaire. Cette observation est retrouvée dans le sous-groupe des patients diabétiques. Nous bénéficions désormais de données robustes pour prescrire le régime méditerranéen aussi bien en prévention CV primaire que secondaire.

 

Références

[1] Estruch R, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet supplemented with extra-virgin olive oil or nuts. N Engl J Med 2018; 378: e34.
 


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vendredi 3 juin 2022

Association entre régime modérément pauvre en glucides et mortalité chez les patients diabétiques de type 2 dans une cohorte prospective américaine

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Mai 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Wan Z et al. Associations of Moderate Low-Carbohydrate Diets with Mortality among Patients with Type 2 Diabetes: A Prospective Cohort Study. J Clin Endocrinol Metab. 2022 16; dgac235. doi : 10.1210/clinem/dgac235

 

Le diabète de type 2 (DT2) est un problème de santé publique majeur, associé à des taux de morbidité et de mortalité élevés. Parmi les facteurs de risque modifiables, un régime alimentaire sain joue un rôle essentiel dans la prévention et l’amélioration des complications du DT2. Il a été suggéré qu’un régime dont la teneur en glucides est réduite (LCD pour lower-carbohydrate diet), avec comme corolaire une augmentation de la teneur en lipides et en protéines dans l’apport énergétique journalier pouvait avoir des effets favorables sur la perte de poids, l’équilibre glycémique et l’HbA1c, au-delà de la restriction énergétique [1]. Le LCD aurait aussi des effets bénéfiques sur les facteurs de risque cardiovasculaires, tels que le cholestérol et les triglycérides circulants [2]. En revanche, l’effet bénéfique d’une telle diète sur le risque de mortalité en population générale n’est pas clair [3]. De plus, la teneur en glucides, la qualité et l’origine des glucides dans ce régime, ainsi que de celles des protéines ou des lipides, peuvent aboutir à des effets sur la santé très différents. Plusieurs études ont ainsi montré qu’un LCD contenant des protéines et des lipides issus de sources animales était associé à un risque de mortalité toutes causes et cardiovasculaire plus élevé, qu’un LCD avec des aliments d’origine végétale [4].

Bien qu’un récent consensus américain ait souligné le bénéfice potentiel d’une diète LCD sur l’équilibre glycémique chez les patients DT2, il n’est pas encore clairement établi si suivre une diète LCD peut avoir un bénéfice sur la survie à long terme chez les patients DT2 [5]. De plus, l’impact du sexe, de l’ethnie, de l’IMC ou de la durée d’évolution du diabète sur l’association LCD-mortalité est également non connu. Cette étude a donc cherché à investiguer de façon prospective les associations des différents types de LCD avec la mortalité chez les patients DT2.

Il s’agit donc d’une étude prospective sur un échantillon représentatif de la population civile américaine non institutionnalisée du Centre National de statistiques en Santé. Ont été inclus les individus âgés de plus de 20 ans, diabétiques ayant eu au moins une enquête diététique complète entre 1999 et 2014. Le diabète était défini par : auto-déclaration, utilisation de médicaments antidiabétiques ou d’insuline, glycémie à jeun supérieure ou égale à 7,0 mmol/l, HbA1c supérieure ou égale à 6,5% ou glycémie supérieure ou égale à 11,1 mmol/l au cours d’une hyperglycémie provoquée par voie orale. Après exclusion des individus avec des apports caloriques improbables (< 800 kcal/jour ou > 4200 kcal/jour chez les hommes et <600 et >3500 kcal/jour chez les femmes), avec des données incomplètes sur la mortalité ou enceintes, 5677 patients ont été inclus dans l’analyse.

L’évaluation des apports diététiques a été réalisée par rappel des 24h de 1999 à 2000 puis sur 2 jours de 2001 à 2014. La moyenne des valeurs des 2 jours a alors été calculée. Les auteurs ont ensuite appliqué la méthode de l’Institut National du Cancer dans l’estimation des apports en macronutriments pour minimiser les erreurs de mesure. Trois scores de LCD ont été calculés : LCD sain, LCD non sain, LCD « overall ». Les auteurs ont qualifié les glucides de haute qualité (LCD sain) s’ils étaient issus de céréales complètes, légumes, graines, ou de faible qualité (LCD non sain) s’ils étaient issus de glucides raffinés, jus de fruits, saccharose, pommes de terre. Ils ont aussi utilisé le pourcentage d’apports énergétiques journaliers issus des glucides, des lipides ou des glucides, plutôt que le chiffre brut pour minimiser le biais de sous-estimation. Les participants ont été divisés en 11 strates (0-10) selon le pourcentage d’apport énergétique issu des protéines, des lipides et des glucides. Les individus des catégories les plus hautes en teneur en protéines et en lipides ont un nombre de points élevé tandis que les individus à haute teneur en glucides avaient un score plus bas. Le score LCD « overall » était la somme des 3 scores de composition en macronutriments, classés de 0 à 30. Un score LCD non sain était calculé selon le pourcentage de l’apport énergétique issu des glucides raffines, des protéines d’origine animale et des lipides saturés, tandis que le calcul d’un LCD sain était basé sur des glucides non raffinés, des protéines d’origine végétale et des lipides insaturés. Plus le score était élevé plus les participants suivaient une diète saine.

Les informations sur le sexe, l’âge, l’ethnie, le niveau d’études, le revenu de la famille, la consommation de tabac, l’activité physique, le diabète, les antécédents médicaux ont été recueillis au recrutement par des enquêteurs entrainés à l’aide de questionnaires standardisés. Le poids et la taille ont été relevés lors de l’examen clinique, et l’IMC a été calculé. L’activité physique de loisir a été quantifiée par semaine à l’aide de questionnaires et classée de modérée à intense. La consommation d’alcool a été recueillie sur des centres mobiles d’examen. De plus, la glycémie, l’insulinémie, l’HbA1c, les triglycérides, le cholestérol total, le LDL, le HDL et la CRP ont été prélevés au recrutement. L’index HOMA-IR a ensuite été calculé. La mortalité a été déterminée par revue du fichier national des décès.

