L’association entre diabète et insuffisance rénale chronique (IRC) augmente le risque de complications à court et à long terme, ainsi que la mortalité [1]. Cependant, l’objectif glycémique optimal pour améliorer ces complications n’est pas bien défini, particulièrement pour les individus avec une IRC sévère. Les recommandations actuelles conseillent un équilibre glycémique moins strict avec le déclin de la fonction rénale [2], du fait d’une augmentation du risque d’hypoglycémie et de la réduction de l’espérance de vie de cette population. L’association entre HbA1c et survenue des complications du diabète est bien connue, notamment grâce aux études ayant montré l’impact d’un traitement intensif de la glycémie sur la réduction des complications micro- et macrovasculaires et la mortalité [3,4]. Cependant, ces essais n’ont pas inclus les individus avec une IRC sévère, soit avec un débit de filtration glomérulaire (DFG) < 30 mL/mn/1,73m². De plus, la fiabilité de l’HbA1c dans cette population pose question du fait de changements dans le métabolisme avec, d’une part, une augmentation des paramètres inflammatoires et d’acidose métabolique (qui vont augmenter la glycation de l’hémoglobine) et, d’autre part, une réduction de la durée de vie des globules rouges et l’utilisation d’EPO ou de fer (qui diminuent l’HbA1c). Les auteurs ont donc investigué l’association entre HbA1c et événements cardiovasculaires majeurs (MACE), complications microvasculaires et hospitalisations pour hypoglycémie, dans une population d’individus vivant avec un diabète et une IRC sévère.
Pour cette étude, les auteurs ont investigué les données des registres nationaux de santé du Danemark, enregistrant les hospitalisations et les diagnostics associés, les délivrances de traitements et les données de laboratoire. Etaient inclus les individus cumulant un diabète et une IRC sévère entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2022. L’IRC sévère était définie par 2 mesures de DFG < 30 mL/mn/1,73m² à plus de 90 jours d’intervalle et la 2ème mesure correspondait à la date d’inclusion dans l’étude. Les personnes vivant avec un diabète étaient identifiées sur la base d’au moins une délivrance de traitement anti-diabétique dans les 5 dernières années. Ont été exclus les patients n’ayant pas de mesure d’HbA1c entre 4,9% et 13,1% dans l’année suivant l’inclusion, les mineurs et ceux ayant un antécédent de dialyse ou de greffe rénale. Chaque individu cumulant un diabète et une IRC sévère a été apparié d’après l’âge et le sexe à 3 patients avec un diabète et une IRC modérée (DFG entre 30 et 59 mL/mn/1,73m²) et 3 autres avec un diabète et une fonction rénale normale ou faiblement diminuée (DFG ≥ 60 mL/mn/1,73m²). Les critères de jugement principaux étaient la survenue d’un élément du MACE (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou décès toute cause), d’une complication microvasculaire (rétinopathie, amputation d’une partie de membre inférieur, IRC terminale ou dialyse) et d’une hospitalisation pour une hypoglycémie. La période de suivi allait de l’inclusion jusqu’à la survenue d’un de ces critères ou jusqu’au 31 décembre 2022, selon ce qui survenait en premier. Les auteurs ont utilisé l’estimateur de Kaplan-Meier pour calculer le suivi médian. L’association entre l’HbA1c et le critère de jugement a été réalisée selon 11 strates d’HbA1c allant de 4,9-5,3% jusqu’à 10,4-13,1%. Les données ont ensuite été analysées via des modèles de Cox ajustés sur le niveau d’hémoglobine et les maladies cardiovasculaires en plus de l’appariement sur l’âge et le sexe, et prenaient en compte le décès comme risque compétitif.
