jeudi 3 mars 2022

Différencier la céto-acidose diabétique de la cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde chez les adultes présentant un diabète de type 1

Auteur : 
Madleen Lemaitre
Date Publication : 
Février 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Halis Kaan Akturk, et al. Differentiating Diabetic Ketoacidosis and Hyperglycemic Ketosis Due to Cannabis Hyperemesis Syndrome in Adults With Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2022; 45: 481–483. doi : 10.2337/dc21-1730

 

La consommation de cannabis n’est pas rare chez les sujets présentant un diabète de type 1 (DT1) et ce d’autant plus dans les pays où la législation a été assouplie. Au Colorado, depuis la légalisation du cannabis, le nombre de consultations en urgence pour hyperglycémie ou cétose du sujet diabétique, consommateur de cannabis, a doublé. Effectivement, dans une étude antérieure, un risque 2 à 3 fois supérieur de situations à risque (hyperglycémie ou cétose) avait été rapporté en lien avec le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde [1,2]. Dans les faits, les nausées, parfois sévères, précédent les vomissements qui sont à l’origine d’une cétose puis d’une hyperglycémie; à l’opposé donc de la physiopathologie classique de la céto-acidose diabétique. De plus, une étude australienne a montré la présence d’une alcalose (non pas d’une acidose) dans ces situations précises de consommations cannabinoïdes [3].

L’objectif des auteurs était ici de différencier, chez les sujets DT1, la céto-acidose diabétique dite « typique », de la céto-acidose « atypique » définie comme cétose hyperglycémique due au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, en étudiant les paramètres acido-basiques de ceux qui se sont présentés aux urgences.

Pour ce faire, une analyse rétrospective des dossiers médicaux relatifs aux consultations en urgence du Barbara Davis Center for Diabetes (Colorado) pour céto-acidose, selon la classification ICD-10, entre 2016 et 2021 a été réalisée. Ont été inclus les événements qui répondaient aux critères suivants (basés sur les critères de diagnostic de l'American Diabetes Association) : glycémie veineuse > 250 mg/dL, trou anionique > 10, cétones déterminées par le taux sérique de B-hydroxybutyrate (BHB) > 0,6 mmol/L, et test de dépistage toxicologique urinaire disponible à l'admission. Les valeurs moyennes de pH veineux, des taux de bicarbonates sériques (HCO3), du trou anionique et des taux de BHB ont été comparées entre les consommateurs et les non-consommateurs de cannabis atteints de DT1.

Parmi les 295 patients DT1 reçus au cours de cette période, 68 patients avec 172 événements de céto-acidose, ont été inclus. Tous les patients présentaient un taux de BHB élevé (respectivement pour les non-consommateurs et les consommateurs, 15,3 ± 2,1 mmol/L vs 13,7 ± 2,4 mmol/L (p= ns)). En régression linéaire mixte, ajustée sur l'âge et le sexe, la moyenne du pH veineux était de 7,09 ± 0,02 vs 7,42 ± 0,01 (P < 0,0001), le trou anionique sérique était de 23,90 ± 0,71 vs 20,94 ± 0,60 mmol/L (P = 0,01), et le taux de bicarbonate sérique était de 9,1 ± 0,71 vs 19,20 ± 0,61 mmol/L (P < 0,0001) chez les patients qui ne consommaient pas de cannabis vs ceux qui en consommaient. Sur les 74 événements survenus chez les consommateurs de cannabis, 72 (96 %) avaient un pH veineux de 7,4 et un taux de bicarbonate sérique de 15 mmol/L au moment de l’arrivée aux urgences.

Sur la base de ces constatations, les auteurs ont proposé de définir la cétose hyperglycémique due au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, comme l’association d’une glycémie veineuse > 250 mg/dL, d’un trou anionique > 10, et d’un taux de BHB sérique > 0,6 mmol/L, si le pH veineux était ≥ 7,4 et le taux de bicarbonate sérique était au moins de 15 mmol/L au moment de la visite aux urgences. Lorsque ce seuil de pH veineux et de bicarbonate a été utilisé, l'aire sous la courbe ROC du test urinaire positif au cannabis prédisant une cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde, était de 98 % avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 95 %.

Chez le diabétique, le diagnostic de céto-acidose est basé sur un glucose plasmatique > 250 mg/dL, un trou anionique préservé, une acidose métabolique, des corps cétoniques sériques positifs, et des changements significatifs du pH et du taux de bicarbonate de sérique dans un contexte de symptômes cliniques. Ces paramètres sont utilisés pour orienter l’admission intra-hospitalière des patients. Cette étude suggère donc que se fier uniquement au pH et au taux d’HCO3- peut s’avérer trompeur chez les consommateurs de cannabis atteints de DT1.

Dans cette étude, les DT1 consommateurs de cannabis présentaient une alcalose métabolique malgré une cétose à trou anionique élevé. Cette étude est concordante avec les conclusions de la série Australienne sus-citée [3]. Il s'agit de la première étude à analyser les seuils de pH et de bicarbonates pour différencier la céto-acidose diabétique et la cétose hyperglycémique due au syndrome cannabinoïde. Cette étude permet de suggérer le dépistage de toxiques urinaires (à la recherche de cannabis) chez les adultes DT1 qui se présentent aux urgences avec une glycémie > 250 mg/dL, un taux de BHB de 0,6 mmol/L ou plus, et un pH ≥ 7,4 (plus élevé qu’attendu) avec un taux de bicarbonates sériques ≥ 15 mmol/L. Ce seuil permettrait de prédire 98 % des événements de cétose hyperglycémique due au syndrome cannabinoïde.

Les niveaux de pH et de bicarbonates chez les consommateurs de cannabis doivent donc être interprétés avec grande prudence pour classer la gravité de la situation aiguë. Concernant la prise en charge, la priorité est à la réduction du trou anionique et à la diminution du taux de BHB grâce au remplissage vasculaire et à une insulinothérapie intensive.

La grande taille de l'échantillon, l'examen méticuleux des dossiers médicaux par deux médecins et la définition de la cétose hyperglycémique due aux vomissements du syndrome cannabinoïde sont les principales forces de cette étude. Cependant, la conception monocentrique, rétrospective et le nombre limité de patients avec un résultat de toxicologie urinaire disponible sont les principales limites de ce travail. Une mauvaise classification des épisodes de céto-acidose due à l'utilisation des codes de la CIM-10 ne peut être exclue. En outre, les auteurs n'ont pu vérifier la séquence des symptômes (céto-acidose précédant les vomissements ou vomissements précédant la cétose) à partir des dossiers médicaux. De futures études prospectives semblent donc nécessaires pour confirmer les résultats.

En conclusion, chez les adultes DT1 se présentant aux urgences pour hyperglycémie, la cétose hyperglycémique due à l’hyperémèse du syndrome cannabinoïde doit être envisagée chez ceux dont le pH est ≥ 7,4 et le taux de bicarbonates ≥ 15 mmol/L en présence d'une cétose.