Des modèles à risque proportionnel de Cox ont été utilisés pour estimer les hazard ratios (HR) et leurs intervalles de confiance à 95% de la mortalité.

Sur les 5677 personnes diabétiques incluses, la moyenne d’âge était de 61,8 ans (écart type = 13,5 ans) et 49,7% étaient des femmes. Sur une médiane de 6,3 années de suivi (39 401 personnes-années), 1432 décès sont survenus. Après ajustement sur les facteurs de confusion incluant les paramètres du style de vie, la durée du diabète et l’HbA1c, les patients du 3e quartile du score de LCD « overall » avaient le plus faible risque de mortalité (HR : 0,65 [IC95% : 0,5-0,85]), comparativement à ceux du premier quartile. L’HR de mortalité ajusté sur les multiples variables dans les différents quartiles des scores de LCD sains était de : 1,00 (référence), 0,78 [IC95% :0,64-0,0,96], 0,73 [0,58-0,91] et 0,74 [0,58-0,95] (P-trend= 0,01). Le fait de remplacer (à apports énergétiques égaux) 2% de l’énergie issue des glucides par des protéines végétales ou des acides gras poly-insaturés était associé à une diminution de la mortalité totale de 23 à 37%. Des résultats similaires ont été retrouvés quand les analyses étaient stratifiées sur l’âge, le sexe, l’ethnie, le tabac, l’IMC, le degré d’activité physique et la durée du diabète.

Les points forts de l’étude étaient le caractère prospectif, l’utilisation d’un échantillon représentatif de la population américaine (qui permet de généraliser plus facilement les résultats observés), la prise en compte de multiples facteurs de confusion potentiels. Les points faibles de l’étude étaient la méthode de recueil diététique rapporté par les patients avec le risque de sous-estimation qu’il comporte, le fait que ce recueil ne se fasse qu’initialement (les patients ont très bien pu changer de régime au cours du suivi), l’impossibilité de distinguer ni les types de diabète, ni la sévérité du diabète, la possibilité d’autres facteurs de confusion non pris en compte dans l’étude et le biais lié aux comparaisons multiples.

Un score LCD sain étaient donc significativement associé à un plus faible risque de mortalité chez les adultes diabétiques de type 2. L’adhésion à une diète modérément basse en glucides bien équilibrée, avec des protéines végétales et des acides gras poly-insaturés pourrait prévenir les décès prématurés chez les patients DT2.

 

Références

[1] Goldenberg JZ, et al. Efficacy and safety of low and very low carbohydrate diets for type 2 diabetes remission: systematic review and meta-analysis of published and unpublished randomized trial data. BMJ 2021 13; 372-74.
 
[2] Santos FL, et al. Systematic review and meta-analysis of clinical trials of the effects of low carbohydrate diets on cardiovascular risk factors. Obes Rev 2012; 13:1048-66.
 
[3] Reynolds A, et al. Carbohydrate quality and human health: a series of systematic reviews and meta-analyses. Lancet 2019; 393:434-445.
 
[4] Shan Z, et al. Association of Low-Carbohydrate and Low-Fat Diets With Mortality Among US Adults. JAMA Intern Med 2020; 180:513-523.
 
[5] Evert AB, et al. Nutrition Therapy for Adults With Diabetes or Prediabetes: A Consensus Report. Diabetes Care 2019; 42:731-754.
 


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mardi 10 mai 2022

Ostéocalcine et risque de survenue de diabète ou de néphropathie diabétique : les enseignements d’une cohorte prospective

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Avril 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Xiaoqi Ye, et al. Osteocalcin and Risks of Incident Diabetes and Diabetic Kidney Disease: A 4.6-Year Prospective Cohort Study. Diabetes Care. 2022;45(4):830-836. doi : 10.2337/dc21-2113

 

L’ostéocalcine (OC) est la protéine non collagénique la plus importante de la matrice osseuse et de la synthèse ostéoblastique. Outre son rôle de marqueur de la formation osseuse, elle est également une hormone active impliquée dans la régulation du métabolisme glucidique et lipidique. Elle circule sous deux formes : carboxylée ou décarboxylée. Seules cinq études de cohortes prospectives ont rapporté une association entre le niveau de base d’OC totale et le risque de diabète : un taux plus faible d’OC étant associé à un risque plus élevé de diabète. Notons qu’une diminution des taux d’OC est possible dans les conditions d’obésité, d’insulinorésistance et d’hyperglycémie. La néphropathie diabétique est, quant à elle, associée à un plus haut risque de mortalité cardiovasculaire mais aussi de mortalité toutes causes confondues. De ce fait, détecter des marqueurs de risque/d’association précoces entre néphropathie diabétique et évènements négatifs est nécessaire. Aucune étude prospective préalable n'a examiné l'OC en tant que prédicteur de l'incidence de néphropathie diabétique. L’objectif des auteurs était de définir si la relation entre l'OC et la néphropathie diabétique était similaire à celle entre l'OC et le risque de diabète incident.

Cette étude découle d'une cohorte prospective communautaire avec un suivi moyen de 4,6 ans. Dans la région de Nicheng à Shanghai, 17 212 individus âgés de 45 à 70 ans ont été recrutés entre 2013 et 2014, et parmi eux, 10 075 personnes âgées de 55 à 70 ans ont été invitées à participer à l'enquête de suivi en 2018. Finalement, 7 069 personnes ont participé à cette étude. Les participants ont été divisés en deux groupes en fonction de la présence ou non de diabète. Le groupe des non-diabétiques (n=5396) a permis l'analyse de l'association entre l’OC et diabète incident, et le groupe des diabétiques (n= 1174) a permis l'analyse de l'association entre l’OC et survenue de néphropathie diabétique. Des échantillons sanguins et urinaires ont été prélevés lors d'une visite matinale après un jeûne d'au moins 10 heures. Un dosage immunologique par électro-chimioluminescence a été utilisé pour détecter le  taux d’OC total sérique, comprenant à la fois la molécule intacte et les fragments de la région N-terminale/médiane.