Au total, les auteurs ont pu inclure 27 113 individus cumulant un diabète et une IRC sévère, appariés à 80 131 individus avec un diabète et une IRC faible à modérée et à 80 797 individus avec un diabète et un DFG ≥ 60 mL/mn/1.73m², avec une durée de suivi médiane entre 5,2 et 5,4 ans selon les groupes. L’âge médian des patients inclus était de 77 ans (intervalle interquartile [IQR] 70 – 83 ans) dans les 3 groupes. L’HbA1c était de 7,0% (6,3 – 8,0) dans le groupe IRC sévère, 6,9% (6,3 – 7,7) dans le groupe IRC modérée et 6,8% (6,3 – 7,6) dans le groupe IRC faible ou absente. La proportion de patients avec un diabète de type 1 augmentait lorsque l’IRC était plus sévère : 30,5% dans le groupe IRC sévère, 24,7% dans le groupe IRC modérée et 18,8% dans le groupe IRC faible ou absente. Les individus du groupe IRC sévère étaient généralement plus sévères que les autres groupes, avec un diabète de durée plus longue (40% avec un diabète depuis plus de 14 ans, contre 37 et 33%), un traitement comprenant plus souvent de l’insuline et plus de comorbidités (antécédents cardiovasculaires, hypertension, obésité ou complication du diabète). Chez les individus avec IRC sévère, le risque de MACE augmentait significativement pour des niveaux d’HbA1c < 5,8% et ≥ 7,2% comparé à la tranche d’HbA1c 6,3-6,6%. Plus précisément, concernant le MACE et comparativement aux individus avec une HbA1c entre 6,3 et 6,6%, ceux avec une HbA1c entre 5,4 et 5,7% présentaient un HR à 1,24 (IC 95% 1,16 – 1,32) et ceux avec une HbA1c entre 4,9 et 5,3% un HR à 1,41 (IC 95% 1,26 – 1,57). De l’autre côté du spectre de l’HbA1c, le risque de MACE devenait statistiquement significatif pour une HbA1c entre 7,2 et 7,5% (HR 1,08, IC 95% 1,02 – 1,14) et augmentait progressivement jusqu’à 1,48 (IC 95% 1,37 – 1,61) dans le groupe avec une HbA1c entre 10,4 et 13,1%. Concernant les complications microvasculaires, les auteurs retrouvaient une augmentation du risque à partir d’une HbA1c entre 7,2 et 7,5% (HR 1,32, IC 95% 1,19 – 1,47), progressive jusqu’au dernier groupe d’HbA1c avec un HR à 1,68 (IC 95% 1,43 – 1,96) pour une HbA1c entre 10,4 et 13,1%. Les groupes d’HbA1c en dessous de 6,3 – 6,6% ne présentaient pas de surrisque de complication microvasculaire. Enfin, le risque d’hospitalisation pour hypoglycémie augmentait lui aussi avec l’HbA1c : 1,44 (IC 95% 1,17 – 1,77) pour le groupe d’HbA1c entre 6,7 et 7,1%, jusqu’à 4,48 (IC 95% 3,56 – 5,63) pour le groupe d’HbA1c entre 10,4 et 13,1%. Là encore, pas de surrisque d’hospitalisation pour hypoglycémie chez ceux ayant une HbA1c plus faible, avec même une diminution de ce risque dans le groupe d’HbA1c 5,8 – 6,2%, avec un HR à 0,72 (IC 95% 0,56 – 0,93). Bien que tous les groupes ne présentent pas exactement les mêmes résultats, ces tendances étaient similaires dans les autres groupes d’IRC. Ces associations restaient présentes lorsque les analyses étaient également stratifiées en fonction du sexe, de l’âge et du type de diabète.
Les auteurs retrouvent donc dans cette étude de cohorte nationale, une association entre HbA1c et complications du diabète chez des individus avec une IRC sévère, avec une courbe en U (avec un nadir entre 6,3 et 6,6% d’HbA1c) pour les événements du MACE et une augmentation du risque de complications microvasculaires lorsque l’HbA1c dépasse 7,2% et une augmentation du risque d’hospitalisation pour hypoglycémie lorsque l’HbA1c dépasse 6,3%. Cependant, bien que comportant une population importante, le caractère observationnel de cette étude ne permet pas de tirer de conclusion causale à cette association. Des facteurs confondants tels que l’IMC, le mode de vie ou encore l’ethnie n’étaient pas disponibles pour les auteurs. De même, seule l’HbA1c à l’inclusion est prise en compte et pas les mesures répétées qui ont pu avoir lieu ensuite pouvant également occasionner des biais. Enfin, les auteurs n’avaient accès qu’aux données concernant les hospitalisations pour hypoglycémie et n’avaient pas d’information sur les hypoglycémies ne débouchant pas sur un passage à l’hôpital.
Pour conclure, dans cette étude, l’HbA1c était un facteur important dans la survenue de complications du diabète, y compris chez les participants avec une IRC sévère. La tranche d’HbA1c entre 6,7 et 7,1% semble être la plus favorable pour réduire le risque de complications et de mortalité à long terme.
Références
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