 

Références

[1] Kim HS & Monte AA. Colorado cannabis legalization and its effect on emergency care. Ann EmergMed 2016; 68:71–75.
 
[2] Kinney GL, & al. Cannabis use is associated with increased risk for diabetic ketoacidosis in adults with type 1 diabetes: findings from the T1D Exchange Clinic Registry. Diabetes Care 2020; 43:247–249.
 
[3] Akturk HK, & al. Association between cannabis use and risk for diabetic ketoacidosis in adults with type 1 diabetes. JAMA Intern Med 2019; 179:115–118.
 
[4] Hennessy A. Cannabis masks diabetic ketoacidosis. BMJ Case Rep 2011; 2011: bcr0220102716.
 


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jeudi 3 février 2022

Mesure continue du glucose et diabète de type 2 traité par insuline basale sans bolus

Auteur : 
Sopio Tatulashvili
Date Publication : 
Janvier 2022
 
Article du mois en accès libre
 
Aleppo, et al. The Effect of Discontinuing Continuous Glucose Monitoring in Adults With Type 2 Diabetes Treated With Basal Insulin. Diabetes Care 2021; 44:2729–37. doi : 10.2337/dc21-1304

 

Le bénéfice clinique de la mesure en continu du glucose (CGM, Continuous Glucose Monitoring) a déjà été démontré pour les patients atteints de diabète de type 1 (DT1) ou 2 (DT2) traités par insulinothérapie intensive (injections d’insuline pluriquotidiennes) ou pompe à insuline. Son utilisation permet une diminution de l’HbA1c, une augmentation du temps passé dans la cible (TIR) et une diminution des hypoglycémies [1–3]. En revanche, l’utilisation de CGM pour les patients vivant avec un DT2 sans insulinothérapie intensive n’a pas encore été étudiée. L’équipe d’Aleppa et al. a analysé l’effet de CGM chez les patients vivant avec un DT2 traités par insuline basale. Les effets de la mise sous CGM (phase 1) puis de l’arrêt de CGM (phase 2) ont été évalués dans cette étude multicentrique (15 centres), randomisée d’une durée de 14 mois.

Les participants de l’étude avaient 30 ans ou plus, traités par insuline basale et d’autres médicaments antidiabétiques à l’exception de l’insuline rapide, avec une HbA1c entre 7,8% et 11,5% à l’inclusion. Au cours d’une première phase d’une durée de 8 mois, les 175 participants ont été randomisés en deux groupes : 116 participants ont eu une pose de CGM Dexcom G6 (groupe CGM) et 59 participants ont poursuivi leur surveillance traditionnelle de glycémie par automesures capillaires (groupe BGM, Blood Glucose Monitoring).
Au cours de la phase 2, d’une durée de 6 mois, dont cette publication est l’objet, le groupe BGM a poursuivi la surveillance capillaire à l’identique. Le groupe CGM a été divisé en deux groupes : la moitié des participants ont continué à utiliser le CGM et l’autre moitié a arrêté le CGM et a repris la surveillance par glycémies capillaires. L’objectif principal de cette phase était l’évaluation de l’arrêt du CGM via le TIR après 8 mois d’utilisation.
Tous les participants ont porté un CGM Dexcom G6 Pro (en aveugle) pendant 10 jours avant la randomisation initiale pour obtenir les données CGM de base.
Au cours de la phase 1 qui a fait l’objet d’une étude préliminaire [4], l’HbA1c était passée de 9,1 à 8,0% dans le groupe CGM. Dans le groupe BGM, l’HbA1c était passée de 9,0 à 8,4%. La diminution d’HbA1c était plus importante dans le groupe CGM (différentiel ajusté -0,4% 95% IC -0,8, -0,1, p = 0,02). Le TIR (70-180mg/dl) à 8 mois dans le groupe CGM était de 59% vs 43% dans le groupe BGM (p < 0,001).
Au cours de la phase 2, dans le groupe qui a arrêté l’utilisation du CGM, le TIR qui s’était amélioré lors du port du CGM en phase 1 jusqu’à 62%, a baissé à 50% après 6 mois d’arrêt de CGM (changement moyen de 8 à 14 mois : -12% 95% IC -21, 3, p = 0,01). Le glucose moyen a augmenté de 173 à 196 mg/dl (p = 0,01). Le temps passé au-delà de 250 mg/dl a augmenté de 9 à 20% (p = 0,005). L’HbA1c a aussi augmenté de 7,9% à 8,2% (p = 0,06).
Dans le groupe qui a continué à utiliser le CGM, le TIR qui s’était également amélioré en phase 1, est resté stable passant de 56% à 57% (changement moyen de 8 à 14 mois : 1% 95% IC -11,12, p = 0,89). L’HbA1c et les autres paramètres de MCG comme le glucose moyen et le temps passé au-delà de 250 mg/dl sont resté stables.
Dans le groupe BGM, le TIR qui s’était très légèrement amélioré en phase 1 est également resté stable passant de 43% à 45% (changement moyen de 8 à 14 mois de 3% 95% IC -9,-14, p = 0,70). L’HbA1c et les autres paramètres de CGM comme le glucose moyen et le temps passé au-dessus de 250mg/dl sont restés stables.
Les hypoglycémies étaient rares tout au long de l’étude avec ou sans CGM.

L’étude montre un bénéfice de l’utilisation du CGM chez des patients vivant avec un DT2 traités par insuline basale sans insuline rapide avec une nette amélioration de l’HbA1c et du TIR.  Ce bénéfice en termes de TIR est perdu après l’arrêt de CGM. La diminution du TIR après arrêt du CGM est importante en pratique puisque l’association entre le TIR et les complications de diabète a déjà été démontrée. Dans l’analyse de données du DCCT il a été démontré que le TIR (évalué à partir de sept glycémies capillaires par jour, une journée tous les trois mois) présentait une forte association avec le risque de développement et/ou de progression de la rétinopathie et de la microalbuminurie. A chaque diminution du TIR de 10%, le taux de survenue ou d’aggravation était augmentée de 64% pour la rétinopathie et de 40% pour la microalbuminurie [5].
Le point fort de cette étude est l’inclusion de profils de patients variés du point de vue ethnique et socioéconomique. Ceci peut faciliter l’extrapolation des résultats pour tous les patients vivant avec un DT2. La limite de l’étude est le faible effectif, notamment dans le groupe qui a poursuivi l’utilisation de CGM en phase 2.

En conclusion, le bénéfice de l’utilisation de CGM chez des patients vivants avec un DT2 traités par insuline basale et d’autres thérapeutiques anti-hyperglycémiantes à l’exception de l’insuline rapide a été maintenu sur une durée de 14 mois. Une utilisation du CGM au long cours pourrait ainsi diminuer le risque de complications chroniques chez les patients DT2 uniquement sous insuline basale.