Les participants développant un diabète ou une néphropathie diabétique comportaient une proportion plus élevée de consommateurs d’alcool occasionnels, avaient un niveau d’OC plus faible et présentaient des profils métaboliques défavorables (niveaux plus élevés d’indice masse corporelle (IMC), de pression artérielle systolique, d’index HOMA-IR, de glycémie à jeun, d’HbA1c et de triglycérides mais niveaux plus faibles de HDL-C). Des corrélations négatives significatives ont été trouvées entre l'OC et l'IMC, l'HOMA-IR, la glycémie à jeun et l'HbA1c après ajustement pour l'âge et le sexe (tous les p < 0,001). Il y avait une association linéaire inverse entre l’OC et le risque de diabète incident (p pour la tendance < 0,05) ; le risque relatif (RR) de diabète incident était de 0,51 (IC 95 % 0,35-0,76) par augmentation d'une unité d’OC transformée en log-e. Dans le modèle multivarié, les participants présentant le quartile le plus élevé d’OC avaient un risque de diabète incident inférieur de 35 % (RR 0,65 [IC à 95 % 0,44-0,95]) par rapport à ceux présentant le quartile le plus bas d’OC. Les modèles de régression multivariée ont montré une association linéaire entre les concentrations d’OC de base et le risque de survenue de néphropathie diabétique (RR de néphropathie diabétique  par augmentation d'une unité d’OC transformée en log-e de 0,49 [IC à 95 % 0,33-0,74]). Des concentrations initiales plus élevées d’OC étaient associées de manière significative à une diminution du risque de survenue de néphropathie (p pour la tendance linéaire < 0,05) ; par rapport aux participants du quartile le plus bas, le RR néphropathie diabétique pour les participants du quartile le plus élevé d’OC était de 0,56 (IC à 95 % : 0,38-0,83).

Cette étude est la plus grande étude de cohorte prospective à s’intéresser à l'association entre taux d’OC et survenue d’un diabète d’une part et taux d’OC et survenue d’une néphropathie diabétique d’autre part. Des concentrations sériques plus élevées d’OC totale sont associées à une réduction du risque de diabète incident et de néphropathie diabétique. Deux études longitudinales, l'une incluant 1 870 patients hospitalisés en Chine [1] et l'autre incluant 1 691 femmes japonaises ménopausées [2], ont retrouvé des résultats similaires. Cependant, des résultats contradictoires existent. Premièrement, dans une étude portant sur 1 455 femmes âgées (moyenne d’âge à 74 ± 5 ans) aux États-Unis, les auteurs ont observé que des taux d’OC plus faibles étaient associés à des risques accrus de diabète incident [3]. Deux études n'ont pas trouvé d'association significative entre le taux d’OC et le risque de diabète incident : l'une sur un petit échantillon de 307 personnes [4], et l'autre uniquement sur des hommes [5]. Par ailleurs, au travers de cette étude, les auteurs ont également démontré qu’il existait une association inverse, indépendante et robuste entre taux d’OC et survenue d’une néphropathie diabétique, même après ajustement sur les niveaux de filtration glomérulaire.

Concernant les hypothèses physiopathologiques, les auteurs précisent que des études ultérieures ont démontré que les souris sans OC pouvaient accumuler des quantités anormales de graisse viscérale et ainsi présenter une diminution de la prolifération β-cellulaire, une hyperglycémie, une diminution de la sécrétion d'insuline et une résistance à l'insuline. Dans cette étude, les concentrations d’OC étaient inversement associées à l'IMC, à l’HOMA-IR et à la glycémie initiale, ce qui leur permet de faire un parallèle avec leurs résultats. Le rôle de l’adiponectine pourrait être central puisque nous savons que l’OC peut favoriser la sensibilité à l'insuline en augmentant l'expression de l’adiponectine dans les adipocytes. Spécifiquement pour la néphropathie diabétique, les auteurs évoquent un lien entre l’OC et la dysfonction endothéliale, l’OC pouvant augmenter les niveaux de synthèse d’oxyde nitrique endothéliale en activant la voie AKT/oxyde nitrique synthase endothéliale.

Cette étude présente plusieurs points forts : 1) la taille de l’échantillon utilisé ; 2) la collecte de données complètes permettant d'évaluer les facteurs de confusion communs. Plusieurs limites doivent également être prises en compte : 1) le manque de données sur les marqueurs du renouvellement osseux ; 2) le recueil d’un seul échantillon d'urine le matin, pouvant être affecté par la variabilité journalière du débit de filtration glomérulaire chez les individus ; 3) la population était d'âge moyen avancé (médiane à 61,6 ans), rendant les résultats inapplicables aux groupes d'âge plus jeunes ; 4) l’absence de vérification du type de diabète pouvant induire des biais; 5) la possibilité d’avoir méconnu des cas d’ostéoporose bien que les auteurs aient exclu l'ostéoporose par l'utilisation de médicaments anti-ostéoporotiques ou un diagnostic sous-jacent.

En conclusion, le taux d’OC circulant pourrait potentiellement servir de biomarqueur pour la détection des sujets à risque de diabète et de survenue de néphropathie diabétique. Ces résultats restent cependant préliminaires mais permettent de générer des hypothèses, notamment concernant le lien avec l’adiponectine ou la dysfonction endothéliale, méritant  d'autres études prospectives observationnelles et interventionnelles afin de clarifier les mécanismes  physiopathologiques sous-jacents.

 

Références

[1] Shu H, & al. Significant inverse association between serum osteocalcin and incident type 2 diabetes in a middle-aged cohort. Diabetes Metab Res Rev. 2016;32(8):867-874.
 
[2] Urano T, & al. Low serum osteocalcin concentration is associated with incident type 2 diabetes mellitus in Japanese women. J Bone Miner Metab. 2018;36(4):470-477.
 
[3] Massera D, & al. Biochemical Markers of Bone Turnover and Risk of Incident Diabetes in Older Women: The Cardiovascular Health Study. Diabetes Care. 2018;41(9):1901-1908.
 
[4] Liatis S, & al. Baseline osteocalcin levels and incident diabetes in a 3-year prospective study of high-risk individuals. Diabetes Metab. 2014;40(3):198-203.
 
[5] Hwang YC, & al. Circulating osteocalcin level is not associated with incident type 2 diabetes in middle-aged male subjects: mean 8.4-year retrospective follow-up study. Diabetes Care. 2012;35(9):1919-24.
 


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lundi 4 avril 2022

Répartition du gras au sein du pancréas et insulinorésistance

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Mars 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Skudder-Hill L et al. Fat Distribution Within the Pancreas According to Diabetes Status and Insulin Traits. Diabetes 2022; 2:db210976. doi : 10.2337/db21-0976

 

Un pancréas chargé de lipides est la maladie du pancréas la plus commune et concerne environ une personne sur 5 dans la population générale [1]. Une étude transversale de 2014 a observé que les personnes avec un pancréas gras avaient une insulinorésistance significativement augmentée [2] et une méta-analyse de 2017 des auteurs du présent article ont rapporté un risque de diabète de type 2 (DT2) multiplié par 2 chez les individus porteurs d’un pancréas gras [3]. Il est à noter que dans cette dernière méta-analyse, les études incluses utilisaient des méthodes différentes de mesure du contenu lipidique intra-pancréatique (échographie par voie trans-abdominale ou endoscopique, IRM, TDM, spectroscopie de masse) ce qui a pu induire une grande variabilité dans les résultats. Parmi elle, l’IRM a émergé comme la méthode non-invasive de référence de quantification des lipides intra-pancréatiques [1].  La technique standardisée de « MR-opsie » a récemment été proposée pour la mesure de la graisse intra-pancréatique en plaçant la région d’intérêt au niveau de la tête, du corps et de la queue du pancréas [2]. Il a été montré que cette technique offrait une meilleure précision et une plus grande reproductibilité comparée aux autres techniques (dessin manuel des contours) qui sont souvent prises en défaut car elles peuvent prendre en compte les organes environnants : duodénum, veine splanchnique, veine cave inférieure, tissu adipeux viscéral. Ces structures anatomiques peuvent rendre difficile la mesure précise du contenu lipidique pancréatique et résulter en une surestimation de la quantification. Ce manque de consistance dans les résultats peut également ne pas rendre compte de la distribution inégale des lipides entre la tête, la queue et le corps du pancréas. Initialement, la répartition inégale de la graisse au sein des différentes parties du pancréas a été suggérée dans une étude de 1995 analysant les données de 80 scanners de plusieurs hôpitaux [3]. Cette question est à ce jour non résolue en l’absence de grandes études utilisant des techniques de quantification modernes prenant en compte les facteurs de confusion potentiels .

En étudiant une cohorte prospective basée sur la population ajustée sur des covariables clés (l’âge, le sexe, l’ethnie, l’IMC et le contenu hépatique en lipides), et utilisant la technique de « MR-opsie » pour quantifier le gras intra-pancréatique, cette étude avait pour but de déterminer les différences de distribution des dépôts lipidiques entre la tête, le corps et la queue du pancréas, en relation avec les différences de statut insulinique et diabétique.

Un total de 368 adultes (au moins 18 ans), issus de la population générale, ont été inclus dans cette étude transversale qui s’est déroulée à l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Les critères d’exclusion étaient : un antécédent de cancer pancréatique ou de tout autre cancer, de chirurgie bariatrique ou de chirurgie du pancréas, de pancréatite chronique ou d’autres pathologies du pancréas détectées par imagerie, de diabète de type 1 ou de pathologie chronique du foie. Les sujets qui participent à un programme de perte de poids ou qui ont reçu des conseils diététiques n’ont pas non plus été inclus, tout comme ceux porteurs d’un pacemaker ou suivant une corticothérapie. Les participants ont donné leur accord pour bénéficier d’une IRM 3T MAGNETOM Skyra scanner VE 11A (Siemens, Erlangen, Germany) quantifiant la graisse intra-pancréatique. Le même protocole d’imagerie a été utilisé pour tous les participants. De plus, une spectroscopie de résonnance magnétique a été employée pour quantifier le contenu hépatique en lipides. Le contenu pancréatique en lipides et leur répartition au sein du pancréas ont été déterminés par la méthode « MR-opsie » modifiée : deux coupes au centre du pancréas ont été sélectionnées à partir des images de l’IRM. Le logiciel ImageJ (National Institutes of Health, Bethesda, MD, USA) a ensuite été utilisé pour positionner les régions d’intérêt sur la tête, le corps et la queue du pancréas. Le diamètre de la tête du pancréas correspondait au diamètre antéropostérieur aligné sur le point le plus à droite de la confluence des veines mésentérique supérieure et splénique. Le diamètre du corps pancréatique était le plus grand diamètre antéropostérieur du pancréas aligné sur le bord latéral gauche de la vertèbre lombaire adjacente. Le diamètre de la queue du pancréas était une ligne perpendiculaire à la ligne médiane de l’organe, à un point situé à 20 mm du point le plus distal du pancréas sur la coupe. Une attention particulière était portée afin d’éviter l’inclusion des structures adjacentes non pertinentes. Le logiciel ImageJ était ensuite utilisé pour quantifier la graisse intrapancréatique selon l’intensité du signal. Le même processus était appliqué pour les 2 coupes et la moyenne des deux valeurs était calculée. Deux techniciens indépendants ont mesuré le contenu lipidique du pancréas de chaque participant manuellement et la moyenne du résultat des deux mesures était calculée. La concordance des mesures entre les deux techniciens a été évaluée en calculant des coefficients de corrélation intra-classe (ICC). L’HbA1c, la glycémie à jeun, l’insulinémie à jeun ont été mesurés. L’index HOMA-IR a été calculé, ainsi que le HOMA-β. Les individus étaient ensuite divisés en tertiles selon les niveaux de HOMA-IR et HOMA-β et ceux qui avaient les tertiles les plus élevés avaient une insulinorésistance et une insulinopénie, respectivement.