 

Références

[1] Beck RW, et al. Continuous Glucose Monitoring Versus Usual Care in Patients With Type 2 Diabetes Receiving Multiple Daily Insulin Injections: A Randomized Trial. Ann Intern Med 2017; 167:365–74.
 
[2] Beck RW, et al. Effect of Continuous Glucose Monitoring on Glycemic Control in Adults With Type 1 Diabetes Using Insulin Injections: The DIAMOND Randomized Clinical Trial. JAMA 2017; 317:371–8.
 
[3] Pratley RE, et al. Effect of Continuous Glucose Monitoring on Hypoglycemia in Older Adults With Type 1 Diabetes: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2020; 323:2397–406.
 
[4] Martens T, et al. Effect of Continuous Glucose Monitoring on Glycemic Control in Patients With Type 2 Diabetes Treated With Basal Insulin: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2021; 325:2262–72.
 
[5] Beck RW, et al. Validation of Time in Range as an Outcome Measure for Diabetes Clinical Trials. Diabetes Care 2019; 42:400–5.
 


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jeudi 6 janvier 2022

Une insuffisance rénale aiguë au cours de l’acidocétose : un risque plus élevé de néphropathie diabétique ?

Auteur : 
Louis Potier
Date Publication : 
Décembre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Huang JX, et al. Association of Acute Kidney Injury During Diabetic Ketoacidosis With Risk of Microalbuminuria in Children With Type 1 Diabetes. JAMA Pediatr. 2021:e215038. doi : 10.1001/jamapediatrics.2021.5038

 

La néphropathie diabétique reste un des plus importants pourvoyeurs d’insuffisance rénale chronique et de mise en dialyse dans le monde. Si la durée d’exposition et le niveau de l’hyperglycémie jouent un rôle majeur, les autres facteurs modulant ce risque ne sont pas bien connus. Lors d’un épisode d’acidocétose (DKA), il est fréquent d’observer une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, rapidement résolutive. Il est possible que cette épisode aiguë dans une situation aiguë soit associé à un risque plus grand de néphropathie dans le futur. C’est l’objet de cette étude observationnelle américaine qui a analysé rétrospectivement les dossiers de patients diabétiques de type 1 (DT1) de deux hôpitaux universitaires pédiatriques de janvier 2006 à décembre 2019. Les épisodes d’acidocétose ont été identifiés sur la base d’une glycémie > 2 g/l avec un pH < 7,3 ou des bicarbonates < 15 mmol/l. Une insuffisance rénale aiguë (IRA) durant l’acidocétose était définie par une augmentation de 1,5, 2 ou 3 fois la valeur estimée de la créatinine (IRA stade 1, 2 et 3). La néphropathie diabétique était définie par la présence d’une microalbuminurie (30 à 299 mg/g) confirmée sur 2 prélèvements. L’association entre la survenue d’une IRA pendant une DKA et l’apparition d’une microalbuminurie a été analysé par des modèles de régression logistique ajustés sur l’âge au diagnostic de diabète, l’HbA1c moyenne, le nombre d’épisodes de DKA avec et sans IRA.

Au total, 2345 patients avec DT1 ont été inclus (45,4% de filles) dont 963 (41%) avaient fait au moins un épisode de DKA (34,1% à la découverte). L’âge moyen était de 9,4 ans, avec une HbA1c moyenne durant le suivi (6,5 ans) de 8,3%. Une IRA était présente dans 560 DKA (47%) dont 43% de stade 2 et 12% de stade 3. Une microalbuminurie persistante était retrouvée chez 2,6% des sujets. Dans le modèle non ajusté, les facteurs les plus associés au risque de microalbuminurie était sans surprise l’âge au diagnostic et l’HbA1c moyenne (HR 1,11 et 1,37 respectivement, p< 0,001) mais aussi le fait d’avoir fait un épisode de DKA (HR 1,73, p< 0,001) et encore plus d’avoir fait une IRA (HR 1,87, p< 0,001). Ce risque augmentait d’autant plus que le nombre d’épisodes de DKA ou d’IRA était élevé. Après ajustement, un ou plusieurs épisodes de DKA sans IRA n’était plus significativement associé au risque de microalbuminurie (HR 1,22, p=0,14) mais l’association demeurait significative pour les épisodes de DKA avec IRA (HR 1,56, p< 0,001). Le risque s’élevait proportionnellement au nombre d’épisodes avec un risque non significatif si un seul épisode survenait (HR 1,29, p>0,05) mais allant de 3,12 à 5,47 pour 2 à plus de 4 épisodes (p<0,001 à chaque fois).

Ces données montrent donc que l’IRA est relativement fréquente chez les enfants en cas de DKA (près de la moitié des épisodes) et qu’elle est associée à un risque accru de néphropathie dans le futur. On savait déjà que chez l’adulte les épisodes d’IRA étaient un facteur de risque de progression de la maladie rénale chronique [1]. Il est difficile cependant de savoir si l’IRA contribue au risque de voir apparaître une néphropathie diabétique ou si l’IRA est le témoin d’une plus grande susceptibilité rénale aux dommages causés par l’hyperglycémie. Il n’est pas facile non plus de savoir si l’IRA favorise la néphropathie diabétique ou une néphropathie d’autre origine. Toujours est-il que cette étude souligne et renforce encore plus la nécessité d’éviter les épisodes de DKA chez les jeunes DT1.

 

Références

[1] Thakar CV, et al. Acute kidney injury episodes and chronic kidney disease risk in diabetes mellitus. Clin J Am Soc Nephrol. 2011;6: 2567-2572.
 


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mardi 14 décembre 2021

Le bypass gastrique est l’intervention de chirurgie bariatrique permettant de réduire le plus le risque cardiovasculaire chez les patients présentant une obésité et un diabète de type 2

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Novembre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Aliminian A, et al. Cardiovascular Outcomes in Patients With Type 2 Diabetes and Obesity: Comparison of Gastric Bypass, Sleeve Gastrectomy, and Usual Care.  Diabetes Care 2021; 44:2552-2563. Epub 2021 Sep 9. doi : 10.2337/dc20-3023

 

Plus de 10 essais randomisés contrôlés ont montré la supériorité de la chirurgie bariatrique sur la prise en charge diététique classique pour le contrôle du diabète de type 2 (DT2) et la réduction du risque cardiovasculaire chez les patients DT2 et obèses [1]. C’est également le cas pour plus de 30 grandes études comparatives de cohorte qui ont toutes rapporté une diminution du risque de mortalité toutes causes après ce type de chirurgie [2]. Cependant, la majorité de ces essais cliniques s’est intéressée aux effets favorables du bypass gastrique (BPG), alors que, dans le même temps, la sleeve gastrectomie (SG) est devenue l’intervention bariatrique la plus pratiquée [3]. Mais les données à long terme sur l’efficacité de la SG sur les complications micro et macro-vasculaires du DT2 et la mortalité sont limitées. Afin d’aider les patients à choisir la procédure chirurgicale la plus appropriée pour eux, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : le risque chirurgical, les effets de chaque procédure sur le poids corporel et les comorbidités, l’existence de certaines comorbidités et troubles mentaux, des facteurs comportementaux et le niveau de la perte de poids souhaitée. Un autre facteur à prendre en considération dans ce choix est de comprendre les différences d’effet de chaque procédure sur le risque d’évènements cardiovasculaires majeurs (MACE). Le but de cette étude était donc de déterminer quel type d’intervention de chirurgie bariatrique était associé à la plus forte diminution du risque de MACE chez les patients DT2 et obèses.