Les modèles statistiques étaient ajustés pour l’âge, le sexe, l’ethnie, l’indice de masse corporelle (IMC) et le contenu hépatique en lipides.

Sur les 368 individus inclus, 159 étaient des hommes (43,2%). Cent vingt et un étaient des Européens Caucasiens (32,9%), 179 étaient asiatiques (48,6%), and 68 étaient d’autres ethnies (18,5%). Il y avait 208 participants normoglycémiques (56,5%), 117 participants avec un prédiabète (31,8%) et 43 avec un DT2 (11,7%) (17 sous antidiabétiques oraux et 14 sous insuline). Aucun participant n’avait un IMC < 18 kg/m² et 88 (23,9%) avaient un IMC ≥ 30 kg/m².

Au niveau de la tête du pancréas, le minimum de pourcentage de graisse était de 2,4% et le maximum était de 14,5%. Pour le corps, le minimum et le maximum étaient de 2,3% et de 14,4%, respectivement, et pour la région de la queue, le minimum et le maximum étaient de 2,4% et de 14,7%, respectivement. Les quantités de lipides dans la tête le corps et la queue du pancréas ne différaient pas significativement dans les modèles ajustés, dans la cohorte entière et également au sein des trois sous-groupes définis selon le statut diabétique (normoglycémiques, prédiabétiques et diabétiques). L’indice HOMA-IR et l’insulinémie à jeun étaient significativement associés au contenu lipidique de la queue et du corps du pancréas, mais pas au niveau de la tête. L’index HOMA-IR expliquait 7,4% de la variabilité de contenu lipidique du corps du pancréas et 6,7 % de la variabilité de la queue du pancréas. Il n’y avait pas d’association significative entre le contenu lipidique dans chaque partie du pancréas et l’indice HOMA-β.

Le principal point fort de l’étude est qu’il s’agit de la plus large étude portant spécifiquement sur le contenu lipidique intra-pancréatique utilisant l’IRM et également la plus large investiguant les associations entre la graisse dans les différentes régions du pancréas et les paramètres insuliniques et le statut diabétique, grâce à des analyses ajustées sur 5 covariables.

Les points faibles de l’étude étaient : le design transversal de l’étude qui ne permet pas d’établir de lien de causalité entre le gras pancréatique et les paramètres étudiés, la présence d’autres facteurs de confusion potentiels, l’absence de prise en compte des facteurs génétiques connus pour être associés à la répartition corporelle du tissu adipeux mais les auteurs admettent qu’il n’y a pas de facteurs génétiques connus pour prédisposer à l’augmentation du gras intra pancréatique. Les autres points négatifs étaient l’absence de certaines ethnies dans la population d’étude, l’absence d’indication sur le niveau d’activité physique et le profil diététique des participants et l’utilisation d’index HOMA-IR et HOMA-β reflétant plutôt l’insulinorésistance hépatique et l’insulinosécrétion basale, respectivement. Le clamp euglycémique hyperinsulinémique n’a pas pu être utilisé dans cette étude.

L’association positive entre le contenu lipidique de la queue et du corps du pancréas avec l’insulinorésistance pourrait aider à l’identification précoce des patients à risque de développer une insulinorésistance et donc un diabète de type 2.

 

Références

[1] Petrov MS, Taylor R. Intra-pancreatic fat deposition: bringing hidden fat to the fore. Nat Rev Gastroenterol Hepatol. 2022; 19 :153-168.
 
[2] Wong VW, Wong GL, Yeung DK, Abrigo JM, Kong AP, Chan RS, Chim AM, Shen J, Ho CS, Woo J, Chu WC, Chan HL. Fatty pancreas, insulin resistance, and β-cell function: a population study using fat-water magnetic resonance imaging. Am J Gastroenterol. 2014; 109:589-97.
 
[3] Taylor R, Al-Mrabeh A, Zhyzhneuskaya S, Peters C, Barnes AC, Aribisala BS, Hollingsworth KG, Mathers JC, Sattar N, Lean MEJ. Remission of Human Type 2 Diabetes Requires Decrease in Liver and Pancreas Fat Content but Is Dependent upon Capacity for β Cell Recovery. Cell Metab. 2018; 28:547-556.e3.
 
[4] Singh RG, Yoon HD, Wu LM, Lu J, Plank LD, Petrov MS. Ectopic fat accumulation in the pancreas and its clinical relevance: A systematic review, meta-analysis, and meta-regression. Metabolism. 2017; 69: 1-13.
 
[5] Matsumoto S, Mori H, Miyake H, Takaki H, Maeda T, Yamada Y, Oga M. Uneven fatty replacement of the pancreas: evaluation with CT. Radiology. 1995; 194 :453-8.
 


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jeudi 3 mars 2022

Différencier la céto-acidose diabétique de la cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde chez les adultes présentant un diabète de type 1

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Février 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Halis Kaan Akturk, et al. Differentiating Diabetic Ketoacidosis and Hyperglycemic Ketosis Due to Cannabis Hyperemesis Syndrome in Adults With Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2022; 45: 481–483. doi : 10.2337/dc21-1730

 

La consommation de cannabis n’est pas rare chez les sujets présentant un diabète de type 1 (DT1) et ce d’autant plus dans les pays où la législation a été assouplie. Au Colorado, depuis la légalisation du cannabis, le nombre de consultations en urgence pour hyperglycémie ou cétose du sujet diabétique, consommateur de cannabis, a doublé. Effectivement, dans une étude antérieure, un risque 2 à 3 fois supérieur de situations à risque (hyperglycémie ou cétose) avait été rapporté en lien avec le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde [1,2]. Dans les faits, les nausées, parfois sévères, précédent les vomissements qui sont à l’origine d’une cétose puis d’une hyperglycémie; à l’opposé donc de la physiopathologie classique de la céto-acidose diabétique. De plus, une étude australienne a montré la présence d’une alcalose (non pas d’une acidose) dans ces situations précises de consommations cannabinoïdes [3].

L’objectif des auteurs était ici de différencier, chez les sujets DT1, la céto-acidose diabétique dite « typique », de la céto-acidose « atypique » définie comme cétose hyperglycémique due au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, en étudiant les paramètres acido-basiques de ceux qui se sont présentés aux urgences.

Pour ce faire, une analyse rétrospective des dossiers médicaux relatifs aux consultations en urgence du Barbara Davis Center for Diabetes (Colorado) pour céto-acidose, selon la classification ICD-10, entre 2016 et 2021 a été réalisée. Ont été inclus les événements qui répondaient aux critères suivants (basés sur les critères de diagnostic de l'American Diabetes Association) : glycémie veineuse > 250 mg/dL, trou anionique > 10, cétones déterminées par le taux sérique de B-hydroxybutyrate (BHB) > 0,6 mmol/L, et test de dépistage toxicologique urinaire disponible à l'admission. Les valeurs moyennes de pH veineux, des taux de bicarbonates sériques (HCO3), du trou anionique et des taux de BHB ont été comparées entre les consommateurs et les non-consommateurs de cannabis atteints de DT1.

Parmi les 295 patients DT1 reçus au cours de cette période, 68 patients avec 172 événements de céto-acidose, ont été inclus. Tous les patients présentaient un taux de BHB élevé (respectivement pour les non-consommateurs et les consommateurs, 15,3 ± 2,1 mmol/L vs 13,7 ± 2,4 mmol/L (p= ns)). En régression linéaire mixte, ajustée sur l'âge et le sexe, la moyenne du pH veineux était de 7,09 ± 0,02 vs 7,42 ± 0,01 (P < 0,0001), le trou anionique sérique était de 23,90 ± 0,71 vs 20,94 ± 0,60 mmol/L (P = 0,01), et le taux de bicarbonate sérique était de 9,1 ± 0,71 vs 19,20 ± 0,61 mmol/L (P < 0,0001) chez les patients qui ne consommaient pas de cannabis vs ceux qui en consommaient. Sur les 74 événements survenus chez les consommateurs de cannabis, 72 (96 %) avaient un pH veineux de 7,4 et un taux de bicarbonate sérique de 15 mmol/L au moment de l’arrivée aux urgences.

Sur la base de ces constatations, les auteurs ont proposé de définir la cétose hyperglycémique due au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, comme l’association d’une glycémie veineuse > 250 mg/dL, d’un trou anionique > 10, et d’un taux de BHB sérique > 0,6 mmol/L, si le pH veineux était ≥ 7,4 et le taux de bicarbonate sérique était au moins de 15 mmol/L au moment de la visite aux urgences. Lorsque ce seuil de pH veineux et de bicarbonate a été utilisé, l'aire sous la courbe ROC du test urinaire positif au cannabis prédisant une cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde, était de 98 % avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 95 %.

Chez le diabétique, le diagnostic de céto-acidose est basé sur un glucose plasmatique > 250 mg/dL, un trou anionique préservé, une acidose métabolique, des corps cétoniques sériques positifs, et des changements significatifs du pH et du taux de bicarbonate de sérique dans un contexte de symptômes cliniques. Ces paramètres sont utilisés pour orienter l’admission intra-hospitalière des patients. Cette étude suggère donc que se fier uniquement au pH et au taux d’HCO3- peut s’avérer trompeur chez les consommateurs de cannabis atteints de DT1.

Dans cette étude, les DT1 consommateurs de cannabis présentaient une alcalose métabolique malgré une cétose à trou anionique élevé. Cette étude est concordante avec les conclusions de la série Australienne sus-citée [3]. Il s'agit de la première étude à analyser les seuils de pH et de bicarbonates pour différencier la céto-acidose diabétique et la cétose hyperglycémique due au syndrome cannabinoïde. Cette étude permet de suggérer le dépistage de toxiques urinaires (à la recherche de cannabis) chez les adultes DT1 qui se présentent aux urgences avec une glycémie > 250 mg/dL, un taux de BHB de 0,6 mmol/L ou plus, et un pH ≥ 7,4 (plus élevé qu’attendu) avec un taux de bicarbonates sériques ≥ 15 mmol/L. Ce seuil permettrait de prédire 98 % des événements de cétose hyperglycémique due au syndrome cannabinoïde.

Les niveaux de pH et de bicarbonates chez les consommateurs de cannabis doivent donc être interprétés avec grande prudence pour classer la gravité de la situation aiguë. Concernant la prise en charge, la priorité est à la réduction du trou anionique et à la diminution du taux de BHB grâce au remplissage vasculaire et à une insulinothérapie intensive.

La grande taille de l'échantillon, l'examen méticuleux des dossiers médicaux par deux médecins et la définition de la cétose hyperglycémique due aux vomissements du syndrome cannabinoïde sont les principales forces de cette étude. Cependant, la conception monocentrique, rétrospective et le nombre limité de patients avec un résultat de toxicologie urinaire disponible sont les principales limites de ce travail. Une mauvaise classification des épisodes de céto-acidose due à l'utilisation des codes de la CIM-10 ne peut être exclue. En outre, les auteurs n'ont pu vérifier la séquence des symptômes (céto-acidose précédant les vomissements ou vomissements précédant la cétose) à partir des dossiers médicaux. De futures études prospectives semblent donc nécessaires pour confirmer les résultats.

En conclusion, chez les adultes DT1 se présentant aux urgences pour hyperglycémie, la cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde doit être envisagée chez ceux dont le pH est ≥ 7,4 et le taux de bicarbonates ≥ 15 mmol/L en présence d'une cétose.

 

Références

[1] Kim HS & Monte AA. Colorado cannabis legalization and its effect on emergency care. Ann EmergMed 2016; 68:71–75.
 
[2] Kinney GL, & al. Cannabis use is associated with increased risk for diabetic ketoacidosis in adults with type 1 diabetes: findings from the T1D Exchange Clinic Registry. Diabetes Care 2020; 43:247–249.
 