Cette étude est une analyse secondaire d’une précédente étude de cohorte appariée qui avait retrouvé une association entre la chirurgie métabolique et la diminution du risque de MACE chez les patients DT2 et obèses [4]. Un total de 13 490 patients incluant 1 362 patients opérés d’un BPG, 693 d’une SG et 11 435 patients non-opérés obèses et DT2 appariés sur les patients opérés (1 opéré pour 5 non opérés), a été analysé. Les critères d’appariement étaient l’âge, le sexe, l’IMC, la localisation du centre (Ohio ou Floride), l’usage d’insuline et la présence de complications du diabète. Tous ont reçu les soins à la Clinique de Cleveland (1998-2017), avec un suivi jusqu’en décembre 2018. Les auteurs ont estimé le temps jusqu’à la survenue d’un MACE (défini comme la première apparition d’un évènement coronarien, d’un AVC ou AIT), d’une insuffisance cardiaque, d’une néphropathie, de fibrillation atriale et d’un décès toute cause grâce à une analyse par régression de Cox multivariée.

L’IMC médian des groupes opérés de BPG, de SG, et le groupe contrôle était de 45,3, 44,7, et 42,6 kg/m², respectivement. La durée de suivi médiane pour les groupes opérés de BPG, de SG et le groupe contrôle était de 4,0 ans (écart inter quartile IQR 1,3–7,0), 2,0 ans (IQR 0,7–4,1), et 4,0 ans (IQR 2,1–6,1), respectivement. Globalement, les covariables initiales étaient bien équilibrées entre les 3 groupes étudiés.

L'incidence cumulée du critère primaire d’évaluation à 5 ans était de 13,7% (IC95% 11,4-15,9) dans le groupe BPG et de 24,7% (IC95% 19,0-30,0) dans le groupe SG, avec un hazard ratio (HR) ajusté de 0,77 (IC95% 0,60-0,98, P= 0,04). Dans le groupe de sujets non opérés, l’incidence cumulée à 5 ans du critère d’évaluation primaire était de 30,4% (IC95% 29,4–31,5). Les 2 procédures chirurgicales étaient associées à une plus faible incidence cumulée du critère primaire à 5 ans comparé au traitement médical : HR 0,53 (IC95% 0,46–0,61, P < 0,001) après BPG et HR 0,69 (IC95% 0,56–0,85, P < 0,001) après SG.

Sur les 6 critères d’évaluations secondaires individuels, le BPG était associé à une incidence cumulée significativement plus basse de néphropathie à 5 ans comparé à la SG (2,8% vs. 8,3%, respectivement ; HR 0,47 [IC95% 0,28-0,79], p= 0,005). De plus, le BPG était associé à une plus forte diminution du poids corporel (9,7%, IC95% 9,3–10,1, p < 0,001, de différence en faveur du BPG), de l’HbA1c, et d’un moindre nombre de médicaments pour traiter le diabète et les maladies cardiovasculaires. Cinq après le BPG, les patients avaient aussi plus souvent recours à la fibroscopie oeso-gastro-duodénale (45,8% vs. 35,6%, p <0,001) et à d’autres procédures de chirurgie abdominale (10,8% vs. 5,4%, p= 0,001) comparé à la SG.

Les limites de cet essai étaient le fait qu’elle était issue d’une première étude qui n’était pas conçue pour comparer les 2 sous-groupes (BPG et SG), le fait que le groupe SG était de plus petite taille et avait une durée de suivi légèrement inférieure, les erreurs possibles liées au recueil de données (erreurs de diagnostic ou de classification), l’absence de données concernant les causes de décès, le fait que ce soit les prescriptions médicales de médicament qui ont été recueillies (et non la prise effective des médicaments par les patients), l’absence d’analyse des évènements indésirables chirurgicaux qui n’ont pas donné lieu à une intervention et enfin, le fait que certains patients aient reçu des agonistes des récepteurs du GLP-1 et des inhibiteurs de SGLT2 (ce qui pourrait avoir contribuer à améliorer le risque cardio-vasculaire !).

Chez les patients obèses et DT2, le BPG semble associé à une plus grande perte de poids, un meilleur contrôle du DT2, un risque réduit de MACE et de néphropathie comparé à ce qui est obtenu après une SG.

 

Références

[1] Schauer PR et al. STAMPEDE Investigators. Bariatric surgery versus intensive medical therapy for diabetes - 5-year outcomes. N Engl J Med 2017; 376: 641–651.
 
[2] Fisher DP, et al. Association between bariatric surgery and macrovascular disease outcomes in patients with type 2 diabetes and severe obesity. JAMA 2018; 320: 1570–1582.
 
[3] English WJ, et al. American Society for Metabolic and Bariatric Surgery 2018 estimate of metabolic and bariatric procedures performed in the United States. Surg Obes Relat Dis 2020; 16: 457–463.
 
[4] Aminian A, Zajichek A, Arterburn DE, et al. Association of metabolic surgery with major adverse cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes and obesity. JAMA 2019; 322: 1271–1282.
 


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mercredi 3 novembre 2021

La biopsie osseuse au lit du patient par les diabétologues en cas de suspicion d’ostéite, quels résultats ?

Auteur : 
Camille Vatier
Date Publication : 
Octobre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Féron F, et al. Reliability and Safety of Bedside Blind Bone Biopsy Performed by a Diabetologist for the Diagnosis and Treatment of Diabetic Foot Osteomyelitis. Diabetes Care 2021; 44: 2480-2486. doi : 10.2337/dc20-3170

 

Au cours de leur vie, 15 à 25% des patients diabétiques vont développer un mal perforant plantaire (MPP) sur une neuropathie et/ou une artériopathie périphérique [1], avec une infection dans la moitié des cas lorsque les patients se présentent aux médecins. L’ostéite concerne 40 à 80% de ces MPP infectés, et conduit à une amputation chez 20% des patients [2]. La meilleure prévention de l’amputation est le traitement antibiotique (ATB) adapté mis en place précocement. Un traitement ATB empirique, ou l’analyse bactériologique d’écouvillon ou d’aspiration à l’aiguille ne permettent pas un traitement efficace. La biopsie osseuse (BO) percutanée est une procédure sûre réalisée par les chirurgiens ou les radiologues interventionnels et reste le gold standard pour identifier les agents pathogènes impliqués dans l’ostéite. C’est la méthode recommandée par le groupe international de travail sur le pied diabétique (IWGDF) [3]. Cependant, cette BO percutanée n’est pas toujours disponible et reste sous utilisée (<20% des MPP). En 2015, pour surseoir à cette difficulté d’accès à la BO percutanée, le centre de Lariboisière à Paris à développer la réalisation de BO en aveugle au lit du patient. Les résultats de faisabilité et de fiabilité de ces BO sont rapportés dans cet article.