[3] Akturk HK, & al. Association between cannabis use and risk for diabetic ketoacidosis in adults with type 1 diabetes. JAMA Intern Med 2019; 179:115–118.
 
[4] Hennessy A. Cannabis masks diabetic ketoacidosis. BMJ Case Rep 2011; 2011: bcr0220102716.
 


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jeudi 3 février 2022

Mesure continue du glucose et diabète de type 2 traité par insuline basale sans bolus

Auteur : 
Sopio Tatulashvili
Date Publication : 
Janvier 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Aleppo, et al. The Effect of Discontinuing Continuous Glucose Monitoring in Adults With Type 2 Diabetes Treated With Basal Insulin. Diabetes Care 2021; 44:2729–37. doi : 10.2337/dc21-1304

 

Le bénéfice clinique de la mesure en continu du glucose (CGM, Continuous Glucose Monitoring) a déjà été démontré pour les patients atteints de diabète de type 1 (DT1) ou 2 (DT2) traités par insulinothérapie intensive (injections d’insuline pluriquotidiennes) ou pompe à insuline. Son utilisation permet une diminution de l’HbA1c, une augmentation du temps passé dans la cible (TIR) et une diminution des hypoglycémies [1–3]. En revanche, l’utilisation de CGM pour les patients vivant avec un DT2 sans insulinothérapie intensive n’a pas encore été étudiée. L’équipe d’Aleppa et al. a analysé l’effet de CGM chez les patients vivant avec un DT2 traités par insuline basale. Les effets de la mise sous CGM (phase 1) puis de l’arrêt de CGM (phase 2) ont été évalués dans cette étude multicentrique (15 centres), randomisée d’une durée de 14 mois.

Les participants de l’étude avaient 30 ans ou plus, traités par insuline basale et d’autres médicaments antidiabétiques à l’exception de l’insuline rapide, avec une HbA1c entre 7,8% et 11,5% à l’inclusion. Au cours d’une première phase d’une durée de 8 mois, les 175 participants ont été randomisés en deux groupes : 116 participants ont eu une pose de CGM Dexcom G6 (groupe CGM) et 59 participants ont poursuivi leur surveillance traditionnelle de glycémie par automesures capillaires (groupe BGM, Blood Glucose Monitoring).
Au cours de la phase 2, d’une durée de 6 mois, dont cette publication est l’objet, le groupe BGM a poursuivi la surveillance capillaire à l’identique. Le groupe CGM a été divisé en deux groupes : la moitié des participants ont continué à utiliser le CGM et l’autre moitié a arrêté le CGM et a repris la surveillance par glycémies capillaires. L’objectif principal de cette phase était l’évaluation de l’arrêt du CGM via le TIR après 8 mois d’utilisation.
Tous les participants ont porté un CGM Dexcom G6 Pro (en aveugle) pendant 10 jours avant la randomisation initiale pour obtenir les données CGM de base.
Au cours de la phase 1 qui a fait l’objet d’une étude préliminaire [4], l’HbA1c était passée de 9,1 à 8,0% dans le groupe CGM. Dans le groupe BGM, l’HbA1c était passée de 9,0 à 8,4%. La diminution d’HbA1c était plus importante dans le groupe CGM (différentiel ajusté -0,4% 95% IC -0,8, -0,1, p = 0,02). Le TIR (70-180mg/dl) à 8 mois dans le groupe CGM était de 59% vs 43% dans le groupe BGM (p < 0,001).
Au cours de la phase 2, dans le groupe qui a arrêté l’utilisation du CGM, le TIR qui s’était amélioré lors du port du CGM en phase 1 jusqu’à 62%, a baissé à 50% après 6 mois d’arrêt de CGM (changement moyen de 8 à 14 mois : -12% 95% IC -21, 3, p = 0,01). Le glucose moyen a augmenté de 173 à 196 mg/dl (p = 0,01). Le temps passé au-delà de 250 mg/dl a augmenté de 9 à 20% (p = 0,005). L’HbA1c a aussi augmenté de 7,9% à 8,2% (p = 0,06).
Dans le groupe qui a continué à utiliser le CGM, le TIR qui s’était également amélioré en phase 1, est resté stable passant de 56% à 57% (changement moyen de 8 à 14 mois : 1% 95% IC -11,12, p = 0,89). L’HbA1c et les autres paramètres de MCG comme le glucose moyen et le temps passé au-delà de 250 mg/dl sont resté stables.
Dans le groupe BGM, le TIR qui s’était très légèrement amélioré en phase 1 est également resté stable passant de 43% à 45% (changement moyen de 8 à 14 mois de 3% 95% IC -9,-14, p = 0,70). L’HbA1c et les autres paramètres de CGM comme le glucose moyen et le temps passé au-dessus de 250mg/dl sont restés stables.
Les hypoglycémies étaient rares tout au long de l’étude avec ou sans CGM.

L’étude montre un bénéfice de l’utilisation du CGM chez des patients vivant avec un DT2 traités par insuline basale sans insuline rapide avec une nette amélioration de l’HbA1c et du TIR.  Ce bénéfice en termes de TIR est perdu après l’arrêt de CGM. La diminution du TIR après arrêt du CGM est importante en pratique puisque l’association entre le TIR et les complications de diabète a déjà été démontrée. Dans l’analyse de données du DCCT il a été démontré que le TIR (évalué à partir de sept glycémies capillaires par jour, une journée tous les trois mois) présentait une forte association avec le risque de développement et/ou de progression de la rétinopathie et de la microalbuminurie. A chaque diminution du TIR de 10%, le taux de survenue ou d’aggravation était augmentée de 64% pour la rétinopathie et de 40% pour la microalbuminurie [5].
Le point fort de cette étude est l’inclusion de profils de patients variés du point de vue ethnique et socioéconomique. Ceci peut faciliter l’extrapolation des résultats pour tous les patients vivant avec un DT2. La limite de l’étude est le faible effectif, notamment dans le groupe qui a poursuivi l’utilisation de CGM en phase 2.