L’étude s’est déroulée en 3 phases : 1°) la première, prospective, observationnelle, était une phase de faisabilité et de sécurité menée entre décembre 2015 et septembre 2017 (après formation des diabétologues par les radiologues), 2°) la deuxième, prospective, était une phase de validité comparant la cicatrisation de la plaie sur 12 mois chez les patients BO+ traités par ATB versus les patients BO- non traités par ATB entre décembre 2015 et septembre 2018  et 3°) la 3ème rétrospective, était une phase d’efficacité, comparant les patients avec BO percutanées réalisées par les chirurgiens ou radiologues versus BO par les diabétologues. Les patients inclus dans cette étude étaient les patients diabétiques adultes admis pour MPP avec suspicion d’ostéite (clinique ou radiologique avec au moins deux des critères suivants : surface de la plaie > 2 cm², contact osseux, signes radiologiques d’ostéite). L’indication de la BO était décidée en staff multidisciplinaire et était réalisée au moins deux semaines après arrêt d’un traitement ATB. Pour la 3ème phase d’efficacité, seuls les patients avec un suivi de plus de 12 mois après la BO ont été inclus. Les critères d’exclusion étaient l’indication chirurgicale d’emblée, une antibiothérapie dans les deux semaines précédentes ou un suivi insuffisant. La BO par les diabétologues (B4) était réalisée au lit du patient, dans des conditions aseptiques, sous antalgiques +/- anxiolytiques. Une radiographie était pratiquée dans les deux semaines si nécessaire, pour mettre des marqueurs métalliques afin de diriger le trajet de l’aiguille (en peau saine) pour la biopsie osseuse et ainsi cibler l’ostéite. Une anesthésie sous cutanée ainsi qu’une anesthésie inhalée avec du protoxyde d’azote et de l’oxygène étaient réalisées. Les échantillons étaient envoyés en microbiologie et histologie (fragments de 2-3 mm). La BO faite par un radiologue ou par un chirurgien (B3) était également réalisée en peau saine, mais sous anesthésie locorégionale avec envoi du prélèvement uniquement en microbiologie (fragments de 3 mm à 1 cm).

Le critère principal de la phase 1 était la présence de tissu osseux sur l’examen histologique ; pour la phase 2, c’était le pourcentage de patients ayant eu une guérison complète de la plaie dans les 12 mois avec un traitement médicamenteux (ATB 6 semaines si examen microbiologique positif B4+ ou pas d’ATB si prélèvement négatif, B4-). Pour la phase 3 comparant les procédures B3 et B4, le critère principal était identique à celui de la phase 2.
Concernant la phase 1, 37 des 291 (12,7%) patients avec MPP étaient suspects d’ostéite et ont été inclus dans l’étude. La procédure B4 durait en moyenne 60 ± 8min, et nécessitait deux aides opératoires le plus souvent. 100% des prélèvements étaient constitués de tissu osseux. Aucune complication locale n’a été observée et seuls 3 patients (7%) se sont plaint de douleur immédiate contre 50% dans les 24h suivant le geste ; 21% des patients ont eu de la fièvre et 8,1% une bactériémie.
Au total, 93 patients ont été inclus dans la phase 2 mais 11 ont été perdus de vue, 2 sont décédés d’autres causes et 1 n’a pas eu de prélèvement osseux contributif. Sur les 79 patients évalués, les cultures microbiologiques étaient positives chez 50,6% d’entre eux. Entre les groupes B4+ et B4-, les caractéristiques des patients étaient identiques sauf l’âge et la CRP, plus élevés dans le groupe B4+ (75 ± 13 ans versus 68 ± 12 ans et 33 ± 67 mg/l versus 5 ± 29 mg/l respectivement). Le pourcentage de guérison de la plaie n’était pas statistiquement différent dans les deux groupes : 57,5% du groupe B4+ et 71,8% dans le groupe B4- (p=0,18). Parmi les patients B4+, 42,5% n’ont pas eu de guérison de plaie sous traitement médical à 12 mois : 8 ont eu un traitement chirurgical, 1 a guéri au-delà des 12 mois, 5 sont décédés des suites du MPP (un d’un sepsis sévère dans un contexte de cancer palliatif, un du fait d’un traitement limité par une cachexie gériatrique, deux de mort subite probablement iatrogénique, et un d’un choc cardiogénique sur cardiopathie ischémique et insuffisance rénale) et 3 ont eu besoin d’une seconde biopsie. Dans le groupe B4-, 18,2% des patients n’ont pas guéri : 4 patients ont eu besoin d’un traitement chirurgical, 4 ont eu une guérison de plaie au-delà des 12 mois et 3 ont eu besoin d’une seconde biopsie.
Enfin, pour la phase 3, sur 1 112 patients admis pour MPP, 12,8% avaient une suspicion d’ostéite nécessitant une BO. 79 patients ont eu la procédure B4 et 44 la procédure B3 (72,7% par un chirurgien et 27,3% par un radiologue). Les caractéristiques initiales étaient identiques entre les groupes (75% d’hommes, âge moyen 71 ± 13 ans, 90% de diabète de type 2, HbA1c 8,8%, 85% de neuropathes, 25% d’artériopathes sévères). Le pourcentage de patients avec ostéite confirmée sur le prélèvement microbiologique était supérieur dans le groupe B3 (77,3% versus 50,6%). Le pourcentage de guérison de plaies était identique entre les deux groupes (78,5% dans le groupe B4 et 84,1% dans le groupe B3, p=0,55), entre le groupe B3 + et B3-, entre le groupe B4+ et B3+ (58% versus 61% p=0,81). Le pourcentage de contamination des prélèvements était identique entre les groupes (13,6% dans la procédure B4 et 10,2% dans la B3). Le temps de cicatrisation était comparable entre les groupes B3 et B4 (105 jours en moyenne).

Cette étude observationnelle de faisabilité et d’efficacité concernant la biopsie osseuse au lit du patient dans un contexte de MPP avec suspicion d’ostéite montre que la procédure est facilement accessible, fiable, sûre et permet l’identification de l’agent pathogène dans la majorité des cas avec une performance de prise en charge thérapeutique comparable à la procédure chirurgicale. Dans la prise en charge du MPP, le diagnostic d’ostéite est un challenge difficile et notamment du fait de la difficulté de réalisation d’une BO. Ducloux et al. [4] avait également évalué la procédure de BO au lit du patient avec un pourcentage d’examen microbiologique positif comparable et un taux de guérison identique à ce travail.