En conclusion, le bénéfice de l’utilisation de CGM chez des patients vivants avec un DT2 traités par insuline basale et d’autres thérapeutiques anti-hyperglycémiantes à l’exception de l’insuline rapide a été maintenu sur une durée de 14 mois. Une utilisation du CGM au long cours pourrait ainsi diminuer le risque de complications chroniques chez les patients DT2 uniquement sous insuline basale.

 

Références

[1] Beck RW, et al. Continuous Glucose Monitoring Versus Usual Care in Patients With Type 2 Diabetes Receiving Multiple Daily Insulin Injections: A Randomized Trial. Ann Intern Med 2017; 167:365–74.
 
[2] Beck RW, et al. Effect of Continuous Glucose Monitoring on Glycemic Control in Adults With Type 1 Diabetes Using Insulin Injections: The DIAMOND Randomized Clinical Trial. JAMA 2017; 317:371–8.
 
[3] Pratley RE, et al. Effect of Continuous Glucose Monitoring on Hypoglycemia in Older Adults With Type 1 Diabetes: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2020; 323:2397–406.
 
[4] Martens T, et al. Effect of Continuous Glucose Monitoring on Glycemic Control in Patients With Type 2 Diabetes Treated With Basal Insulin: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2021; 325:2262–72.
 
[5] Beck RW, et al. Validation of Time in Range as an Outcome Measure for Diabetes Clinical Trials. Diabetes Care 2019; 42:400–5.
 


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jeudi 6 janvier 2022

Une insuffisance rénale aiguë au cours de l’acidocétose : un risque plus élevé de néphropathie diabétique ?

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Décembre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Huang JX, et al. Association of Acute Kidney Injury During Diabetic Ketoacidosis With Risk of Microalbuminuria in Children With Type 1 Diabetes. JAMA Pediatr. 2021:e215038. doi : 10.1001/jamapediatrics.2021.5038

 

La néphropathie diabétique reste un des plus importants pourvoyeurs d’insuffisance rénale chronique et de mise en dialyse dans le monde. Si la durée d’exposition et le niveau de l’hyperglycémie jouent un rôle majeur, les autres facteurs modulant ce risque ne sont pas bien connus. Lors d’un épisode d’acidocétose (DKA), il est fréquent d’observer une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, rapidement résolutive. Il est possible que cette épisode aiguë dans une situation aiguë soit associé à un risque plus grand de néphropathie dans le futur. C’est l’objet de cette étude observationnelle américaine qui a analysé rétrospectivement les dossiers de patients diabétiques de type 1 (DT1) de deux hôpitaux universitaires pédiatriques de janvier 2006 à décembre 2019. Les épisodes d’acidocétose ont été identifiés sur la base d’une glycémie > 2 g/l avec un pH < 7,3 ou des bicarbonates < 15 mmol/l. Une insuffisance rénale aiguë (IRA) durant l’acidocétose était définie par une augmentation de 1,5, 2 ou 3 fois la valeur estimée de la créatinine (IRA stade 1, 2 et 3). La néphropathie diabétique était définie par la présence d’une microalbuminurie (30 à 299 mg/g) confirmée sur 2 prélèvements. L’association entre la survenue d’une IRA pendant une DKA et l’apparition d’une microalbuminurie a été analysé par des modèles de régression logistique ajustés sur l’âge au diagnostic de diabète, l’HbA1c moyenne, le nombre d’épisodes de DKA avec et sans IRA.

Au total, 2345 patients avec DT1 ont été inclus (45,4% de filles) dont 963 (41%) avaient fait au moins un épisode de DKA (34,1% à la découverte). L’âge moyen était de 9,4 ans, avec une HbA1c moyenne durant le suivi (6,5 ans) de 8,3%. Une IRA était présente dans 560 DKA (47%) dont 43% de stade 2 et 12% de stade 3. Une microalbuminurie persistante était retrouvée chez 2,6% des sujets. Dans le modèle non ajusté, les facteurs les plus associés au risque de microalbuminurie était sans surprise l’âge au diagnostic et l’HbA1c moyenne (HR 1,11 et 1,37 respectivement, p< 0,001) mais aussi le fait d’avoir fait un épisode de DKA (HR 1,73, p< 0,001) et encore plus d’avoir fait une IRA (HR 1,87, p< 0,001). Ce risque augmentait d’autant plus que le nombre d’épisodes de DKA ou d’IRA était élevé. Après ajustement, un ou plusieurs épisodes de DKA sans IRA n’était plus significativement associé au risque de microalbuminurie (HR 1,22, p=0,14) mais l’association demeurait significative pour les épisodes de DKA avec IRA (HR 1,56, p< 0,001). Le risque s’élevait proportionnellement au nombre d’épisodes avec un risque non significatif si un seul épisode survenait (HR 1,29, p>0,05) mais allant de 3,12 à 5,47 pour 2 à plus de 4 épisodes (p<0,001 à chaque fois).

Ces données montrent donc que l’IRA est relativement fréquente chez les enfants en cas de DKA (près de la moitié des épisodes) et qu’elle est associée à un risque accru de néphropathie dans le futur. On savait déjà que chez l’adulte les épisodes d’IRA étaient un facteur de risque de progression de la maladie rénale chronique [1]. Il est difficile cependant de savoir si l’IRA contribue au risque de voir apparaître une néphropathie diabétique ou si l’IRA est le témoin d’une plus grande susceptibilité rénale aux dommages causés par l’hyperglycémie. Il n’est pas facile non plus de savoir si l’IRA favorise la néphropathie diabétique ou une néphropathie d’autre origine. Toujours est-il que cette étude souligne et renforce encore plus la nécessité d’éviter les épisodes de DKA chez les jeunes DT1.

 

Références

[1] Thakar CV, et al. Acute kidney injury episodes and chronic kidney disease risk in diabetes mellitus. Clin J Am Soc Nephrol. 2011;6: 2567-2572.
 


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