Cette étude est la première à comparer le devenir des patients avec une BO selon les procédures standards (chirurgien ou radiologue) ou selon la procédure au lit du patient et montre que les résultats sont similaires. Ainsi, la biopsie osseuse réalisée par les diabétologues au lit du patient est un geste facile, simple, sûr et permet une prise en charge adaptée, équivalente à la BO standard… A vos trocarts !

 

Références

[1] Singh N, et al. Preventing foot ulcers in patients with diabetes. JAMA 2005; 293(2):217–28.
 
[2] Lavery LA, et al. Risk factors for developing osteomyelitis in patients with diabetic foot wounds. Diabetes res Clin Parct 2009; 83 :(3) 347–352.
 
[3] Lipsky BA, et al. International Working Group on the Diabetic Foot (IWGDF). Guidelines on the diagnosis and treatment of foot infection in persons with diabetes (IWGDF 2019 update). Diabetes Metab Res Rev 2020; 36(S1):e3280.
 
[4] Ducloux R, et al. Percutaneous bone biopsy to identify pathogens in diabetic foot chronic osteitis: useful and harmless. Wounds 2016; 28(6):182–9301.
 


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mercredi 6 octobre 2021

L’usage de fénofibrate est associé à une diminution de la morbi-mortalité cardiovasculaire dans une cohorte de patients diabétiques de type 2

Auteur : 
Benjamin Bouillet
Date Publication : 
Septembre 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Jo, et al. Fenofibrate use is associated with lower mortality and fewer cardiovascular events in patients with diabetes: results of 10,114 patients from the Korean National health insurance service cohort. Diabetes Care 2021; 44:1868-1876. doi : 10.2337/dc20-1533

 

Malgré la diminution de la concentration de LDL-cholestérol grâce à la prise d’une statine, les patients diabétiques présentent un risque cardio-vasculaire (CV) substantiel. Les triglycérides (TG) sont l’une des cibles visées pour réduire ce risque CV résiduel et ainsi prévenir et traiter les maladies CV. En effet, des études épidémiologiques [1] et de randomisation mendéliennes [2] suggèrent qu’un taux élevé de TG est associé à une augmentation du risque de maladie CV, avec même une relation causale [3]. Cependant, les résultats des études évaluant l’impact de la diminution des TG par une action pharmacologique sont hétérogènes. Dans les études FIELD (Fenofibrate Intervention and Event Lowering in Diabetes) [4] et ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes) [5], le fénofibrate, seul ou associé à une statine, n’a pas fait la preuve de son efficacité sur la morbi-mortalité CV. Des bénéfices CV n’étaient observés que dans des sous-groupes de patients, notamment ceux avec un HDL-cholestérol bas et un taux de TG élevé. En revanche, dans l’étude REDUCE-IT [6], l’utilisation d’un acide gras oméga-3 spécifique, chez des patients avec un LDL-cholestérol < 100 mg/dl et des TG > 135 mg/dl sous statines, était associée à une diminution de la morbi-mortalité CV. Il n’existe pas, à ce jour, de larges études de suivi de cohorte prolongé ayant évalué l’impact CV de la diminution des TG par fénofibrate chez des patients diabétiques en conditions de vie réelle.

Cette étude avait pour objectif d’évaluer l’efficacité du fénofibrate sur des critères cliniques chez des patients diabétiques à partir d’une base de données de l’assurance maladie de Corée du Sud. Cette base de données regroupait 97% de la population sud-coréenne. Une cohorte d’environ 510 000 sujets, âgés de 40 à 79 ans, ayant bénéficié d’un examen médical entre 2002 et 2003 et suivie jusqu’en 2015 a été utilisée. Au sein de cette cohorte, 212 969 patients, diagnostiqués diabétiques de type 2 (DT2) entre 2003 et 2014 ont été identifiés. Après avoir exclu 149 242 sujets qui avaient également un code diagnostic de diabète de type 1, qui avaient déjà été traités par fénofibrate ou acides gras oméga-3 avant la découverte du diabète et qui n’avaient pas de résultats biologiques disponibles, 63 727 patients étaient candidats pour l’analyse. Les patients ont été séparés en deux groupes : patients sous fénofibrate seul (au moins une prescription entre 2003 et 2014 après le diagnostic de diabète) et patients sans fénofibrate ni acide-gras oméga-3 (groupe contrôle). Après un appariement 1 : 1, 5 057 patients ont été inclus dans chaque groupe. Le critère de jugement principal composite correspondait à la première survenue d’un infarctus du myocarde (IDM), d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un geste de revascularisation coronarienne et le décès d’origine CV. Les critères de jugement secondaires étaient la survenue isolée de l’un des 4 évènements précédemment décrits et les décès toutes causes confondues. Plusieurs covariables ont été analysées : âge, sexe, indice de masse corporelle (IMC), comorbidités (insuffisance cardiaque, fibrillation auriculaire, néoplasie, insuffisance rénale, HTA), prises de statines, antécédents de revascularisation coronarienne, antécédents de tabagisme, bilan lipidique, consommation alcoolique. La durée moyenne de suivi était de 3 ans.

L’âge moyen des 10 114 patients inclus dans l’étude était de 62 ans, 58,5% étaient des hommes, l’IMC moyen était de 25,2 kg/m2, la concentration  moyenne de TG  était de 239 mg/dl, de HDL-cholestérol de 49 mg/dl, de LDL-cholestérol de 111 mg/dl et 21% étaient fumeurs. La seule différence significative observée entre les patients sous fénofibrate et le groupe contrôle était la proportion de sujets avec des TG ≥ 200 mg/dl et un HDL-cholestérol < 35 mg/dl (7,6 vs 6,9%, p=0,035). Le critère de jugement primaire composite était significativement plus bas dans le groupe fénofibrate que dans le groupe contrôle (13,4 vs 15,5 /1000 sujet-années ; HR 0,76 ; IC 95% 0,62-0,94 ; p=0,01). L’incidence isolée des AVC était significativement plus basse dans le groupe fénofibrate (6,5 vs 8,6 /1000 sujet-années ; HR 0,62 ; IC 95% 0,46-0,83 ; p=0,015). L’incidence des décès d’origine CV et des décès toutes causes confondues était également plus basse dans le groupe fénofibrate (respectivement 1,8 vs 3,1/ 1000 sujets-année ; p=0,045 et 7,6 vs 15,3/1000 sujets-année ; p<0,0001). L’incidence des IDM et des gestes de revascularisation coronarienne n’était pas significativement différente entre les deux groupes. L’analyse de Kaplan-Meier retrouvait également une efficacité significative sur le critère composite, les AVC, la mortalité CV et la mortalité toutes causes en faveur du groupe fénofibrate. Une analyse en fonction de la durée du traitement par fénofibrate a été réalisée. Le Hazard Ratio (HR) ajusté pour le critère composite était augmenté à 1,52 (IC 95% 1,17-1,98 ; p=0,0018) pour le premier quartile (1 à 59 jours de fénofibrate) en comparaison au groupe contrôle, n’était pas modifié pour les 2ème (60 à 193 jours de fénofibrate) et 3ème quartiles (194-485 jours de fénofibrate) et était diminué à 0,35 (IC 95% 0,27-0,53 ; p<0,0001) pour le 4ème quartile (≥486 jours de fénofibrate).
L’effet favorable du fénofibrate sur le critère composite était persistant après ajustement sur l’ensemble des covariables analysées et dans les différents sous-groupes analysés (âge, présence ou non des comorbidités, IMC, traitement par statine, tabagisme, consommation alcoolique, niveaux des différents paramètres lipidiques). L’effet favorable du fénofibrate sur le critère composite était plus prononcé chez les hommes, en cas d’antécédent d’AVC et chez les patients avec un LDL-cholestérol < 100 mg/dl.

Les forces de cette étude sont une large population étudiée, des conditions en vie réelle et la prise en compte de nombreuses covariables dans l’analyse statistique. Ses limites sont : 1) les biais inhérents à une étude de cohorte basées sur une population donnée ; 2) l’utilisation du codage diagnostic pour définir les différentes comorbidités, qui peuvent être inexactes ; 3) les incertitudes concernant l’observance médicamenteuse ; 4) l’absence de données sur la dose de fénofibrate prescrite ; 5) des conclusions qui ne peuvent être extrapolées à d’autres populations ; 6) l’absence de données sur les taux des paramètres lipidiques après exposition au fénofibrate.

Au final, cette étude sud-coréenne, menée en conditions de vie réelle chez plus de 10 000 patients diabétiques de type 2 avec un suivi moyen de 3 ans, montre que l’utilisation de fénofibrate est associée à une amélioration de la morbi-mortalité CV, en diminuant notamment l’incidence des AVC, la mortalité CV et la mortalité toute causes confondues. Cet effet bénéfique est observé que les patients prennent ou non des statines.

 

Références

[1] Madsen, et al. Unmet need for primary prevention in individuals with hypertriglyceridaemia not eligible for statin therapy according to European Society of Cardiology/ European Atherosclerosis Society guidelines: a contemporary population-based study. Eur Heart J 2018; 39: 610–619.
 
[2] Ference, et al. Association of triglyceride-lowering LPL variants and LDL-C-lowering LDLR variants with risk of coronary heart disease. JAMA 2019; 321: 364–373.
 
[3] Watts, et al. Demystifying the management of hypertriglyceridaemia. Nat Rev Cardiol 2013; 10: 648–661.
 
[4] Keech A, et al. Effects of long-term fenofibrate therapy on cardiovascular events in 9795 people with type 2 diabetes mellitus (the FIELD study): randomised controlled trial. Lancet 2005; 366: 1849–1861.
 
[5] Ginsberg HN, et al. Effects of combination lipid therapy in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010; 362: 1563–1574.
 
[6] Bhatt DL, et al. Cardiovascular risk reduction with icosapent ethyl for hypertriglyceridemia. N Engl J Med 2019; 380: 11–22.
 


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vendredi 2 juillet 2021

Le lien entre la répartition du tissu adipeux et la stéatopathie non alcoolique chez le patient vivant avec un diabète de type 1

Auteur : 
Emilie Montastier
Date Publication : 
Juin 2021
 
Article du mois en accès libre
 
Parente EB, et al. The Relationship Between Body Fat Distribution and Nonalcoholic Fatty Liver in Adults With Type 1 Diabetes. Diabetes Care 2021; 44:1-8. doi : 10.2337/dc20-3175

 

La stéatopathie hépatique non alcoolique (NAFLD), caractérisée par une accumulation excessive de triglycérides dans le foie sans consommation excessive d’alcool, est associée au diabète de type 2 (DT2), à l’obésité et à la résistance à l’insuline [1]. Les individus vivant avec un diabète de type 1 (DT1) sont devenus plus souvent obèses durant les dernières décennies et la NAFLD a également été décrite chez ces patients, avec des prévalences comprises entre 4,7 et 50%, selon les caractéristiques cliniques et les méthodes utilisées pour mesurer le contenu en lipides du foie. De plus, la NAFLD a été associée à certaines complications du diabète telles que la néphropathie diabétique [2] et la maladie cardiovasculaire dans le DT1 [3].

Au-delà de l’obésité et du DT2, le SNP (single nucleotide polymorphism, variant génétique) antisens rs738409 C>G du gène PNPLA3 est associé à l’accumulation de lipides dans le foie. Bien que les porteurs de ce variant ne montrent pas d’augmentation de l’insulinorésistance, la présence de cet allèle a été associée à la progression vers la stéato-hépatite et également l’hépatocarcinome [4]. Le variant rs58542926 du gène TM6SF2 est aussi associé à la NAFLD indépendamment du variant génétique rs738409 de PNPLA3 [5].

Le tissu adipeux viscéral a été associé aux maladies cardiovasculaires, à l’insulinorésistance et à la NAFLD chez les patients DT2 et dans la population générale. Néanmoins, les liens entre la répartition corporelle du tissu adipeux et la NAFLD chez les patients DT1 n’ont jamais été explorés. Dans cette étude, les auteurs ont donc cherché à savoir si les différents dépôts de tissu adipeux étaient associés à la NAFLD en utilisant des modèles de régression logistique ajustés sur des variables métaboliques et génétiques. De plus, ils ont étudié les associations entre le rapport tour de taille sur taille (WHtR), l’IMC et la NAFLD, afin de trouver un outil simple et accessible pour l’identification de la NAFLD dans cette population.

Tous les individus inclus dans cette étude étaient issus de l’étude sur la néphropathie diabétique finlandaise (FinnDiane) qui est une étude nationale, prospective, multicentrique (93 centres à travers la Finlande) et toujours en cours, visant à identifier les facteurs de risque de complications du DT1. Le DT1 a été défini comme un diabète évoluant à un âge inférieur à 40 ans et nécessitant un traitement par insuline permanent initié durant la première année suivant le diagnostic de DT1. Les participants bénéficiaient durant le suivi d’un examen clinique, d’un prélèvement d’urine et de sang et ils répondaient à plusieurs questionnaires. Entre 2011 et 2017, 131 individus ont été recrutés et se sont rendus au CHU de Helsinki pour faire une IRM hépatique et évaluer le contenu hépatique en lipides. Les patients qui rapportaient une consommation journalière d’alcool supérieure à 30g pour les hommes et à 20g pour les femmes ont été exclus de l’étude, tout comme ceux qui avaient déjà une NAFLD et des données manquantes sur la consommation d’alcool.

Au final, 121 individus ont été inclus dans l’analyse. Parmi ceux-ci, 95 ont été génotypés pour le SNP du gène PNPLA3 rs738409 et le variant de TM6SF2 rs58542926, 84 avaient des données de composition corporelle évaluée par DEXA dans le cadre de l’étude FinnDiane. Le contenu lipidique du foie a été mesuré grâce à une IRM 3.0 Tesla au CHU d’Helsinki. Trois régions d’intérêt de 2 cm² chacune ont été délimitées au même endroit sur le foie. La valeur moyenne de l’intensité des 3 signaux a été calculée et la fraction lipidique du foie en a été déduite. La NAFLD a été déterminée pour un seuil de fraction lipidique supérieur ou égal à 6%. La composition corporelle a été évaluée par DEXA (Lunar, GE healthcare). Le tour de taille et le tour de hanche ont été mesurés et le rapport tour de taille sur taille (WHtR) a été calculé en divisant le tour de taille par la taille. L’obésité centrale a été définie par un rapport supérieur ou égal à 0,5. Les SNP rs738409 et rs58542926 ont été directement génotypés sur la plateforme de génotypage et analysés en utilisant un modèle additif. Les associations entre la répartition du tissu adipeux, le WHtR, l’IMC et la NAFLD ont explorées par des régressions logistiques. Une courbe ROC a été utilisée pour les seuils de WHtR et d’IMC avec la plus grande sensibilité et spécificité pour détecter la NAFLD.

Parmi les 121 sujets inclus dans l’analyse, l’âge médian était de 38,5 ans (32,3-43,7), la durée du diabète était de 21,2 ans (17,9-28,4), 52,1% étaient des femmes, 50,4% présentaient une obésité abdominale (WHtR ≥ 0,5), et la prévalence de la NAFLD étaient de 11,6% (n= 14).

Concernant les variants génétiques de PNPLA3 rs738409 et de TM6SF2 rs58542926, sur les 95 patients analysés, 28 étaient soit homozygotes (GG, n= 7) soit hétérozygotes (CG, n= 21) pour l’allèle mineur G du variant PNPLA3 rs738409 et la fréquence de l’allèle mineur était de 32,1% parmi les cas (NAFLD) et 16,1% parmi les sujets témoins (non NAFLD). Concernant le variant TM6SF2 rs58542926, aucun des participants n’était homozygote (TT) pour l’allèle mineur T, 12 individus étaient hétérozygotes (TC) et aucun d’entre eux n’était atteint de NAFLD. Vue la faible fréquence de l’allèle T chez les participants, ce variant a été exclu des analyses.

Les individus présentant une NAFLD avaient une plus longue durée d’évolution du DT1, des taux plus élevés d’HbA1c et de triglycérides, une plus faible sensibilité à l’insuline (basée sur le calcul de l’eGDR, le taux de disposition du glucose estimé : 3,1 mg/kg/min vs. 7,6 mg/kg/min, p < 0,001) et des besoins en insuline plus élevés (0,76 UI/kg vs 0,52 UI/kg, p = 0,026), par rapport à ceux n’ayant pas de NAFLD. Dans le groupe NAFLD, 85,7% souffraient d’obésité abdominale vs 45,8% (p = 0,005) dans le groupe sans NAFLD. Le pourcentage de tissu adipeux gynoïde, appendiculaire et total était similaire entre les sujets avec NAFLD et ceux sans. Les sujets NAFLD présentaient des pourcentages de tissu adipeux androïde et viscéral plus élevés (respectivement, 3,47% vs 2.40%, p = 0,02 ; 1,83% vs 0,55%, p = 0,01) comparés aux patients sans NAFLD. Le volume et le pourcentage de tissu adipeux viscéral étaient positivement associés à la NAFLD dans le modèle non ajusté et aussi dans le modèle ajusté pour les covariables (âge, sexe, durée du diabète, HbA1c, triglycérides, variant rs738409 de PNPLA3). L’augmentation de WHtR était positivement associée à la NAFLD dans le modèle non ajusté (OR = 7,59, p < 0,001) et également dans le modèle ajusté (OR = 6,64, p < 0,001). L’IMC était également associé au risque de NAFLD dans le modèle non ajusté (OR = 1,21, p = 0,002) et dans le modèle ajusté (OR = 1,22, p = 0,004).  Les aires sous la courbe entre le WHtR et la NAFLD (0,823 (IC 95% 0,692 – 0,955)) étaient plus grandes qu’entre l’IMC et la NAFLD (0,720 (0,572 – 0,955)) (p = 0,04). Le seuil de 0,5 du WHtR pour prédire la NAFLD montrait la plus haute sensibilité de 86% et spécificité de 55%. L’IMC de 26,6 kg/m² était le meilleur seuil avec une sensibilité de 79% et une spécificité de 57%. L’IMC de 30 kg/m² montrait une sensibilité de 43% et une spécificité de 81%.

Les limites de cette étude sont l’absence de dosage sanguin des enzymes hépatiques et des plaquettes, qui aurait permis le calcul d’un score de fibrose, le manque de données diététiques et d’activité physique et le design transversal de l’étude ne permettant pas d’établir de causalité. Les forces de l’étude consistent en l’utilisation de méthodes de référence pour la composition corporelle (DEXA) et le contenu en lipides du foie (IRM), ainsi que le génotypage des variants pour 95 participants sur les 121 de l’étude.

En conclusion, cette étude montre que les patients vivant avec un DT1 ne sont pas exempts de NAFLD et que le tissu adipeux viscéral est associé au risque de NAFLD après ajustement sur les covariables, incluant le variant rs738409 du gène PNPLA3. De plus, le WHtR pourrait être utilisé comme outil de dépistage de la NAFLD dans cette population.

 

Références

[1] Yki-Järvinen H. Non-alcoholic fatty liver disease as a cause and a consequence of metabolic syndrome. Lancet Diabetes Endocrinol 2014; 2:901–910.
 
[2] Targher G, Mantovani A, Pichiri I, et al. Nonalcoholic fatty liver disease is independently associated with an increased incidence of chronic kidney disease in patients with type 1 diabetes. Diabetes Care 2014; 37:1729–1736.
 
[3] Targher G, Bertolini L, Padovani R, et al. Prevalence of non-alcoholic fatty liver disease and its association with cardiovascular disease in patients with type 1 diabetes. J Hepatol 2010; 53:713–718.
 
[4] Liu Y-L, Patman GL, Leathart JBS, et al. Carriage of the PNPLA3 rs738409 C>G polymorphism confers an increased risk of non-alcoholic fatty liver disease associated hepatocellular carcinoma. J Hepatol 2014; 61:75–81.
 
[5] Petäjä EM, Yki-Järvinen H. Definitions of normal liver fat and the association of insulin sensitivity with acquired and genetic NAFLD—a systematic review. Int JMol Sci 2016; 17:633.
 


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